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Du rêve du collectionneur aux réalités du musée: L’histoire du musée de Mariemont (1917-1960)
Du rêve du collectionneur aux réalités du musée: L’histoire du musée de Mariemont (1917-1960)
Du rêve du collectionneur aux réalités du musée: L’histoire du musée de Mariemont (1917-1960)
Livre électronique625 pages6 heures

Du rêve du collectionneur aux réalités du musée: L’histoire du musée de Mariemont (1917-1960)

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À propos de ce livre électronique

Découvrez l'histoire du musée de Mariemont, situé en plein coeur du Hainaut...

Ce livre revient sur l’histoire du musée de Mariemont. Situé au cœur du Hainaut, le musée doit son existence à la volonté de Raoul Warocqué, industriel, homme politique et philanthrope, qui lègue à la Belgique en 1917 son château et les collections d’objets d’art qu’il y a rassemblées.

un ouvrage historique qui retrace le parcours d'un collectionneur, homme politique et philanthrope, qui a transformé sa passion pour les objets d'art et sa collection privée en un véritable musée.

EXTRAIT

Si le rôle joué par les collectionneurs dans la formation des musées est communément affirmé, l’étude de l’histoire du musée de Mariemont offre la possibilité d’explorer le passage de la collection privée au musée public. Elle permet tout d’abord d’examiner en détail le legs de Raoul Warocqué et son acceptation par les pouvoirs publics. La première question que suscite la lecture de son testament concerne la mise en œuvre des volontés qu’il traduit. Vu qu’elles s’opposent sur certains aspects aux impératifs découlant de la gestion publique d’un musée, dans quelle mesure les responsables sont-ils parvenus à assurer le respect de ces volontés ? La conciliation des conditions du legs avec les missions du musée, les difficultés qu’elle génère et les solutions qui sont envisagées pour les résoudre mènent dès lors naturellement à l’étude de l’organisation et du fonctionnement du musée de Mariemont au fil de son évolution. Il conviendra à cet égard de vérifier l’hypothèse généralement formulée selon laquelle cette institution est une « Belle au bois dormant » pendant les premières années de son existence. Si la personnalité de Raoul Warocqué et la formation de ses collections ont déjà fait l’objet de nombreuses études, le musée des années 1920 et du début des années 1930 est entièrement méconnu. De même, bien que la période qui suit soit davantage documentée grâce aux travaux publiés par les conservateurs de l’époque, la gestion du musée avant 1960 n’a jamais été analysée. Ce sont ces lacunes que comble le présent ouvrage, mais il fournit également l’occasion d’approfondir des sujets comme la politique muséale de l’Etat belge, la sociologie des conservateurs ou encore l’inscription des musées dans les pratiques touristiques et scolaires.
LangueFrançais
Date de sortie3 mai 2019
ISBN9782800416670
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    Aperçu du livre

    Du rêve du collectionneur aux réalités du musée - Daphné Parée

    Introduction

    1917, le riche industriel Raoul Warocqué s’éteint le 28 mai à Bruxelles. Il lègue à l’Etat belge son domaine hainuyer de Mariemont et s’en remet à lui pour ouvrir au public son château et les précieuses collections d’objets d’art qu’il renferme. Par ce geste, il donne naissance à un musée qui, en dépit d’une histoire mouvementée, faite de hauts et de bas, constitue aujourd’hui un établissement scientifique de premier ordre.

    Si le rôle joué par les collectionneurs dans la formation des musées est communément affirmé, l’étude de l’histoire du musée de Mariemont offre la possibilité d’explorer le passage de la collection privée au musée public. Elle permet tout d’abord d’examiner en détail le legs de Raoul Warocqué et son acceptation par les pouvoirs publics. La première question que suscite la lecture de son testament concerne la mise en œuvre des volontés qu’il traduit. Vu qu’elles s’opposent sur certains aspects aux impératifs découlant de la gestion publique d’un musée, dans quelle mesure les responsables sont-ils parvenus à assurer le respect de ces volontés ? La conciliation des conditions du legs avec les missions du musée, les difficultés qu’elle génère et les solutions qui sont envisagées pour les résoudre mènent dès lors naturellement à l’étude de l’organisation et du fonctionnement du musée de Mariemont au fil de son évolution.

    Il conviendra à cet égard de vérifier l’hypothèse généralement formulée selon laquelle cette institution est une « Belle au bois dormant » pendant les premières années de son existence. Si la personnalité de Raoul Warocqué et la formation de ses collections ont déjà fait l’objet de nombreuses études, le musée des années 1920 et du début des années 1930 est entièrement méconnu. De même, bien que la période qui suit soit davantage documentée grâce aux travaux publiés par les conservateurs de l’époque, la gestion du musée avant 1960 n’a jamais été analysée. Ce sont ces lacunes ← 9 | 10 → que comble le présent ouvrage, mais il fournit également l’occasion d’approfondir des sujets comme la politique muséale de l’Etat belge, la sociologie des conservateurs ou encore l’inscription des musées dans les pratiques touristiques et scolaires.

    Se situant dans les études de cas, l’histoire du musée de Mariemont est surtout riche d’enseignements pour l’histoire des musées nés de la volonté d’un collectionneur en particulier et pour l’histoire des musées en général. Cette dernière offre aux chercheurs un champ d’investigation qui suscite toujours plus d’engouement, au point d’être considérée par plusieurs d’entre eux comme une discipline historique à part entière¹. A côté des ouvrages généraux², certains travaux examinent la formation et le développement des musées d’un pays³. D’autres sont centrés sur un aspect précis qui est analysé à travers plusieurs institutions⁴. Parmi ces derniers, plusieurs contributions décrivent le rôle joué par les collections privées qui, quand elles ne sont pas directement à l’origine des musées, viennent les enrichir et les accroître⁵. D’autres études enfin se penchent sur un musée particulier dont elles envisagent les diverses dimensions⁶. C’est à cette catégorie qu’appartient le présent ouvrage. ← 10 | 11 →

    Quels que soient la période et le lieu abordés, ces travaux traduisent bien le fait que les musées, loin de constituer des institutions isolées, reflètent l’histoire politique, sociale, économique et culturelle dans laquelle ils s’inscrivent. Ce constat a poussé Krzysztof Pomian à identifier des catégories de musées qui décrivent le processus de socialisation des collections propre aux époques auxquelles ils se rattachent. Il distingue notamment les musées qu’il qualifie d’« évergétiques »⁷. Provenant de collections particulières cédées par leurs propriétaires à la collectivité, ces musées se multiplient durant la deuxième moitié du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle.

    Devenu propriété de l’Etat belge après la mort de Raoul Warocqué, le musée de Mariemont incarne parfaitement le musée évergétique. A l’instar des musées Jacquemart-André, Kröller-Müller ou Mayer van den Bergh par exemple, il illustre une sous-catégorie dont la caractéristique commune réside dans le fait d’associer étroitement un contenant et un contenu. Ces collectionneurs cèdent en effet à la collectivité non seulement leurs objets d’art mais également le bâtiment qui les abrite et qu’ils aménagent dans une intention muséale. C’est cette particularité qui conduit Anne-Doris Meyer à donner aux institutions qui en résultent le nom de « musées de collectionneurs »⁸.

    Enrichis le plus souvent grâce au développement économique du XIXe siècle, à l’image du banquier italien Henri Cernuschi ou de l’industriel américain Henry Clay Frick, ces bienfaiteurs ont en commun de vouloir faire de l’ensemble qu’ils cèdent un musée ouvert aux visiteurs. Ils voient dans le caractère public du musée la meilleure manière de préserver l’intégrité de l’œuvre qu’ils ont formée tout au long de leur vie et ils ne sont pas rares à vouloir renforcer encore l’inaliénabilité qui s’y attache. Ils conditionnent alors leur geste à des garanties supplémentaires de pérennité qui se traduisent par de lourdes contraintes pour le donataire ou le légataire. L’exemple le plus fameux est sans doute celui du duc d’Aumale qui oblige l’Institut de France à conserver la présentation des œuvres qu’il a adoptée pour le musée Condé à Chantilly et lui interdit tout prêt, mais on trouve également ce type de préoccupations chez Clémence d’Ennery ou Moïse de Camondo.

    Les collectionneurs envisagés ici, et dont Raoul Warocqué fait partie, partagent donc d’importantes similitudes. Tous aménagent un lieu, qui est souvent leur résidence, afin d’y exposer, selon leurs goûts, les œuvres qu’ils rassemblent leur vie durant. Ce faisant, ils créent un ensemble dont les éléments sont indissolublement liés et marqués par leur personnalité. Tous veulent que la collection qu’ils ont ainsi constituée ne soit ni dispersée, ni séparée de son cadre, et certains vont même plus ← 11 | 12 → loin en souhaitant que la présentation qu’ils ont mise au point soit préservée après eux. Tous enfin se soucient d’en faire profiter la collectivité en la rendant accessible au plus grand nombre. C’est à tout cela qu’ils aspirent en donnant ou en léguant aux pouvoirs publics leur œuvre, c’est-à-dire « un musée tout fait », pour reprendre l’expression utilisée par le duc d’Aumale.

    Au terme du processus, nombre de ces musées de collectionneurs continuent d’appartenir, dans les représentations que s’en font les contemporains, à la personnalité qui leur a donné naissance. Découlant intimement de la volonté du fondateur, leur aménagement donne aux visiteurs l’impression de toujours pénétrer dans la demeure d’un riche collectionneur. Leur présentation diffère dès lors singulièrement de celle qui est adoptée par les musées formés depuis la Renaissance et qui se base sur une approche scientifique, dénuée de subjectivité.

    Dans le même ordre d’idées, les missions que remplissent les collections privées sont celles que leur créateur a bien voulu leur conférer et elles ne correspondent pas nécessairement, loin s’en faut, à celles dévolues aux musées devenus publics depuis bien longtemps. Malgré cet écart, le corpus de lois qui régit ces derniers va être appliqué aux musées de collectionneurs par leur nouveau propriétaire. Or, c’est précisément parce que les collectivités publiques sont investies de la mission de protection et de promotion de l’art et qu’elles assureront ainsi la pérennité de leur patrimoine que les collectionneurs le leur donnent ou lèguent.

    Ce paradoxe originel se traduit dans la réalité par de multiples difficultés qui caractérisent la conciliation de la volonté individuelle avec les impératifs du musée public et qui font parfois hésiter les pouvoirs publics devant l’offre qui leur est ainsi faite. Le refus de la Ville de Bruxelles d’accepter le domaine de Gaesbeek avant qu’il ne soit cédé à l’Etat belge, les justifications que les conservateurs du musée Condé ou du musée Nissim de Camondo déploient à la moindre modification de l’aménagement, le changement de cap de la Grande-Bretagne qui achète l’hôtel Hertford au lieu de construire le nouvel écrin voulu par les époux Wallace pour leur collection, ou encore le non-respect des volontés du baron Louis Empain par le ministre Paul-Henri Spaak qui transforme sa villa en ambassade étrangère, démontrent à suffisance et de manières diverses qu’une telle libéralité est loin d’aller de soi.

    Les contraintes générées par les conditions dont les bienfaiteurs ne manquent pas d’entourer leur don ou leur legs sont autant d’entraves à l’accomplissement du musée public qu’ils appellent pourtant de leurs vœux. A cela s’ajoute une autre constante : le manque de moyens dont souffrent les collections privées et leur bâtiment une fois qu’ils tombent dans le domaine public. Outre qu’ils impliquent des mesures souvent inconciliables avec la volonté individuelle, l’entretien, la conservation et la sécurisation de tels patrimoines engendrent d’énormes dépenses et des sacrifices qui ne semblent pas nécessairement compensés par la valeur des biens reçus.

    Le compromis permanent qu’engendre le passage du privé au public s’exprime particulièrement bien à propos du musée de Mariemont. Pendant une grande partie de son histoire, il illustre parfaitement le musée de collectionneur : il est issu de la collection formée patiemment et passionnément par un industriel fortuné aux goûts éclectiques, jalousement gardée dans une résidence opulente qu’il aménage pour l’exposer, offerte aux regards telle une démonstration de sa puissance et de son ← 12 | 13 → raffinement, avant d’être léguée à l’Etat belge chargé d’en préserver l’unité et de l’ouvrir au public.

    S’agissant d’analyser la manière dont s’effectue la transformation du château et de la collection de Raoul Warocqué en musée d’Etat, il convient de bien s’accorder sur les concepts qu’elle implique. Si l’on se réfère à nouveau à Krzysztof Pomian, la collection est un « ensemble d’objets naturels ou artificiels, maintenus temporairement ou définitivement hors du circuit d’activités économiques, soumis à une protection spéciale dans un lieu clos aménagé à cet effet, et exposé au regard »⁹. Les trois critères mis en évidence par cette définition se retrouvent bien au sujet des objets réunis par Raoul Warocqué. Il importe peu à cet égard qu’ils soient désignés comme constituant une collection dont l’unité est matérialisée par les murs du bâtiment, ou comme formant plusieurs collections si l’on veut y distinguer plusieurs ensembles selon les thématiques qu’ils illustrent (dans le cas de Mariemont, la collection des antiquités méditerranéennes, la collection des porcelaines de Tournai, la collection d’Extrême-Orient, etc.).

    La collection se distingue du musée en ce que ce dernier garantit d’abord, par sa permanence, l’inaliénabilité de son contenu. La collection peut en revanche être dispersée au gré des envies ou des nécessités économiques de son propriétaire et elle l’est même dans la majorité des cas à sa mort lorsqu’il s’agit d’une personne physique. Le musée est ensuite ouvert à tous, sans restriction et sans égard au fait que le visiteur doit s’acquitter ou non d’un droit d’entrée. Comme l’indique la définition précitée, la collection est exposée au regard mais elle n’est pas forcément admirée par tout le monde. Avant la Révolution française, elle est d’ailleurs réservée à quelques privilégiés. Ce n’est donc pas tant l’exposition qui est déterminante que l’étendue du public qui en bénéficie. Tandis que la collection peut être privée ou publique selon qu’elle appartient à un particulier ou à un établissement public, Krzysztof Pomian rejette l’idée du musée privé en raison de la pérennité qui caractérise l’institution muséale. Il résume cela de la manière suivante : « quel qu’en soit le statut, [le musée] est un établissement public ; un musée privé n’est qu’une collection particulière qui se pare d’un nom l’assimilant à une institution qu’elle n’est pas »¹⁰.

    Bien qu’ils soient parfois utilisés pour qualifier l’origine des ressources ou pour indiquer l’ouverture – ou la non-ouverture – aux visiteurs, les qualificatifs « privé » et « public » semblent donc renvoyer au propriétaire des biens considérés. Cette acception est confirmée par le Dictionnaire encyclopédique de muséologie, selon lequel « une collection particulière désigne une collection privée d’objets, d’œuvres, d’artéfacts ou de spécimens qui appartient à un collectionneur privé. Une collection particulière devient une collection publique dès lors qu’elle est acquise par un musée »¹¹. L’ouvrage considère en outre que « le musée public est, par essence, la propriété du peuple ; il est financé et administré par celui-ci à travers ses représentants ← 13 | 14 → et, par délégation, par son administration »¹². Ces définitions incitent à mettre l’accent sur la propriété des œuvres. Il en résulte qu’il sera question, dans le présent ouvrage, de « collection privée » tant que les objets d’art appartiennent à Raoul Warocqué et de « musée public », et même de « musée » tout court si l’on veut éviter le pléonasme pointé par Krzysztof Pomian¹³, lorsqu’ayant accepté le legs de l’industriel, l’Etat devient le propriétaire du domaine de Mariemont. Cette terminologie présente en outre l’avantage de mettre en évidence le fait qu’une collection ne devient musée que par un acte de l’autorité publique ou de la collectivité qui, en l’acceptant, prend en charge son financement ou veille à tout le moins au respect de la loi¹⁴.

    Il convient par ailleurs de souligner que le présent travail est centré sur l’action des gestionnaires de Mariemont. Si le sujet exige l’emprunt à la muséologie de certains de ses concepts, il ne s’agit pas d’une étude des collections qui s’inscrirait dans le domaine de l’histoire de l’art, mais bien d’une étude d’histoire institutionnelle et administrative qui, au travers du cas de Mariemont, entend examiner comment un musée né d’une collection privée a été organisé par l’Etat, comment il fonctionne aux différentes étapes de son évolution, quelles missions lui sont dévolues, avec quels moyens financiers, matériels et humains il doit les remplir, quel est le poids de la volonté privée, comment les impératifs de présentation, de conservation, de recherche et d’accueil du public ont été rencontrés.

    Cet ouvrage ne porte donc pas prioritairement sur la personne de Raoul Warocqué ou sur la manière dont il a constitué ses collections et conçu son projet muséal, questions qui ont déjà été largement étudiées. Il conviendra néanmoins d’en rappeler les traits les plus saillants dès lors qu’il est indispensable de décrire la situation à l’origine du processus qui est analysé. Deux aspects, peu envisagés jusqu’ici, seront cependant développés, à savoir les musées de collectionneurs qui ont pu inspirer la démarche de Raoul Warocqué, d’une part, et les fonctions muséales que remplit déjà sa collection privée, d’autre part. Le sujet sera traité dans le temps jusqu’à l’année 1960, date à laquelle le château de Mariemont est détruit en grande partie par un incendie. Rompant le lien entre le contenant et le contenu laissés par le collectionneur, cet événement marque un tournant pour l’institution qui ouvre alors une nouvelle page de son histoire mouvementée.

    Les sources exploitées pour mener à bien cette étude varient considérablement selon la période abordée. Si le Musée royal de Mariemont conserve les archives de la famille Warocqué, l’absence d’outil de recherche rend difficile la consultation des documents laissés par Raoul Warocqué. Nous nous baserons donc à ce sujet sur les nombreuses publications des historiens et historiens de l’art qui les ont analysés. La reprise du legs par l’Etat et les premières années du musée d’Etat sont bien documentées au niveau archivistique, notamment grâce aux dossiers de l’administration des Beaux-Arts conservés aux Archives générales du Royaume et aux papiers du premier conservateur Richard Schellinck que possède encore le Musée royal de Mariemont. ← 14 | 15 →

    La question des sources se complique ensuite singulièrement, en raison de l’incendie du château en 1960. Tout en préservant les archives de Richard Schellinck, la catastrophe a emporté les documents qu’avaient produits jusqu’alors les époux Faider qui lui ont succédé. Le Musée royal de Mariemont ne dispose donc plus que de quelques dossiers pour la période s’étendant de 1934 à 1960. De plus, l’administration des Beaux-Arts n’a plus effectué de versement aux Archives générales du Royaume après celui qui couvre les années 1920 à 1936. Si le ministère de la Communauté française, héritier de cette administration, ne paraît pas avoir conservé d’archives sur Mariemont, les services de la Région wallonne possèdent plusieurs liasses contenant de précieuses informations sur le sujet.

    Alors que l’institution n’a pas publié d’ouvrage susceptible d’apporter un éclairage supplémentaire à l’époque de Richard Schellinck, elle a fort heureusement commencé en 1935 à produire des guides et des catalogues qui rendent compte de ses activités. Les époux Faider ont en outre rédigé dans des revues de nombreux articles qui décrivent leurs tâches et leurs réalisations. Ces diverses publications, qui doivent être considérées comme des sources, viennent contrebalancer le manque d’archives découlant de l’incendie. Les sources sont par ailleurs utilement complétées par les renseignements fournis par la presse et les guides touristiques. Enfin, le Moniteur belge, le Bulletin du ministère des Sciences et des Arts, devenu Bulletin du ministère de l’Instruction publique en 1933, et les documents parlementaires permettent de connaître la législation régissant le musée de Mariemont, les débats qui l’ont évoqué et ses crédits budgétaires. ← 15 | 16 →


    1Par exemple, D. POULOT, « Bilan et perspectives pour une histoire culturelle des musées », Publics et Musées, 2, 1992, p. 125-148.

    2Notamment, Edw. P. ALEXANDER et M. ALEXANDER, Museums in motion. An introduction to the History and Functions of Museums, 2e éd., Lanham, AltaMira Press, 2008 ; E. BERGVELT, D. MEIJERS et M. RIJNDERS (éd.), Kabinetten, galerijen en musea. Het verzamelen en presenteren van naturalia en kunst van 1500 tot heden, Zwolle, Open Universiteit, 2005 ; Fr. MAIRESSE, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2002 ; ou bien évidemment G. BAZIN, Le temps des musées, Bruxelles, Desoer, 1967.

    3Entre autres, M. BOURKE, The Story of Irish Museums 1790-2000 : Culture, Identity and Education, Cork, Cork University Press, 2011 ; D. POULOT, Une histoire des musées de France XVIIIe-XXe siècle, Paris, La Découverte, 2005 ; W. FÜSSL et H. TRISCHLER (éd.), Geschichte des Deutschen Museums. Akteure, Artefakte, Ausstellungen, Munich, Prestel, 2003 ; Die Kunst zu sammeln. Schweizer Kunstsammlungen seit 1848, Zurich, Institut suisse pour l’étude de l’art, 1998.

    4Par exemple, L. NYS, De intrede van het publiek. Museumbezoek in België. 1830-1914, Louvain, Universitaire Pers Leuven, 2012 ; A. GOB, Des musées au-dessus de tout soupçon, Paris, Armand Colin, 2007 ; Chr. DAVENNE, Modernité du cabinet de curiosités, Paris, L’Harmattan, 2004.

    5Notamment, A. MACGREGOR, Curiosity and Enlightenment. Collectors and collections from the Sixteenth to the Nineteenth Century, New Haven et Londres, Yale University Press, 2007 ; H. BOCK, « Collections privées et publiques, les prémices du musée public en Allemagne », dans Ed. POMMIER (éd.), Les Musées en Europe à la veille de l’ouverture du Louvre, Paris, Musée du Louvre, 1995, p. 61-77 ; R. SCHAER, L’invention des musées, Paris, Gallimard, 1993 ; A.-Fr. LAURENS et Krz. POMIAN, L’anticomanie. La collection d’antiquités aux 18e et 19e siècles, Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales, 1992.

    6Pour ce qui concerne les musées belges, M. COUTTENIER, Si les murs pouvaient parler. Le musée de Tervueren, Tervueren, Musée royal de l’Afrique centrale, 2010 ; L. DE JONG (éd.), Het Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen. Een geschiedenis 1810-2007, Oostkamp, Stichting Kunstboek, 2008 ; M. VAN KALCK (éd.), Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Deux siècles d’histoire, Bruxelles, Dexia Banque et Racine, 2003 ; ou encore Liber Memorialis. 1835-1985, Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, 1985.

    7Krz. POMIAN, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris, Venise : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1987, p. 296-302.

    8A.-D. MEYER, « Les modèles du musée de collectionneur », dans A.-S. ROLLAND et H. MURAUSKAYA (éd.), De nouveaux modèles de musées ? Formes et enjeux des créations et rénovations de musées en Europe. XIXe-XXIe siècles, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 71-84. L’appellation « musée de collectionneur » reflète davantage le lien étroit entre le collectionneur et le musée auquel il donne naissance que l’expression « collection museum » utilisée par A. HIGONNET, A Museum of One’s Own : Private Collecting, Public Gift, Pittsburgh, Periscope, 2009.

    9Krz. POMIAN, Collectionneurs, amateurs et curieux…, op. cit., p. 18.

    10 Ibid., p. 58.

    11 On pourrait ajouter « ou qu’elle devient un musée » pour viser le cas du musée de collectionneur. Y. BERGERON, « Collection », dans A. DESVALLÉE et Fr. MAIRESSE (éd.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 64.

    12 Fr. MAIRESSE, « Public », dans A. DESVALLÉE et Fr. MAIRESSE (éd.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 497.

    13 Cette redondance apparaîtra néanmoins dans la présente étude lorsqu’il s’agira d’insister sur le caractère public de l’institution.

    14 Krz. POMIAN, Collectionneurs, amateurs et curieux…, op. cit., p. 58.

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    PREMIÈRE PARTIE

    La collection privée

    Le temps du collectionneur

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    Si l’origine du musée de Mariemont remonte au premier quart du xxe siècle, celle du domaine de Mariemont est bien plus ancienne. Son histoire a fait l’objet de plusieurs ouvrages très fouillés et il n’entre pas dans le cadre de ce travail d’approfondir ce sujet. Les grandes étapes de sa formation permettent de comprendre comment s’est constitué au fil du temps le patrimoine dont va hériter l’Etat belge. La passion qui anime Raoul Warocqué pour la collection est précoce. Tout en acquérant des objets d’art à un rythme soutenu et dans diverses directions, il leur fait déjà remplir certaines fonctions muséales, comme l’illustrent la démarche scientifique qu’il adopte à plusieurs égards et la publicité qu’il leur assure. Resté sans enfant, il nourrit d’abord le projet posthume de céder ses antiquités aux Musées royaux d’Art et d’Histoire, avant de décider de laisser le domaine de Mariemont à son pays. Dans son testament, les conditions qui accompagnent son geste reflètent ses motivations. On peut en outre y discerner les sources d’inspiration qui ont pu l’aider à en dessiner les contours.

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    CHAPITRE I

    Mariemont et la dynastie Warocqué

    Plusieurs gouverneurs généraux des Pays-Bas se prennent d’affection pour l’endroit. Il doit son nom à Marie de Hongrie qui le reçoit en apanage de son frère Charles Quint et y fait bâtir un pavillon de chasse en 1546¹. Les archiducs Albert et Isabelle y font édifier en 1608 un château qui devient leur résidence de campagne, Marie-Elisabeth tente d’y implanter une station thermale dans les années 1730 et Charles de Lorraine remplace le château des archiducs par un vaste bâtiment qui accueillera une cour brillante. Sa destruction par les troupes révolutionnaires françaises ne laissera subsister que les ruines qui sont toujours visibles dans le parc de Mariemont².

    Grâce à une concession obtenue en 1801 du Premier consul Bonaparte, le Montois Nicolas Warocqué constitue, avec son frère notamment, la Société du Parc de Mariemont pour exploiter le charbon contenu dans le sol du domaine. Rapidement florissante, l’entreprise va faire la fortune des Warocqué qui se succèdent à sa tête de ← 19 | 20 → père en fils³. Cette dynastie de grands bourgeois⁴ illustre parfaitement la nouvelle classe de patrons dont l’esprit entreprenant permet de tirer parti des atouts de la région. Disposant de capitaux toujours plus abondants, ces nouveaux capitaines d’industries veillent à moderniser l’appareil de production en s’attachant des ingénieurs qui deviennent directeurs de mines ou d’usines et qui s’enrichissent dans leur sillage. C’est le cas de Lucien Guinotte qui devient en 1880 administrateur-directeur général des Charbonnages de Mariemont et de Bascoup⁵. Sous le contrôle des Warocqué, ces charbonnages contribuent à hisser le bassin du Centre au même niveau que ceux du Borinage et de Charleroi et, grâce aux entreprises qui s’installent à proximité des puits d’extraction, à faire de la Belgique une puissance industrielle de premier ordre à la fin du XIXe siècle⁶.

    A l’instar des grands industriels de leur temps qui font bâtir de somptueuses demeures, les Warocqué ont à cœur d’étaler leur réussite et leur supériorité sociale. Nicolas Warocqué confie en 1831 à Tilman-François Suys la construction d’une résidence néoclassique dans la partie du domaine de Mariemont qu’il a réservée à son usage personnel. Le choix porté sur ce style d’autrefois, bien apparent sur l’illustration ci-contre, et sur l’architecte alors prédominant traduit bien son souci de se légitimer historiquement⁷. Il fait aussi aménager le parc de Mariemont qui est ← 20 | 21 → doté d’un potager, de serres et d’un jardin d’hiver et que ses descendants ne cesseront d’agrandir et d’embellir⁸.

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    Ill. 1. Château de Mariemont de la famille Warocqué, s.d. © MRM

    A leur puissance économique, les Warocqué ajoutent une action philanthropique qui, teintée de paternalisme, est dirigée notamment vers l’enseignement. Ils s’impliquent en outre dans la vie politique puisqu’ils sont bourgmestres de Morlanwelz de génération en génération et plusieurs d’entre eux sont membres de la Chambre des Représentants où ils défendent le libéralisme économique qui a permis leur réussite. Cumulant ainsi plusieurs facettes qui en font des acteurs de la vie politique, sociale et économique durant tout le XIXe siècle⁹, les Warocqué incarnent bien cette classe de notables locaux qui, comme les Coppée, les Boël ou encore les Boch, règnent sur la région du Centre¹⁰.

    Issu de la quatrième génération, Raoul sera le dernier des Warocqué. Né en 1870, il perd son père alors qu’il n’a que dix ans et son frère aîné décède en 1899. Malgré une scolarité médiocre et des études de droit inachevées à l’Université libre de Bruxelles, il se révèle être un homme d’affaires avisé. Dès qu’il entre en possession de son héritage, il surveille ses intérêts de près. Il vit alors à Bruxelles dans l’hôtel de maître que possède la famille au numéro 45 de l’avenue des Arts et fait des séjours hebdomadaires à Mariemont. Administrateur délégué des Charbonnages de Mariemont et de Bascoup, il accroît et diversifie son portefeuille d’actions, siégeant ← 21 | 22 → au sein des conseils d’administration d’autres charbonnages et de nombreuses entreprises industrielles, bancaires et commerciales. Il développera ainsi constamment son patrimoine, au point de passer parfois pour l’homme le plus riche du pays¹¹.

    Elu au Conseil provincial en 1896, Raoul Warocqué poursuit la tradition familiale en devenant en 1900 bourgmestre de Morlanwelz et membre de la Chambre des Représentants dont il sera questeur¹². Il crée à La Louvière, avec Pol Boël, le journal quotidien Les Nouvelles qui lui permet de diffuser ses idées libérales¹³. Profondément anticlérical, Raoul Warocqué devient franc-maçon en 1903¹⁴.

    Par ailleurs, marchant là encore dans les pas de ses aïeux qui ont souvent cherché à soutenir le développement de l’instruction publique, il mène des activités philanthropiques très diverses. Elles se concentrent d’abord à Bruxelles, notamment avec la construction en 1895 de l’Institut d’Anatomie de l’Université libre de Bruxelles dans le parc Léopold. C’est toutefois dans le Hainaut que son action est la plus marquée puisqu’il y fonde des établissements d’enseignement qui existent encore aujourd’hui. Il crée ainsi à Morlanwelz une crèche, une maternité, un orphelinat, un athénée pour garçons, un lycée pour jeunes filles et une école normale pour garçons¹⁵. Il finance également l’Institut commercial des industriels du Hainaut, créé à Mons en 1899 sous l’impulsion d’Henri Dutrieux¹⁶.

    Ses multiples activités n’empêchent pas Raoul Warocqué de voyager beaucoup. Il se rend par exemple à Rome en compagnie de Franz Cumont, en Egypte avec George Van der Meylen ou en Chine lorsqu’il fait partie de la mission chargée en 1910 d’annoncer l’avènement d’Albert Ier. Adoptant en cela les mœurs de la grande bourgeoisie de l’époque, il fait aussi des séjours réguliers dans des villes de jeu comme Monte-Carlo et des stations thermales telles que Marienbad¹⁷.

    Pendant la première guerre mondiale, le bourgmestre de Morlanwelz parvient à épargner sa commune, à préserver la population des réquisitions et à maintenir ← 22 | 23 → l’emploi des ouvriers dans les mines, recevant au besoin des officiers allemands à dîner¹⁸. Membre du Comité spécial de Secours de la province de Hainaut, il fournit des vêtements et de la nourriture aux démunis des environs. Il loge en outre deux étudiants américains de la Commission for Relief in Belgium qui, grâce à une voiture qu’il met à leur disposition, distribuent des vivres dans la région. Raoul Warocqué fait murer ses œuvres les plus précieuses et ses meilleurs vins pour les protéger en cas de retraite, mais le domaine de Mariemont ne subira pas de dommage durant le conflit. L’industriel n’en verra pas la fin car, atteint d’un mal incurable au foie depuis plusieurs années, il meurt à Bruxelles le 28 mai 1917, à l’âge de quarante-sept ans¹⁹.

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    Ill. 2. Raoul Warocqué, s.d. © MRM ← 23 | 24 →


    1Notamment, R. WELLENS, « Le domaine de Mariemont au XVIe siècle (1546-1598) », Annales du Cercle archéologique de Mons, 64, 1958-1961, p. 79-172.

    2Y. QUAIRIAUX, Charles de Lorraine à Mariemont : le domaine royal de Mariemont au temps des gouverneurs autrichiens, Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 1987 ; Cl. LEMOINE-ISABEAU et M. JOTTRAND, « Mariemont au XVIIIe siècle », Les Cahiers de Mariemont, 10-11, 1979-1980, p. 6-62 ; R. WELLENS, « Une curieuse tentative de concurrence des eaux de Spa : la station thermale de Mariemont au XVIIIe siècle », La Vie Wallonne, 34, 1960, p. 5-31.

    3M. VAN DEN EYNDE, Nicolas Warocqué, fondateur de Mariemont, 1773-1838, Monographies du Musée royal de Mariemont, 3, Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 1984 ; M. VAN DEN EYNDE et R. DARQUENNE, « Les débuts de la Société de Mariemont (1801-1840) », Annales du Cercle archéologique et folklorique de La Louvière et du Centre, 4, 1966, p. 31-68 ; F. HAYT, « Les charbonnages de Mariemont-Bascoup des origines jusqu’à 1830 environ », Documents et rapports de la Société royale d’Archéologie et de Paléontologie de Charleroi, 48, 1950, p. 147-250.

    4Voir les travaux de M. VAN DEN EYNDE dont La vie quotidienne de grands bourgeois au XIXe siècle : les Warocqué, Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 1989 ; « Le dynamisme des Warocqué », dans R. DARQUENNE, M. VAN DEN EYNDE, P. COCHEZ, Cl. FAVRY, Y. QUAIRIAUX et M. ARNOULD, Mémoires d’une région. Le Centre (1830-1914), Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 1984, p. 103-121 ; Les Warocqué, une dynastie de maîtres-charbonniers, coll. Les grandes familles industrielles, Bruxelles, Labor, 1984.

    5Né à Verviers en 1839, cet ingénieur fait toute sa carrière aux Charbonnages de Mariemont et de Bascoup, dont il améliore la rentabilité tout en se souciant de la condition des mineurs. A sa mort en 1911, son fils Léon lui succède à la tête des Charbonnages. Y. QUAIRIAUX, « Guinotte Lucien », NBN, t. 9, p. 208-209 ; R. BRION et J. TYSSENS, « Guinotte Lucien », dans G. KURGAN-VAN HENTENRYK, S. JAUMAIN et V. MONTENS (éd.), Dictionnaire des patrons en Belgique. Les hommes, les entreprises, les réseaux, Bruxelles, De Boeck Université, 1996, p. 334-335.

    6J. PUISSANT, « Le Hainaut contemporain », dans Cl. BILLEN, X. CANONNE et J.-M. DUVOSQUEL (éd.), Hainaut. Mille ans pour l’avenir, Anvers, Fonds Mercator, 1998, p. 117 et s. ; R. DARQUENNE, « Esquisse historique du Centre industriel (1830-1914) », dans R. DARQUENNE, M. VAN DEN EYNDE, P. COCHEZ, Cl. FAVRY, Y. QUAIRIAUX et M. ARNOULD, Mémoires d’une région. Le Centre (1830-1914), Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 1984, sp. p. 1-48.

    7P. PUTTEMANS, « L’architecture en Hainaut. 1792-1914 », dans Cl. BILLEN, X. CANONNE et J.-M. DUVOSQUEL (éd.), Hainaut. Mille ans pour l’avenir, Anvers, Fonds Mercator, 1998, p. 178-181.

    8A. BIANCHI, Les industriels et leurs demeures en Hainaut (XIXe – début du XXe siècle), Mons, Hainaut Culture et Démocratie, 2004, p. 11 et 57.

    9Voir l’ouvrage de S. JAUMAIN et K. BERTRAMS (éd.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, et notamment la contribution de J.-J. HEIRWEGH, « Patrons pour l’éternité », p. 430-452.

    10 J. PUISSANT, « Le Hainaut contemporain »…, op. cit., p. 128-130.

    11 Fr. MAIRESSE, Mariemont, capitale du don. Des Warocqué aux amis de Mariemont, Monographies du Musée royal de Mariemont, 15, Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 2007, p. 31 ; M. WUNDERLEE, « Warocqué Raoul », dans G. KURGAN-VAN HENTENRYK, S. JAUMAIN et V. MONTENS (éd.), Dictionnaire des patrons en Belgique. Les hommes, les entreprises, les réseaux, Bruxelles, De Boeck Université, 1996, p. 659.

    12 Sur l’action politique de Raoul Warocqué, voir notamment M. VAN DEN EYNDE, Raoul Warocqué. Seigneur de Mariemont. 1870-1917, Monographies du Musée de Mariemont, 1, Morlanwelz, Musée de Mariemont, 1970, p. 121-145.

    13 P.-J. FOULON, « L’imprimerie, la reliure et la presse », dans Cl. BILLEN, X. CANONNE et J.-M. DUVOSQUEL (éd.), Hainaut. Mille ans pour l’avenir, Anvers, Fonds Mercator, 1998, p. 390 ; M. ARNOULD, « Histoire de la presse dans le Centre : les cas de La Louvière et de Morlanwelz (1830-1914) », dans R. DARQUENNE, M. VAN DEN EYNDE, P. COCHEZ, Cl. FAVRY, Y. QUAIRIAUX et M. ARNOULD, Mémoires d’une région. Le Centre (1830-1914), Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 1984, p. 241-245.

    14 M. VAN DEN EYNDE, Raoul Warocqué. Seigneur de Mariemont…, op. cit., p. 26.

    15 M. VAN DEN EYNDE, « Les Warocqué », dans Les Warocqué (1802-1917). Du capitalisme intégral à la philanthropie, Bruxelles, AGR, 1995, p. 44-50.

    16 Y. QUAIRIAUX, Raoul Warocqué : mécène montois, Mons, Hainaut Culture et Démocratie, 2012.

    17 M. VAN DEN EYNDE, « Les Warocqué »…, op. cit., p. 44-45 et 49.

    18 Ces dîners seront vivement critiqués, comme l’illustrent par exemple les articles parus dans Le Soir les 10 mars 1919 et 17 octobre 1920.

    19 G. SPAULDING, « The « Commission for Relief in Belgium » and the Château de Mariemont », Les Cahiers de Mariemont, 4, 1973, p. 5-22, et P. FAIDER (publ.), Lettres d’Adolphe Max à Raoul Warocqué. 1914-1916, Société des Bibliophiles de Mons, 1940, sp. p. 42.

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    CHAPITRE II

    La collection privée de Raoul Warocqué

    La constitution de la collection et l’aménagement du château

    Le XIXe siècle voit la bourgeoisie reprendre le rôle que la noblesse jouait auparavant en matière de patrimoine artistique. A l’instar de la philanthropie, la constitution de bibliothèques et de collections participe de la volonté des capitaines d’industries d’acquérir du prestige et de tenir leur rang¹. Chez Raoul Warocqué, cette attitude correspond à une passion profonde, et peut-être aussi au souci de réaliser un placement comparable à celui que fournit la propriété foncière². Aussi vaste que diversifiée, sa collection présente une ampleur qui dépasse le simple phénomène de mode³.

    De ses aïeux qui s’intéressaient de près ou de loin à l’art, il hérite notamment des tableaux de grands peintres, tels qu’Eugène Delacroix, François-Joseph Navez ou Alfred Stevens, et d’œuvres de sculpteurs comme Guillaume Geefs ou Louis-Eugène Simonis⁴. Ce ne sont cependant pas les œuvres de son époque qui l’attirent le plus. Les statues de Victor Rousseau, Jef Lambeaux ou Auguste Rodin dont il orne le parc de Mariemont et les bustes qu’il commande à Godefroid Devreese sont, avec des reliures précieuses et des livres illustrés, les seules créations contemporaines qu’il acquiert. A cet égard, il s’apparente aux « clients » qu’évoque Christine Dupont à propos des ← 25 | 26 → collectionneurs qui achètent furtivement une œuvre à un artiste, sans entretenir avec lui de liens privilégiés⁵. Amateur au goût conformiste, Raoul Warocqué est davantage tourné vers les livres et les témoins des civilisations passées.

    Collectionneur précoce, il achète à seize ans une centaine d’ouvrages d’auteurs grecs et latins et ne cessera ensuite d’acquérir des livres rares et anciens, des éditions originales ou de luxe, mais aussi de nombreux ouvrages de documentation. Il réunit en outre un nombre impressionnant de médailles et d’autographes, s’intéresse aux reliures et rassemble des dessins et des estampes de Félicien Rops⁶. L’importance de ses collections bibliophiliques amène Raoul Warocqué à en confier la gestion au libraire bruxellois Henri Lamertin. En 1907, ce travail prenant toujours plus d’ampleur, il prend à son service Louis Causse, un antiquaire et bibliothécaire qu’il installe comme libraire à La Hestre pour bénéficier des ristournes des éditeurs lors de ses achats, et dont il fait son secrétaire personnel⁷. A sa mort en janvier 1909⁸, Raoul Warocqué le remplace par Richard Schellinck dont il sera longuement question par la suite.

    Grâce aux conseils de Franz Cumont, l’industriel constitue une fabuleuse collection d’antiquités classiques qui fait l’admiration des plus grands spécialistes de l’époque. Sa formation humaniste et ses séjours en Italie sont sans doute à l’origine de sa prédilection pour l’art romain, qu’il étend ensuite à la Grèce et à l’Egypte⁹. Cet attrait pour l’antiquité méditerranéenne est du reste fort répandu parmi les collectionneurs¹⁰. L’essentiel de sa collection provient de ses voyages et de grandes ventes organisées à Bruxelles et à Paris¹¹. ← 26 | 27 →

    De même, sa collection d’objets d’art extrême-oriental résulte en partie des razzias faites lors de son séjour en Chine en 1910, en compagnie notamment de Raoul Pontus, de Florimond Hankar et de son petit-cousin Ivan Orban¹². De ce voyage qu’il prolonge au Japon, Raoul Warocqué ramène également des statues monumentales qu’il installera dans le parc de Mariemont. Par la suite, il se fera envoyer par des Belges vivant sur place des émaux, des porcelaines, des ivoires, etc., qui compléteront ses collections chinoises et japonaises¹³.

    Dans un souci de comparaison, il acquiert diverses porcelaines européennes, parmi lesquelles la porcelaine de Tournai a toutes ses faveurs. De l’âge de vingt ans à sa mort, il constitue l’ensemble le plus précieux, le plus étendu et le plus représentatif de la production de cette manufacture¹⁴. Cette attirance s’inscrit dans le goût que Raoul Warocqué développe pour les industries d’art en général, puisqu’il acquiert des dentelles, des grès, des laitons, des mortiers en bronze, des piloris, des portails, etc. Elle doit aussi être resituée dans la passion qu’il nourrit pour l’histoire régionale. Il se procure ainsi des témoins du passé glorieux de Mariemont et constitue une vaste documentation faite de tableaux, de plans, de recueils d’ordonnances et de coutumes, de dessins, de pamphlets, etc.¹⁵.

    Par ailleurs, il intègre à son domaine les parcelles sur lesquelles se trouvent les restes de l’abbaye de l’Olive fondée au XIIIe siècle, la fontaine thermale érigée par la gouvernante Marie-Elisabeth et les ruines du château de Charles de Lorraine où il installe un musée lapidaire. Ce faisant, il étend considérablement le domaine et devient propriétaire de la forêt de Mariemont. Grâce à des campagnes de fouilles qu’il mène dans de nombreuses localités des environs, il constitue de belles collections gallo-romaines et mérovingiennes qu’il rassemble en un « musée d’archéologie » dans l’aile nord du château¹⁶. ← 27 | 28 →

    Si Raoul Warocqué ne cesse d’accumuler les livres et les objets d’art dans son hôtel bruxellois et au château de Mariemont, il soustrait également de son patrimoine artistique des pièces, voire des collections entières. Il offre par exemple en 1907 au Musée royal d’Histoire naturelle de Belgique sa collection de sciences naturelles composée d’oiseaux qui ont été remarquablement présentés à l’Exposition internationale de Liège en 1905. De même, il vend plusieurs peintures et sa collection de timbres¹⁷.

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    Ill. 3. Le « bain romain » construit dans le parc de Mariemont après 1903 © MRM

    Du vivant de sa mère qui ne comprend pas sa démarche de collectionneur¹⁸ et qui détient l’usufruit sur le domaine, Raoul Warocqué ne peut aménager le château de Mariemont comme bon lui semble. En 1903, il fait édifier dans le parc un pavillon pour ← 28 | 29 → ses antiquités mais l’espace qu’il offre demeure limité. Cet édifice, communément appelé le « bain romain », est toujours visible aujourd’hui (ill. 3).

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    Ill. 4-a. Château de Mariemont augmenté de l’aile nord, 1911 © MRM

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    Ill. 4-b. Château de Mariemont augmenté des deux ailes, s.d. © MRM ← 29 | 30 →

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    Ill. 4-c. Façade ouest avant la construction des ailes, s.d. © MRM

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    Ill. 4-d. Façade ouest après la mort de Raoul Warocqué, s.d. © MRM ← 30 | 31 →

    En revanche, dès le décès de sa mère en 1909, Raoul Warocqué ajoute successivement au château deux ailes bétonnées dans lesquelles il rassemble les livres et les objets d’art qui étaient éparpillés à Bruxelles et à Mariemont. Les illustrations 4-a et b montrent la transformation qui s’opère alors. Du côté de la façade arrière du bâtiment, l’agrandissement est spectaculaire (ill. 4-c et d).

    Ces travaux et le regroupement géographique qu’ils permettent finalisent une évolution qui a déjà amené le collectionneur à compléter certaines

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