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Réglisse et incidences
Réglisse et incidences
Réglisse et incidences
Livre électronique190 pages2 heures

Réglisse et incidences

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À propos de ce livre électronique

Tu pourras garder Réglisse pendant nos vacances ? demande Cassandre. Zoé répond que oui, bien sûr, avec plaisir même, alors que s’il y a bien un sentiment que cette idée ne lui procure pas, c’est du plaisir.
Réglisse est une sorte de chien allemand, ou pyrénéen, ou ni l’un ni l’autre, Zoé n’en sait rien et s’en fout. Elle n’aime pas les chiens. Elle n’aime pas ce chien en particulier, qu’elle trouve résolument trop volumineux rapporté aux dimensions de l’appartement de Cassandre et Georges.
LangueFrançais
Date de sortie15 oct. 2020
ISBN9782312077543
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    Réglisse et incidences - Gean Cartier

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    Réglisse et incidences

    Gean Cartier

    Réglisse et incidences

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2020

    ISBN : 978-2-312-07754-3

    Prologue

    Décapsuler une Foster’s fraîche, après avoir fait l’amour pour la première fois, dans un champ d’herbe haute en écoutant Yann Tiersen.

    Georges a très peu de souvenirs de la soirée au cours de laquelle Driss et lui avaient rédigé cet énoncé. Une soirée où son taux d’ébriété, pour la première fois si élevé, avait pour alibi principal l’obtention du baccalauréat scientifique avec mention. C’est à l’issue de la quatrième pinte que s’était opéré un réel tournant dans les perceptions sensorielles de Georges. Et donc à partir de cet instant que ses souvenirs s’imbriquent et s’estompent. Voici, avec une totale objectivité, ce qui s’est déroulé ensuite.

    À gauche du zinc, c’est-à-dire devant, se tenaient sur deux tabourets hauts Georges et Driss. À droite, donc derrière, s’affairait Kiki, le serveur : il lavait des verres. Et exactement face à nous (donc sur le zinc), les deux pintes étaient à nouveau vides de Foster’s. Georges regarda Driss, qui regarda Kiki, qui comprit, et les emplit. Puis Driss regarda Georges, et il reprit :

    – Dans une piscine ?

    – Genre piscine municipale ?

    – Non t’as raison, ça craint. Y’a trop de monde. Je sais ! Dans un champ. Un grand champ avec de l’herbe pas fauchée. Plein de soleil et un petit vent léger pour rafraîchir la peau.

    – Ah ouais pas mal. Mais ça chatouille, l’herbe, non ?

    – Justement. Tu vois le kif ?

    – Je vois.

    – Et à la fin, hop, tu sors la glacière et tu décapsules une binouze bien fraîche.

    Georges rit ; Driss, soudain plus terne, ajouta :

    – Enfin bon, faut déjà trouver une fille avant tout ça.

    – Ouais, approuva Georges avec une semblable gravité et en promenant son index sur l’arête de sa pinte, comme si un son cristallin allait s’en échapper. Puis il en but la petite moitié d’un trait.

    – Bon. C’est quoi la prochaine étape ? lança Driss.

    – Étape de quoi ?

    – Maintenant qu’on a le bac, c’est quoi le prochain défi ?

    – Qu’on fasse l’amour dans un champ ?

    Driss pouffa dans sa bière, le liquide remonta dans ses sinus et il toussa cinq fois.

    – T’es con !

    – Non mais pas tous les deux, crétin ! Chacun de son côté, avec une nana ! Le prochain défi c’est : décapsuler une Foster’s fraîche après avoir fait l’amour pour la première fois, dans un champ d’herbe haute.

    – En écoutant Yann Tiersen, compléta Driss inspiré par ce qui passait à cet instant dans les enceintes du bar.

    – Putain c’est beau. Je vais verser une larme.

    – Faut le noter. T’as un stylo Kiki ?

    Le serveur lui tendit un crayon, Driss retourna son sous bock, y rédigea la sentence, s’empara du sous bock de Georges pour y recopier la même phrase, distribua les deux cartons humides et déclara avec solennité :

    – Le premier appelle l’autre.

    Et ils scellèrent le pacte d’un cul sec.

    Driss, ensuite, est parti mener des études de commerce à l’autre bout du pays, Georges est resté à Paris pour sa prépa. Il a disposé le sous bock sur un des rayonnages de son bureau, assez discrètement pour ne pas que la phrase le hante, mais suffisamment accessible pour qu’il puisse s’y référer facilement. Puis il a fait le constat qu’il était maladivement timide et que cette disposition n’allait pas jouer en sa faveur dans la course vers l’objectif. À l’âge de six ans, Georges rédigeait des déclarations brûlantes à une certaine Delphine, qui après plusieurs semaines d’insistance a fini par lui retourner un « lèsse moi trancil a la fin » ; ce premier râteau a pétrifié Georges qui, depuis, est notoirement plus frileux en matière d’abordage.

    Première étape : Georges se rend au supermarché, fait l’emplette d’un pack de Foster’s qu’il dispose dans le bac à légumes de son réfrigérateur (ce qui ne laisse plus aucune place pour d’éventuels légumes, mais il n’est pas prévu que cela lui manque), puis s’interdit strictement d’y toucher pour d’autres raisons que celle que l’on sait. Ou alors, peut-être, juste une première, là tout de suite, pour fêter le début de cette quête. Et puis la saison des herbes hautes est encore loin, on a le temps.

    Six mois plus tard, les cinq bières n’ont pas bougé du frigo. Georges s’affaire à ses études, et il entrevoit la possibilité d’intégrer, à la rentrée suivante, une école à Taipei. Pourquoi ce choix, me direz-vous, je n’en sais rien, toujours est-il que plus le projet se concrétise, plus Georges repense au défi de Driss, et le remonte dans sa liste de choses urgentes à faire (il double carrément « rappeler maman » et « nettoyer la douche »). Georges n’a aucune idée, premièrement, s’ils vendent de la Foster’s à Taipei, deuxièmement, si l’herbe y pousse, aussi il a tout intérêt à régler cette formalité avant de s’envoler pour Taïwan. C’est pourquoi, le vendredi suivant, après une heure de khôlle de maths, il se rend à l’improviste (étape numéro deux) dans un salon de coiffure pour hommes, il y a de la place, il s’installe, l’apprentie coiffeuse lui demande quelle coupe il désire, et Georges répond :

    – Je veux être beau.

    Cela fait sourire la coiffeuse et, par transitivité, Georges. C’est elle qui engage la conversation en lui lavant les cheveux ; alors qu’on aurait pu s’y attendre dans ce genre d’endroit on n’abordera pas les variations climatiques : elle lui demande ce qu’il fait dans la vie, il l’explique, puis pourquoi il veut être beau, il élude, puis si on peut se tutoyer, après tout on a presque le même âge, puis elle s’appelle Lucie. Alors, dans un incommensurable effort de lutte contre sa timidité, Georges lui demande en retour ce qu’elle fait dans la vie, ben je suis coiffeuse, ah ben oui je suis bête. Elle rit, lui rougit. Elle continue à lui tripoter le crâne (ils sont passés à la coupe, depuis), les cheveux sombrent au sol, un peu comme la dignité de Georges, qui se sent de plus en plus à poil devant cette inconnue qui le dégage à présent derrière les oreilles.

    Après une dernière vaporisation d’un produit à fort pouvoir odorant, Lucie recule d’un pas, désaxe la moitié supérieure de son corps vers la droite en tournant légèrement la tête vers la gauche pour équilibrer et, dans cette pose de grand artiste contemplant son œuvre, elle demande :

    – Ça te convient ?

    Georges, c’est sa première fois dans un salon de coiffure. Au début, c’était sa mère, puis sa grande sœur, et maintenant il se débrouille généralement tout seul avec sa tondeuse à chien. La coiffeuse a terminé son ouvrage, et pour être très franc ce n’est pas loin du résultat auquel il parvient en solo. Il tente de cacher sa déception, après tout le plus important ce n’est pas tellement que ça lui convienne à lui, mais aux filles. Et pourquoi pas à celle-ci, pour commencer.

    – Ça te plaît, toi ?

    – Qu’est-ce qui ne va pas ? se crispe Lucie, avant d’ajouter : moi je te trouve bien, comme ça.

    L’ajout émeut Georges, on l’imagine bien, qui ne lâche qu’un :

    – Vraiment ?

    L’apprentie se referme davantage, elle ne comprend pas ce qu’elle a mal fait, Georges veut rattraper le coup et insiste :

    – Non mais je veux dire : sérieusement, tu me trouves bien ?

    – Tu veux que je fasse plus court ?

    – Non mais je veux dire : à part les cheveux…

    – Tu te fous de moi, là, non ?

    Georges fait un point rapide sur l’évolution de la situation et, jugeant qu’il n’est pas en très bonne voie pour ce qui est du coup de la Foster’s et du vent léger sur la peau, remercie poliment, sans emphase ou zèle, laisse une pièce dans l’assiette, et sort en tenant la porte à une quinquagénaire en recherche de volume pour sa permanente. Salon pour hommes, mon œil.

    Il se dirige ensuite en ligne droite vers H&M, tant pour tenter d’oublier cette mésaventure que pour passer directement à l’étape trois : le renouvellement de la garde-robe. Par chance, c’est justement période de soldes, enfin c’est une chance pour son portefeuille mais une infortune pour Georges : le voilà englouti par une marée d’individus qui semblent tous savoir exactement d’où ils viennent et où ils vont, chacun décrochant un cintre par-ci, reposant une chemise par là, dans un enchevêtrement de trajectoires réglé au millimètre. C’est un ballet de clientes et de clients qui, avec grâce, se déplacent, se frôlent, jamais ne se touchent ni même se regardent, ils virevoltent prestement entre les rayons, vont, viennent, reviennent, retournent, jusqu’à déposer enfin leur offrande aux pieds de la Reine des Fourmis, qui fait bip bip vingt-neuf quatre-vingt-dix vous avez la carte du magasin ? Après qu’il a déjà bousculé trois personnes, Georges pénètre dans une cabine avec un t-shirt et deux jeans, y reste deux minutes trente, ressort, retourne dans le rayon (à contre courant) reposer l’un des pantalons, se glisse dans un des flux qui mènent à la Reine, attend, et la fourmi qui le suit s’adresse à lui :

    – Salut.

    Il se retourne, son rythme cardiaque se stabilise : cela l’apaise d’identifier une figure connue au milieu de cet univers hostile, même s’il ne remet pas encore de prénom sur le visage de cette fille qui doit être en première ou en terminale dans son lycée.

    – Ah. Salut.

    Bise hésitante (on se la fait ou pas ?), puis :

    – Tu fais les soldes ?

    – Ouais. Toi aussi ?

    – Ouais.

    Et la file d’attente n’avance pas plus vite après cette conversation, et c’est embarrassant. Il n’y a pas le moindre client mécontent qui s’énerve contre la caissière et qui ferait diversion, ou un maladroit qui ferait tomber un portant, enfin rien quoi, il ne se passe rien, il faudra bien rompre ce silence maintenant que la fille a décidé d’engager l’échange.

    – Pas trop dur la prépa ? (c’est elle qui demande)

    – Bah si, un peu. Enfin ça va, quoi. Ça dépend, en fait. T’es en quoi toi ?

    – 1ère L2.

    – Ah ouais. Et ça va ?

    – C’est surtout les langues qui m’intéressent, la philo ça me saoule.

    – Ah ouais. Moi aussi. Enfin, ça me saoulait, quoi.

    – Bonjour, vous avez la carte du magasin ?

    – Euh, non.

    – Vingt-neuf quatre-vingt-dix. Par carte ?

    – Oui. Bon ben, à plus hein.

    – Salut.

    – Au revoir monsieur, bonne journée.

    – Au revoir.

    – Bonjour, vous avez la carte du magasin ?

    – (etc.)

    Georges attend maintenant l’arrivée en station d’un métro, en survolant les gros titres d’un quotidien gratuit et éponyme.

    – Décidément !

    C’est encore elle. Elle s’obstine à créer une nouvelle situation de malaise, alors qu’elle aurait très bien pu ignorer Georges.

    – Ah. Salut. Enfin, re.

    Le métro arrive, les portes s’ouvrent exactement devant eux, difficile d’y échapper : Georges devra voyager à côté d’elle.

    – Du coup j’ai oublié ton prénom.

    – Cassandre.

    – Ah ouais. Georges. Tu descends où ?

    – Porte Maillot.

    – Ah ouais ? Moi aussi.

    Ensuite, il s’aperçoivent qu’ils habitent à deux pas l’un de l’autre, que c’est l’heure de dîner, qu’elle a des restes dans son frigo et lui non, et d’accord il accepte qu’elle l’invite à manger.

    Une fois chez elle, après un apéro les langues se délient, finissent même par s’effleurer. Mais bon il est tard, j’ai encore du boulot, on se voit lundi au lycée ?

    Ils se voient lundi au lycée, puis chez elle. Et mardi au lycée, puis chez lui. Et mercredi, c’est sur la bande originale de Good Bye Lenin qu’ils feront l’amour pour la première fois, sur le canapé lit de Georges, à moins de deux mètres du frigo et des cinq bières qui, dans quelques minutes, ne seront plus que trois.

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    Tu pourras garder Réglisse pendant nos vacances ? demande Cassandre. Zoé répond que oui, bien sûr, avec plaisir même, alors que s’il y a bien un sentiment que cette idée ne lui procure pas, c’est du plaisir.

    Réglisse est une sorte de chien allemand, ou pyrénéen, ou ni l’un ni l’autre, Zoé n’en sait rien et s’en fout. Elle n’aime pas les chiens. Elle n’aime pas ce chien en particulier, qu’elle trouve résolument trop volumineux rapporté aux dimensions de l’appartement de Cassandre et Georges. Ce n’est pas le seul défaut qu’elle lui trouve au demeurant : il est aussi trop bruyant, moche, il pue, bref elle ne l’aime pas. Bien sûr qu’elle l’a déjà confessé à Cassandre, mais quand on a la chance d’avoir une meilleure amie, on fait quelques sacrifices. À mon avis, le plus simple, pour pas trop dépayser Réglisse, c’est que tu t’installes chez nous pendant qu’on n’est pas là, continue Cassandre. Puis, avec un brin de condescendance : tu seras mieux que dans ton neuf mètres carrés, de toute façon. Hésite pas, fais comme chez toi, fouille dans les placards si tu as besoin de quoi que ce soit.

    Et on est vite à la date des vacances. Dans l’immeuble qui fait l’angle des rues Mazarine et Guénégaud, au troisième étage, à 10 h 43, Zoé sort de l’ascenseur avec une valise à roulettes verte et un sac à dos. Huit bouquins, cinq DVD, culottes et t-shirts, vernis et dissolvant, brosse à dents et dentifrice, bref une valise et un sac

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