La bourgade laotienne de Tchepone, aujourd’hui oubliée, déborde en 1969 d’activité. Le génie de l’Armée populaire vietnamienne (APV) a construit dans la région la « zone de base 604 », un gigantesque complexe intégrant 8 camps de base pour 20000 soldats, 23 sites de stockage, 3 hôpitaux, 20 parkings pour camions, 7 réservoirs de carburants de 8000 litres et des centaines de barils reliés par 33 km de tuyauteries. Le tout défendu par 220 bunkers, 62 sites d’artillerie antiaérienne, dont 3 équipés de missiles SA-2. Tchepone est la base de départ du réseau que les Américains appellent « piste Hô Chi Minh ». Une fourmilière construite sous leur nez: la zone 604 n’est qu’à 40 km du Sud-Viêtnam et à 55 km du fameux camp retranché tenu en 1968 par les Marines à Khé Sanh – soit un quart d’heure d’hélicoptère.
Un échec et une énigme
Détruire ou capturer Tchepone sectionnerait l’artère vitale qui alimente la guerre du Nord-Viêtnam contre la république du Sud depuis dix ans. Et pourtant, les Sud-Vietnamiens et leurs alliés américains ne l’attaquent qu’en février 1971… et s’y cassent les dents. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps? Et pourquoi cet échec, alors que leurs moyens leur offrent en principe une supériorité écrasante sur les troupes communistes? La réponse à cette énigme tient tout entière dans l’ambiguïté de la politique de Washington en Asie du Sud-Est – et dans l’extraordinaire ténacité des Nord-Vietnamiens.
L’histoire de la piste Hô Chi Minh est aussi ancienne que la guerre d’Indochine. Pour nourrir sa guerre en Cochinchine, au sud, le Viêt-minh, basé au Tonkin, ne peut emprunter la Route coloniale n° 1 (ou RC1), l’artère côtière qui va de Hanoi à Saigon, aux mains des Français. Il ouvre donc progressivement après 1946 un réseau de pistes dans la jungle qui recouvre la chaîne montagneuse parallèle au rivage, d’où la future route tire son nom: Ðuong Truong Son, la « piste de la cordillère Annamitique ». En cette époque reculée, le voyage est effectué à pied, en poussant des bicyclettes ou menant bœufs, chevaux et (apparemment) éléphants.
Avec la victoire de 1954 et la partition du Viêtnam, le réseau tombe à l’abandon puis revient au premier plan quand Hanoi décide en 1957 la réunification du pays sous égide communiste en organisant la guérilla contre le régime de Saigon incarné par Ngô Ðình Diêm. Le 19 mai 1959, jour du 69 anniversaire de Hô Chi Minh, le président de la république démocratique du Viêtnam, est créé le « Groupe de Transport 559 » (), dont le nom
