Pont de l’Alma, boulevard de Sébastopol, ville de Malakoff et bien sûr rue de Crimée… La toponymie parisienne porte les traces de la guerre qui oppose de 1853 à 1856 la Russie à une coalition italo-franco-turco-britannique. Et pourtant, la Crimée n’est pas l’enjeu du conflit qui porte son nom – et qui d’ailleurs n’y a pas débuté et ne s’y est pas achevé. Cette guerre est d’abord l’une des treize « guerres russo-turques » survenues entre 1568 et 1918, pour deux grandes raisons. D’abord, la géostratégie: Saint-Pétersbourg veut accéder à la Méditerranée par les détroits, contrôlés par Constantinople. Ensuite, la religion: la Russie orthodoxe entend « libérer » les peuples chrétiens du « joug » des Turcs musulmans.
Une question de préséance
L’intervention européenne dans ce duel multiséculaire prend ses sources en 1846. Orthodoxes et catholiques s’affrontent alors violemment à Jérusalem le jour de Pâques sur une question de préséance. La Palestine est certes une province turque, mais les puissances chrétiennes y ont obtenu par le passé un droit de regard sur le sort de leurs coreligionnaires respectifs. Les Russes réclament donc au sultan des mesures de protection, puis exigent en 1852 de les étendre à tous les sujets orthodoxes de l’Empire. Or, ils sont nombreux dans les Balkans, où les victoires russes précédentes leur ont procuré une certaine autonomie. Les Turcs refusent, l’opinion musulmane s’enflamme… Et Paris et Londres se rangent de leur côté. Leurs raisons diffèrent certes fortement (voir encadré p. 23) mais peu importe: les Turcs fortifiés par ce soutien rejettent l’ultimatum.
En juin 1853, les troupes du tsar entrent dans les principautés danubiennes de Moldavie et