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Si les chrétiens s'enorgueillissent. À propos de la mise en garde de l’apôtre Paul (Rm 11, 20)
Si les chrétiens s'enorgueillissent. À propos de la mise en garde de l’apôtre Paul (Rm 11, 20)
Si les chrétiens s'enorgueillissent. À propos de la mise en garde de l’apôtre Paul (Rm 11, 20)
Livre électronique396 pages5 heures

Si les chrétiens s'enorgueillissent. À propos de la mise en garde de l’apôtre Paul (Rm 11, 20)

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Les deux premières parties de ce livre constituent une anthologie des affres et des conséquences de l’affrontement doctrinal et religieux multiséculaire qui opposa, de manière souvent dramatique, les deux confessions de foi, rivées l’une à l’autre autant que rivales l’une de l’autre.
Intitulée «“Vos frères qui vous haïssent...” la 1ère partie illustre cet état d’esprit par de nombreux extraits de textes antijudaïques, depuis les origines jusqu’au milieu du XXe s., identifiés dans de nombreux manuels d’enseignement religieux des XIXe et XXe siècles, et par une anthologie de propos émis par des papes et par la presse catholique entre 1870 et 1938.
Intitulée «Un “autre regard” : L’Église redécouvre le peuple juif», la 2ème partie retrace et analyse la découverte progressive par les chrétiens, entre 1920 et 1950, de la nature préjudiciable de leur attitude à l’égard du peuple juif ; un examen de conscience qui donna lieu à des rencontres informelles, puis à des tentatives officieuses de nouer des relations positives entre chrétiens et juifs, mais buta sur le «hors de l’Église, pas de salut».
Dans la troisième partie, intitulée «Résistance à l’apostasie», le lecteur découvrira que, loin d’être un brûlot négatif, ce livre veut montrer qu’au travers des lenteurs et des résistances humaines, l’Esprit de Dieu mène irrévocablement à son terme son dessein de salut de tous les hommes, qui passe par la reconstitution de son peuple parvenu à sa plénitude messianique et par la fusion, en son sein, des nations chrétiennes restées fidèles au temps de l’épreuve ultime.
L’auteur souhaite :
– Que les chrétiens découvrent, dans le récit biblique de la séparation entre le royaume d’Israël et celui de Juda (1 R 12), la préfiguration du schisme entre l’Église et le judaïsme.
– Qu’à la lumière des Écritures juives et chrétiennes, ils comprennent que la réunion «des fils de Juda et des fils d’Israël» (Os 2, 2) est le type prophétique de celle des chrétiens et des juifs qui constitueront «l’Israël de Dieu» (Ga 6, 16).
– Qu’ils s’imprègnent de la typologie scripturaire, selon laquelle les «deux bois» (Joseph et Juda) en constituent «un seul» (Ez 37, 19), et que «des deux, [le Christ] a fait un» (Ep 2, 14), «l’un et l’autre» ayant, «en un seul Esprit, libre accès auprès du Père» (v. 18).
– Qu’avec la tradition rabbinique, ils croient que «tout Israël a part au monde à venir» (Michna Sanhedrin 10, 1), et avec Paul, que «tout Israël sera sauvé» (Rm 11, 26).
L’auteur espère sensibiliser les chrétiens à la typologie trinitaire de l’unité des juifs et des chrétiens, que le Christ a faits «un, comme [son] Père et lui sont un» (Jn 17, 22), sans que soit modifié le dessein éternel du Créateur, tant dans l’ordre ontologique – «le Juif d’abord, le Grec [non-Juif] ensuite» (Rm 1, 16) –, que dans l’ordre sotériologique – «le salut vient des juifs» (Jn 4, 22).

LangueFrançais
Date de sortie12 juin 2013
ISBN9781301999576
Si les chrétiens s'enorgueillissent. À propos de la mise en garde de l’apôtre Paul (Rm 11, 20)
Auteur

Menahem R. Macina

Naissance: 1936 (France) Etudes supérieures: Université Hébraïque de Jerusalem (1977-1982). Licence d'Histoire de la Pensée juive (1980) + cycle complementaire de Patristique et de littérature chrétienne syriaque (1980-1982). Domaines de recherche: schisme Eglise-Synagogue; messianisme juif et chrétien; eschatologie; millénarisme. Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Menahem_Macina ------- Born: 1936 (France) High School: Hebrew University, Jerusalem (1977-1982) BA History Jewish Thought (1980) + Complementary studies in Patristics and Syriac literature (1980-1982). Research Fields: Doctrinal polemics between Church and Synagogue; Jewish and Christian messianism; eschatology; millenarism. Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Menahem_Macina

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Si les chrétiens s'enorgueillissent. À propos de la mise en garde de l’apôtre Paul (Rm 11, 20) - Menahem R. Macina

Je crois utile d’introduire ce livre par un beau texte précurseur protestant qui a été publié dix-huit ans avant Nostra Ætate, dans le premier des Cahiers d’études juives de la revue Foi et Vie. Son auteur, le pasteur Westphal, écrivait à leur propos :

« Ces cahiers d’études juives, que nous entreprenons de publier […] ont l’humble ambition de professer, selon l’expression apostolique, la vérité dans la charité, [ils] voudraient être avant tout le témoignage d’une Église qui demande pardon(1). »

Sans doute pensait-il : après tant d’hostilité, voici le temps du pardon. Le lecteur jugera si l’attitude chrétienne vis- à-vis des juifs, au cours des décennies écoulées a justifié cette espérance:

C’est nous chrétiens qui avons aujourd’hui le plus grand besoin de pardon. Nous ne devrions parler des juifs, parler aux juifs, que dans une grande angoisse d’humiliation et d’espérance […]. Car le mystère d’Israël est inséparable du mystère de l’Église, il est notre mystère. Le mystère de notre péché et le mystère de notre grâce. Objets de la même révélation, de la même vocation, appelés au même jugement, promis au même Royaume, nous ne serons pas sauvés, au dernier jour, les uns sans les autres. Nous avons besoin de pardon. Car nous avons contribué à travers les siècles à la « séparation » des juifs. Nous les avons considérés comme étrangers, alors qu’ils sont nos pères selon l’esprit. Nous avons été parfois les instigateurs, parfois les complices, parfois les témoins indifférents ou lâches de toutes les persécutions qui les ont décimés […].

Nous nous sommes souvent reposés, mensongèrement reposés sur notre sécurité de « Nouvel Israël », satisfaits d’avoir, nous du moins, le secret de ce mystère. Et nous avons méprisé l’avertissement redoutable de l’Apôtre : « Tu subsistes par la foi. Ne t’enorgueillis pas, mais crains… » (Rm 11, 20).

[…] Notre infidélité la plus courante est que nous avons peur des hommes et pas de Dieu, ô chrétienté qui a si peu de foi vraie en Dieu, si peu de courage vrai devant les hommes – une Église sans crainte, une Église orgueilleuse! « Père, pardonne-nous, pardonne-nous… » La question juive est la question des questions. À la manière dont ils parlent des juifs, on peut juger sûrement de la valeur spirituelle d’un homme, d’une Église, d’un peuple, d’une civilisation. L’antisémitisme est, pour l’Église, la plus grave méconnaissance du Christ, le plus secret refus de la foi, la plus insidieuse perversion de l’Évangile de l’Incarnation […] Père, pardonne-nous(2).

Du même auteur

Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique et théologique. Prospective eschatologique, éditions Docteur angélique, Avignon, 2009.

L’apologie qui nuit à l’Église. Révisions hagiographiques de l’attitude de Pie XII envers les Juifs. Suivi de contributions des professeurs Michael Marrus et Martin Rhonheimer, éditions du Cerf, Paris, 2012.

Confession d’un fol en Dieu, éditions Docteur angélique, Avignon, 2012.

Les Églises face à la déréliction des juifs (1933-1945). Impuissance ou indifférence chrétiennes? Éditions Tsofim, Limoges, 2013.

La pierre rejetée par les bâtisseurs. L’«intrication prophétique» des Écritures, éditions Tsofim, Limoges, 2013.

Un voile sur leur coeur, Le « non » catholique au Royaume millénaire du Christ sur la terre, éditions Tsofim, Limoges, 2013.

Le signe de Saül. À propos du sévère avertissement de Paul aux chrétiens (Rm 11, 19-22), éditions Tsofim, Limoges, 2013.

Dédicace

À Jan Kozielewsky, alias Jan Karski (1914-2000)

« Je suis devenu juif comme la famille de ma femme […], tous ont péri dans les ghettos, dans les camps de concentration, dans les chambres à gaz, si bien que tous les juifs assassinés sont devenus ma famille.

Mais je suis un chrétien juif. Je suis catholique pratiquant. Cependant, je ne suis pas un hérétique, mais ma foi me dit que l’humanité a commis le second Péché originel : par délégation ou par omission, ou par ignorance en s’imposant à elle-même de fermer les yeux, ou par insensibilité, ou par intérêt, ou par hypocrisie, ou par une rationalisation sans cœur.

Ce péché hantera l’humanité jusqu’à la fin des temps.

Il me hante. Et je veux qu’il en soit ainsi. »

Jan Karski, Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un État secret, éditions Point de Mire, 2004, p. XXV-XXVI

Avant-propos

Je n’ayme point les juifs : ils ont mis en la Croix

Ce Christ, ce Messias qui nos péchés efface…

P. de Ronsard, Sonnet pour Hélène

Enseignant à des garçons de la classe de cinquième et constatant, à propos de l’Ancien Testament, l’ignorance hostile de ces jeunes chrétiens à l’égard des juifs, nous avions posé la question : « Mais enfin, n’y a-t-il pas des juifs à qui tout chrétien doit une vénération particulière ? Et parmi eux, n’en est-il pas un ?… » La classe restait muette. Une voix soudain s’élève : « En effet, il y a Jésus-Christ, mais il était catholique. »

P. Dabosville(3).

Le 6 janvier 1933, soit vingt-cinq jours avant que le président allemand Hindenburg n’appelle Adolf Hitler à former un gouvernement d’union nationale, l’évêque de Namur, en Belgique, faisait lire dans toutes les églises de son diocèse une Lettre pastorale « établissant une Journée de prières pour la conversion d’Israël(4) ».

Jésus-Christ a consacré trois années de sa vie publique à l’évangélisation du peuple juif […]. Avant de remonter au ciel, il dit à ses Apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations » et, malgré leur déicide, les juifs ne sont pas exclus de cet apostolat.

Il rappelait que, depuis de longs siècles,

l’Église, dans son émouvante supplication du Vendredi Saint, fait chanter à ses prêtres : « Prions aussi pour les perfides juifs » […] et continue en disant : « Dieu tout-puissant et éternel, qui ne fermez pas votre miséricorde même à la perfidie judaïque, exaucez les prières que nous Vous adressons, pour Vous conjurer de les faire sortir de leur aveuglement, afin que, reconnaissant la lumière de Votre vérité, qui est Jésus-Christ, ils soient enfin tirés de leurs ténèbres… »

Et pour illustrer le point 2 de son mandement, intitulé « Nous avons intérêt à le faire », l’évêque de Namur affirmait, conformément aux idées du temps :

Il ne faut pas oublier non plus que la prépondérance prise par les juifs fait courir au monde chrétien les plus graves dangers. « Si vous ne sauvez le juif, disait l’un des leurs, récemment converti, le juif vous perdra. »

Cet état d’esprit inspirait même l’Encyclique Humani Generis Unitas, contre l’antisémitisme, élaborée par deux théologiens à la demande de Pie XI – auteur du célèbre trait : « Spirituellement nous sommes des Sémites ! » –, mais qui ne vit jamais le jour. On peut y lire des passages dont on rougirait aujourd’hui. Tel, entre autres, ce constat de faillite(5) :

[…] aveuglés par des rêves de conquête temporelle et de succès matériel, les juifs perdirent ce qu’eux-mêmes avaient recherché […]

Ou encore ce jugement, aussi funeste que sans appel :

[…] peuple infortuné, qui s’est jeté lui-même dans le malheur, dont les chefs aveuglés ont appelé sur leurs propres têtes les malédictions divines, condamné, semble-t-il, à errer éternellement sur la terre […]

On verra plus loin(6), qu’il ne s’agit pas d’exceptions malheureuses. Au contraire, l’ensemble du document est de la même eau.

Dieu merci, les choses ont changé depuis le concile Vatican II. Cette assemblée exceptionnelle des évêques du monde entier a promulgué une Déclaration, approuvée à une très large majorité, intitulée Nostra Ætate, dont le chapitre 4, consacré aux juifs(7), parle d’eux avec un respect impressionnant et ouvre des perspectives si novatrices, que ses rédacteurs n’ont pu en trouver aucun précédent chez les Pères de l’Église et encore moins dans la Tradition et l’enseignement catholiques des quelque dix-neuf siècles écoulés depuis la mort du dernier apôtre.

J’ai effectué, dans un ouvrage antérieur(8), une analyse théologique et spirituelle de cette attitude nouvelle et positive envers les juifs, appelée, à juste titre, « un nouveau regard »(9). C’est pour en illustrer, par contraste avec l’attitude ecclésiale antécédente, le caractère révolutionnaire, que j’ai consacré la première partie du présent livre à un long et pénible survol de ce que l’historien Jules Isaac a appelé « l’enseignement du mépris ».

On le sait, les aléas de l’histoire des hommes ont propulsé le christianisme de la situation précaire de groupe religieux minoritaire et persécuté, qui fut la sienne durant au moins les deux premiers siècles de notre ère, au rang de religion dominante, tour à tour crainte et adulée par les puissants de ce monde, au moins jusqu’à l’aube de l’histoire contemporaine. Et ce n’est pas médire outrancièrement que de rappeler qu’au temps de sa puissance, cette imposante organisation religieuse, qui se considère comme humano-divine et s’intitule elle-même Église du Christ, a largement bénéficié de l’appui du pouvoir temporel et qu’en de nombreuses occasions, elle s’est servie de son influence pour imposer aux juifs un statut et des mesures vexatoires qu’elle a regrettés publiquement depuis.

Les exposés décapants qui suivent ne scandaliseront que les chrétiens qui font tout pour oublier le traitement réservé aux juifs durant de longs siècles en chrétienté, ou ceux qui veulent « tourner la page » le plus vite possible, en gommant le négatif pour mieux célébrer « le positif », réputé par eux « extraordinaire, si l’on tient compte de l’attitude chrétienne hostile antérieure ». Pourtant, force est de le reconnaître – il y a eu de la haine entre « les deux familles » de « l’Israël de Dieu », et il y en a encore, malheureusement, surtout sous la forme de l’antisionisme et de la diabolisation de l’État d’Israël(10), dont la présence sur une terre réputée appartenir exclusivement aux Arabes n’a jamais été acceptée, mais aussi, parfois, dans certaines empoignades entre les partenaires juifs et chrétiens, autour de questions litigieuses(11). Que cette peur des mots forts mais vrais provienne de l’autosatisfaction chrétienne, ou de la crainte juive de faire preuve d’ingratitude, son principal inconvénient est d’inhiber la lucidité de partenaires qui prennent leurs désirs pour des réalités, et ne voient pas que, malgré une indéniable amélioration des rapports entre juifs et chrétiens, peu de choses ont vraiment changé sur le fond du contentieux théologique entre les deux confessions de foi. J’en veux pour preuve, entre autres, la formule qui figure dans la Constitution Lumen Gentium II, 9, du concile Vatican II :

Et tout comme l’Israël selon la chair cheminant dans le désert reçoit le nom d’Église de Dieu (2 Esdr. 13, 1 [Ne, 13, 1] ; cf. Nom. 20, 4 ; Deut. 23, 1 s.), ainsi le nouvel Israël qui s’avance dans le siècle présent en quête de la cité future, celle-là permanente (cf. Héb. 13, 14), est appelé lui aussi : l’Église du Christ.

Comme l’ont fait remarquer certains théologiens engagés dans la promotion du « nouveau regard » chrétien sur le peuple juif, l’expression « Nouvel Israël » – qui, soit dit en passant, ne figure nulle part dans les Saintes Écritures, y compris les chrétiennes – ressemble à s’y méprendre à celle forgée par les Pères de l’Église : « Verus Israel » (le véritable Israël). La théologie qui la sous-tend est incontestablement «substitutionniste»(12), en ce sens qu’elle reprend, en termes différents, la conception chrétienne multiséculaire, selon laquelle, comme le disait, au lendemain du Concile, le plus grand artisan de la Déclaration Nostra Ætate, le cardinal Augustin Bea(13) :

l’« ancien » Israël a perdu ses prérogatives originelles, qui sont passées à l’Église, et « n’est plus le peuple élu de Dieu, en tant qu’institution de salut pour l’humanité »(14).

C’est dire que les juifs posent toujours problème à l’Église, et même qu’ils constituent pour elle une pierre d’achoppement théologique irritante. Je reviendrai, en plusieurs endroits de cet ouvrage, et plus spécialement dans ma conclusion, sur le danger spirituel inhérent à de telles conceptions, si, comme je le crois, le dessein de Dieu – encore caché à l’Église –, est de rétablir les juifs dans leurs prérogatives d’antan, sans condition d’adhésion préalable à la foi au Christ comme Messie et comme Fils de Dieu. Dans ce cas, toute résistance militante à cette perspective, que beaucoup de prélats et de fidèles jugent « impensable », risquerait d’amener les chrétiens qui s’y livrent à « se trouver en guerre contre Dieu » (cf. Ac 5, 39).

Le contenu et le ton des deux premières parties de ce livre pourront paraître excessivement sévères, voire négatifs. Elles constituent, en effet, une anthologie des affres et des conséquences de l’affrontement doctrinal et religieux multiséculaire qui opposa, de manière souvent dramatique, les deux confessions de foi, rivées l’une à l’autre autant que rivales l’une de l’autre. En voici le résumé.

– La première partie – intitulée « Vos frères qui vous haïssent (Is 66, 5), la réprobation chrétienne du peuple juif » – décrit cet état d’esprit en l’illustrant de nombreux extraits de textes antijudaïques, depuis les origines jusqu’au milieu du XXe siècle, puis d’un survol du contenu de nombreux manuels d’enseignement religieux des XIXe et XXe siècles, et d’une anthologie de propos émis par des papes et par la presse catholique entre 1870 et 1938.

– La deuxième partie – intitulée « Un autre regard : L’Église redécouvre le peuple juif » – retrace et analyse la découverte progressive par les chrétiens, entre 1920 et 1950, de la nature préjudiciable de leur attitude à l’égard du peuple juif ; un examen de conscience qui donna lieu à des rencontres, d’abord privées, puis à des tentatives institutionnelles officieuses de nouer des relations positives entre chrétiens et juifs, mais buta sur le « hors de l’Église, pas de salut »(15).

– Ce n’est qu’à la lecture de la troisième partie – intitulée « Résistance à l’apostasie » – que le lecteur comprendra l’esprit du présent ouvrage. Loin d’être un brûlot négatif, voire iconoclaste, il entend montrer au contraire qu’au travers des lenteurs et des résistances humaines qui semblent si décourageantes que l’on serait tenté de désespérer, l’Esprit de Dieu mène irrévocablement à son terme le salut de tous les hommes, incluant la reconstitution de son peuple parvenu à sa plénitude messianique par la fusion, en son sein, des nations chrétiennes restées fidèles au temps de l’épreuve ultime.

Ce livre n’est donc pas un « livre noir » de la persécution chrétienne du judaïsme, doublé d’un réquisitoire visant à victimiser les juifs et à diaboliser les chrétiens. Il ne constitue pas davantage un constat de faillite des relations Église- Synagogue, ni ne veut écrire l’histoire d’un échec annoncé de cette relation, considérée par trop de chrétiens et de juifs comme impossible ou sans intérêt.

Au contraire, voici mon espérance pour les chrétiens :

– Qu’ils découvrent, dans le récit biblique de la séparation violente entre le royaume d’Israël (Joseph- Éphraïm) et celui de Juda (1 R 12), la préfiguration du schisme entre l’Église et le judaïsme.

– Qu’à la lumière des Écritures juives et chrétiennes, ils comprennent que la réunion « des fils de Juda et des fils d’Israël » (Os 2, 2) est le type prophétique de celle des chrétiens et des juifs qui constitueront « l’Israël de Dieu » (Ga 6, 16).

– Qu’ils s’imprègnent de la typologie prophétique révélée par Ézéchiel et transfigurée par Paul, selon laquelle les « deux bois » (Joseph et Juda) en constituent « un seul » (Ez 37, 19), et que « des deux, [le Christ] a fait un » (Ep 2, 14), « l’un et l’autre » ayant, « en un seul Esprit, libre accès auprès du Père » (v. 18).

– Qu’avec la tradition rabbinique, ils croient que « tout Israël a part au monde à venir » (Michna Sanhedrin 10, 1), et avec Paul, que « tout Israël sera sauvé » (Rm 11, 26).

C’est dans cette perspective de foi et d’espérance que j’ai écrit ces pages. J’espère ainsi sensibiliser les chrétiens à la typologie trinitaire de l’unité des juifs et des chrétiens, que le Christ a faits « un, comme [son] Père et lui sont un » (Jn 17, 22), sans modifier le dessein éternel du Créateur, tant dans l’ordre ontologique – comme il est écrit : « le Juif d’abord, le Grec [non-Juif] ensuite » (Rm 1, 16) –, que dans l’ordre sotériologique – comme il est écrit : « le salut vient des juifs » (Jn 4, 22).

Si cette longue méditation n’a pas, tant s’en faut, la prétention de constituer le dernier mot sur ce que Paul a appelé un « mystère » (Rm 11, 25) – à savoir : la réunion des « deux familles qu’a élues L’Éternel » (Jr 33, 24), pour que « [son] salut atteigne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 6) –, elle espère au moins contribuer, à sa modeste manière, à la reconnaissance chrétienne de la vocation, à la fois spécifique et commune, de chacune d’elles, au service du dessein universel de Dieu, qui « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4).

Première Partie. «Vos frères qui vous haïssent» (Is 66, 5) : La réprobation chrétienne du peuple juif

Aussi, je vous le dis : le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits (Mt 21, 43).

Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Jamais de la vie ! Dieu n’a pas rejeté le peuple que d’avance il a discerné […] Est-ce pour une vraie chute qu’ils ont trébuché ? Jamais de la vie […] (Rm 11, 1-2.11).

À partir du moment où les juifs, en raison des embûches qu’ils suscitèrent contre le Seigneur, furent rejetés de sa faveur, le Sauveur institua, à partir des païens, une seconde assemblée : notre sainte Église à nous chrétiens (Cyrille de Jérusalem, IVe s.)(16).

Le Saint, béni soit-Il, voyant la chute d’Israël, a donné sa grandeur aux idolâtres [les chrétiens]. Et lorsque Israël se convertit et est racheté, il lui est difficile de perdre les idolâtres [les chrétiens] au profit d’Israël (Rashi sur T.B. Sanhedrin 98 b).

1

La polémique antijudaïque, des origines à l’aube du XXe siècle

Un examen, même rapide, des sources chrétiennes, révèle la permanence, au fil des siècles, d’une polémique chrétienne antijuive. Cet antijudaïsme se situe essentiellement au niveau théologique, même s’il a pu prendre, à certaines époques, des formes sociologiques aberrantes, qui se traduisirent, ici ou là, par des mesures de discrimination et de coercition religieuse, voire des expulsions et des persécutions. L’histoire, souvent navrante, de ces conflits et de leurs conséquences dramatiques sur les conditions d’existence des communautés juives en chrétienté, est amplement documentée(17) ; il n’est donc pas question d’y revenir dans cette étude, ni même de tenter d’en faire la synthèse.

En revanche, j’examinerai succinctement l’antijudaïsme des Pères de l’Église et des écrivains ecclésiastiques. S’agissant des premiers, il est important d’avoir en mémoire le fait que leur enseignement, qui a largement contribué à édifier et à marquer la foi et la mentalité chrétiennes, fut, jusqu’à il y a peu, considéré dans l’Église comme aussi normatif que la Tradition apostolique. Or, force est de le reconnaître, l’enseignement des Pères de l’Église fut, presque unanimement et parfois violemment, hostile aux juifs.

F. Lovsky a réuni dans un petit volume un nombre imposant de textes que l’on qualifierait aujourd’hui d’antisémites(18), et dont certains ne peuvent être lus sans malaise. L’objection la plus fréquemment émise, face à ces faits irréfutables, est que le judaïsme était extrêmement missionnaire, et exerçait une véritable fascination sur les chrétiens par ses cérémonies mystérieuses, provoquant les réactions agressives des responsables religieux. On argue encore que nombre de juifs causaient beaucoup de tort à l’Église, se livraient même à des voies de faits, ou se répandaient en blasphèmes et injures à l’encontre des mystères de la foi chrétienne et de ses ministres(19). Mais ces allégations – rarement vérifiables, même s’il est plausible que certaines soient fondées – ne justifient pas la reprise, inlassable et multiséculaire, des propos insupportables qui seront cités plus loin.

Des centaines d’ouvrages savants et de vulgarisation ont paru sur le sujet au cours du XXe siècle(20). La tendance de certains chercheurs actuels est de « revisiter » les écrits chrétiens primitifs, y compris le Nouveau Testament, et de resituer les nombreux passages antijuifs qu’ils contiennent dans le contexte de la contestation religieuse entre frères ennemis, non sans reprendre à leur compte parfois, inconsciemment, le même substrat polémique(21). L’une des tâches les plus urgentes de la théologie est de désacraliser cet antijudaïsme, en montrant qu’il ne s’agit pas d’une doctrine inscrite dans le « dépôt de la foi » et impliquant, ipso facto, un rejet et une condamnation des croyances et des traditions juives, considérées comme contraires au dessein de Dieu.

Je ne ferai pas ici le catalogue des vicissitudes des juifs, des premiers siècles du christianisme jusqu’à leur émancipation, suite à la Révolution française, à la fin du XVIIIe siècle. Je rappelle seulement que, tout au long du Moyen-Âge, les juifs ont souvent eu à souffrir de la société chrétienne, du fait des violences de Croisés en route pour la Terre Sainte, des autodafés de volumes du Talmud, des expulsions pour des motifs divers, des accusations de crimes rituels, des vexations de toutes sortes (dont le port de vêtements et de signes distinctifs), du confinement dans des ghettos, etc.). Sans oublier les expulsions, dont la plus massive et la plus cruelle fut celle qui chassa pour des siècles les juifs d’Espagne par la volonté d’Isabelle la Catholique, en 1492.

Faute d’être en mesure d’apporter toutes les nuances que nécessiteraient les considérations qui vont suivre, je dirai, pour faire simple, que les juifs furent souvent victimes de la foi fruste de membres du clergé, de religieux et de fidèles, hantée de peurs irrationnelles, d’obsession du diable et de superstitions. Ils eurent aussi à souffrir des tracasseries de clercs convertisseurs ou fanatiques, et surtout de l’Inquisition, confiée par l’Église à l’ordre des Dominicains. S’appuyant sur le « bras séculier », cette confrérie austère exerça une répression impitoyable de l’hérésie et de l’apostasie, y compris de ce que l’on considérait comme tel chez les juifs convertis soupçonnés de revenir secrètement aux pratiques de leur religion antérieure.

À l’inverse, sauf exceptions et contrairement à une opinion largement répandue, la papauté, ainsi que la grande majorité des évêques et des souverains chrétiens firent preuve d’une attitude tolérante, voire bienveillante, envers les juifs(22). Fort heureusement pour la nation juive, les vexations n’étaient pas continuelles. Il y eut de longues périodes de paix et de prospérité, voire des « âges d’or ». Parfois même, certains dignitaires israélites accédaient à des postes enviés.

Il n’empêche que l’histoire du peuple juif est jalonnée de massacres, d’autodafés, de tentatives de conversions forcées, de vexations de toutes sortes et de calomnies ignominieuses, en l’espèce surtout d’accusations de crimes rituels, de profanations d’hosties, d’empoisonnements de puits, etc.

Mais il y eut plus grave : « l’enseignement du mépris ». L’expression a été créée par Jules Isaac(23). Elle connote le travail de sape de la répétition multiséculaire inlassable d’accusations antijuives, souvent à caractère religieux. Lorsque, pendant des siècles, tout le monde ou presque s’accorde à décrier un groupe humain, au point qu’il devienne le paradigme universel de la répulsion, la réaction de l’individu moyen est d’éprouver un recul, voire une horreur instinctifs à la seule évocation du nom de ces misérables.

Le résultat, dévastateur et maléfique, de cet « enseignement du mépris », fut une dépréciation chrétienne systématique des juifs, de leur foi et de leurs coutumes. En outre, le refus farouche opposé par eux à toute tentative de conversion au christianisme ancra les chrétiens dans une attitude de ressentiment permanent(24), et fut à l’origine de l’élaboration d’un catalogue sans fin d’accusations et de reproches, dont certains ont persisté au moins jusqu’au concile Vatican II, et dont on peut encore trouver des traces dans des ouvrages contemporains de théologie, d’exégèse et de spiritualité. C’est de ce « contentieux théologique », non encore apuré, que je traiterai, ci-après.

Juifs déicides, maudits, damnés, etc.

Les principaux chefs d’accusation religieuse qui ont pesé sur le peuple juif durant des siècles sont les suivants : déicide, reniement, malédiction, rejet (avec pour conséquence la dépossession de l’élection, réputée dévolue désormais aux chrétiens), perfidie. On en lira, ci-après, plusieurs illustrations.

L’accusation de « déicide »

Le premier à l’avoir émise semble être Méliton de Sardes, écrivain ecclésiastique (peut-être évêque) du IIe s. Dans une homélie prononcée un Vendredi Saint, en Asie mineure, il s’écrie :

Qu’as-tu fait, Israël ? Tu as tué ton Seigneur, au cours de la grande fête. Écoutez, ô vous, les descendants des nations, et voyez. Le Souverain est outragé. Dieu est assassiné… par la main d’Israël(25)!

Même conception chez Eusèbe de Césarée (IVe siècle) :

Il est regrettable d’entendre [les juifs] se vanter que, sans eux, les chrétiens ne sauraient observer leurs Pâques. D’ailleurs, depuis leur déicide, ils sont aveuglés et ne peuvent servir de guides à qui que ce soit(26).

L’évêque d’Antioche, Jean Chrysostome (IVe s.), dit la même chose, sans employer explicitement le terme « déicide », mais en imputant à l’acte stigmatisé un caractère définitif :

Du jour où vous avez fait périr le Fils de Dieu, votre maître, votre crime a été irrémissible(27).

Même épithète dans la 9e Ode des Complies du Grand Lundi de la liturgie byzantine, œuvre d’André de Crète :

Prépare tes prêtres, Judée ; prépare tes mains au déicide […] Ô Judée, le Maître a changé tes fêtes en jours de deuil, selon la prophétie, car tu es devenue déicide(28).

Au fil des siècles, le thème sera repris inlassablement, au point qu’à l’époque du concile Vatican II (1962-1965), il faisait encore figure d’article de foi pour beaucoup de chrétiens et pour certains membres de la hiérarchie.

Force est de reconnaître que, même si la caducité de cette accusation peut être déduite de la lecture de certains commentaires autorisés de la Déclaration conciliaire Nostra Ætate (§ 4)(29), et se lit expressément dans certains documents d’application, postérieurs au Concile, la répudiation explicite de la thèse du déicide ne figure pas dans la version finale du texte officiel sur les juifs, voté le 28 octobre 1965 par les Pères conciliaires.

Le « reniement » juif

Le verbe sous-jacent à ce terme, tant en hébreu qu’en grec, signifie, selon le contexte, « renier » (Jos 24, 27; Mt 10, 33), ou « nier » (Gn 18, 15; Jn 1, 20). Dans les Évangiles, ce qu’on appelle le « reniement » de Pierre est en fait une « dénégation » (cf. Mt 26, 70-72 et parallèles) : Pierre, malgré l’évidence, « nie connaître » Jésus.

En revanche, en taxant de « reniement » l’incroyance juive, les chrétiens ont fait rétrospectivement un procès d’intention aux juifs qui ne croyaient pas en Jésus. En effet, le choix de ce verbe implique, soit que les juifs « ont nié le connaître » – ce qui n’a pas de sens –, soit qu’ils l’ont renié, après avoir cru en lui, ce qui, à l’évidence, ne fut pas le cas.

Cette affirmation d’un prétendu « reniement » juif n’a jamais été expressément rétractée par l’Église.

La « malédiction », l’« auto-malédiction », et leurs corollaires : l’errance, le châtiment sans fin et la marque de Caïn

Omniprésente et amplement documentée dans la tradition chrétienne ancienne et moderne (jusqu’au concile Vatican II, qui la désavouera explicitement), cette prétendue malédiction a son origine dans l’application, faite aux juifs de tous les temps, de la mystérieuse sentence de stérilité prononcée par Jésus contre un figuier sur lequel, contrairement à son attente, il ne trouva pas de fruits (cf. Mc 11, 14 s., et surtout v. 21). On en trouve la trace dans la 9e Ode des Complies du Grand Lundi de la liturgie byzantine, déjà citée :

Étrangère aux impies est la justice, et inconnue aux infidèles est la connaissance de Dieu. Les juifs ont rejeté ces choses par infidélité ; c’est pourquoi ils seront les seuls à récolter, comme le figuier, la malédiction. Il eut faim du salut des hommes, le Christ qui est le chef de la vie, ô Judée; s’étant approché, comme du figuier, de la synagogue toute ornée des feuilles de la Loi, lorsqu’il la vit, il la maudit(30).

Relatant une traversée à bord d’un navire dont le capitaine était juif, Synésios de Cyrène (début du IVe s.), qui fut plus tard évêque, non content de faire allusion à la malédiction juive, y ajoute l’incitation à la haine en accusant les juifs d’être les agresseurs meurtriers des Grecs :

Des douze matelots qu’il y avait en tout, plus de la moitié, et le capitaine, étaient juifs, peuple maudit qui croit faire œuvre pie lorsqu’il cause la mort du plus grand nombre de Grecs(31).

Vers la fin du

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