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Sang pour sang
Sang pour sang
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Livre électronique324 pages4 heures

Sang pour sang

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À propos de ce livre électronique

Thierry vient de perdre l’homme qu’il aimait, son maître, Frédéric. Sa psy lui recommande de s’éloigner quelque temps de ses souvenirs pour permettre à sa blessure de se refermer et de guérir. Alors, il décide d’entreprendre le voyage en Égypte que Fred et lui avaient prévu de faire. Mais le destin a d’autres projets pour lui.

Une tempête de neige et c’est l’accident au milieu de nulle part. Après avoir réussi difficilement à s’extirper de son véhicule, il part à la recherche de l’habitation dont il voit la fumée sortir de la cheminée. C’est là que vivent Dominic et Loup, son chien-loup. Mais la cabane est bien plus loin que prévu et, Thierry, blessé à un pied, abandonne la marche et s’endort dans la neige.

Sa survie ne dépend plus que des loups qui l’entourent et de Dom, de son chien et de sa découverte scientifique qui a fait de lui un HGM, un homme génétiquement modifié.

LangueFrançais
ÉditeurDanny Tyran
Date de sortie31 juil. 2020
ISBN9782924400319
Sang pour sang
Auteur

Danny Tyran

Je suis un auteur canadien-français né en 1975. Depuis peu, je me suis lancé dans l'écriture de romans érotiques, principalement gays et BDSM. Pour moi, la Domination/soumission n'est pas un jeu, c'est un engagement, une question de confiance entre deux personnes qui s'aiment, mais qui ont plus que de l'amour à s'apporter. Mes nouvelles et romans reflètent tous cette philosophie. Ils sont inspirés d'expériences personnelles vécues il y a quelques années.

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    Aperçu du livre

    Sang pour sang - Danny Tyran

    Je n’avais pas l’intention d’écrire cette histoire. C’est ma nouvelle psy qui m’a suggéré de tenir une sorte de journal. Elle dit que je peux aussi tenter de dessiner ou de peindre ce que je ressens, mais la peinture et le dessin étaient ses médiums, sa force, une partie de ce que Frédéric avait de plus beau en lui. À la seule idée de dessiner, mes larmes jaillissent aussitôt. Car mon alpha, mon homme, mon âme, a été emporté par une « longue maladie ». Sauf que la sienne n’a pas été si longue. Juste assez pour prendre conscience de sa mort bien trop imminente.

    Mais, après le tourbillon des funérailles, des rendez-vous avec le notaire pour l’héritage, avec notre conseiller financier et notre comptable, entre autres, pour percevoir son assurance-vie et pour le transfert de l’hypothèque et de divers placements, et avec le conseil d’administration de l’entreprise de Frédéric, après toute la paperasse occasionnée par son décès, il fallait bien me remettre à vivre. Mais vivre ne signifie pas que pleurer et écrire des messages tristes comme la mort à mes amis sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas ? Même eux commencent à en avoir assez de mes larmoiements. On m’invite à des fêtes, non pas tant parce qu’on a envie de voir ma tête d’enterrement, je suppose, mais pour m’égayer un peu. Mais je n’ai pas l’énergie qu’il faut pour ça.

    Je décide donc d’aller en consultation, comme Maman et quelques copains me l’ont suggéré. Je rencontre d’abord un psychologue qui me croit fou parce que je suis gay et que mon homme était aussi mon dominateur. « Le BDSM ? Quoi ! Vous trouvez ça… sain ? » demande-t-il lors de notre tout premier rendez-vous. « D’accord, d’accord, j’ai compris. Je vais aller voir ailleurs. Désolé de vous avoir dérangé », dis-je avant de me lever et de partir. Il ne tente même pas de me retenir, cet ignorant bourré de préjugés !

    Puis je me renseigne auprès des membres de mon groupe de BDSMeurs local pour savoir si quelqu’un ne connaîtrait pas un ou une psy au courant des pratiques BDSM et travaillant dans ma région. Ça prend tellement de temps avant d’obtenir une réponse digne d’intérêt que je crois ne jamais trouver quelqu’un capable de m’aider. C’est que la jeune femme qui me répond finalement avait d’abord écrit à son amie psychanalyste pour savoir si elle acceptait de nouveaux clients ; mais cette dernière avait d’abord répondu « non ». Puis, comme l’un des clients Madame Renard, la psy en question, avait déménagé sans préavis, elle s’était retrouvée avec un créneau horaire disponible. Elle m’appelle pour me demander si les jeudis matin me conviennent. « Moi, tous les jours me vont. Je suis écrivain et je travaille à domicile et à mes heures, alors… » C’est aussi pour ça que la psy me conseille l’écriture en guise de défouloir : cette forme d’expression m’est bien plus familière et facile que les arts visuels et même que la parole.

    Tout le monde dit que l’amour au premier regard n’existe pas vraiment, qu’il ne s’agit que de séduction, de quelque chose d’électrique, de magnétique, de sensuel ou de sexuel, en somme de physique. Mais alors pourquoi, bien que préférant de beaucoup les hommes, « Madame Renard » me séduit aussitôt. Pourquoi sait-elle si bien me comprendre, avant même que je lui raconte ma vie ? Est-ce juste une affaire d’empathie ou de talent professionnel ? Ou n’est-ce qu’un nouveau cas de transfert psychanalytique ? Puis-je me permettre d’espérer que notre relation évolue vers quelque chose de plus personnel ? L’espoir fait vivre, dit-on. Et moi, je m’accroche à tout ce qui flotte dans ma mer tourmentée et peut m’aider à surnager.

    Alors, comme un bon soumis, j’obéis : je commence à écrire ma vie tout en écoutant Canciòn triste de Jesse Cook et en pleurant tellement que des larmes giclent sur mes lunettes, y laissant de petites taches rondes et salées, ce qui me rend l’écriture difficile, car j’ai du mal à voir à travers ce brouillard d’affliction et je dois nettoyer mes verres toutes les cinq minutes. En plus, je suis forcé de m’arrêter pour me moucher toutes les trois lignes. Au début, je me dis que je pourrai transformer ma petite histoire personnelle en roman. Un roman, même inspiré de notre vécu, c’est plus facile à écrire qu’une biographie ; ce n’est pas nécessaire de respecter parfaitement la chronologie des faits ni d’être vrai jusque dans les moindres détails. Mais plus j’avance dans mon récit, plus je suis convaincu qu’une histoire à ce point remplie de chagrin ne se vendra jamais. Qui veut lire la douleur des autres ? N’a-t-on pas assez de la nôtre ?

    Mais madame Renard me dit que j’écris si bien que j’ai réussi à la faire pleurer, elle aussi.

    ─ Oui, mais, moi, ce que je veux, ce n’est pas faire pleurer, mais faire rire ou du moins sourire et exciter sexuellement de temps en temps. J’aimerais qu’une aventure comme celles que je décris inspire et émeuve, mais qu’on espère en vivre une pareille. Ce dont j’ai besoin, c’est de procurer un peu de bonheur aux gens, mais surtout à celui avec qui j’aurais un lien spécial et à moi-même.

    Et là-dessus, en pensant à ma solitude, je fonds encore en larmes.

    ─ Thierry… Thierry, me dit-elle tout doucement, si gentiment que je ne peux faire autrement que de lever les yeux vers elle.

    Elle a l’air si triste. Ça me donne un peu plus envie de pleurer.

    ─ Ce que les gens veulent lorsqu’ils lisent, c’est ressentir de l’émotion, qu’elle soit heureuse ou malheureuse, pas que de l’excitation, vous ne croyez pas ?

    Je lui dis pour la troisième fois de me tutoyer. Elle n’en fait rien.

    ─ Oui, mais il faut aussi qu’il y ait de l’espoir au bout, non ? questionné-je.

    ─ Êtes-vous désespéré ?

    Je réfléchis. Je n’ai pas de réponse. Juste le fait qu’elle continue de me vouvoyer m’enlève un peu de ce fragile espoir qui est en train de naître en moi.

    Au bout d’un long silence, presque certain d’avoir raison, je demande :

    ─ Vous êtes une dominatrice, n’est-ce pas ?

    Elle sourit. C’est le plus beau et sincère sourire que j’ai vu depuis… depuis…

    Je recommence à pleurer en repensant à lui, à mon amour à tout jamais disparu, à celui dont je ne reverrai jamais le sourire. Nous avions tellement de beaux projets. Chaque fois que nous en parlions, son visage s’illuminait, ses yeux brillaient. J’aimais tant son sourire qu’il éclairait ma vie et tellement son bonheur qu’il me rendait heureux moi aussi. Mais même si je m’attriste de cette perte, je me plais à ressasser mes souvenirs. Car je veux garder ce passé bien vivant. Le passé me semble la partie la plus heureuse, la plus sûre et la plus stable de ma vie. Quoi que je dise ou que je fasse, mon passé ne disparaîtra jamais. Il m’accompagnera toujours.

    ─ N’inversons pas les rôles, voulez-vous ? répond-elle ensuite presque sèchement.

    ─ Eeeeh, non, je ne veux pas.

    ─ Thierry…

    ─ Oui, c’est bien mon prénom, ai-je répondu avec le plus faux de tous les sourires.

    Il est si peu sincère qu’il m’en fait mal aux joues dont je tends les muscles en une grimace clownesque.

    ─ Si vous continuez comme ça, je vais devoir vous confier à un collègue, dit-elle sur un ton si ferme que j’en ai le souffle coupé.

    Pas longtemps. Je retrouve vite mes esprits.

    ─ Seriez-vous prête à ce que je m’enlève la vie, tout ça pour de stupides principes d’éthique professionnelle ?

    ─ Vous n’avez pas envie de mourir, n’est-ce pas, Thierry ? Vous êtes solide. Vous vous accrochez à la vie, sinon vous ne seriez pas ici.

    ─ Ah, voulez-vous dire que personne ayant vu un ou une psy ne s’est ensuite suicidé ?

    De la colère, de la douleur ou les deux assombrissent son regard. Pourquoi ? L’un de ses clients a-t-il mis fin à ses jours ? C’est une piste à explorer. Une clef pour ouvrir ce cœur qui s’efforce de demeurer froid et inaccessible, professionnel. Je ne sais pas si j’ai raison, mais elle détourne rapidement la tête, comme si elle était honteuse de sa réaction trop émotive et qu’elle espérait me la cacher. Mais pas question de tricher avec moi !

    ─ Pourquoi êtes-vous en colère ? demandé-je.

    Elle ne nie pas, mais ne me répond pas non plus. La séance s’achève à ce moment-là. Elle y met fin un peu prématurément, presque abruptement. Je me remets à pleurer en silence. Alors que je vais sortir, elle pose la main sur mon épaule.

    ─ Promettez-moi de ne pas faire de bêtises ?

    Ce geste seraient-ils bien perçus de son rigide point de vue éthique ? Est-elle inquiète pour moi ? Mes larmes coulent de plus belle. Je me libère brusquement de sa main et je pars d’un pas raide, la gorge trop serrée pour répondre. Tant pis. J’espère ne pas être le seul à avoir mal. Je veux qu’elle souffre, elle aussi, au moins un peu.

    Les jours suivants, je m’attends à recevoir un coup de fil de sa part pour dissiper ses craintes, s’assurer que je n’ai rien fait d’irrémédiable. Je suis surpris de son silence. Se fout-elle de ce qui peut m’arriver ou est-elle si sûre de ma volonté de vivre qu’elle ne juge pas nécessaire de vérifier comment je vais ? Ou était-ce encore une affaire d’éthique ? Mais sans doute qu’en plus de toutes ses obligations professionnelles, elle a des dizaines de soumis à ses pieds. Pourquoi une si belle femme, aussi occupée qu’elle, se préoccuperait-elle de quelqu’un d’aussi physiquement banal et psychologiquement bancal que moi ?

    À un moment où je suis au fond du gouffre, j’ai envie de l’appeler à l’aide, mais je n’en ai pas la force. J’ai bien trop peur d’entendre une voix masculine répondre à sa place. Je m’imagine demandant : « Puis-je parler à ta maîtresse ? » Non, sûrement pas ! Je m’endors, épuisé par ma douleur et par mes jours sombres et mes nuits blanches.

    Chapitre 1

    J’ai rendez-vous avec Madame Renard tous les jeudis et, parfois, quand je suis au plus mal, je la rencontre aussi un autre jour. Nous révisons toute mon histoire personnelle depuis le berceau. Je lui parle même de Damien, mon seul vrai ami d’enfance, qui voulait devenir designer de mode, et que j’ai encouragé à réaliser son rêve, même si je me doutais que s’il réussissait, je risquais de ne plus jamais le revoir. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est produit. Il connaît un grand succès. Je n’envie pas sa vie étourdissante, mais il me manque. Je raconte tout ça à ma psy, mais je ne sais plus si c’est pour la mort de Frédéric, pour le départ de Damien ou pour ma solitude actuelle que je pleure encore. Toutes mes peines semblent avoir fusionné et ne former qu’une grosse boule de douleur.

    Après de nombreuses séances, elle doit comprendre mieux que moi mes raisons d’agir et mon sentiment de perte. Au fil de nos rencontres, elle utilise toutes sortes de méthodes comme l’hypnose, la futurisation et la programmation neurolinguistique pour essayer de mieux m’aider. Il nous arrive de rire et il m’arrive encore de pleurer et, quelques fois, de me mettre en colère. Nous restons aussi parfois de longues minutes dans un silence songeur, apaisant. J’apprends à l’apprécier comme thérapeute et comme personne. Madame Renard est une femme bien. Et je me sens en sécurité, plus calme en sa présence.

    Un matin, je lui dis, le souffle court :

    ─ J’ai encore si mal ! C’est comme si j’avais un gros abcès rempli de douleur et de tristesse en plein cœur. Est-ce que ça va guérir un jour ou si je souffrirai autant toute ma vie ?

    ─ C’est pour ça que je vous demande de vous raconter : pour vider cet abcès. Vous avancez lentement mais sûrement dans le processus normal du deuil. Donnez-vous le temps de récupérer.

    ─ Récupérer ? Ce n’est pas une maladie !

    ─ La dépression est bel et bien une maladie. Voyez cette perte non pas comme un petit abcès, mais comme une énorme blessure qui demanderait des mois à cicatriser et à guérir complètement.

    Elle me prescrit un antidépresseur, que je ne prends pas, et un somnifère, que je prends rarement, même si je souffre d’insomnie. Je ne veux pas tomber dans le piège de la dépendance. De toute manière, comment peut-on vivre son deuil si on ne ressent pas l’affliction du deuil ? Et si je passe plusieurs nuits blanches de suite, je finis par sombrer dans le sommeil au milieu de la journée et, alors, je peux dormir douze heures d’affilée. Quand je me réveille, je tâte le lit à la recherche de Frédéric et là... chaque fois, c’est le choc de la froideur des draps, de son absence, du vide immense comme si la moitié du lit et de l’univers était devenue inhabitée et inhabitable. J’enfouis mon nez dans son oreiller, dans ses derniers vêtements, qu’il avait mis dans le panier à linge sale. Je me souviens quand je le touchais, ne serait-ce que du bout des doigts, il me semblait que je respirais mieux ; mes poumons se remplissaient d’air et mes narines, de son odeur. Et je me sentais bien. Mais là, je suffoque. J’ai l’impression de me noyer. Alors je dois m’efforcer de ne pas paniquer et de respirer lentement et profondément.

    Ce n’est pas un rythme de vie normal, mais ce que je considérais comme ma vie normale a pris fin avec le début de mon deuil. Frédéric m’avait donné des repères, de petits rituels à pratiquer, des travaux à réaliser, des interdictions à respecter, etc. Ce qui entraînait récompenses ou punitions selon que je respectais ses exigences bien, médiocrement ou pas du tout. Et nos nuits… nos nuits ! Tout ça définissait ma vie, en traçait le pourtour et la remplissait. Maintenant, je ne sais plus quoi faire de mes jours et de mes nuits. Parfois je me demande pourquoi je suis toujours vivant. Je me mets à trouver du sens au sati, ce rituel funéraire des veuves qui se jetaient dans le bûcher funéraire de leur époux.

    La nuit dernière, j’avais réussi à fermer l’œil un moment, puis je me suis réveillé en sursaut. Et là, près de la fenêtre, je l’ai vu debout qui me regardait.

    ─ Frédéric ! ai-je gémi.

    Il s’est approché, s’est assis près de moi sur le lit et m’a serré dans ses bras.

    ─ Je suis là, mon chéri, avec toi. Je ne te quitterai pas tant que tu auras encore besoin de moi, m’a-t-il murmuré à l’oreille.

    Pendant un moment, je me suis senti si bien ! J’étais rassuré, je n’étais plus seul. Puis je me suis réveillé. C’était le matin et Frédéric n’était plus là. Du moins, je ne le voyais plus, mais il me semblait que je sentais encore sa chaleur, son odeur et ses bras autour de moi, sa bienfaisante présence. Il veillait encore sur moi, j’en étais convaincu.

    Chapitre 2

    Je voulais éviter la dépendance, mais madame Renard est en train de devenir ma drogue. Pourtant, elle ne fait rien pour attiser mon désir. Mais je ne peux plus m’en passer. Toutes les semaines, j’ai hâte de la revoir.

    ─ Vous avez un intense besoin de servir, Thierry. C’est évident. C’est sûrement inscrit quelque part dans vos gènes. Alors, tant que vous ne trouverez pas quelqu’un à qui vous donner ou une cause à laquelle vous consacrer, vous continuerez de ressentir ce sentiment de vide dans votre vie.

    Je ne lui ai pas raconté la visite du fantôme de Frédéric. Cette partie m’appartient. C’est un secret entre Frédéric et moi.

    Après quelques secondes de silence, elle ajoute :

    ─ Pouvez-vous prendre des vacances dès maintenant ?

    Mon cœur se met à battre trop vite. Je lui avais parlé des projets de voyage que Frédéric et moi avions. Alors j’imagine madame Renard partant à l’aventure quelque part avec moi.

    ─ Oui. Bien sûr. Étant donné que je suis travailleur autonome, que j’écris à la maison, je peux prendre congé aussi longtemps que je le veux quand je veux. Mon maître et moi avions prévu d’aller en Égypte cet hiver. Nous avions renouvelé nos passeports, demandé nos visas non seulement pour l’Égypte, mais pour tous les pays que nous aurions pu vouloir visiter ensuite. Et nous avions même reçu toute une batterie de vaccins au cas où... Puis nous avons appris la mauvaise nouvelle de sa maladie.

    Quel idiot je fais parfois ! Partir avec un patient ne serait pas professionnel, pas du tout éthique, n’est-ce pas ? Et que deviendraient tous ses soumis si elle partait au bout du monde avec un autre homme ?

    ─ Bien. Alors n’y aurait-il pas quelqu’un, un parent ou un ami, qui serait prêt à voyager avec vous ?

    Mais qui, en dehors d’un autre travailleur autonome ou d’un chômeur, peut partir quand bon lui semble et aussi longtemps qu’il le souhaite ? J’ai beau y penser, je ne trouve personne qui pourrait m’accompagner, sauf peut-être Ella, ma sœur. C’est une journaliste à la pige qui pourrait peut-être profiter de ce voyage pour écrire un article sur l’Égypte. Mais elle et moi ne nous sommes jamais bien entendus. Même si elle écrit, elle aussi, ses intérêts sont fondamentalement éloignés des miens ; elle ne s’intéresse qu’à l’argent et à la politique depuis toujours. Moi, ces deux sujets m’ennuient. Je ne doute pas qu’elle ferait ce « sacrifice » malgré tout pour son frérot endeuillé, mais je ne veux pas lui imposer ça.

    ─ Non. Je n’ai aucune idée de qui pourrait me suivre maintenant. Pourquoi pas vous ? demandé-je en rougissant.

    Je crois voir un petit sourire amusé avant qu’elle détourne la tête.

    ─ Ce ne serait pas ét…

    ─ Pas éthique, je sais, je sais, la coupé-je.

    Je me lève, en colère, prêt à partir même s’il reste bien vingt minutes à notre séance d’une heure. Puis j’ai une idée. C’est risqué. J’ai tout à perdre… ou à gagner.

    ─ Ne faites pas l’enfant, Thierry. Rassoyez-vous.

    Je ne sors pas, mais ne me rassois pas non plus. Je vais m’agenouiller devant elle, bras joints au dos, regard baissé, mais souriant.

    ─ Je romps aujourd’hui ma relation thérapeute/client avec vous. Et je vous demande humblement de m’accepter comme votre soumis.

    Elle reste silencieuse et immobile si longtemps que je suis tenté de lever les yeux pour voir si elle n’est pas morte sur place sous le choc de ma requête. Puis je sens ses doigts caresser doucement mes cheveux et ma joue gauche. Je ne saurais dire ce que cette sensation fait naître en moi, sauf qu’elle pose un baume lénifiant sur mes blessures. Je retiens mon souffle en attendant sa réponse.

    ─ Vous ne pensez pas vraiment ce que vous dites, Thierry. Vous êtes seulement sous le coup d’un transfert psychologique. Ça arrive plus souvent qu’on ne croit.

    ─ Non. Vous êtes une dominatrice compétente, j’en suis certain. Vous êtes une femme très belle et intelligente. Quel soumis ne vous désirerait pas ?

    Elle se lève et marche de long en large derrière moi.

    ─ Tu ne me connais pas. Tu ignores complètement de quoi je suis capable. Compétente, tu dis ? Oui, mais pour faire quoi ? Pour exiger quoi ? Je sais tout de toi, et toi, rien de moi.

    C’est vrai. Elle a totalement raison. Je ne peux pas la contredire. Mais elle vient de me tutoyer ! La caresse et le tutoiement sont déjà bien plus que ce qu’elle s’était permis jusqu’ici, plus que ce que j’ai osé espérer d’elle depuis le début de notre relation.

    ─ Je ne demande pas mieux qu’apprendre à bien vous connaître, Maîtresse, murmuré-je d’une voix tremblotante.

    ─ Sortez ! La séance est terminée.

    Elle semble essoufflée, comme si elle avait couru trop longtemps. Je ne sais pas qu’en conclure. Mais je veux lui prouver que je suis un bon soumis, docile, désireux de plaire à sa nouvelle dominatrice, alors je me lève et me dirige vers la sortie.

    ─ Thierry…

    Je la regarde en serrant les lèvres pour retenir le gémissement qui cherche à s’échapper de ma gorge.

    ─ Oui, Madame, réussis-je, ô si difficilement !, à répondre.

    ─ Je vais y réfléchir, murmure-t-elle.

    J’en reste figé, la bouche ouverte, sur le pas de la porte.

    ─ Merci ! soufflé-je.

    ─ Je ne promets rien.

    Je hoche la tête. J’ai envie de me jeter à ses pieds pour les embrasser et lui dire que ma vie lui appartient désormais et à jamais. Mais je suis certain qu’un tel élan dramatique n’aura pas l’effet escompté. Alors, je sors sans rien faire ni rien ajouter.

    Chapitre 3

    Je me tiens devant l’urne funéraire de Frédéric depuis une bonne heure.

    ─ Est-ce que je fais bien ? Est-ce que ce n’est pas comme si je vous trompais, Maître ?

    J’aimerais avoir son avis, savoir ce que Frédéric penserait de mon désir pour Maîtresse Renard, de ma volonté d’aller de l’avant. Il était si lucide ! Il pouvait examiner froidement les moindres recoins de nos consciences, de nos sentiments et de nos désirs. Il m’arrivait de le comparer à Spock, le personnage vulcain de la série Star Trek, ce qui l’amusait. Mais je pouvais toujours compter sur lui pour obtenir un jugement froid et impartial sur n’importe quel sujet. Je trouvais rassurant ce côté de sa personnalité, même si parfois, il m’arrivait d’avoir envie de le secouer pour transformer ses étincelles d’émotion en brasier.

    « Maîtresse Renard »… Ça sonne drôle quand même. C’est comme un conte de Lafontaine. Je pouffe de rire. Tout seul. Je ris à en pleurer et à ne plus pouvoir m’arrêter. Oserais-je dire à mon ex-psy que son patronyme m’amuse ? Peut-être. Ce serait un bon test de son sens de l’humour, non ?

    Le téléphone sonne, je sursaute.

    ─ Thierry ?

    C’est elle !

    ─ Oui, Maîtresse.

    ─ Ne m’appelez pas comme ça, dit-elle doucement.

    Doucement, mais le vouvoiement n’augure quand même pas grand-chose de bon. J’ai presque envie de raccrocher pour ne pas entendre la suite et ne pas souffrir davantage.

    ─ Comment dois-je vous appeler alors ?

    Elle reste silencieuse un moment.

    ─ J’ai réfléchi et je crois qu’il vaut mieux ne pas entreprendre de relation de Domination/soumission ou autre avec vous.

    Elle m’aurait donné un coup de genou au ventre, je n’aurais pas pu avoir plus mal ni manquer plus de souffle.

    ─ Mais… pourquoi ?

    ─ J’ai déjà commencé à voir un autre jeune soumis. Je l’ai rencontré peu avant votre première consultation auprès de moi. Je n’étais pas certaine que ça irait avec lui. Son attitude rebelle à notre première séance m’avait amenée à douter de sa nature soumise. C’est pour ça que j’ai hésité quand vous m’avez demandé de devenir votre dominatrice. Mais je l’ai revu depuis et il s’est beaucoup mieux comporté ; alors je vais continuer avec lui. De toute manière, ce serait mal de vous faire attendre plus longtemps en vous donnant l’espoir d’obtenir quelque chose qui ne se réalisera peut-être jamais.

    Je raccroche sans la saluer, parce qu’un sanglot est resté coincé dans ma gorge et que je ne veux pas qu’elle m’entende beugler comme un veau qu’on égorge.

    Elle rappelle et rappelle. Comme je ne réponds pas, elle me laisse un message vocal et m’envoie un email. Je lui avais donné mon adresse de courriel au cas où elle aurait quelque chose à me dire

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