Le 25 août 1938, dans la petite gare de Fawzia, son altesse impériale Reza (voir encadré p. 78) inaugure le chemin de fer Trans iranien. Le chah exulte. Lui qui n’était qu’un simple officier de cavalerie est parvenu à chasser la vieille dynastie des Qadjar et à fonder la sienne, douze ans plus tôt. Et cette ligne ferroviaire va maintenant faire entrer son pays dans la modernité grâce à un triple exploit. Le premier est politique : il a esquivé les pressions des deux impérialismes, britannique et russo-soviétique, toujours en train de lorgner son pays, et confié les travaux à des sociétés tierces, danoises, allemandes et américaines pour l’essentiel. Le deuxième exploit est financier : pour éviter de recourir à un emprunt qui rendrait son pays dépendant, il a payé l’intégralité des 250 millions de dollars nécessaires à la ligne simplement en taxant le thé et le sucre.
Le troisième exploit du chah, enfin, est technique. Construite en onze ans, la voie du Trans iranien, longue de 1 394 km, traverse grâce à 230 tunnels et 4 100 ponts les milieux naturels les plus hostiles – marais, déserts et montagnes culminant à 2 200 m d’altitude. La ligne joint le port de Bandar Shah, sur la Caspienne au nord, à celui de Bandar Shahpur, au fond du golfe Persique, au sud. Tout à sa joie, le maître de l’empire du Lion et du Soleil ne peut imaginer qu’à l’instar du canal de Suez pour l’Égypte, le Trans iranien fera, trois ans plus tard, son malheur.
Une artère du Moyen-Orient
Les premiers nuages commencent à assombrir l’horizon iranien au printemps 1941. En l’espace de quelques semaines, l’Afrikakorps de Rommel pénètre en Égypte, la Luftwaffe obtient de Vichy des bases en Syrie et le coup d’État de Rachid Ali installe à Bagdad un gouvernement pro-nazi. Seul face à l’Axe car les États-Unis sont encore neutres, l’Empire britannique craint alors de perdre avec l’Irak et l’Iran ses deux principales sources de pétrole brut, sans compter les produits sortis de l’installation persane d’Abadan, la plus grande raffinerie du monde. Churchill est d’autant plus inquiet que Reza Chah semble incliner vers une neutralité bienveillante armée et une importante force aérienne.