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Virus, parasites et ordinateurs: Le troisième hémisphère du cerveau
Virus, parasites et ordinateurs: Le troisième hémisphère du cerveau
Virus, parasites et ordinateurs: Le troisième hémisphère du cerveau
Livre électronique161 pages2 heures

Virus, parasites et ordinateurs: Le troisième hémisphère du cerveau

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À propos de ce livre électronique

Les ordinateurs sont des yeux, des voix, des neurones : ils regardent le réel différemment, plus largement et plus finement que nous le faisons, et ils y appliquent une logique non organique et non humaine. Dans cet essai surprenant, fourmillant d’idées, Ollivier Dyens montre que tout comportement, qu’il s’exprime dans l’amour, l’art, la beauté ou l’empathie, sert d’abord et avant tout nos microbes. Ce livre s’inscrit dans une démarche propre au médecin philosophe La Mettrie (1709-1751), aux sensualistes, aux empiristes et aux comptabilistes. Comme La Mettrie, l’auteur perçoit l’humain et le vivant comme une machine ; comme ces philosophes, il pose que le réel n’est saisi qu’ à travers sa relation au matériel, au corps, à la matière organique et, maintenant, au numérique.
Ollivier Dyens est professeur titulaire au Département de langue et littérature françaises à l’Université McGill.
LangueFrançais
Date de sortie1 juin 2015
ISBN9782760634794
Virus, parasites et ordinateurs: Le troisième hémisphère du cerveau

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    Aperçu du livre

    Virus, parasites et ordinateurs - Ollivier Dyens

    Introduction

    Nous levons les yeux vers l’incommensurable, nous baissons le regard vers le négligeable et y voyons un réel de plus en plus vaste, de plus en plus étonnant. Nous contemplons, et remettons en question, aujourd’hui, des réalités inimaginables dans les domaines de la génétique, du quantique, du cosmologique et du bactériologique, et ressentons alors une brèche dans le tissu du réel, dans les contours de notre ontologie. Qu’est-ce qu’un homme, une femme, sur les plans neurologique, cellulaire et viral? Comment peut-on dessiner les lignes, les formes, les ombres de notre être quand de nouvelles réalités nous empêchent de circonscrire avec précision la conscience et de délimiter clairement l’espèce?

    Cette fracture du réel qui nous trouble, celle de l’épidémiologie, des fractales, de la neurologie, celle de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, sursauts de notre ontologie, n’est possible que grâce à l’intelligence machine, à son langage et sa parole. La révolution profonde dans laquelle nous sommes plongés est celle produite et distribuée par l’intelligence machine.

    Les technologies informatiques agissent aujourd’hui non seulement comme des sens nouveaux, nous permettant de voir et de toucher des dimensions extraordinaires du microcosme et du macrocosme, dimensions auxquelles notre physiologie ne peut avoir accès, mais aussi comme filtres, interprètes et modules analytiques de ces dimensions. Les ordinateurs sont des yeux, des voix, des neurones, ils regardent le réel différemment, plus largement et plus finement que nous le faisons, et ils y appliquent une syntaxe non organique et non humaine. Les machines de l’information déposent sur le réel une pellicule qui leur est propre et que nous ne pouvons plus retirer. L’intelligence machine filtrera bientôt toute représentation, compréhension et modélisation du monde.

    Les enfants qui naissent aujourd’hui ne saisiront plus les strates de la réalité sans les sens accrus que leur offriront les technologies. Plus fondamentalement, ces enfants ne pourront plus aimer l’être cher, le saisir, le caresser, sans le filtre cognitif des machines intelligentes (déjà, la technologie s’empare de nos automatismes de fuite ou d’attaque et les remplace par ses stimuli). Ce phénomène est si important, si total, son impact est à ce point sérieux qu’il ne serait pas absurde de suggérer que l’ordinateur du 21e siècle joue le rôle d’un troisième hémisphère du cerveau humain. Toute lecture, toute analyse du réel, toute expression de la sensibilité, de la beauté et de l’empathie seraient maintenant sculptées par trois hémisphères.

    Il y a quelque 50 000 ans, l’humain se mit soudain à créer des signes et à peindre des formes surprenantes sur les parois suintantes de cavernes étranges. L’éclosion singulière et inattendue de ce que plusieurs nomment le Big Bang culturel n’a pas encore été expliquée par les archéologues et anthropologues qui étudient l’art pariétal. Pourquoi l’humain s’ouvrit-il à l’univers du symbole, se vit-il séduit par l’image, le geste artistique, l’esquisse? Pourquoi sentit-il la nécessité de dessiner un animal, une chasse, un mouvement? Nous ne savons pas. Mais une hypothèse fait son chemin selon laquelle une subite transformation génétique serait la cause de ce bouleversement. Pour une raison encore inconnue, le cerveau humain changea, l’homme et la femme ressentirent le besoin du symbole et l’envie de la représentation, ils découvrirent la soif de l’émotion artistique et de la poésie visuelle. Brusquement, le monde humain se métamorphosa.

    Nous sommes à un point de jonction identique. Le troisième hémisphère opère une révolution cognitive si importante que nous voici maintenant tels ces êtres qui, subitement, se mirent à dessiner sur les parois de Lascaux, de Chauvet et d’Altamira, face à un monde qui émerge de façon profondément mutée.

    Le troisième hémisphère ouvre la porte à d’extraordinaires et effrayantes nouvelles représentations du réel. Il burine une forme d’humain singulière faite de parasites, de bactéries et de virus, un humain dont la fonction première est de servir le microbiome (l’ensemble de nos microbes), un humain qui n’a de conscience qu’a posteriori, qui n’aime et ne crée que pour servir les microcosmes qui l’habitent. Il nous montre que tout ce que nous faisons sert le microbiome, que le microbiome peut s’exprimer par l’amour et le désir humains; par l’empathie, par la beauté et par l’art.

    Et tels ces hommes et ces femmes de Lascaux qui donnèrent naissance au langage, la transformation profonde que porte en lui le troisième hémisphère charrie aussi son langage particulier, un langage qui, appliqué au monde, le modifie radicalement. Ce langage est, bien sûr, le numérique.

    Le numérique, nous le verrons dans le chapitre suivant, efface les frontières et fait voir le chevauchement constant, le glissement sans fin. Il permet à l’organique de se glisser dans l’inorganique; d’unir le matériau aux cellules et aux neurones; de poser sur l’écosystème un langage, des mots, des structures qui s’appliquent à toute la création. Si les dessins de Lascaux ont ouvert la voie à un univers où le réel fleurit dans la semence du symbole, où il mute et éclot par le signe, le numérique offre la possibilité d’un réel qui se multiplie par l’abolition des limites les plus profondes. Par le numérique, tout se met à palpiter.

    Le troisième hémisphère invoque visuellement, conceptuellement, cognitivement et linguistiquement un monde radicalement différent.

    Cette idée n’est pas aussi terrible qu’elle le paraît: nous n’avons jamais été des êtres libres de technologies (la présence technologique dans l’écosystème précède de beaucoup l’apparition de l’Homo sapiens). Nous avons toujours vécu aux côtés des outils d’abord, puis des sciences et des machines, et enfin des écosystèmes technologiques. Il est si difficile d’imaginer le développement de notre cognition, de notre sensibilité et de notre soif d’émotion artistique sans les outils, les machines et les technologies sur lesquels nous nous sommes appuyés au cours des millénaires, que certains chercheurs analysent la relation humain-technologie par le prisme d’une véritable coévolution. En fait, si nous acceptons que la niche évolutionniste dans laquelle l’humain s’est lové est la cognition, il faut alors accepter que cette niche évolutionniste est aussi, en partie, fondée et transformée par les technologies.

    Mais ce tumulte qui s’impose à la modélisation humaine ne jaillit pas uniquement des machines intelligentes.

    En fait, pour un nombre non négligeable de chercheurs, la question de la fondation de l’humain dépasse celle des technologies. L’humain, nous disent biologistes, neurologues et épidémiologistes, se définit non pas par sa relation aux technologies, mais bien par sa subordination à son microbiome. Le microbiome influence et cisèle les comportements humains à ses fins, et opère même dans les intentions et volontés dont nous faisons preuve. Les automatismes physiologiques qu’il manipule seraient à l’origine de l’immense majorité de nos comportements (jusqu’à l’intention artistique). Ce que l’on appelle la conscience ne serait pas épargné: elle ne serait que le fruit du microbiome et ne jouerait qu’un rôle d’observateur dans le spectacle de nos vies, commentant une pièce sur laquelle elle n’a aucun impact.

    Au-delà des questions ontologiques fondamentales que soulèvent ces affirmations, les voilà qui défient notre compréhension de la présence technologique. Si l’humain n’est pas consciemment responsable de ses besoins et de ses volontés, que dire alors de la présence du troisième hémisphère? Est-il, lui aussi, fruit des pressions du microbiome?

    Ce livre se penchera en premier lieu sur cette étrange question. Il montrera que l’environnement technologique semble effectivement répondre aux besoins du microbiome, que l’ordinateur est le produit de nos microbes et qu’il cristallise la nécessité de leur dissémination. Par l’environnement technologique, des dimensions du réel préalablement inconnues les unes des autres se mettent à dialoguer. Par ce dialogue se multiplient des contaminations et des infections qui avantagent le microbiome.

    La deuxième section du livre montrera que les lectures du réel produites par le troisième hémisphère ensemencent les fondements d’une nouvelle humanité: une humanité assujettie aux profonds mouvements et aux changements des bactéries, virus et autres parasites qui vivent en elle, une humanité sans individus, sans formes définitives, sans être et étant. Elle posera la question du libre arbitre: comment ce phénomène peut-il exister dans un cerveau biologiquement défini, alors que cette biologie est clairement fondée sur les mouvements étranges du microcosme?

    Le livre s’attaquera ensuite au royaume le plus humain qui soit: notre faculté de produire, de comprendre et de rechercher le geste artistique, et en proposera une analyse qui le définira, lui aussi, comme produit du microbiome. Nous faisons de l’art car cela est utile à nos microbes.

    Cette partie pourra aussi être comprise comme une étude de cas. En montrant la difficulté grandissante de circonscrire l’humain et le vivant, elle fera la preuve de l’influence fondamentale du microbiome sur la pensée humaine. Et si cette affirmation soulève des questions difficiles, parfois insolubles et souvent déséquilibrantes, c’est que notre troisième hémisphère – fruit de la présence et de l’influence du microbiome – nous oblige à saisir le réel comme instable, souvent indéfinissable. Pourquoi? Parce qu’ainsi se créent des conditions favorables à la contamination et à l’infection, vecteurs essentiels de la survie du microbiome.

    Le but premier de ce livre est de poser la question de la réalité humaine face aux nouvelles lectures du monde. Mais poser cette question revient, immanquablement, à servir les visées du microbiome. Examiner ce que nous sommes, ce qui forme l’ontologie, ce qui pulse au cœur de la métaphysique, poser un regard sur l’essence humaine en équilibre précaire entre le microcosme et le macrocosme, s’interroger sur la place de l’art et de l’émotion esthétique dans le schème du réel ne s’avère pas la preuve de notre humanité, de notre indépendance; bien au contraire. Remettre en question le réel, le vivant, le conscient, utiliser pour ce faire une machine intelligente qui accélère les aléatoires et produit ainsi de nouveaux territoires de contamination, revient à incarner les buts, désirs et intentions du microbiome. Tout sert le microbiome.

    Comprenons-nous bien: nous ne pouvons plus faire l’«ablation» de notre troisième hémisphère, ce par quoi tout, maintenant, se voit, s’entend, se touche, s’aime. Nous ne pouvons plus nier l’emprise du microbiome sur notre être. Nous ne pouvons plus faire l’expérience du monde sans y apposer les langages et les complexifications des technologies, sans y examiner la portée de l’empire microbiotique. Toutes les théories que nous aborderons, toutes les hypothèses que nous soulèverons seront, à la base, fruits de la lecture que fait du monde la machine intelligente, résultats des poussées du microbiome.

    Impact de la technologie, apparition d’un troisième hémisphère, chevauchement des fondations du réel par le numérique, impossibilité de clairement distinguer les limites des microbes et des technologies, et nécessité de saisir ces nouvelles interrogations afin de dresser un portrait de l’humain au 21e siècle: voilà ce que ce livre examinera.

    * * *

    Avant de poursuivre, il est important de contextualiser rapidement les interrogations que ce livre soulève.

    La question du réel, le problème de l’être et de l’étant ne sont pas nouveaux. Ils ont probablement été posés dès que l’humain se mit à interroger son monde par le signe et le symbole. Pourquoi sommes-nous? Qu’est-ce que le «sommes» et le «nous»? Comment saisir et conceptualiser le monde qui nous entoure? Qu’est-ce que le réel,

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