L'île Mystérieuse de Simon Zacarías
Par Michel Paret
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À propos de ce livre électronique
Le récit de la vie de Simon Zacarias est particulièrement extraordinaire. Il s'agit d'un jeune anversois épris d'aventure, fils d'un négociant séfardite expulsé d'Espagne, qui s'enrôle sur un navire flibustier. Après de nombreuses péripéties, ce navire finit par faire naufrage, en 1616, sur les bancs d'une île inconnue qui ne figurait pas sur les cartes de navigation (dans le golfe du Honduras). En explorant cette île, les naufragés ont la très grande surprise d'y découvrir le fabuleux trésor d'un galion espagnol (le San Roque, capitane de la flotte de Tierra Firme, naufragé en septembre 1604), transporté à cet endroit par les rescapés). De retour sur la terre ferme, il tente avec l'aide des Espagnols de retrouver l'île Mystérieuse, celle du trésor. Toutes les tentatives se sont soldées par des échecs : pendant quatre ans, aux tempêtes répétitives (parfois par manque de chance, à la suite d'une modification de la date de départ) et aux naufrages se sont ajoutées des attaques indiennes et des poursuites en mer par des pirates. En 1623, Simon Zacarias finit sa vie, de manière misérable, dans une prison à Santiago de Guatemala, sans avoir jamais remis les pieds sur l'île Mystérieuse. Il a sans doute disparu lors de l'éruption du volcan du Fuego qui a détruit la ville. Quant au trésor, qui serait sur l'île de la petite Swan (Swan Island, Isla del Cisne), aucun document d'archive n'en a jamais mentionné la découverte.
Michel Paret
L'auteur, un Parisien né de mère espagnole, originaire de Cantabrie, et de père français, vit actuellement dans la région de Séville, au sud-ouest de l'Espagne. Né en 1938, il traverse la seconde guerre mondiale et celle d'Algérie à laquelle il participe. Devenu scaphandrier des travaux publics, plongeur offshore et spécialiste des explosifs chimiques sous-marins, il laisse cette carrière professionnelle pour collaborer à la recherche d'une épave sur le Banc d'Argent, au nord de la République Dominicaine. Cela l'a conduit à s'installer une quinzaine d'années dans les Antillles, à Saint-Barthélémy, puis il revient en Europe pour vivre en Andalousie, à Sévillle et dans sa province. Il fait de nombreuses recherches documentaires à l'Archivo General de Indias (et autres archives) et participe à un certain nombre d'expéditions en Amérique (Saint-Domingue et autres îles caraïbes, Colombie, Équateur, Pérou) et dans l'océan Indien (Bassas de India, île Maurice et les îles Rodrigues) et aussi aux Canaries.
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Aperçu du livre
L'île Mystérieuse de Simon Zacarías - Michel Paret
L'île Mystérieuse de Simon Zacarías
L'île Mystérieuse de Simon Zacarías
Livre I Chapitre I 1943
Chapitre II 1958
Chapitre III 1968
Chapitre IV 1982
Chapitre V 1985
Chapitre VI 1986
Chapitre VII 1987
Chapitre VIII Avril 1988
Chapitre IX Septembre 1988
Chapitre X Octobre 1988
Chapitre XI Février 1989
Chapitre XII Juin 1989
Chapitre XIII 1990
Chapitre XIV 1996
Chapitre XV 1997
Chapitre XVI 1998
Chapitre XVII 2000
LIVRE II Chapitre XVIII 1621
Chapitre XIX 1605
Chapitre XX 1616
Chapitre XXI 1620
Chapitre XXII 1623
Chapitre XXIII 1685
Page de copyright
L'île Mystérieuse de Simon Zacarías
Du même auteur : Découvreur de Trésors, publié en 2013 aux Éditions du Trésor
La seconde partie du livre, consacrée à l’île Mystérieuse de Simón Zacarías, s’appuie sur une recherche documentaire réalisée à Séville à l’Archivo General de Indias dans les fonds suivants : Guatemala 12-13-14-65-302-395 ; Contratación 2977-4920 ; Indiferente General 749-1122-1528-1859 ; Santo Domingo 129 ; Contaduría 348.
DISEÑO DE UNA ISLA, DESCONOCIDA, DONDE SIMON ZACARIAS DEJO ENTERRADO UN TESORO (DESSIN D’UNE ILE, INCONNUE OÙ SIMON ZACARIAS LAISSA ENTERRÉ UN TRÉSOR). DOCUMENT SIGNÉ DE LA MAIN DE ZACHARIAS
. ARCHIVO GENERAL DE INDIAS, MP-GUATEMALA
À la mémoire de mes copains
de Joyeuses Galères
Livre I Chapitre I 1943
C’était durant l’été 1943 à Paris. Nous commencions à recevoir les premières bombes alliées. Des rideaux noirs étaient plaqués à la fenêtre en même temps que les ampoules électriques étaient éteintes. Nous courrions aux caves où tout le monde se jetait à corps perdu sans la moindre pudeur pour atterrir dans la salle des chaudières. Curieusement, cela me faisait rigoler. Je n'ai jamais supporté la peur incontrôlable des foules et surtout l'impression de se sentir pris au piège.
Ma mère, Maria Luz Val y Moro, était Cantabre de la province de Santander et était originaire d’une jolie petite ville de la côte nommée Comillas. Je suis né à Paris mais suis allé en Espagne la première fois à 14 mois, j'y retournais à l'âge de 9 ans, traversant le pays en trains archaïques dans des wagons dont les banquettes étaient en bois et dans lesquels on voyait aussi bien monter un voyageur avec un poulet vivant que des caisses ou des colis de tous poils.
Les passagers partageaient entre eux ou offraient aux plus démunis leurs modestes repas. La vie était rude à l’époque, l’Espagne après la Guerre Civile avait surtout faim.
« Que hambre hemos pasado » (qu’est-ce qu’on a eu faim !).
Je l’ai entendu par la suite, tellement de fois que cela m'en faisait mal au cœur. Le pays entier était un champ de bataille, maisons éventrées par les bombes, trous dans les murs, toits brûlés, églises et couvents saccagés, monuments dégradés, enfin on sentait que la Guerre Civile était encore toute fraîche.
COMILLAS, SON PORT ET SA PLAGE SUR LA CÔTE DE CANTABRIE
Il y avait aussi une quantité d’estropiés en tous genres, des malformations dues à la malnutrition surtout chez les jeunes et les bébés, le lait même était rationné. Il y avait aussi beaucoup de mendiants, encore plus affamés que les autres, humanité jetée à la rue en héritage de ces années horribles pour l’Espagne.
Je me souviens de ce faux aveugle devant l'église avec son carton sur la poitrine qui annonçait « ciego de la vista » (aveugle de la vue). Il portait sur le nez d'épaisses lunettes noires, mais, par les côtés, je pouvais observer ses yeux malicieux qui surveillaient les paroissiens. Il n’en recueillait pas moins ses piécettes de monnaie.
Je suis retourné régulièrement à Comillas avec ma famille après mes dix ans. Ma mère donnait alors des leçons privées de castillan à la femme du chef de cabinet du Ministre de l’Intérieur et, grâce à elle, nous pouvions franchir la Frontière espagnole qui était pratiquement fermée à l’époque.
Je me souviens d'avoir été, avec ma sœur, obligés de jouer les sourds-muets à Bilbao dans une pension où nous faisions étape.
Dans la salle à manger nous étions muets comme des carpes et les voyageurs demandaient à ma mère quelle était la raison de ce silence.
Nous devions faire extrêmement attention à ne pas tomber dans le piège d'avoir entendu la conversation et d'ouvrir nos becs. L'ambiance était plutôt tendue au Pays Basque. Les derniers combats de la Guerre Civile n'étaient pas loin et le sentiment anti-espagnol était toujours cuisant.
Mon grand père était surnommé « abuelito ». Petit Castillan sec, les marques du temps burinaient et ornaient sa figure. Il avait eu huit enfants dont deux étaient morts pour causes de guerre civile. L’une était morte de dénutrition et de mauvais soins, l’autre, Luis, un lieutenant chez les nationalistes, avait été tué sur le front de l’Èbre et était enterré au « Valle de los Caídos ». Son frère Carlos, lieutenant chez les Républicains, avait été fait prisonnier lors de la prise d’Ibiza par les troupes de Franco.
La ville avait été prise aux Républicains au prix de lourdes pertes dans les deux camps. Les mitrailleuses lourdes balayaient les rues étroites de la haute ville et les corps des Nationaux s'empilaient par endroits. En temps qu'officier Républicain il échappa de justesse à une exécution sommaire et fut jeté en prison. Il aurait été fusillé si mon grand père n’était allé à Madrid en autobus demander sa grâce tout en expliquant qu’il avait déjà perdu un fils pour la cause nationaliste.
Après huit ans de prison, le tío Carlos en était sorti démoli physiquement et traînait sa grande carcasse avec courage et dignité dans l’atelier de mon grand père. J’aimais beaucoup l’oncle Carlos.
Il y avait aussi l’oncle Fernando, le peintre bohème, que j’avais entraperçu une fois à Bilbao le calot militaire enfoncé jusqu’aux oreilles. Motif, il était rentré bourré à la caserne et sortait de la prison militaire rasé comme un œuf et honteux de son manque de plumage. Il est Brésilien depuis longtemps maintenant.
Dans les premières années où je suis allé à Comillas, je me souviens de ce vieux cinéma dans un hangar couvert de tôles ondulées où les bancs étaient en bois et où l’on nous projetait des films triés sur le volet par l’autorité civile aussi bien que religieuse. C’était mon grand père qui était dans la cabine. Les films étaient donc censurés ville après ville ; une tentative d’approche entre deux artistes au cours d’une scène, était immédiatement censurée à grand renfort de ciseaux et de papier collant. Le résultat était bien sûr qu’il en sortait un film entrecoupé en permanence, en même temps qu’il était accompagné de « Hooooooh » puis de « Haaaaaaa », quand le cours du film reprenait pour un temps, sans interruptions.
Plus tard, un de ses anciens jeunes employés, qui avait fait fortune aux Philippines dans la contrebande de tabac et de soie, fit construire un véritable cinéma, avec balcons et grande scène de théâtre incluse, et en confia la responsabilité à son ancien patron. J’étais plus souvent dans la cabine que dans la salle, en fait j’adorais être un peu partout dans ce cinéma, c’était un peu mon monde magique, je pouvais m’y livrer à toutes sortes de polissonnades.
Soit, c'était mon grand père, soit c’était mon oncle Carlos qui se relayaient dans la cabine pour la maintenance de la vieille machine et pour les changements de bobine. J’étais chez moi. Je regardais les films par une petite ouverture découpée à gauche de la fenêtre du projecteur, grimpé sur plusieurs briques.
Une fois, un des fils de pêcheurs avec lesquels j'étais acoquiné, avait pu, d’une manière experte, capturer quelques puces dans l’église qui était un lieu de concentration de l’espèce, et les ayant introduit dans une petite fiole en verre bien bouchée, fit jeûner les bestiaux pendant 24 heures dans leur prison.
Le lendemain nous étions plusieurs au bord du balcon pour observer les effets produits par la fiole débouchée, suspendue à une cordelette que l’artiste descendait lentement sur le public plongé dans la pénombre, afin de déposer le cadeau au beau milieu de l’assistance. Le résultat avait dépassé nos espérances !
Les occasions de s'amuser étaient limitées aussi nous n'en loupions pas une.
Chaque année, il y avait la fête de la ville avec ses modestes distractions.
Il y avait un étalage de figues munies chacune d'un crochet. Le but était de les pêcher et d'en obtenir un cadeau. Au bout de quelques figues pêchées, l’organisateur de la pêche faisait cadeau d'un objet merdique de fort basse qualité. Dès qu'il allait chercher le cadeau, des mains avides plongeaient dans les figues tandis qu'il tournait le dos.
Un jour fatigué de ce petit jeu et de cette fauche organisée, il trouva une parade hautement scatologique. Il étala donc sur le fond une épaisse couche de bouse de vache qu'il camoufla avec les figues en surface. Ce jour-là, au premier cadeau, il tourna le dos plus que de coutume tandis que les fouilleurs clandestins sortaient leurs mains empuanties de ce cadeau.
Fines distractions !
Il restait encore, quand j’eus l’âge de le comprendre, de petits groupes de Républicains qui ne s’étaient pas rendus. Dans les environs de Comillas sévissait le nommé « Juanito el bandolero » et sa bande ; certains les appelaient les « maquis » d’autres les « rouges » suivant les sympathies politiques, bien qu’il eut été dangereux de marquer ostensiblement sa préférence pour le côté perdant sous peine de très graves ennuis.
Trois mille Guardias Civiles surnommés les « Gris », craints comme la peste, étaient affectés à la région pour les capturer morts ou vifs .
Juanito avait gardé des amitiés qui l’aidaient à se cacher, à se nourrir si bien que cela durait depuis des années. Je crois qu’il arriva à échapper au Régime une dizaine d’année, après avoir ridiculisé de nombreuses fois les Guardias Civiles. Par exemple, il fit courir la rumeur qu’ils allaient attaquer une bijouterie située dans une ville voisine, Torrelavega. De source sûre !
En réalité, il en attaquait une autre, à San Vicente de la Barquera dans une zone totalement différente de celle annoncée.
Bien sûr, les Guardias Civiles avaient monté une énorme embuscade pour n’y attraper surtout qu’un bon rhume. En 1947, ils finirent par les coincer dans un hameau nommé Ruiloba à 3 km de Comillas où ils furent tous tués.
Il n’y eut pas de prisonniers et nous vîmes passer un camion débâché, la ridelle arrière baissée; il roulait lentement pour que tout le monde puisse voir l’amoncellement de cadavres des guérilleros gisant en vrac sur le plateau arrière du camion, truffés de plomb. Une traînée sanglante accompagnait sa marche funèbre.
Mon grand père espagnol m’emmena une fois en 1947 à la Plaza de Toros de Santander. Il y avait ce jour-là un mano a mano entre Manolete et Carlos Arruza.
Le spectacle bariolé, la musique et le spectacle dans l'arène m'avaient ébloui.
C'était l’avant-dernière Corrida de Manolete. Un taureau de la Ganadería de Miura nommé Avispado devait le blesser mortellement dans la Place de Linares, près de Córdoba, le 28 août 1947.
Au retour en train, en arrivant en gare de Bilbao, nous aperçûmes des gens en larmes sur le quai, et, par ma mère, nous apprîmes que l’idole nationale de l’époque venait de mourir dans la nuit suivant sa corrida tragique. C’était le 29 août 1947.
LE TORERO MANOLETE, BLESSÉ À MORT, EST TRANSPORTÉ DANS L’ARÈNE DE LA PLACE DE TAUREAUX DE LINARES, DANS LA SOIRÉE DU 28-08-1947. Photo Paco Cano
Évidemment, le seul moyen d’information était la radio et l’Espagne écoutait beaucoup la radio, surtout le football. La mort de Manolete s’était répandue comme une traînée de poudre par la voie des ondes.
La maison de famille à Comillas se trouvait sur la place du Page del Corro voisine par un côté de l’ancien relais des Postes, vieux Parador en pierres taillées, aux grilles en fer forgé anciennes et portes de bois en chêne, épaisses et cloutées.
La maison seigneuriale d’en face portait à la droite de la porte massive un blason en pierre de belle dimension et les maisons qui fermaient la place avaient aussi leur charme suranné .La place avait relativement eu de la chance, seules quelques balles avaient creusées de petits cratères dans les pierres du Parador.
Par contre, très près derrière de la maison, se trouvait ce qui restait de la caserne de la Guardia Civil, seuls des pans de murs noircis étaient les témoins crus de la guerre. Au milieu de cette ruine, nous allions jouer au ballon avec les amis du pueblo, dépenaillés, mais fiers comme l’est tout ce peuple.
Nous nous sentions, ma sœur et moi, comme de petits martiens débarquant dans ce village avec des vêtements en bon état et venant d’un monde en récupération de sa propre deuxième Guerre mondiale mais qui était déjà en train de fonctionner, ce qui n’était pas le cas en Espagne où on manquait de tout.
Cela ne nous empêchait pas de faire quelques conneries comme, par exemple, attendre que le drapeau rouge d’interdiction de baignade soit hissé sur le mât qui était monté sur le toit de la garde civile dans leur nouvelle caserne du bord de mer.
Munis de bouts de planches pourries des vieilles barcasses abandonnées au fond du port, nous allions chercher les rouleaux des vagues, plonger à leurs pieds et ressortir derrière en attendant celle qui nous porterait sur son dos jusqu’au bord de plage, grâce à nos vieux bouts de bois.
Au beau milieu de la plage, calée contre le mur de la promenade, il y avait un grand pavillon en bois dont les planches des côtés extérieurs étaient peintes de blanc et de bleu alternativement. C’était l’ancienne cabine de bain du Roi Alphonse XIII qui venait alors sur recommandation médicale, prendre des bains de mer à Comillas.
COMME À COMILLAS, UNE CABINE DE BAIN TIRÉE PAR DES BŒUFS SUR LA PLAGE DE SAN SEBASTIÁN / DONOSTIA. Coll. Loïc Ménanteau
Les bains du roi étaient méticuleusement organisés. Il se dévêtait d’abord dans le pavillon, puis de là embarquait dans un char à roue remorqué par deux percherons.
Le char était bien sûr préparé pour sa royale visite ; son intérieur était aménagé pour s’asseoir confortablement à plusieurs, et, à l'avant de la cabine, il y avait un escalier large qui s’abattait pendant que se dépliaient deux panneaux latéraux destinés à préserver le roi des vues indiscrètes.
Les percherons tiraient le chariot-cabine jusqu’au niveau des essieux de roues dans un mètre d’eau. On les dételait et les ramenaient sur la plage et c'est alors que la porte était ouverte par le domestique personnel du Roi et celui-ci et sa famille pouvaient descendre l’escalier pour prendre leur bain.
Il en restait ce souvenir du passé que nous utilisions pour nous déshabiller, ma sœur Marie-Jeanne et moi, et enfiler nos maillots de bain style 1900, les seuls acceptés sur les plages espagnoles de l’époque. Les filles avaient en plus du maillot à manches courtes en une pièce, une jupe à mi cuisse, faisant partie du maillot. Les garçons avaient droit au maillot de cycliste « Tour de France 1903 », caleçons inclus.
Malgré tous ces retards par rapport au monde que je connaissais, j’étais profondément attiré par cette ambiance magique et cruelle de la mer au bord de laquelle nous vivions l’été.
La mer Cantabrique est aussi dure ou presque que les côtes de Galice ou celles du Pays Basque ; les tempêtes sont responsables de pas mal de petites croix dans le cimetière de la ville de Comillas.
Même les vieux pêcheurs assis sur leurs petits bancs de bois qui guettaient le retour des bateaux de pêche tout en haut de la colline m’intriguaient.
À quoi pensaient-ils durant de si longues heures à attendre pratiquement en silence, comme s’ils avaient déjà les réponses. C’est de ce petit village que m’est venue la passion pour l’histoire ou les histoires de la mer.
En 1950, j'avais voyagé avec ma famille jusqu'à Séville. En fait, c'était la première fois que je découvrais la ville, de plus sous un soleil de plomb.
Nous étions logés dans un hôtel proche de la cathédrale, l'hôtel Simon avec son patio en colonnes de marbre et ses vieux ventilateurs au plafond.
L'époque n'était pas franchement adéquate pour le caractère des Sévillans qui ont toujours été les gens les plus festifs que j'ai pu rencontrer dans ma vie.
Un jour que nous baguenaudions dans les environs de la cathédrale, j'aperçus un curieux convoi en formation. Un grand « paso » (plate forme destinée à porter les vierges et autres Christs variés durant la semaine sainte, portée par des pénitents) ouvrait la marche.
Les costaleros (porteurs des pasos) suivaient avec leur turban enroulé sur la tête qui tombait sur la nuque pour leur rendre le contact du bois moins pénible. Il y avait enfin un régiment de costaleros qui suivaient le paso.
Sur le dit paso trônait un piano à queue.
Le motif de toute cette réunion était le cadeau d'un piano donné par une vieille marquise du Barrio Santa Cruz à un couvent de religieuses proche du départ de l'expédition.
Je commençais à être grandement étonné d'autant de religiosité quand je vis déboucher sur la place de l'Archevêché deux charriots tirés par des bœufs chargés de grosses barriques de vin. Ils vinrent s'ajouter au convoi, en fin de procession.
Je demandais alors à mes parents de me laisser voir ce spectacle aussi religieux. Je commençais à suivre la foule de pénitents. Tous les cinquante mètres, le maître de cérémonie dit le Capataz tapait sur un marteau fixé au paso en bois massif.
Les costaleros s'arrêtaient alors pile ensemble soulagés de l'étape. À l'ordre suivant, toujours avec le marteau, ils posaient le paso au sol et évacuaient leur lieu de peine. Ils se laissaient alors glisser guillerets sur l'arrière des troupes, là précisément où se trouvaient les barriques.
Pendant que les premiers s'abreuvaient abondamment grâce aux quarts métalliques qu'ils avaient eu la précaution d'emporter, les quarante suivants rejoignaient le purgatoire. Dû au nombre important d’étapes, l'effectif entier put défiler de nombreuses fois aux robinets des tonneaux.
Je commençais à noter des attitudes étranges pour moi chez les porteurs du paso. Le temps passant et la chaleur aidant la procession arriva légèrement en zigzaguant devant le couvent. Les plus valides furent choisis pour porter le piano à la place qui lui avait été attribué par les religieuses. Celles-ci d'ailleurs tiraient des tronches épouvantables au vu de tous ces costaleros suants et avinés.
Le retour se fit grâce aux bœufs qui connaissaient le chemin du retour.
Braves bœufs ! Les tonneaux étaient nettement plus légers avec l'évaporation ambiante mais les chars étaient couverts de pénitents écroulés y compris sur les barriques. Les bœufs réussirent à tirer tout ce souk ambulant jusqu'au point de départ devant la cathédrale. Braves bœufs !
Depuis cette vision de bacchanale inconnue pour moi, j'en gardais une mémoire du Sévillan fêtard quelles que soient les circonstances.
Enfin, ils étaient les dignes descendants des Tartèses déjà connus pour avoir absorbé pacifiquement les différentes cultures qui les avaient envahis.
C'était mon troisième voyage en Espagne.
Mauvais étudiant, viré de tous les pensionnats, y compris de l’un des plus durs d'entre eux, Saint-Nicolas de Buzenval. Tenu par de jeunes jésuites, prestes au coup de pied au cul à la moindre faute fut-elle légère, l’établissement était réputé pour calmer les caractères rebelles.
Nous portions un costume bleu foncé à boutons dorés avec la casquette barré d'un cordon doré.
Grands dortoirs, grands bacs métalliques où coulait l'eau froide tous les matins dans l'obscurité du petit jour. Je ne me souviens pas d'avoir eu de grand copain dans ce monde punitif d'autant plus que mon séjour fut relativement bref.
Le coup de godillot à clous dans nos jeunes arrières trains me rebella rapidement contre cette autorité footballistique.
Je n'étais pas encore aficionado à ce sport ou si peu.
Après une overdose de messes matinales et de Bénédicités, le tout additionné de nombreuses rafales de coup de pompe au train, je décidais de me faire foutre dehors par la grande porte et d'abandonner cet univers sportif. Autrement dit sans aucune contestation possible sur la prolongation de mon séjour.
J’éventrais donc quelques paillasses du dortoir et j'y mis le feu. C'est radical ! Pompiers, scandale et convocation au bureau du directeur où mon père m'attend bien ennuyé de toutes mes conneries. Il assume encore la dernière mais ne sait plus trop où me caser.
J'évolue de collège en collège et finis au Lycée Charlemagne d'où je me fais virer pour avoir lancé des choux-fleurs, des carottes et autres légumes avec mon ami Jean Louis Perret, sur le professeur d'anglais. Comme je suis largement récidiviste dans ce registre, je me retrouve propulsé à l'air libre des rues de Paris.
Je pars alors pour la première fois en Angleterre, au pair, dans une famille vivant dans le Nord de Londres. Je tombe sur une famille allemande vivant en Angleterre depuis la fin de la guerre et qui s'est installée dans les faubourgs de la ville avec ses trois filles.
Précisément, je suis supposé leur faire la conversation en français. Les parents m'ont installé sous les toits dans un genre d'atelier de peintre au milieu duquel trônent un chevalet et des tubes de peinture.
J'y accède au moyen d'un escalier en bois qui se relève. Je ferme la trappe et je suis peinard chez moi. Je me renseigne pour savoir s’il y a un ou une artiste dans la famille. Eh bien non ! C'est moi qui suis supposé être l'artiste. Je ne sais comment ces braves gens ont pu m'imaginer en artiste.
Peut-être parce que je suis venu avec ma trompette.
En effet, je bafouille un peu le jazz. Il y a même des atlas de peinture dans le grenier qui m'attendent et dont je m'inspire. Pas rebuté par la tâche, je barbouille un infâme arlequin sur lequel s'extasie cette sympathique famille. J'en suis assez confus.
Les leçons de français se transforment en leçons de be-bop avant de glisser sur des cours plus privés. Bref, le séjour se déroule bien.
La pression s'accentue tout doucement et je me vois confier des travaux divers qui n'étaient pas prévus au départ. J'y participe malgré tout.
Le pire, c'est la séance de jazz du samedi soir où le piano de la maison, aidée d'une batterie fort bruyante et d'une guitare/casserole, m'oblige à cracher mes poumons dans mon engin cuivré. Tous les samedis c'est donc : « Oh when the saints » et « Basin Street Blues », qui rabâchent les oreilles du quartier.
J'ai l'impression que les voisins font la gueule. Trop de Jazz pourri, c'est trop pour ce quartier tranquille. Les débuts sont donc agréables jusqu'à la date où cette brave famille me demande de nettoyer les bronzes et les cuivres de la maison qui sont fort nombreux, hélas ! Ils adoraient le bronze.
Je m'exécute fort peu enthousiaste quand, après avoir copieusement astiqué, arrive la demande suivante. Cette fois, il me faut tondre le gazon ; Carabistouille ! Je n'ai jamais rien tondu de ma vie et je pense que, si je le tondais court, je serais peinard pour un bout de temps.
Exécution du plan ! Je bricole la tondeuse et la règle au plus court de mes intérêts. C'est vraiment très court et quand le propriétaire rentre de son travail et considère d'un œil incrédule ce qu'il reste de son gazon, je perçois des envies de meurtre dans son regard furibard.
Il se calme néanmoins, pas encore dégoûté de ma collaboration extrêmement radicale et me propose un nouveau travail à