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Mémoire d'une colline: Récit de la guerre au Cabinda
Mémoire d'une colline: Récit de la guerre au Cabinda
Mémoire d'une colline: Récit de la guerre au Cabinda
Livre électronique165 pages2 heures

Mémoire d'une colline: Récit de la guerre au Cabinda

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À propos de ce livre électronique

Témoignage de l'histoire sociale africaine

Mémoire d’une colline est une fenêtre ouverte sur la savane africaine d’où l’on observe les migrations des populations à l’intérieur de l’Afrique…
C’est aussi le monologue d’une vieille dame solitaire qui déambule au milieu de la savane. Elle raconte son histoire, le parcours des réfugiés, l’imposture de la guerre au Cabinda, une guerre sans issue dans laquelle s’est enfermé son fils, guérilléro du FLEC.

Virginie Mouanda Kibinde dépeint un tableau saisissant des conséquences de la guerre méconnue de sa région d'origine, le Cabinda. Un ouvrage saisissant !

EXTRAIT

Dans ma case, j’ai reçu un grand nombre de personnes fuyant la guerre, en route pour l’exil, en route pour nulle part.
Au début, ils arrivaient par petits groupes. Plus tard, ils sont venus par vagues de dizaines voire de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants. Où vont-ils, et d’où partent-ils ?
Des créatures frêles et fugitives. Anonymes et affamées. Je leur ouvre la porte de ma case, elles mangent, se désaltèrent, puis poursuivent leur route. D’autres s’arrêtent pour se reconstruire une vie.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

[Virginie Mouanda] se révèle une fois de plus dans un témoignage intime raconté parfois avec humour sur une réalité tragique. On y découvre l’empreinte de la conteuse. Un récit bouleversant… - François Durpaire, historien

À PROPOS DE L’AUTEUR

Romancière et conteuse, Virginie Mouanda est originaire du Congo et du Cabinda. De sa terre natale, elle a gardé l’art de la narration, que ce soit oralement ou par écrit. Son dernier ouvrage, Façon Aphrodite, un recueil de nouvelles, est paru en 2016 chez le même éditeur.
LangueFrançais
ÉditeurWa'wa Éditions
Date de sortie3 août 2017
ISBN9791094575093
Mémoire d'une colline: Récit de la guerre au Cabinda

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    Aperçu du livre

    Mémoire d'une colline - Virginie Mouanda Kibinde

    La légende dit ceci

    Au commencement, il y avait la terre, la mer et les hommes. Au commencement il n’y avait pas Cabinda.

    Il existait trois royaumes à côté du « Grand Kongo ». Ngoyo, Kakongo et Loango. Ils s’étendaient de l’océan Atlantique jusqu’à la forêt du Mayombe et bien au-delà des collines. Ces royaumes avaient été créés par des héritiers du trône du grand royaume Kongo.

    Les tribus qui peuplaient ces petits royaumes étaient des Ba Loango. Ils parlaient la même langue ki fioti, avec différentes variantes en vili, lindji, woyo, yombé, lumbu, punu, kakongo, kotché, etc.

    Dans les villages et principautés de ces terres, les populations travaillaient le fer, tissaient le raphia, fabriquaient l’huile de palme, le savon et bien d’autres choses.

    Ils pratiquaient la chasse, la pêche, la cueillette et aussi, ils travaillaient la terre.

    Un jour dans la plaine côtière, alors qu’une paysanne cultivait son champ en compagnie de sa petite fille, elle vit sortir de la mer un homme blanc. Cette soudaine apparition provoqua chez la femme une panique et une frayeur terribles. Jamais de son existence elle n’avait vu un tel phénomène… une forme humaine d’une blancheur hallucinante.

    La femme prit la fuite en criant : « Hbinde… hbindé… hbindé è è bènuè hbinde… » Ce qui signifiait : « Malédiction… malédiction… malédiction… »

    Elle saisit sa fille par le bras et partit en abandonnant tout. Elle cria aussi fort qu’elle put pour alerter les paysans des plantations voisines. L’homme blanc était un navigateur portugais. Il venait d’amarrer son voilier et voulut s’adresser à la femme mais celle-ci, affolée, courut droit devant elle en hurlant à la malédiction.

    Le Portugais fit débarquer son équipage de conquistadores. Ils pénétrèrent non sans mal dans la plaine côtière, puis traversèrent la savane et les collines. Les tribus de ces terres savaient défendre leurs royaumes ; malheureusement, les Portugais avaient apporté de la poudre à canon et des armes à feu. Ils conquirent ces territoires et y plantèrent le drapeau du Portugal.

    Sur ses cartes et sur ses cahiers, le navigateur portugais consigna le mot tel qu’il avait cru l’entendre : Cabinda.

    Il rapporta ainsi la nouvelle conquête à la couronne portugaise qui, après des siècles d’esclavage et de traite négrière, consentit à faire du Cabinda un protectorat portugais.

    La suite, c’est l’histoire du Cabinda et de ses prédateurs, sur mer comme sur terre, une histoire qui reste à raconter aux enfants et aux adultes d’aujourd’hui…

    I

    Du haut de mon vieil âge et de mes mèches blanches, depuis que ma mère m’a mise au monde, je n’ai jamais vu une telle débâcle !

    J’en ai traversé des périodes de l’histoire de ce pays, des moments de guerre, j’ai vu les ravages de grandes pandémies… J’ai connu des campagnes de soins où nous servions de cobayes, qui ont laissé pour morts nombre d’enfants…

    Mais jamais je n’ai vu une telle décomposition de l’intérieur même du ventre de l’Afrique !

    Dans ma case, j’ai reçu un grand nombre de personnes fuyant la guerre, en route pour l’exil, en route pour nulle part.

    Au début, ils arrivaient par petits groupes. Plus tard, ils sont venus par vagues de dizaines voire de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants. Où vont-ils, et d’où partent-ils ?

    Des créatures frêles et fugitives. Anonymes et affamées. Je leur ouvre la porte de ma case, elles mangent, se désaltèrent, puis poursuivent leur route. D’autres s’arrêtent pour se reconstruire une vie.

    « Matondo koko, merci grand-mère ! » : je les reconnais. Ceux-là viennent de la région de Brazzaville. Harcelés, maltraités et dépouillés par les milices des Ninjas et des Cobras, ils ont traversé les plateaux et contourné les cataractes du fleuve Congo. Les coupeurs de route leur ont arraché tout ce qu’ils possédaient. Ils ont survécu, ont franchi les massifs et les crêtes de la forêt pour rejoindre la mer ; blessures et crevasses aux pieds, ils continuent à marcher.

    Que Dieu vous bénisse, mes enfants !

    « Adios vovo ! » ; ceux-ci sont arrivés par la forêt de Yongulo cette nuit.

    Ils ont essayé de survivre dans la ville de Tchowa, acceptant tortures, discriminations et humiliations de la part des enfants soldats des Fapla (Forces armées populaires de libération de l’Angola). Ils ont échappé aux mines antipersonnel et aux guets-apens de la guérilla. « Dieu vous garde, mes enfants ! »

    « Kwa heri mama… ! », « assanti mama… ! » ; des Swahili ? !

    Ils ont traversé les immenses étendues de savanes, les montagnes et les interminables forêts de l’est du Zaïre. Là-bas, la terre est immense. Montagnes et plateaux infranchissables se partagent le relief éminemment complexe de ce pays. Les rebelles leur ont tout pris, jusqu’à la dernière chemise. Tout juste leur reste-t-il un morceau de pagne drapé au corps. Ils ont survécu aux atrocités des guerriers Maï-Maï et autres milices gardiennes des exploitations minières. Les soldats venus du Rwanda et de l’Ouganda les ont chassés de chez eux pour le compte de leurs États respectifs.

    Le Zaïre, gigantesque territoire devenu la proie des prédateurs, ne compte plus ses morts ni ses exilés.

    Des Swahili, des Luba, des Kongo… Ils viennent des régions de l’Ituri, du Kassaï, du Kivu, avec des paquets sur la tête. Combien de cadavres laissent-ils derrière eux ?

    Combien d’embuscades ont-elles été dressées sur leur chemin ?

    Il y a parmi eux des militaires, des déserteurs qui fuient l’enfer de la guerre orchestrée par des hommes en costard cravate, qui se gardent bien de patauger dans l’effroyable et indescriptible merdier africain.

    Il se peut aussi qu’ils viennent du Rwanda ou du Burundi. Peut-être des Interahamwé génocidaires du Rwanda : indésirables chez eux, ils errent par ici, dans les terres lointaines.

    Cet homme, très fatigué, me confie une bouteille bien lourde : du mercure. Que vais-je donc faire avec cela ? Que puis-je faire de ce liquide, mon enfant, que dois-je faire pour t’aider ?

    Comment ? Trouver un client ?

    Je commence par où ? À qui vais-je poser la question pour te trouver un quelconque trafiquant de cette espèce, mon enfant ?

    Moi-même, je ne suis ni trafiquante, ni faussaire, que vais-je donc faire de ce mercure ?

    Trouver un faussaire ?

    Il y a bien eu des multiplicateurs de billets qui sillonnaient jadis les villages… Ils ont escroqué nombre de paysans et de commerçants avides d’argent facile pour copier les manières des hommes politiques. Ils ont confié toutes leurs économies. Tous ruinés… pour certains la vie a continué et, pour d’autres, ce fut la fin. Jamais ils ne se sont remis de ce piège. Les temps sont durs, mon enfant !

    Que dis-tu ? Il suffit de demander… ?

    Comment savoir ?

    Il y a tant de gens. Des chercheurs de pierres précieuses mandatés par les grands joailliers de Genève ou d’Anvers, des découvreurs d’essences de plantes pour le compte des laboratoires américains qui se sont approprié toute la flore africaine par brevets interposés, qui tous parcourent les sentiers ; eux ont d’autres soucis, mon enfant !

    Il y a tant de gens. Des exploitants miniers, des orpailleurs, des trafiquants de chanvre et autre cocaïne passent par ici, je sais… Qui parmi eux, qui acceptera de se charger de cette affaire ? Comment vais-je dénicher celui qui répond à ta demande ?

    C’est du délire, mon pauvre garçon…

    Cet homme a dû traîner dans les forêts du Cabinda. Malade, il frissonne, me grommelle encore quelques paroles, je ne comprends plus rien à ce qu’il dit. En quelle langue me parle-t-il à présent ? On dirait un Ba Solongo, une tribu d’Angola… Ils sont si nombreux par ici, ces enfants des tribus éclatées…

    Tous ces gens perdus dans la nature…

    Il vient peut-être du Bas-Congo, ou d’encore plus au sud… Un Tiimbali du nord de l’Angola, peut-être bien un déserteur de l’armée. Il est tout chaud et transpire à grosses gouttes.

    Il s’allonge sur la natte dans la pénombre de ma case. Je lui verse de l’eau de la tête aux pieds. Il bouge sans arrêt, fait des petits bonds sur lui-même comme dans un délire de paludisme. Des mots lui sortent de la bouche, mais il perd conscience progressivement. Il n’a pas passé la nuit. Il est mort avant même que les soldats n’arrivent pour nous déloger cette nuit-là. Ils l’ont transporté, ils l’ont jeté à l’arrière de leur pick-up, comme on se débarrasse d’un sac de manioc crevé, dégoulinant de son liquide à l’odeur âcre.

    Il ne pesait pas bien lourd à côté de ce qu’il portait sur lui. Il devait trafiquer de l’or ou du diamant. Peut-être même qu’il venait de la zone diamantifère du nord de l’Angola, là où les hommes creusent la terre à mains nues, extrayant le diamant à ciel ouvert.

    Un corps sans nom, sans appartenance, sans famille. Que savent-ils de lui, sa famille, son village ? Quand sa famille, sa femme, ses enfants sauront-ils la nouvelle de sa mort ? Comment trouveront-ils la tombe où repose son corps, si tombe il y a ? Ces militaires le ramèneront-ils chez lui, dans son village ?

    À quel moment organiseront-ils les funérailles ? Et sa femme, il faut penser à la soumettre aux rites du veuvage, sinon elle perdra tout homme qui l’aimera !

    Ces militaires penseront-ils à ramener son corps chez lui, pour que son âme repose au milieu des siens ? Ils lui doivent au moins ça, après toute la richesse dont ils l’ont détroussé, le mercure, l’or ou le diamant, ils peuvent bien lui payer des funérailles dignes de ce nom.

    II

    Des trafiquants, des rebelles, des réfugiés, des maquisards, des vagabonds, des miliciens, des fugitifs : ils transitent tous par Tchitanzi et Mbouss-Nkale.

    Des visages qui ne me disent rien. Rien qui me rappelle quelqu’un de ma famille. Aucune figure que j’aurais reconnue.

    Je les observe. Je les fixe attentivement en suivant leurs faits et gestes, les mimiques de leur visage… Rien de vraiment familier.

    J’insiste.

    Un visage, ce n’est pourtant pas si compliqué… un nez, une bouche, des yeux, un front, la tête et deux oreilles.

    On peut enlever les oreilles, qui souvent sont assez discrètes. Restent le nez, la bouche et les yeux qui frappent d’entrée. On peut y ajouter le regard, le sourire, les joues. Ce qui me force à la patience et m’oblige à plus d’attention, à les regarder plus longuement.

    Là encore, impossible de trouver un air de famille qui me rappelle un proche. Je les regarde de face, de profil, de haut en bas, de bas en haut…

    Que la terre regorge de spécimens !

    Eux,

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