Le dernier chant du rossignol
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À propos de ce livre électronique
Tandis qu'Annabelle est dans la lumière, son frère aîné, Thomas, talentueux accordeur de piano, reste dans l'ombre.
Leur ressemblance est troublante mais derrière leur beauté androgyne se cache un terrible secret.
Conquise, la comtesse de Rohan-Chabot, riche mécène et amie des artistes, invite Annabelle pour un récital le jour de l'anniversaire de son époux. Cette manifestation, qu'elle veut inoubliable, se tiendra dans leur château de La Motte Tilly, au sud-est de Paris.
La jolie Annabelle, accompagnée de Thomas, arrive un beau matin au château. La tragédie qui se met en place marquera ce lieu à jamais et changera le destin de tous.
Le dernier chant du rossignol : un amour interdit, une amitié impossible, un destin tragique.
Nathalie Thomas-Verney
Née à Montereau Fault Yonne, Nathalie Thomas Verney a toujours été passionnée par la littérature et par l'histoire.
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Destins Interdits Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationÆternitas Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationImmoral: Destins Interdits 2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationIrréalité Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Avis sur Le dernier chant du rossignol
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Aperçu du livre
Le dernier chant du rossignol - Nathalie Thomas-Verney
TABLE
Introduction
PARTIE I
Le palais des rêves
19 rue d’Antin
Les Rohan-Chabot
Paris 1915
Adieu Paris
PARTIE II
Jeudi
Vendredi
Samedi
Dimanche
PARTIE III
Ténèbres et espoir
Un départ nouveau
Pour Annabelle
Epilogue
Remerciements
« Le Dernier Chant du Rossignol », édité en 2018, a été mon premier roman et ma première aventure dans le milieu de la littérature ; c’est dire combien il est important pour moi.
Grâce à lui, j’ai vécu des expériences inoubliables (premières chroniques, concours des Arts Littéraires - mars 2019) et fait de précieuses rencontres.
L’opportunité de cette édition 2022, m’a permis d’apporter quelques corrections au roman ; corrections qui ont demandé un gros travail d’attention et de relecture à deux personnes essentielles. Brigitte Castiglione, auteure jeunesse et amie précieuse, et Patricia Verney, ma grande sœur, toujours à mes côtés. Je tenais à les remercier de tout mon cœur.
Je ne souhaitais pas reprendre l’histoire. Cependant, certains points d’ordre technique concernant le chant soprano, étaient nécessaires pour la cohérence du personnage d’Annabelle. Je voudrais remercier très sincèrement l’une de nos plus grandes chanteuses soprano, Madame Sabine Devieilhe dont le talent n’a d’égal que la gentillesse.
Il est temps à présent de vous laisser (re)découvrir « Le Dernier Chant du Rossignol » qui, tel le phénix, renaît de ses cendres, et de vous souhaiter un très beau moment de lecture.
Nathalie Thomas-Verney
Partie I
Le palais du rêve
Le grand jour était arrivé. Je me sentais excessivement nerveuse. Ce n’était pourtant pas la première fois que mon époux et moi nous rendions à l’opéra de Paris pour assister à une représentation lyrique.
— Cécile, comtesse de Rohan-Chabot, vous êtes parfaite. Cessez donc de vous regarder dans ce miroir !
Je me surpris à me parler à moi-même et vérifiai pour la énième fois ma tenue : une robe de soie noire, recouverte d’une dentelle fine et délicate du même ton qui laissait voir le haut de mes épaules et de mes bras. Je choisis avec soin de longs gants, noirs également, que j’ajustai à chacun de mes doigts en vue des bagues que j’allais porter. Une dernière fois, je détaillai ma coiffure : mes longs cheveux châtain clair étaient relevés en un chignon sous une résille parsemée de petits diamants scintillants. À quarante-deux ans, même si vous étiez toujours une belle femme, les critiques étaient plus faciles que lorsque vous en aviez vingt, surtout quand vous deviez affronter le regard des jaloux de la société parisienne.
Aujourd’hui, j’étais impatiente. Dans quelques minutes, notre voiture viendrait nous chercher afin de nous rendre à l’opéra. Cette idée me remplissait de joie et de fierté car j’étais un peu à l’origine de cet évènement tant attendu par le Tout-Paris.
Je me souvins alors qu’à la fin de l’année mille neuf cent quatorze, par un concours de circonstances, j’avais organisé un dîner à notre hôtel particulier parisien auquel j’avais convié Monsieur Rouché, nouveau directeur de l’opéra de Paris. Lors d’une discussion animée, j’avais émis le souhait de revoir à l’affiche du célèbre établissement, un opéra français d’un auteur contemporain. Dans les semaines qui avaient suivi, le directeur me fit savoir que le comité d’organisation avait sélectionné un opéra lyrique ; une œuvre de l’un de mes grands amis : Pelléas et Mélisande de Claude Debussy.
Treize ans plus tôt, j’avais déjà assisté à la première à l’Opéra Comique. Comment oublier toutes les controverses et censures de l’époque. Je me souviendrai toujours de ce moment où mon ami, Claude Debussy était venu se réfugier dans le bureau de Monsieur Messager, le chef d’orchestre où il fumait nerveusement cigarette sur cigarette. J’avais tenté de le rassurer, en vain. De nos jours, les mentalités avaient changé et la controverse concernant le choix de la jeune soprano qui interprétait Mélisande n’était plus. Mais aujourd’hui, gravement, gravement malade, le grand Claude Debussy ne serait pas présent. Je soupirai. J’aurais tellement voulu offrir un vrai triomphe à mon ami de longue date.
— Êtes-vous prête, Madame ?
Louis Charles Gérard, comte de Rohan-Chabot s’impatientait.
Charles Gérard et moi étions mariés depuis vingt ans. Ce mariage avait été arrangé par nos familles mais je dois avouer que je n’avais jamais regretté le choix de ma mère.
Il était le fils de Guy de Rohan-Chabot, décédé trois ans plus tôt, et d’Anne Jeanne Terray de Morel-Vindé que je n’avais pas connue mais qui, selon les dires, était une très belle femme. Mon époux était l’héritier d’une grande et ancienne famille noble mais il n’en tirait aucune prétention. Il restait un homme aimable, abordable, simple et cordial avec tous. Ce caractère ouvert et avenant le rendait accessible à beaucoup et notamment aux jeunes artistes qui venaient souvent à notre hôtel particulier du septième arrondissement.
Charles Gérard n’avait que trois ans de plus que moi, nous avions de nombreux centres d’intérêt en commun que nous partagions souvent : la musique, la peinture, la sculpture… Sa passion allait au dix-huitième siècle, siècle des lumières durant lequel les arts furent portés à leur zénith et qui fut ponctué de personnalités sans égal. C’est cette ferveur qui le conduisit à racheter le château de La Motte Tilly à ses cousins.
Passionné d’art, mais néanmoins excellent homme d’affaires, Charles Gérard avait su faire fructifier la fortune familiale grâce à de bons placements financiers.
De notre union étaient nés deux enfants que nous adorions : Aliette née en janvier mille huit cent quatre vingt-seize, et Gilbert né l’année suivante. J’avais mené à bien mon devoir d’épouse en donnant un fils à mon mari, à présent, je pouvais me consacrer entièrement à ma passion des arts.
— Oui mon ami. Je pense que je n’ai rien oublié.
— Avez-vous pensé au livret ?
— C’est la première chose que j’ai glissée dans mon sac.
Je lui souris avec affection et Louis Charles saisit tendrement ma main gantée.
— Eh bien, Madame, allons au théâtre.
— Théâtre ?
— Oui très Chère, l’opéra est le seul lieu où le public devient artiste et où chacun joue un rôle. N’est-ce pas ainsi que Monsieur Garnier l’a voulu ?
— Je vous sens un peu mesquin. Me tromperais-je ?
Un sourire énigmatique se dessina sur ses lèvres et il me présenta son bras.
— Nous passerons par la banque prendre vos bijoux avant de nous rendre à l’opéra. Avez-vous des nouvelles de notre ami Debussy ? Viendra-t-il ?
— Je crains que non. J’aurais tellement voulu qu’il vienne à cette première pour effacer le mauvais souvenir de celle de 1902.
Notre chauffeur ouvrit la portière arrière de notre voiture, une Rolls-Royce Silver Ghost limousine que nous avions fait venir d’Angleterre en début d’année. J’aimais ses lignes nobles et sa couleur bleu nuit. Mon époux et moi nous installâmes sur la grande banquette à l’arrière tandis que notre chauffeur prit place à l’avant.
La soirée était douce en ce mois de mai exceptionnellement chaud. Assise confortablement, je regardais les rues défiler derrière la vitre. Que Paris avait changé en quelques années ! Il était devenu rare de voir des voitures hippomobiles ; remplacées par des autobus publics à moteur, des véhicules à moteur, le charme n’opérait plus. Je me souvenais avec nostalgie de l’écho des sabots sur les pavés que j’aimais tant étant enfant. Oui, en ce début de vingtième siècle, Paris avait changé.
La Rolls-Royce s’arrêta place Vendôme et le chauffeur descendit pour nous ouvrir la portière. J’avais déjà choisi mes bijoux quelques jours auparavant dans notre coffre : un collier qui avait l’aspect d’une fine broderie en or rose, serti de plus de cent diamants, un bracelet assorti rehaussé d’améthystes, d’aigues-marines, de tourmalines et de spinelles. J’avais fait très attention au choix des bagues, ces bijoux étant ceux que le public remarquerait en premier. Je les glissai une à une sur mes gants noirs et fus satisfaite du résultat.
— Parfait, ajouta Charles Gérard, comme pour me conforter dans mes choix. Vous êtes magnifique, Madame.
— Merci mon Ami. Allons !
Je désignai d’un geste que je voulais théâtral, la sortie de la banque. Nous remontâmes en voiture pour suivre la rue de la Paix et enfin arriver sur la place de l’Opéra encombrée de véhicules. Nous dûmes attendre plusieurs minutes pour contourner le bâtiment afin de nous rendre à l’entrée dévolue aux abonnés : exclusivement de riches aristocrates ou financiers qui se rendaient régulièrement à l’opéra.
Enfin nous entrâmes dans la cour où le voiturier vint nous ouvrir la portière. Mon époux et moi franchîmes le porche pour arriver, par de simples portes en bois, dans un vestibule circulaire situé sous la salle de spectacle.
J’avais toujours eu du mal à pénétrer la pensée de Charles Garnier et ceci malgré les explications de mon défunt ami. Je ne parvenais pas à comprendre l’atmosphère assez sombre qui régnait à cet endroit : tout avait été fait pour donner l’impression aux spectateurs qu’ils entraient dans une grotte avant qu’ils ne soient éblouis par les feux de l’opéra. La voûte elle-même, ainsi que les dégagements revêtaient un aspect minéral. Mais pour Charles Garnier, l’ombre n’excluait pas la beauté : le sol avait été orné de magnifiques mosaïques de marbre, un art que l’architecte avait découvert lors d’un séjour à Rome.
Nous quittâmes la rotonde des abonnés pour nous diriger vers un premier escalier baigné d’une pâle lumière peu rassurante. Là, le bassin de la Pythie nous attendait. La Pythonisse, statue centrale de l’ensemble, regardait les visiteurs qui empruntaient l’escalier pour se rendre à l’étage et leur adressait un salut inquiétant.
Je me souvins de ce que m’avait expliqué Garnier un soir d’été, un peu comme celui-ci : « Ah la Pythie, cette prêtresse d’Apollon qui entrait dans des transes effrayantes pour rendre les oracles. Vous devez vous demander pourquoi avoir placé cette statue peu engageante pour accueillir les spectateurs fortunés ? Eh bien, je veux, au-delà de l’éblouissement que leur procurera l’opéra, que cette figure mythologique souligne la gravité et la noblesse de l’art lyrique ». Je me rappelais ses paroles à chacune de mes visites. À l’époque, je n’étais qu’une petite fille et Charles Garnier un grand ami de mes parents. Mon père, Eugène Aubrit-Vitet, était un riche homme d’affaires qui avait fait fortune dans l’importation d’épices rares et lointaines. Bien avant que Garnier ne remporte le concours d’architecture de l’opéra de Paris, mon père avait été un mécène pour le jeune architecte pour nombre de ses réalisations. Ma mère, Valentine Darblay, l’appréciait énormément, à tel point que certains affirmaient même qu’ils auraient eu une liaison, mais ceci sans aucune preuve. Quant à moi, j’avais fait sa connaissance toute enfant et je peux avouer à présent qu’il fut mon premier amour, bien qu’il ne le sut jamais.
— Monsieur et Madame de Rohan-Chabot, quelle joie de vous revoir ce soir.
Tout absorbée par mes souvenirs je n’avais pas vu la marquise d’Auguenot approcher au bras de son époux. Lorsque j’eu noté la présence du couple, je tentai d’être aimable et fis un effort surhumain dans ce sens mais je connaissais la langue de vipère de la marquise et je savais par conséquent que son intervention n’était pas innocente.
— Henriette, vous êtes très en beauté ce soir. Pierre Henri quelle élégance.
— Votre ami, Claude Debussy sera-t-il là pour la première représentation de son opéra ?
— Je crains que non. Il est souffrant.
La marquise eut un petit rire aigu.
— Quel dommage. Peut-être aurait-il assisté au triomphe qu’il n’a pas remporté la première fois.
Je sentais mon époux s’impatienter. Je levai les yeux vers le grand escalier.
— Il est temps pour nous de rejoindre notre loge. Nos amis doivent déjà nous y attendre. Veuillez nous excuser.
Nous saluâmes le couple et empruntâmes le magnifique escalier qui s’élevait par degrés du parterre aux premières loges.
Ce lieu m’avait toujours fait rêver. Chaque femme qui empruntait cet escalier, se sentait l’âme d’une reine ; chaque homme était un roi.
Encore une fois, mes pensées s’envolèrent vers Charles Garnier. Pour lui, cet escalier constituait le véritable cœur de son opéra. Il savait l’effet que produirait ce monumental édifice aux visiteurs de tout âge, de tout sexe, de tout temps. Il affirmait qu’une salle aussi haute invitait à élever son regard. Effectivement la magie fonctionnait et il n’était pas rare de voir un couple ou une personne isolée lever les yeux jusqu’au sommet pour y découvrir une grande variété de marbres : blanc, gris, jaune, vert, rouge, rose, violet… ; une profusion de couleurs. Le charme opérait aussi au plafond où Apollon, Orphée et l’Olympe semblaient avertir le visiteur « ici vous quittez le monde réel pour entrer dans le monde éthéré des arts ».
Charles Garnier s’était longtemps battu pour imposer la polychromie dans son palais, face aux adeptes de la monochromie dirigés par Delacroix. Ah ! Comme j’aurais voulu vivre ces moments intenses pendant lesquels chaque artiste passionné défendait son point de vue.
Cet escalier avait été conçu comme un gigantesque théâtre et cette idée était renforcée par la présence de galeries creusées tout autour, esquissant la forme d’une salle à l’italienne et par la présence de balcons qui avançaient au-dessus du vide. Ceux-ci permettaient aux spectateurs d’admirer les nouveaux venus. En mon for intérieur, je me disais que mon mari avait raison : il y avait deux théâtres à l’opéra : celui de la salle de spectacle où se jouaient les passions, et celui du grand escalier où se jouaient les scènes de la vie sociale.
Depuis plusieurs années, nous avions notre loge située en face de la scène, juste au-dessus des premières loges. Ces places étaient parmi les meilleures aussi bien pour la visibilité que pour l’acoustique. Nous aimions y recevoir nos amis, mais aussi les riches clients de mon mari. Combien de contrats avait-il conclus après un spectacle à l’opéra ? … de nombreux.
Ce soir, Charles Gérard avait donné rendez-vous à un de ses bons amis, partenaire de chasse et de jeu : Louis Etienne d’Ainvalle d’Abauville, duc de Breteuil. Le duc était parmi les personnalités les plus riches et les plus influentes de la troisième République. Nous le retrouvâmes en grande discussion avec Edmond de Rothschild en visite dans la capitale. Poliment mon époux et moi attendîmes qu’ils aient terminé pour les saluer.
— Charles Gérard, Cécile, quel plaisir de vous retrouver enfin. Depuis le temps que nous devions passer une soirée à l’opéra. Il aura fallu le génie de Monsieur Debussy pour cela. Cécile, vous êtes splendide ce soir.
— Merci Louis Etienne, vos compliments me touchent d’autant plus que je les sais sincères.
— Laissez-moi vous présenter Monsieur Edmond de Rothschild. Malgré la situation actuelle de l’Europe et de la France, il est venu de New York pour affaires.
Le duc de Breteuil adressa un regard discret à mon époux. Je compris qu’il était temps pour moi de regagner notre loge et de laisser les hommes parler entre eux.
Au moment où je me dirigeais vers la porte de la loge, je notai la présence discrète de la duchesse de Breteuil. Il était si rare que le couple soit vu ensemble lors de sorties parisiennes. Effacée, timide, discrète, Marie-Thérèse n’en était pas moins une femme raffinée et cultivée. Le Tout-Paris connaissait les nombreux adultères du duc, ses onéreuses passions pour les danseuses ou les chanteuses qu’il entretenait ouvertement jusqu’à ce qu’il se lasse et se trouve une nouvelle égérie. Marie-Thérèse s’effaçait souvent, évitant de se rendre aux premières des spectacles afin de ne pas subir l’affront de voir son époux arriver avec une beauté plus jeune à son bras. Je me dirigeai vers elle et la saluai poliment. Elle me sourit.
— Cécile, je suis si heureuse de partager votre loge ce soir. Lorsque Louis Etienne m’a parlé de cet opéra, de votre implication dans sa programmation, je ne voulais pas, je ne pouvais pas ne pas venir.
Sa simplicité, sa sincérité me touchèrent au plus profond et je fus très émue par ses paroles.
— Je suis également ravie que vous soyez venue Marie-Thérèse. Voulez-vous que nous nous installions ? À moins que vous préfériez savourer une délicieuse glace ? Nous pourrions aller jusqu’au salon du Glacier.
— Merci, Cécile, mais je préfèrerais que nous rejoignions votre loge si cela ne vous dérange pas.
Le portier nous ouvrit la porte sur laquelle était inscrit notre numéro. Nous entrâmes dans ce petit salon aux murs tapissés de rouge, au sol recouvert d’un épais tapis rouge, aux fauteuils habillés de rouge. Le silence qui régnait ici, contrastait avec le bourdonnement de l’avant foyer, des couloirs, des escaliers et des salons. Je m’assis et Marie-Thérèse m’imita.
En bas, les sièges se remplissaient petit à petit, les spectateurs parlaient à voix basse, comme pour ne pas déranger la solennité de cette salle impressionnante.
Par habitude, mon regard se porta en priorité vers le plafond. Une œuvre immense y représentait les heures du jour et de la nuit : le soleil au-dessus de la scène, la lune de l’autre côté, puis à droite et à gauche l’aurore et le crépuscule. Je me penchai légèrement afin de voir les loges situées tout en haut de la salle et constatai avec joie qu’elles étaient également louées. Je ne pus retenir un sourire en remarquant que les globes, éclairés au gaz il y avait encore peu de temps, fonctionnaient aujourd’hui à l’électricité. Ah ! Si Charles Garnier avait pu vivre ce siècle, que de merveilles il nous aurait réalisées.
Comme à mon habitude, mon regard fut capturé par le grand et magnifique lustre central. Sa forme en était pourtant simple, mais il était si imposant. Ma mère m’avait dit un jour que ce lustre ne comptait pas moins de trois cent quarante lumières. Enfant, j’avais essayé de les compter ; adulte je n’y étais toujours pas parvenue.
Dans cette salle de spectacle, le rouge et l’or étaient les seuls tons utilisés, il n’y avait jamais eu d’autres couleurs. Alors que je n’étais encore qu’une petite fille, je trouvais cela trop violent et monotone, jusqu’à ce que Charles Garnier m’expliquât lors d’une de mes visites avec ma mère, qu’il avait songé essentiellement aux dames. D’après lui, cette coloration mettait en valeur leurs toilettes et leur beauté. Avait-il été sérieux ? Même aujourd’hui, devenue une dame, j’en doutais. Cependant, une fois de plus, je devais convenir de son génie de metteur en scène car, comme dans le grand escalier, le public se trouvait encore au centre de la représentation : dans cette salle de spectacle, tout avait été combiné de façon que les spectateurs puissent voir non seulement la scène, mais aussi toute la salle, des sièges jusqu’aux loges.
Marie-Thérèse sortit son éventail qu’elle battit vivement devant son visage.
— Il fait chaud en ce moment, lui dis-je.
— Oui, nous aurons un bel été. Comment va votre père ?
— Eh bien, si Dieu lui porte grâce, nous fêterons ses soixante-dix ans cette année.
— Et votre mère ?
— Elle aura bientôt soixante-cinq ans.
— On ne les voit guère à Paris.
— Non, ils ont préféré s’éloigner de la capitale pour vivre une retraite heureuse dans leur château en Touraine. Le climat y est meilleur aussi.
— Auriez-vous le livret de l’opéra de ce soir, Cécile. J’ai oublié de prendre le mien.
— Oui, tenez, Marie-Thérèse.
Je lui tendis le petit livret bleu.
— Raymond Legrand interprète le prince Golaud. Parfait, j’adore sa voix, elle est si mystérieuse et si profonde. Jean André Le Corre est le prince Pelléas. Je l’apprécie moyennement, il n’est pas égal dans son jeu de scène. Anne Laudec est Geneviève, la mère des deux princes. Oui, c’est un bon choix. Lucien Dubœuf dans le rôle du roi d’Allemonde, excellent. Annabelle Moriuchi joue le rôle de Mélisande. N’est-ce pas un peu risqué de donner un tel rôle à une soprano inconnue ?
— Monsieur Debussy ne targue pas d’éloges sur elle. Nous en avons longuement parlé lors de son choix il y a quelques mois et il voulait absolument cette jeune fille dans le rôle de Mélisande. Jusqu’à présent, elle n’a interprété que des rôles mineurs mais il semble qu’elle possède une voix très légère, hors du commun. Faisons confiance à Claude, il ne s’est jamais trompé.
— Oui, nous verrons bien.
À cet instant, la porte de la loge s’ouvrit. Charles Gérard et Louis Etienne entrèrent doucement.
— Il semble que la représentation va bientôt commencer. Nous avons été invités à rejoindre nos loges après un dernier cigare.
Mon époux prit place à mes côtés tandis que le duc de Breteuil s’assit à droite de sa femme.
Dans la fosse, l’orchestre se plaça en ordre. Beaucoup avait rêvé de voir Claude Debussy diriger lui-même son opéra, tous furent déçus de constater que le jeune chef qui s’installait au pupitre n’était pas le grand compositeur. Sur la scène, le rideau frissonna et la lumière baissa d’intensité. Pelléas et Mélisande allait revoir le jour sur une scène parisienne et je pensai alors à mon ami, regrettant son absence ce soir.
Face à son miroir, Annabelle était nerveuse. Ses mains tremblaient. Thomas s’approcha d’elle et entoura affectueusement ses bras autour de ses épaules. Tendrement il posa sa joue contre la sienne et leurs boucles se mêlèrent les unes aux autres, brunes pour le garçon, blondes pour la jeune fille.
Le miroir renvoya une image troublante : les mêmes yeux en forme d’amande, les mêmes lèvres sensuelles, les mêmes pommettes hautes, la même beauté androgyne.
Thomas s’éloigna et posa un baiser dans le cou de sa petite sœur. Tous deux gardèrent le silence.
— Levée du rideau dans dix minutes, rappela une voix dans le couloir.
Annabelle se leva, défroissa sa robe du plat de la main. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu’elle pouvait l’entendre résonner. Thomas la serra une dernière fois dans ses bras et murmura à son oreille.
— Quand tu étais petite, tu jalousais le chant du rossignol qui venait chanter la nuit dans notre jardin, t’en souviens-tu ? Elle fit un oui de la tête.
— Ce soir, ce sera le rossignol qui te jalousera, ajouta-t-il.
Elle se força à sourire. Elle aurait voulu l’embrasser, frôler ses lèvres douces, puiser en lui le courage de monter sur la scène. Comme s’il avait lu dans ses pensées, Thomas déposa un bref baiser sur ses lèvres rouges.
— Vas Mélisande, et fais vibrer le palais du rêve.
La porte s’ouvrit, il était temps pour Annabelle de partir vers son destin.
L’orchestre s’installa et le chef salua la salle sous les applaudissements. La musique, douce et lente prit possession des lieux. Le rideau frissonna puis s’ouvrit sur le décor d’une forêt sombre, celle-là même où le prince Golaud, suivant un sanglier, s’était égaré. Assis au pied d’un arbre, le chasseur semblait bien pitoyable. Soudain, il leva la tête percevant l’écho d’un sanglot. Il s’approcha et découvrit « une petite fille qui pleure au bord de l’eau ».
Je regardais avec fascination le couple évoluer dans cette scène où Mélisande apparaît comme une enfant mystérieuse dont on ne sait rien sauf qu’elle a fui. Je connaissais l’histoire, aussi portai-je toute mon attention sur la jeune fille qui interprétait la troublante Mélisande. Vêtue d’une longue robe de satin bleu comme le ciel, ses longs cheveux dorés tombant le long de son corps à demi allongé au bord de l’étang, Mélisande était d’une grande beauté. Lorsque la soprano chanta ses premières phrases, sa voix était d’une pureté que je n’avais jamais entendue auparavant. On eut dit le tintement d’un cristal.
Je regardai mon amie Marie-Thérèse qui leva les sourcils. Comme moi, elle était surprise par tant de talent. Je comprenais à présent le choix de Claude Debussy, cette petite avait la beauté, la jeunesse et une voix extraordinaire. Mon attention se porta sur Raymond Legrand qui interprétait Golaud et je pouvais lire sur son visage la joie qu’il éprouvait à donner la réplique à une telle partenaire.
Le premier acte prit fin, laissant la salle stupéfaite tandis qu’un nouveau décor se mettait en place sur la scène. Le second acte nous transporta dans le château du roi Arkel où Geneviève, sa belle-fille et mère de Golaud nous apprend que son fils s’est marié avec la mystérieuse Mélisande.
Charles Gérard se pencha vers moi.
— As-tu entendu la voix de la petite Mélisande ?
— Oui, je dois avouer que je n’ai même entendu que cela. Quelle magnifique soprano.
— Dans combien de temps est l’entracte ?
— Après l’acte trois, juste avant les deux derniers actes. Pourquoi ?
— Eh bien, j’ai hâte d’entendre les commentaires de certains connaisseurs. Nous saurons si notre ami Debussy a, ou non, trouvé sa perle rare.
Les second et troisième actes se déroulèrent dans une atmosphère tout acquise à l’histoire et le public semblait vraiment passionné et ravi. À la fin du troisième acte, le rideau tomba et la lumière revint dans la salle. Un court moment de silence s’ensuivit, comme si personne ne voulait quitter son siège.
— Quel changement quand on se souvient de la première il y a treize ans de cela, me dit Marie-Thérèse.
— Oui, vous avez tout à fait raison. Cette fois-ci, sortons prendre notre glace chère amie. Louis Etienne, nous accompagnerez-vous ?
Je me levai, imitée par la duchesse.
— Non merci, je préfère aller fumer mon cigare et saluer quelques amis dans le Grand Foyer. Charles Gérard, êtes-vous tenté ?
— Oui, grandement. Entre une glace et un bon cigare, le choix est vite fait.
La duchesse et moi, nous dirigeâmes vers le Salon du Glacier en longeant les loges. Tout en marchant, j’écoutais les commentaires des spectateurs : tous parlaient de la prestation de la jeune soprano.
— Cécile, vous qui êtes une grande connaisseuse d’opéra, que pensez-vous de la jeune… (Marie-Thérèse ouvrit le livret afin de trouver son nom)….Annabelle Moriuchi ?
— Je la trouve parfaite pour ce personnage. Elle a la jeunesse, la grâce et la beauté de Mélisande. Il faudrait à présent voir ce qu’elle pourrait faire dans d’autres rôles. D’après notre ami Claude Debussy, elle aurait une voix remarquable. Avez-vous eu connaissance de cette nouvelle classification des voix féminines établie par nos amis allemands ?
— J’en ai vaguement entendu parler.
— Celle-ci prend en compte plusieurs critères, en particulier la tessiture, c’est-à-dire l’étendue des notes que peut couvrir une voix, et le timbre, c’est-à-dire sa couleur et sa puissance. Ce classement semble compliqué certes, mais il n’est pas dénué d’intérêt puisqu’il permet de déterminer si une voix est adaptée ou non à telle ou telle œuvre.
— N’est-ce pas dangereux de classifier ainsi les artistes ?
— Je pense que cette classification peut présenter un certain avantage. Prenons par exemple la petite Annabelle Moriuchi. Sa voix est pure, souple et légère. Je la qualifierais de soprano colorature.
— Soprano colorature ?
— Oui, sa voix est capable d’une grande virtuosité dans l’ornementation, notamment dans les vocalises ou les trilles.
— Les trilles ? Veuillez excuser mon incompétence en matière de chant, mais qu’est-ce ?
— Eh bien, un peu comme les oiseaux, c’est l’action d’émettre rapidement et de façon répétée deux notes représentant l’intervalle d’un ton ou d’un demi-ton.
— Cécile, à certains moments, vos connaissances me dépassent.
— Cécile ! Marie-Thérèse ! Quel plaisir de vous trouver ensemble.
Je n’avais vraiment pas de chance durant cette soirée : je rencontrai pour la seconde fois la marquise d’Auguenot.
La duchesse de Breteuil la salua avec froideur. Elle n’avait jamais oublié les allusions que cette femme avait faites concernant les nombreux adultères de son époux.
— Que pensez-vous de l’opéra ?
Connaissant le peu de savoir que la marquise avait dans ce domaine, j’essayai d’écourter notre rencontre.
— Il est sublime, je redécouvre cette œuvre avec un œil différent. La distribution est excellente surtout la jeune fille. Vous rendriez-vous au Salon du Glacier pour vous rafraîchir ?
— Pas vraiment, je suis allée voir une amie et à présent nous allons rejoindre nos époux dans le Grand Foyer. Je mentais mais pour rien au monde je ne souhaitais que la marquise se joigne à nous.
Marie-Thérèse m’adressa un regard plein de reconnaissance.
— Quel dommage, nous aurions pu bavarder toutes les trois.
Je la saluai d’un sourire puis Marie-Thérèse et moi empruntâmes la galerie du Glacier afin de consommer note glace. Par la suite, nous décidâmes de rejoindre le Grand Foyer. Un bourdonnement nous y accueillit.
Cette salle magnifique avait été conçue par Charles Garnier, comme un lieu de promenade pour les spectateurs durant les entractes. Beaucoup venaient y marcher, y faire des rencontres ou encore échanger leurs avis. Cette grande galerie, faisait face à l’avenue de l’Opéra et, de ses larges fenêtres, on pouvait contempler la perspective qui s’étendait jusqu’au Louvre. Tout ici vous rappelait que vous étiez dans un palais : la profusion des sculptures, des dorures, des peintures et des lustres. Au nombre de dix, ces derniers surprenaient par leur position par rapport au plafond. En fait, Charles Garnier les avait volontairement fait descendre très bas de telle sorte qu’ils soient visibles depuis l’avenue. Le jeu des miroirs et des fenêtres accentuait encore les vastes dimensions de cet endroit.
Ce soir-là, le Grand Foyer, avec toute sa majesté, rendait hommage au talent de Claude Debussy et j’en étais ravie.
— Pensez-vous que nous allons retrouver nos époux dans cette foule ? me demanda Marie-Thérèse en prenant mon bras.
— Je ne sais pas. Le plus important est que nous ne rencontrions pas une fois de plus la marquise d’Auguenot.
Marie-Thérèse se mit à rire.
— Merci, Cécile.
Charles Gérard, comme Louis Etienne, restèrent introuvables. Aussi, mon amie et moi prîmes le chemin des loges en traversant l’avant foyer, puis en longeant le grand escalier où, là aussi, de nombreuses personnes conversaient. C’est avec un certain soulagement, que je retrouvai le calme de notre loge.
— Il y a beaucoup de monde ce soir. Pensez-vous que tous ces gens soient venus pour l’art lyrique ?
— Je l’espère. Il faut cependant dire qu’il y a peu d’opéra à l’affiche, en ce moment. La priorité est donnée aux ballets et, même si j’aime beaucoup la danse, je trouve cela dommage.
— Les temps changent Cécile, les goûts aussi.
Lentement chacun rejoignit sa loge ou son siège. Je fus surprise de constater que le public revenait avec hâte afin de découvrir la suite de l’histoire. Mon époux et le duc de Breteuil entrèrent sans même y avoir été priés.
— Beaucoup ont demandé à rencontrer les artistes après la représentation et le directeur de l’opéra, très réticent au début, a finalement dû accepter grâce à la détermination de Louis Etienne. Commenta Charles Gérard.
Louis Etienne éclata de rire.
— Difficile de refuser quelque chose à quelqu’un qui peut, du jour au lendemain, vous faire quitter votre poste.
— Louis Etienne, vous êtes ignoble. Mais je dois avouer que votre idée est séduisante. Intérieurement je pensai rencontrer la jeune Moriuchi et, pourquoi pas, la féliciter pour son interprétation.
L’orchestre fit alors son entrée sous les applaudissements et s’installa dans la fosse, au pied de la scène. La salle fut une nouvelle fois plongée dans l’obscurité et le silence s’installa. La musique prit lentement possession des lieux et le rideau s’ouvrit sur le décor d’un appartement du château où Pelléas et Mélisande se faisaient face. La jolie soprano avait attaché ses cheveux en chignon.
Je concentrai une fois de plus toute mon attention sur elle : son visage était certes d’une beauté angélique mais ce qui me captiva le plus étaient ses yeux. Je leur trouvai une forme très jolie mais assez exotique ; une forme d’amande, douce et régulière. Très tôt, je fus emportée par l’histoire et par les voix des chanteurs.
Pour une fois, je trouvai Jean André Lecore, qui tenait le rôle de Pelléas, excellent et égal. Sa voix trahissait ses émotions à merveille et je le sentais vraiment investi dans son personnage.
Au bout de trois heures, Pelléas et Mélisande prit fin. Dans la scène finale, à la mort de Mélisande, je me sentais vraiment bouleversée. À en juger le nombre de fois que Marie-Thérèse avait porté son mouchoir à ses yeux, je notai avec soulagement que je n’étais pas la seule.
Lorsque le vieux roi Arkel, interprété par Lucien Dubœuf, termina son oraison funèbre, il quitta la scène, laissant la belle Mélisande allongée sur son lit de mort, ses longs cheveux blonds entourant son visage angélique. Le tintement d’une cloche sonna derrière l’accord céleste des violons et l’obscurité gagna la scène. Le rideau tomba.
Soudain, un tonnerre d’applaudissements retentit dans toute la salle de spectacle, ramenant à la réalité ceux qui, comme moi, avaient du mal à reprendre leurs esprits. D’ordinaire, le public attendait que les lumières se soient rallumées pour applaudir, mais ce soir-là, le triomphe de Pelléas et Mélisande n’avait pas attendu.
Durant cinq minutes, les applaudissements ne faiblirent pas et, du parterre aux loges, tous debout, nous voulions remercier les chanteurs et les musiciens pour cette magnifique représentation. La lumière revint en premier sur l’orchestre, puis le rideau s’ouvrit et les chanteurs firent leur entrée en se tenant la main. Toute concentration avait quitté leur visage et ils affichaient un sourire de soulagement et de joie.
La jolie Annabelle Moriuchi se tenait au centre, serrant la main d’un côté à Jean André, son Pelléas de la soirée, de l’autre à Raymond, son mari et assassin. Elle était petite et ravissante, rayonnante de jeunesse et de joie. Malgré son maquillage, elle ressemblait à une petite fille et c’est avec ses radieux sourires qu’elle conquit le cœur des Parisiens ce soir-là.
Les artistes quittèrent la scène après plusieurs saluts, mais le public ne voulait pas les laisser partir. Les applaudissements se poursuivirent. Ils revinrent une seconde, puis une troisième fois et enfin les applaudissements se turent.
— Le Grand Foyer restera exceptionnellement ouvert ce soir. Voulez-vous venir rencontrer les artistes ? questionna Louis Etienne tout à coup très impatient.
— Ma foi, j’en serai ravie. Et vous, Marie-Thérèse.
— Il est tard, et puis il y aura foule. Je préfère rentrer.
Je pris le bras de mon époux et, accompagnés du duc de Breteuil, nous nous dirigeâmes vers le Grand Foyer, imités par de nombreuses personnes.
— Oh, mais que vois-je ? Madame et Monsieur de Rohan-Chabot en bonne compagnie !
Je connaissais cette voix masculine. Je me retournai et reconnus Gabriel Fauré, mon vieil ami, mon conseiller, mon critique lyrique, celui qui m’avait tant appris. À soixante-dix ans, le vieil homme était écouté et reconnu par toute la profession. Directeur du Conservatoire de Paris depuis dix ans, il y avait vite été considéré comme un tyran, procédant à de nombreux changements, établissant une rigoureuse discipline et apportant du sérieux à un enseignement qui avait beaucoup vieilli.
Malheureusement atteint d’une surdité presque totale depuis quelques années, Gabriel parvenait toujours à entendre les graves, mais aucun aigu et je me disais qu’il devait avoir été bien malheureux de ne pas pouvoir entendre la qualité de chant de la jolie soprano.
— Monsieur Fauré, pourquoi ne m’avoir pas dit que vous étiez ici ?
Je m’avançai vers lui et il me prit dans ses bras avec chaleur.
— Cécile, vous avez su convaincre ce vieil entêté de Claude de ressortir son Pelléas et Mélisande et vous avez bien fait. Tout le monde s’en réjouit. Et vous ?
— Je suis comme tout le monde. Cette interprétation n’a rien à voir avec la première de mille neuf cent-deux : les décors, la musique, les chanteurs, tout a été magnifique, je dirais même magique.
— Comment avez-vous trouvé la jeune soprano ? C’était sa première apparition, je crois.
— Oh, je ne saurais décrire la beauté de sa voix. Elle est tout simplement fantastique. Allez-vous faire la critique de cette soirée ?
— Bien entendu, le Figaro se devait d’être là, que la représentation ait été un triomphe ou une catastrophe. Eh bien, allons féliciter la jeune chanteuse de vive voix puisque l’opéra nous en donne l’occasion.
Gabriel Fauré me proposa son bras que je saisis tendrement. Tout en marchant lentement en direction du Grand Foyer, j’orientai notre conversation sur la petite soprano.
— Que savez-vous d’Annabelle Moriuchi ? lui demandai-je.
— Pas grand-chose. Je sais qu’elle suit les cours de Madame Adélaïde depuis quelques années et que cette dernière en est très fière. Elle dit d’elle que c’est sa plus brillante élève.
— Madame Adélaïde, le professeur de chant de l’opéra ?
— Elle-même. Sinon, la petite Annabelle n’a joué que des rôles de second, voire de troisième ordre. Mélisande est son premier grand rôle et elle doit cette chance à Claude Debussy qui l’a choisie dès la première audition. Elle a le visage de Mélisande, cette beauté angélique, pure et étrange.
— Étrange ? Je dirais plutôt exotique.
— Oui, on raconte que sa mère était asiatique. Son père est italien. Elle est née à Rome et c’est là qu’elle a travaillé sa voix depuis toute jeune.
Notre discussion fut souvent entrecoupée par des saluts, des arrêts. Enfin, après quelques minutes, nous nous retrouvâmes devant la porte largement ouverte du Grand Foyer.
— Eh bien, il semble que tout le monde ait eu la même idée que nous, conclut Gabriel Fauré. Venez, nous passerons par un autre chemin que seuls les critiques artistiques connaissent.
Le vieil homme nous fit retourner sur nos pas, contourner le grand escalier puis entrer dans le Salon du Soleil. De là, il se fit ouvrir la porte qui menait au Grand Foyer. Ce dernier était rempli d’hommes et de femmes qui avançaient dans notre direction. Devant la grande cheminée près de laquelle nous venions d’entrer, les chanteurs, debout, recevaient compliments et accolades. Très occupés, ils ne notèrent pas notre entrée derrière eux.
Ce fut le directeur de l’opéra qui alla souffler à Lucien Dubœuf, alias roi d’Allemonde, que Monsieur Fauré, le célèbre critique du Figaro était là. Le chanteur, charmé d’autant de sollicitude, quitta sa place et vint nous saluer chaleureusement. Il avait plus de soixante-dix ans et pourtant, son amour pour le chant et l’opéra était toujours intact. De sa voix profonde et grave il nous souhaita la bienvenue, puis nous invita à le suivre afin de nous présenter les autres artistes du spectacle.
Gabriel Fauré et le duc de Breteuil allèrent les saluer un à un tandis que mon époux et moi avions décidé de rester un peu en retrait. Nos présences n’étaient pas nécessaires à la carrière de ces artistes. Cependant, du point où je me tenais, je voyais parfaitement la petite soprano. Annabelle Moriuchi était rayonnante dans la robe de satin bleu de Mélisande. Elle avait ôté sa perruque et portait ses cheveux naturels. D’une blondeur éclatante, ceux-ci lui tombaient sur les épaules en de jolies boucles indisciplinées. Elle portait toujours son maquillage de scène et pourtant, elle paraissait très jeune.
— Quel âge a la petite Moriuchi ? demandai-je à mon époux.
— Je n’en ai aucune idée mais je ne pense pas qu’elle ait vingt ans. Elle fait bien jeune en tout cas.
— Je me faisais la même réflexion.
Le duc de Breteuil baisa la main d’Annabelle Moriuchi avec une infinie douceur et, se relevant, lui souffla quelques mots à voix basse. La jeune fille battit des paupières et le remercia d’un sourire. Une fois encore, je fus frappée par la beauté de ses yeux sombres. Gabriel Fauré se porta à sa hauteur et lui parla. Annabelle connaissait son infirmité, aussi eut-elle la délicatesse de ne pas lui parler à voix forte, mais de lui faire une courte révérence en signe de remerciement. Il lui sourit, ce qui était devenu rare chez le vieil homme.
— Elle est adorable, murmurai-je pour moi-même.
— Souhaitez-vous que nous allions la saluer ? proposa mon époux.
— Non, mon ami, je pense que tous doivent avoir hâte de retrouver leur loge, de se changer et de rentrer chez eux. Ne les retenons pas plus longtemps.
Nous attendîmes que le duc et Monsieur Fauré nous aient rejoints pour prendre congé, puis nous nous dirigeâmes vers le grand escalier où de nombreuses personnes étaient restées à bavarder. Petit à petit, le Grand Foyer se vida des admirateurs et on referma les portes dorées.
En bas du Grand Escalier, alors que nous dépassions le bassin de la Pythie, je surpris une conversation entre deux hommes qui parlaient du spectacle.
— Je ne suis pas trop d’accord avec le choix de Monsieur Debussy pour sa soprano. Elle est bien trop jeune.
— Moi, je trouve plutôt son choix judicieux, lui répondit l’autre avec un sourire mesquin. Rappelez-vous du livret que les détracteurs avaient fait paraître lors de la première en mille neuf cent-deux. Ils l’avaient nommé « pédéraste et médisante», Debussy n’a fait que leur donner raison en faisant jouer Mélisande par une gamine et le pervers Golaud par le vieux Raymond Legrand.
Les deux hommes éclatèrent de rire et je m’avançai afin d’intervenir lorsque mon époux saisit mon bras avec douceur.
— Ne vous mêlez pas de cela, Cécile. Vous ne pourrez jamais faire taire les mauvaises langues des jaloux. Venez, notre voiture nous attend.
Nous traversâmes la rotonde des abonnées et sortîmes de l’opéra. Une fois assise dans la voiture, je regardai par la vitre les lumières de
