Mort à Drygulch
Par Eldridge James
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Mort à Drygulch - Eldridge James
1
I l faisait sombre et il pleuvait. Billy Joe Ford, assis sur le trottoir de bois devant le saloon, regardait la pluie métamorphoser la terre du chemin en boue. Il songeait à se mettre à l’abri. Il pensait que les grosses bottes de foin, amoncelées dans une écurie au bout de la rue, pourraient lui faire un lit chaud pour la nuit. Mais, s’il se rendait là-bas, comment son père pourrait-il le retrouver lorsqu’il sortirait du saloon ?
Billy Joe se leva pour regarder par la fenêtre ce qui se passait à l’intérieur du saloon. Son père, John Ford, attablé, jouait aux cartes avec quatre autres hommes, que Billy Joe croyait être des cow-boys. Des billets de banque étaient empilés sur la table. Cependant, il y en avait très peu devant son père. Généralement, lorsque John Ford jouait aux cartes, il perdait ou trichait. Quand il perdait, il se soûlait et battait Billy Joe. Quand il gagnait parce qu’il avait triché, il se soûlait aussi, mais ne le battait pas. En fait, il ne s’en prenait pas à Billy Joe à ce moment-là. Habituellement, il s’en allait trouver une femme, qui lui volait son argent alors qu’il était encore ivre mort. Lorsque, à son réveil, John Ford s’apercevait qu’il s’était fait voler, il s’en prenait alors à Billy Joe. C’était à ce moment-là, du moins, qu’il tentait de le battre parce que, le plus souvent, il était encore tellement soûl qu’il peinait à l’atteindre de ses coups. C’était une vie difficile, mais elle aurait pu être pire encore. Un garçon comme Billy Joe pouvait être condamné à travailler dans une mine ou dans un champ de coton. Toutefois, son père et lui allaient de ville en ville : John Ford jouait aux cartes pour gagner de l’argent ; Billy Joe mendiait et volait. C’était un travail. Selon son père, c'était le seul emploi que Billy Joe pourrait avoir dans ce pays.
— C’est le prix à payer pour être moitié indien, moitié irlandais, lui avait dit son père. Si tu me ressemblais et que, par le fait même, tu ressemblais à un Irlandais, tout se passerait bien pour toi. Le problème, c’est que tu ressembles trop aux Comanches, la famille de ta mère. D’une part, tu ressembles trop à un Indien pour que les Blancs te fassent confiance ; d’autre part, tu ressembles trop à un Blanc pour que les Indiens te fassent confiance. Crois-moi, Billy Joe, être métis comme tu l’es ne t’apportera que des ennuis.
Et des problèmes, c’est tout ce que Billy Joe avait connu au cours de ses 11 années d’existence. La majorité d’entre eux avaient été causés par son père, qui les entraînait dans des situations difficiles : il trichait aux cartes pour gagner de l’argent ; il buvait trop d’alcool ; il se bagarrait ; il approchait de trop près les femmes des autres.
Regardant encore par la fenêtre du saloon, Billy Joe vit tout à coup son père jeter une carte sur la table, sourire, se pencher vers l’avant et poser les mains sur la pile de billets de banque empilés au centre de la table.
Comme John Ford tirait l’argent vers lui, un des quatre autres joueurs lui agrippa soudainement un bras et le tordit de sorte qu’une carte tomba de la manche de la chemise de John Ford et atterrit sur la table.
Le père de Billy Joe prit un air choqué. Il s’apprêta à dégainer son arme, mais il ne put la saisir. Pendant ce temps, l’homme qui lui avait empoigné le bras sortit un pistolet et lui tira deux fois dans la poitrine. Billy Joe entendit les coups de feu à travers les murs épais du saloon. Il vit alors son père s’écraser contre le dos de sa chaise et tomber à la renverse, sur le sol. Il resta étendu là. Rapidement, du sang traversa sa chemise, ses bras se balancèrent dans le vide et ses yeux grands ouverts exprimèrent l’état de choc dans lequel il se trouvait. Il avait les yeux maintenant rivés sur son garçon.
Billy Joe se redressa. Il était maintenant tétanisé, en état de choc lui aussi. Il lui sembla que son cœur avait cessé de battre et qu’il ne parvenait plus à respirer. Son père était mort ! Il avait été abattu de coups de feu juste devant ses yeux.
Soudainement, Billy Joe s’aperçut que le cow-boy braquait son fusil droit sur lui.
Il se jeta sur le côté juste à temps. Il y eut d’abord le coup de feu ; puis, le vacarme du fracas de la vitre à l’endroit exact où se trouvait sa tête avant qu’il ne se déplace.
Des cris et des hurlements provenaient à la fois de l’intérieur et de l’extérieur du saloon. Billy Joe, lui, avait déjà pris ses jambes à son cou. La peur et la panique lui donnèrent l’énergie dont il avait besoin pour accélérer sa course. Un coup de feu retentit derrière lui, et des copeaux du trottoir de bois voletèrent jusqu’à ses pieds. Il lui fallait descendre du trottoir de bois mais, s’il courait dans la rue, la boue le ralentirait certainement. Le tireur aurait alors tout le loisir de l’abattre.
Il y eut un autre coup de feu. Billy Joe sentit la balle déchirer la manche de sa veste. La prochaine serait fatale !
Il atteignit l’extrémité du trottoir de bois et sauta sur le sol. Il tenta de se déplacer vers la gauche, en direction d’une ruelle obscure. Toutefois, la boue se collant à ses bottes le retenait, ce qui l’empêchait de courir. Un moment plus tard, il sentit un coup dans le dos ; puis, il se trouva le visage contre le sol.
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B illy Joe fut traîné dans la boue et, avant qu’il ne se rende compte de ce qui se passait, il se retrouva sous le trottoir de bois. Il sentit la pression d’une main sur sa bouche pour l’empêcher de crier.
— Ne bouge pas ! lui murmura quelqu’un d’un ton expéditif.
Le trottoir de bois vibra sous les pas d’hommes qui couraient au-dessus d’eux. Les hommes s’avancèrent plus près et s’arrêtèrent juste au-dessus de leur tête. Quelqu’un se mit à parler.
— Oublie ça, Boone. Ce n’est qu’un gamin.
— Il était avec ce bon à rien de tricheur, lui répondit sèchement Boone. C’est peut-être son gosse ou un de ses parents. Je veux simplement m’assurer qu’il ne vienne pas me tirer dans le dos plus tard.
— Pourquoi ferait-il cela ? lui demanda un autre homme.
— Pour se venger, lui répondit Boone d’un ton lugubre. C’est ce que j’ai fait à l’homme qui a tué mon père. Personne n’est jamais trop jeune pour tuer quelqu’un.
— Ce gamin ne semble pas être le genre de personne capable de tuer qui que ce soit.
— Tout le monde est capable de tuer quelqu’un. Souviens-toi de cela.
La brutalité avec laquelle Boone prononça ces dernières paroles donna froid dans le dos à Billy Joe. Je ne suis pas le genre de personne capable de tuer quelqu’un, pas plus que mon père ne l’était ! voulut-il crier. Cependant, la main posée sur sa bouche ainsi que la peur l’en empêchèrent.
— Quoi qu’il en soit, il me semble que nous ayons perdu sa trace depuis un certain temps, affirma un autre homme.
Un silence suivit ; puis, Boone poussa un grondement.
— Il est quelque part par ici. Je peux le sentir, dit-il d’une voix déterminée et lugubre.
À ces mots, Billy Joe devint de plus en plus nerveux.
Le silence qui suivit lui parut durer une éternité ; finalement, Boone cracha dans la rue.
— D’accord, grommela-t-il. Nous allons le laisser tranquille pour l’instant. Mais je saurai le reconnaître. Lorsque je le reverrai, je le tuerai.
Puis, des pas de bottes qui s’éloignaient se firent entendre. La pression de la main exercée sur la bouche de Billy Joe s’atténua. Comme ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité, Billy Joe put voir qui était à ses côtés. Il s’agissait d’un garçon à peine plus âgé que lui.
— Qui... ? commença Billy Joe.
Du coup, le garçon le fit taire en posant un doigt sur ses lèvres.
Ils se tinrent là, dans la boue, sous le trottoir de bois, pour ce qui leur sembla des lustres ; puis, le compagnon de Billy Joe s’adressa à lui :
— OK. Suis-moi.
Le garçon s’extirpa de sous le trottoir de bois et se dirigea vers la ruelle sombre perpendiculaire à la rue principale. Billy Joe vit que le garçon avait à peu près une tête de plus que lui. Le grand garçon s’arrêta ; Billy Joe fit de même. Dans la ruelle, ils pataugèrent dans la boue et tournèrent à droite à la fin de la ruelle. La pluie avait cessé.
Billy Joe suivit l’autre garçon à l’aveuglette. Il avait la tête qui tournait. Son père était mort. Désormais, il était seul au monde… ou presque. Peu importe de qui il s’agissait, il y avait ce garçon qui lui avait sauvé la vie. Où l’emmenait-il ?
Ils empruntèrent une ruelle sombre, dans laquelle il n’y avait que quelques maisons abandonnées. Une lueur provenait de l’une d’entre elles. Le grand garçon se dirigea vers cette maison, ouvrit la porte et fit signe à Billy Joe d’y entrer avec lui.
— Bienvenue au refuge, lui dit-il.
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D es lampes à l’huile éclairaient l’intérieur de la demeure. Comme les yeux de Billy Joe s’adaptaient à cet éclairage, il put apercevoir trois autres garçons dans cette cabane qui ne comptait qu’une seule pièce. Ils se levèrent en regardant Billy Joe avec méfiance.
— C’est un orphelin, leur annonça le grand garçon. Je l’ai trouvé dans la rue. Un type le poursuivait pour le tuer.
— Il est le fils du joueur de cartes ? demanda l’un des garçons.
— Oui, lui répondit le grand garçon, en se tournant vers Billy Joe. Peut-être serait-ce une bonne idée de se présenter ? Je m’appelle Jess.
Maintenant, les yeux de Billy Joe distinguèrent parfaitement Jess. Grand et mince, ce dernier avait les cheveux noirs jusqu’aux oreilles et séparés au milieu. Il portait un manteau noir ainsi que des bottes et un pantalon foncé. Tous ses vêtements étaient couverts de boue.
Jess présenta les autres garçons à Billy Joe :
— Le plus petit s’appelle Andy. Le grand là-bas, c’est Pete. À côté de lui, c’est Shane. Pete et Shane sont des frères.
Billy Joe hocha la tête en direction des trois garçons.
— Je m’appelle Billy Joe Ford, leur dit-il.
— Salut, B-B-Billy Joe, bégaya Shane, en affichant un sourire amical.
Son frère aîné, Pete, ne dit rien. Il ne s’en tint qu’à regarder Billy Joe avec méfiance. Pete semblait avoir environ le même âge que Billy Joe, mais il était plus mince que lui. Ses vêtements pendaient sur lui comme s’ils avaient été destinés à l’origine à quelqu’un de beaucoup plus corpulent que lui. Ils avaient été raccommodés au moyen de morceaux de tissus de différentes couleurs.
Des deux frères, Shane semblait le plus amical. Il était trapu et plus petit que Pete. Ses larges épaules musclées remplissaient sa veste de daim brun clair. Billy Joe présumait que cet enfant avait environ neuf ans. Il avait remarqué que son nez déviait d’un côté, comme si un coup de pied ou un coup de poing au visage l’avait gravement cassé. Pete, son frère, avait une cicatrice sur un côté du visage. Ces deux garçons avaient évidemment vécu les mêmes problèmes.
— Que s’est-il passé ? demanda Andy avec empressement. Vous êtes tout couverts de boue !
Andy regarda Billy Joe. Il était très petit ; il devait avoir tout au plus six ans. Il portait une salopette bleue, certainement destinée à quelqu’un de beaucoup plus grand que lui ; elle avait été retouchée à la taille. Les poignets de sa chemise étaient élimés, et la salopette avait été attachée autour de sa taille avec une corde pour l’empêcher de tomber.
— Le père de Billy Joe s’est fait tuer, leur