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Le duo des ombres
Le duo des ombres
Le duo des ombres
Livre électronique359 pages4 heures

Le duo des ombres

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À propos de ce livre électronique

Des ruelles du vieux Bordeaux, aux marais de l’île de Ré... Entre présent et passé…
Un roman construit autour d’une demeure séculaire : Les Maraises.
Quand Vinciane accourt à l’appel inquiétant de sa sœur, un carnage l’attend dans la vieille maison de l’Ile de Ré abandonnée pour l’hiver. Iris est morte, emportant avec elle le secret de son silence depuis treize ans.
Renaissent alors les anciennes angoisses que Vinciane avait crues définitivement enfouies. Des souvenirs imprécis émergent, suscités par les apparitions d’une très jeune fille surgie d’un autre siècle pour venir hanter son sommeil. Amie ou ennemie ?
Quel est l’assassin qui élimine méthodiquement les femmes de son entourage ? Obsédé par le même rite, le meurtrier maquille de fard mauve les yeux de ses victimes.
A contre-cœur, la jeune femme se voit confier la garde de sa nièce de douze ans affligée d’un caractère difficile et d’un chien encombrant.
Le piège se referme sur Vinciane : ses proches sont-ils aussi transparents qu’elle s’était plu à le croire ?
Quelle confiance accorder aux suggestions oniriques soufflées par cet improbable fantôme ?
Le cheminement mortel du meurtrier le rapproche inéluctablement de la fillette et d’elle-même.
A moins que la vérité ne relève de sa propre personnalité et que l’issue ne soit plus horrible encore ?
LangueFrançais
Date de sortie27 juin 2016
ISBN9782312044897
Le duo des ombres

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    Aperçu du livre

    Le duo des ombres - Chantal Laborde

    978-2-312-04489-7

    1

    Mercredi 15 février.

    Sur la chaussée, la tempête balayait de grandes gerbes de pluie. Le péage du pont était désert, la nuit tombée depuis longtemps.

    Perdue dans ses pensées, Vinciane présenta sa carte de crédit à l’employé prisonnier de sa guérite. Frissonnante, elle vit s’élever la barrière qui la séparait du passé.

    Elle s’engagea sur le pont, dépassant rapidement la vitesse permise.

    Un tumulte d’émotions contradictoires l’agitait avec la même violence que l’océan qui se déchaînait sous la lumière crue des projecteurs. Telle une marée, les souvenirs affluaient, et elle n’était pas prête à les accueillir.

    L’Ile de Ré ! Tout au bout de l’interminable ruban de lumière.

    La traversée du pont la mit mal à l’aise. Confronté à ses réminiscences enfantines, cet ouvrage du progrès et de la facilité frôlait le sacrilège.

    Autrefois, pour accéder à l’île, il fallait la mériter.

    Enfant, la traversée en bateau constituait une croisière initiatique aux coutumes immuables, un rite nécessaire destiné à se familiariser avec l’île, avant même d’y avoir posé le pied. La lente approche apprivoisait l’océan, réinventait les odeurs, alors qu’elle guettait, anxieuse, la bande de sable blanc qui s’épaississait à l’horizon.

    L’image de deux fillettes presque identiques, agrippées au bastingage, les joues rosies par le vent, s’imposa à son esprit avec une force qui lui coupa le souffle.

    Elle inspira profondément, s’efforçant de se détendre.

    Ralentir… Inutile de jouer le jeu de ce maudit pont et d’en brûler les trois kilomètres à la vitesse de la lumière !

    – Iris ! Qu’est-ce qui t’a pris après toutes ces années ?

    Le son de sa propre voix la fit sursauter.

    Tout avait commencé vers treize heures, dans une petite salle triste du Palais de Justice de Bordeaux. La séance était suspendue pour le déjeuner et elle s’efforçait de rassurer sa cliente, une femme d’une quarantaine d’années, qui menaçait depuis le matin de perdre complètement son sang-froid.

    Diane Lusseau était accusée du meurtre de son mari.

    Vinciane avait accepté d’assurer sa défense, à condition que le cabinet d’avocats auquel elle appartenait, lui permette de plaider la légitime défense.

    Diane était une personne chaleureuse et sensible, et leurs relations étaient devenues amicales à mesure qu’évoluaient leurs entretiens. Mais vingt ans de mauvais traitements et d’humiliations avaient eu raison de l’équilibre nerveux de sa cliente, et son état émotionnel inquiétait Vinciane. L’avocat du ministère public n’en ferait qu’une bouchée.

    Au cours de ses visites à la prison, elle avait eu affaire à une femme simple, mais intelligente et lucide. La procédure juridique l’anéantissait, et elle l’avait vue s’effondrer au fil des audiences.

    La vibration de son portable avait interrompu son monologue réconfortant. Le numéro n’était pas identifié et elle remarqua que l’indicatif ne correspondait pas à ceux de la région.

    On décrocha à la première sonnerie.

    – Allô !

    Silence au bout de la ligne.

    Elle insista :

    – Allô ! Vinciane Devalliers… j’écoute !

    Elle devinait son interlocuteur aux aguets. Brusquement, un malaise s’insinua en elle.

    – Vinciane ? J’ai besoin de toi…

    Elle sentit ses genoux se dérober.

    – Iris ! Iris, c’est toi ? Après tout ce temps…

    Sa voix tremblait et ses yeux s’emplirent de larmes.

    – Vinciane. Je t’en prie. Viens vite !

    Se pouvait-il que le ton suppliant appartienne à l’indomptable Iris ? Pourtant, cette voix inimitable, Vinciane l’aurait reconnue entre mille.

    Elle tenta de se reprendre.

    – Iris ? Ecoute-moi ! Où es-tu ?

    – Aux Maraises… Viens !

    Vinciane réfléchit rapidement. La maison de l’Ile de Ré était fermée en cette saison. Personne n’y allait jamais l’hiver. Qu’est-ce que sa sœur fabriquait là-bas ?

    – Tu es seule ? Iris, que se passe-t-il ?

    Pas de réponse. Vinciane capitula :

    – Ecoute ! Je suis au beau milieu d’un procès ! Je pars dès que je peux. Avec le pont, je serai là-bas vers vingt et une heures, peut-être avant. Tu m’attendras, dis ?

    – Oui, je comprends, murmura Iris après un long silence. Tout compte fait, il est sans doute inutile que tu viennes. Je vais me débrouiller…

    Vinciane l’interrompit. Sa voix retrouvait les intonations d’autorité qu’elle utilisait devant un tribunal :

    – Rien ne pourra m’empêcher de venir ce soir ! Ne bouge pas de la maison et attends-moi. J’essaierai de faire le plus vite possible !

    Elle se fit plus douce pour implorer :

    – Tu seras là, n’est-ce pas ? Ça fait tellement longtemps !

    La réponse lui parvint, assourdie :

    – Je vais essayer… A ce soir, peut-être…

    Vinciane resta un moment les doigts crispés sur l’appareil, hébétée par le signal sonore qui signifiait qu’Iris avait raccroché.

    Sous le choc, elle était allée droit vers sa cliente :

    – Diane ! Je vais avoir besoin de votre aide ! Un événement exceptionnel… Quelque chose que j’ai désespérément souhaité, mais qui me terrifie. Il est trop tard pour faire appel à un confrère. Aidez-moi. Sinon…

    Elle baissa la tête pour cacher ses larmes.

    Diane se taisait.

    – Je suis navrée, murmura Vinciane. Voulez-vous que je tente d’obtenir un report de séance ?

    La main de Diane pressa doucement la sienne.

    – Je vous en ai fait baver, n’est-ce pas ? Ça va aller maintenant. Autant en finir aujourd’hui. J’ai confiance en vous et, bizarrement, il me semble que j’ai même confiance en moi. A nous deux, on s’en sortira !

    Vinciane l’observait avec étonnement. Son maintien avait imperceptiblement changé et son regard était plus vif. Le jury apprécierait… Peut-être !

    La jeune avocate haussa les épaules, fataliste, et suggéra avec une assurance qu’elle était loin de ressentir :

    – Alors ! Qu’est-ce qu’on attend ? On y va ?

    La séance avait été interminable. Mais Diane avait tenu le coup. La faiblesse passagère de Vinciane agissait sur elle comme un aiguillon.

    Non coupable !

    À l’énoncé du verdict, elles avaient échangé un long regard, puis Vinciane lui avait fait signe qu’elle partait. Diane l’avait encouragée de la tête, un sourire lumineux sur les lèvres.

    Elle avait ensuite roulé aussi vite que le mauvais temps le permettait, appelant régulièrement le numéro des Maraises. Sans succès.

    Iris était-elle partie, ou refusait-elle de décrocher ?

    Sans transition, elle sortit du pont et se retrouva sur l’île.

    Les essuie-glaces bataillaient contre les trombes d’eau qui s’abattaient sur le pare-brise. Elle concentra son attention sur la route et les panneaux indicateurs. Dans la nuit noire, et malgré les phares, le paysage restait invisible derrière le rideau de pluie.

    Parvenue à Saint-Martin, elle dut fouiller dans sa mémoire pour retrouver le chemin des Maraises. Elle descendit sous la pluie battante pour ouvrir le lourd portail de bois. Soulagée, elle constata qu’il n’était pas verrouillé.

    Au bout de l’allée, l’imposante demeure profilait sa masse sombre sur le jardin noyé. Submergée de souvenirs, elle arrêta sa voiture devant la porte principale. Un rai de lumière filtrait sous les volets d’une seule fenêtre. Sa sœur l’attendait !

    Elle n’était pas préparée à cette rencontre et une violente envie de fuir la saisit. Mille fois, elle avait rêvé cet instant, mais la réalité était différente. Pour se donner du courage, elle évoqua la voix affolée de sa sœur au téléphone. Iris lui avait lancé une sorte d’appel au secours, il n’était pas question de s’y soustraire.

    Elle se précipita vers la porte d’entrée et tourna fermement la poignée. Le hall était plongé dans l’obscurité, mais une clarté diffuse provenait du salon, sur sa gauche. Elle marcha vers la lumière.

    Un silence compact pesait sur la maison.

    – Iris ?

    Une lampe posée sur une table basse éclairait la pièce. Personne pour l’accueillir. Désemparée, elle resta plantée sur le seuil, consciente du froid humide qui imprégnait les lieux. La vieille demeure était hostile, abandonnée. Son malaise s’intensifia.

    Elle reprit son souffle pour lancer d’une voix forte, en direction du hall :

    – Iris ! C’est Vinciane. Où es-tu ?

    Sa voix creva le silence, et elle devina la désapprobation des vieux murs dont elle troublait la paix.

    La vision d’Iris, malade et incapable de répondre, la fit se précipiter dans les pièces voisines, allumant tout sur son passage. A mesure qu’elle ouvrait les portes, elle enregistrait malgré elle les changements intervenus dans la maison. L’œuvre d’un professionnel, à en juger par la décoration parfaite, trop moderne et sophistiquée pour la vénérable gentilhommière. Pourtant, l’atmosphère était la même qu’autrefois, et Vinciane la retrouvait avec une angoisse teintée de nostalgie.

    Elle explora soigneusement toutes les pièces mais dut se rendre à l’évidence : la maison était vide.

    Elle retourna au salon, alluma toutes les lampes et actionna les radiateurs électriques. Puis elle se laissa tomber sur un canapé pour réfléchir. Iris était venue ici, comme en témoignaient les portes ouvertes et la lumière. Elle avait dû s’absenter un moment, pour aller dîner peut-être, laissant à sa sœur la possibilité d’entrer.

    Elle se laissa tomber sur un canapé, tentant de calmer les battements fous de son cœur qui cognait dans sa poitrine.

    Elle tenta d’analyser sa frayeur. Elle était inquiète pour sa sœur, certes. Celle-ci ne l’aurait pas appelée sans une bonne raison, après tout ce temps passé à la fuir. Mais elle devinait aussi que l’endroit suscitait en elle un trouble qu’elle ne parvenait pas à identifier.

    Elle s’obligea à jongler avec les dates.

    Voyons ? Elle n’était pas revenue ici depuis l’âge de douze ans. Cela faisait donc dix huit ans… Elle contempla d’un oeil morne le salon, digne de figurer dans un magazine de décoration. Mais sa mémoire lui retraçait fidèlement la pièce d’autrefois, aussi familière que si elle l’avait quittée hier.

    Quant à Iris, elle ne l’avait pas revue depuis ses dix sept ans.

    Treize longues années d’attente…

    Anxieuse, elle fixait la porte.

    Une illusion, d’abord inconsistante, puis de plus en plus précise, s’insinua dans son esprit. L’image de ses parents, s’encadrant entre les deux battants… Adeline, sa mère, fragile silhouette blonde… Son père, grand, séduisant. Elle n’avait pas gardé de lui un souvenir très précis. Et pourtant, à cet instant, elle discernait chaque trait de leurs visages. Une bouffée d’eau de toilette pour homme emplit ses narines.

    Dressés devant elle, ils la dévisageaient et c’était infiniment triste et terrible à la fois.

    Elle sentit la panique monter en elle, la posséder comme une flamme. L’effroi coutumier la saisit quand elle comprit qu’elle décrochait du monde réel. Il y avait pourtant si longtemps…

    Vinciane sombrait. Personne ne l’aiderait, cette fois-ci.

    2

    Un rugissement de plaisir se répercuta dans les profondeurs de la maison silencieuse.

    La victime resta pétrifiée, comme un rongeur hypnotisé par le serpent.

    Le visage halluciné qui s’approchait du sien semblait dépouillé de toute consistance humaine. La voix même, s’était modifiée, sorte de hululement strident, qui la glaçait d’épouvante.

    Elle tenta de s’extraire de la gangue d’effroi qui la paralysait. Elle se cramponna désespérément à l’évidence des instants merveilleux qui avaient précédé.

    Avant que le monde ne vacille sur ses bases…

    Mais il lui était impossible de retrouver, dans les traits démoniaques, l’expression de ferveur et d’amour qui s’y inscrivait quelques instants plus tôt. Elle se boucha les oreilles pour échapper à la voix insensée qui proférait des horreurs. Se pouvait-il que ce fût la même qui murmurait les mots tendres dont elle ne se lassait jamais ?

    Le désespoir l’engloutit et elle ferma les yeux pour échapper à l’effroyable réalité…

    Elle les rouvrit pourtant, quand le silence s’installa, dangereux, succédant au chaos. Ce regard dément… Celui du prédateur qui assouvit sa faim.

    Les mains si douces, ces mains dont elle quémandait les caresses, se refermèrent sur son cou. Elle voulut crier, mais seule une sorte de miaulement sortit de sa gorge quand l’étau se resserra.

    C’est alors qu’elle vit l’aiguille effilée posée en évidence sur le lit dévasté…

    L’espace de quelques instants, elle fixa son bourreau, les yeux exorbités. Le sang qui pulsait dans sa tête éclata en un voile rouge qui se déploya devant ses yeux.

    Alors ses pensées s’envolèrent au-delà du visage pervers.

    Elle était enfant, sur une plage… Elle donnait la main à une autre fille. Ruisselantes, elles se dirigeaient vers un groupe d’adultes qui les accueillait gaiement.

    Bonheur et nostalgie !

    La vision suspendit le temps.

    Elle mourut sans un cri.

    Un sourire tendre éclairait son visage apaisé.

    Le monstre se tint un moment penché sur le cadavre, comme un loup sur sa proie. L’énergie sauvage qui l’avait emporté jusque-là, s’éteignait peu à peu.

    Tout était en ordre. Le temps était venu de régler les comptes !

    Une dizaine de minutes plus tard, le visage inanimé était la réplique exacte du masque de ses cauchemars.

    Fascinants, les yeux morts, ressortaient sur la peau exsangue, outrageusement fardés de mauve. Le maquillage était maladroit, conférant aux traits parfaits une expression sordide.

    Un rire rauque claqua dans le silence de la chambre.

    3

    Vinciane se réveilla en sursaut. La pièce glaciale était plongée dans l’obscurité. Durant une minute, ou un siècle, elle flotta entre deux mondes, incapable de se raccrocher à la réalité. Elle se rendormit aussitôt.

    Une vague de peur la transperça. Quelqu’un rôdait autour d’elle. Elle devait sortir de sa torpeur.

    Une lueur blanche se matérialisa peu à peu dans les ténèbres. D’abord translucide, puis de plus en plus intense. Elle distingua les contours d’une silhouette, debout près de la cheminée.

    Elle tenta de crier, mais aucun son ne sortit de sa gorge. L’apparition se tourna vers elle et une onde légère effleura son esprit. L’onde s’intensifia. Elle obéit à l’appel.

    Docile, elle se leva et suivit la silhouette opalescente.

    Dans l’escalier qui menait aux combles, elle distingua les plis d’une longue robe qui s’évasaient autour d’une taille fine.

    Son guide flotta jusqu’à la porte en chêne tout au fond de l’immense grenier. Vinciane eut la brève vision d’une très jeune femme, aux vêtements étranges, aux longs cheveux flamboyants.

    La crainte fit place à une apaisante sensation de familiarité. Le visage était flou, mais elle en devinait chaque trait. Il s’anima pour articuler un message silencieux qui explosa dans son cerveau, et s’effaça aussitôt.

    La vision s’embrasa et disparut.

    Libérée du sortilège, Vinciane reprit ses esprits, indécise au milieu du grenier. Le songe lui avait échappé. Elle était bien réveillée, à présent. En quelques secondes, elle revécut les événements des dernières heures.

    – Iris !

    Son gémissement se perdit dans l’obscurité hostile.

    Elle consulta les chiffres lumineux de sa montre. Près de deux heures s’étaient écoulées depuis qu’elle avait perdu pied.

    Autrefois, elle s’était accoutumée à ces absences, mais depuis des années, le phénomène ne s’était jamais reproduit. Elle eut une pensée émue pour sa tante qui alors, s’employait à la rassurer et démystifiait ses terreurs.

    Sa sœur était-elle revenue ? Etait-elle restée seule tout ce temps dans la demeure déserte ? En proie à des spectres engendrés par son esprit troublé…

    Elle frissonna au souvenir de visions, induites par d’autres cauchemars, des années auparavant. Elle crut entendre la voix lénifiante de sa tante Flavie :

    – Tu es comme une éponge qui absorbe toutes les émotions, mon enfant. Tu les restitues à ta façon, voilà tout !

    Cette évocation lui rendit un peu de courage. Elle s’apprêtait à redescendre, lorsqu’elle se souvint de la porte où s’était évanoui le fantôme.

    Le Refuge !

    Elle revoyait l’obstination d’Iris, ses yeux brillants et son enthousiasme, lorsque, enfants, elles avaient aménagé cette mansarde. C’était une pièce basse pourvue d’une seule lucarne, tout au fond du vaste grenier inhabité. Elle songea avec émotion aux longues heures qu’elles y avaient passées, fillettes, enfermées dans un univers magique, connu d’elles seules.

    A contrecœur, elle tourna la poignée. La porte s’ouvrit sur une pièce parcimonieusement éclairée de lumières orangées. Une bouffée d’enfance remonta dans sa gorge.

    Ses sens exacerbés enregistrèrent immédiatement la chaleur inexplicable, l’odeur cuivrée, le désordre qui régnait dans la pièce… et le sang.

    Ecarlate, brillant, qui maculait le lit et le mur.

    Mais surtout, aucune présence humaine. Ni blessé, ni vivant, ni cadavre ! Rien que le néant et le sang…

    Son hurlement se répercuta contre les vieux murs qui se refermèrent sur elle.

    Le cri s’amplifia, alors qu’elle se jetait comme une folle dans l’escalier.

    4

    Quentin Salinier s’acharnait à enflammer le bois humide dans la cheminée. Toute l’activité qu’il déployait depuis leur arrivée, n’était qu’un prétexte destiné à mettre de l’ordre dans ses idées. A moins que ce ne fut pour éviter le regard accablé de Vinciane, qui quémandait un réconfort qu’il était incapable de lui apporter.

    Sa chevelure sombre aux reflets roux retombait en mèches folles sur ses joues. Plus que jamais, avec son visage triangulaire amenuisé par la souffrance, et les lueurs vertes qui s’affolaient dans ses yeux, elle ressemblait à un animal sauvage, acculé, désespéré. Sa silhouette longiligne était recroquevillée dans un fauteuil, comme rétrécie dans la position du fœtus.

    Il avait pris la route immédiatement après son appel, roulé comme un fou, pour la trouver prostrée dans la maison des Maraises à Saint-Martin. La gendarmerie locale avait investi la vieille demeure, mais, les yeux perdus dans le vide, elle ignorait leur présence.

    Grâce à ses talents d’avocat, Quentin avait obtenu la permission d’emmener Vinciane dans sa propriété de la Citadelle de l’autre côté de Saint-Martin. Les gendarmes les rejoindraient pour enregistrer son témoignage, après les premières constatations.

    Comme aux Maraises, les lieux étaient humides et abandonnés. Il avait branché le chauffage électrique et s’escrimait maintenant sur le feu, à la recherche d’une hypothèse rassurante… qu’il ne parvenait pas à imaginer, hélas !

    D’une voix mécanique, Vinciane avait reconstitué les faits avec précision… abstraction faite de l’amnésie temporaire dont elle avait été victime. Elle avouait s’être assoupie, mais avait passé sous silence l’épisode du spectre lumineux issu de son cauchemar.

    Jusqu’à présent, ni l’un ni l’autre n’avait osé formuler l’unique et terrifiante évidence.

    … A savoir qu’Iris, en danger, avait appelé sa sœur au secours, et que celle-ci était arrivée trop tard.

    Maladroitement, Quentin suggéra :

    – Nous en saurons davantage lorsqu’ils auront procédé à l’analyse du sang, dans la mansarde.

    Il regretta aussitôt ses paroles, quand les yeux de Vinciane s’emplirent de larmes.

    Désemparé, il se força à la réprimander :

    – Ecoute ! Il est inutile de se perdre en hypothèses inutiles. Tu vas prendre quelque chose pour dormir, et t’installer dans une chambre. J’ignore si les gendarmes passeront cette nuit, mais dans ce cas, je les persuaderai de revenir demain.

    Il s’attendait à ce qu’elle résiste, mais, docile, elle se dirigea vers le couloir. Elle avala sans protester les deux comprimés qu’il lui tendait, se dévêtit et enfila une chemise de nuit qui appartenait à son épouse Alix et qu’il avait dénichée dans un placard.

    Les yeux fixés au plafond, elle ne répondit pas à son bonsoir.

    Quentin s’affala dans un fauteuil devant la cheminée où le bois s’obstinait à fumer sans s’embraser.

    Bon Dieu ! Il aurait donné cher pour comprendre ce qu’il s’était passé !

    Lorsque Vinciane avait téléphoné chez lui à Bordeaux quelques heures plus tôt, il s’apprêtait à se coucher. La panique de la jeune femme était tangible, ses explications confuses. Le ton de sa voix frôlait l’hystérie.

    Il se souvenait de l’adolescente fragile et émotive, mais au fil des années, Vinciane était devenue une jeune femme équilibrée, solide, une personne sur qui on pouvait compter. Une avocate brillante, acerbe et tenace, une précieuse collaboratrice. Jamais il n’avait eu à regretter de l’avoir intégrée à son équipe. A trente ans, elle était en mesure de prendre en charge les affaires les plus délicates, et il espérait bien, dans les années à venir, lui confier la responsabilité du cabinet bordelais. Son fils Thibaud, reprenait peu à peu les rênes du siège de Paris, et Maître Quentin Salinier pourrait bientôt profiter d’une oisiveté bien méritée.

    Plus que jamais, il se sentait âgé et fatigué. Soixante cinq ans ! Et aussi usé qu’un vieillard. Il payait maintenant le prix de toutes ces années où l’ambition l’avait guidé. Il était temps pour lui de décrocher.

    Ses pensées revinrent à la famille Devalliers. Dire que l’Ile de Ré leur était néfaste était un euphémisme.

    Auban Devalliers, son ami de toujours, y avait trouvé la mort, réduit en bouillie dans sa voiture abîmée dans un marais salant, au sortir d’un virage dangereux.

    Adeline sa femme, s’était noyée à l’âge de trente deux ans, au cours d’une sortie en bateau au large du phare des Baleines. Ses deux fillettes l’accompagnaient.

    Et Iris, maintenant…

    D’un geste familier, il repoussa des deux mains la tignasse blanche qui retombait sur son front.

    Quelle saloperie ! Et lui, devait se contenter d’être le spectateur impuissant de cette hécatombe, vaguement conscient du lien funeste qui unissait les Devalliers à l’île.

    Un instant, il fut tenté de réveiller Vinciane et de reprendre avec elle la route de Bordeaux.

    Puis il se traita de vieux fou ! La tête du capitaine de gendarmerie, si un avocat célèbre lui apprenait qu’il avait décampé, effrayé par des superstitions de bonne femme !

    Il sursauta quand on sonna à la porte et s’extirpa péniblement du fauteuil.

    Le capitaine était accompagné d’un jeune gendarme et il les fit asseoir. Ils acceptèrent de rencontrer Vinciane le lendemain et fournirent à Quentin les maigres informations qu’ils avaient recueillies.

    Mise à part la chambre de l’étage, la maison semblait désertée pour l’hiver. Rien ne suggérait une visite, pas même la cuisine où l’on retrouve généralement les traces d’un passage. Ils avaient en vain fouillé la maison, le jardin et les alentours, à la recherche d’une personne blessée ou d’un corps abandonné.

    Ils avaient relevé dans toutes les pièces un grand nombre d’empreintes différentes, et les confronteraient à celles des occupants habituels. Dans la mansarde, en revanche, on identifiait seulement deux séries d’empreintes récentes, dont une que l’on retrouvait partout dans le reste de la demeure.

    Ils hésitaient, et ce fut Quentin qui précisa :

    – Le meurtrier et sa victime !

    Le capitaine s’agita sur son siège et objecta :

    – Nous ne pouvons pas affirmer qu’il y a eu meurtre.

    Les yeux de Maître Salinier s’étrécirent pour demander :

    – A quelle quantité évaluez-vous le sang répandu dans la chambre ?

    Le capitaine avoua :

    – Assez importante.

    – Mortelle ?

    – Pas sûr, mais possible si la personne blessée n’a pas été soignée très rapidement.

    – Je comprends, murmura Quentin.

    L’officier sortit de sa poche une pochette transparente qu’il mit sous le nez de Quentin.

    – Avez-vous déjà vu ce bijou ?

    À travers le sang qui souillait l’enveloppe de plastique, on devinait une gourmette épaisse, aux lourds maillons d’or rose, sertie de pierres sombres.

    Quentin se rejeta contre le dossier du fauteuil, comme pour s’éloigner de l’objet macabre.

    Il resta silencieux. Le capitaine attendit sans manifester d’impatience.

    – C’est le bracelet d’Iris, dit enfin l’avocat d’une voix blanche. A ma connaissance, elle ne le quittait jamais. C’est un bijou très ancien. Les pierres sont des émeraudes. Ces cailloux la fascinaient. Une vieille superstition !

    Le gendarme hocha pensivement la tête :

    – Le fermoir est cassé. A part ça, difficile de déterminer si le désordre indique que la victime s’est défendue.

    Il fit une pause, puis reprit :

    – Nous avons réussi à joindre le domicile parisien d’Iris Laroque. Stephen Laroque, son mari est absent, mais l’employée de maison affirme que Madame Laroque est partie pour deux jours, depuis hier matin. Elle ignore quelle était sa destination.

    Quentin soupira.

    Imprévisible Iris, qui payait peut-être de sa vie les frasques dont elle était coutumière !

    – Et l’analyse du sang ? interrogea l’avocat.

    – Nous devrons effectuer des prélèvements sur les proches. Pour les comparaisons d’A.D.N… Sa sœur, bien sûr, mais vous m’avez dit qu’Iris Laroque avait une fille…

    – Oui… soupira Quentin. Solène…

    Sa voix se brisa. Le capitaine s’empressa de changer de sujet :

    – La Police Judiciaire de La Rochelle interviendra dans cette affaire. Ils vous contacteront ici dès demain. Vous êtes libre de partir, mais Vinciane Devalliers doit rester.

    Alors qu’ils prenaient congé, Quentin demanda :

    – Quelles sont les chances de retrouver cette jeune femme, blessée ou morte, s’il s’agit bien d’elle ?

    Le militaire fit la grimace.

    – Nous avons vérifié dans tous

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