“LA Le guitariste s’appelle Jasper de Zoet. Il vient de Hollande et vit en Angleterre depuis seulement six semaines. Le batteur, Peter Griffin, alias “Griff”, est un petit gars du Yorkshire. Avec Dean, chanteur, bassiste et compositeur, qui assiste au concert ce soirlà, puis Elf, une musicienne venue de la scène folk, copine avec Sandy Denny, ils formeront Utopia Avenue, groupe folk-rock Utopia Avenue fait son premier tour de chauffe, pour vite connaître un fulgurant succès… Le romancier anglais David Mitchell n’a pas connu cette époque du Swinging London (né en 1969). Pourtant, son roman, histoire imaginaire d’un groupe de rock, sonne de manière juste et précise. En immergeant avec un sens du détail méticuleux Utopia Avenue dans une époque charnière de la pop culture, Mitchell nous ferait presque croire que ce groupe psyché-folk a vraiment existé, et que tout ce qui leur est arrivé appartient vraiment à la grande et belle histoire du rock. D’autant que les incessantes rencontres de ses héros avec des personnages bien réels viennent encore un peu plus brouiller les cartes de cette fausse biographie. Tout au long de ce romanfleuve, nos quatre rockers sympathisent avec Syd Barrett, Brian Jones, Marc Bolan, David Bowie, croisent Steve Marriott à “Top of the Pops”, Francis Bacon à un concert de Bill Evans, ou Jimi Hendrix et John Lennon le temps d’une party sous acide. À Amsterdam, ils vont écouter Shocking Blue au Paradiso. À New York, ils passent une soirée avec Leonard Cohen et Janis Joplin dans une chambre du Chelsea Hotel. Enfin, à San Francisco, au 710 Ashbury Street, adresse de l’appart de Jerry Garcia, ils parlent de Bill Graham et de LSD avec le guitariste du Dead. Bref, tout semble vrai. Ou presque, à l’exception de quelques anachronismes, visiblement assumés par l’auteur. Le tout assorti de dialogues brillants, et là encore malins, qui finissent de parfaire l’illusion. Le roman de David Mitchell s’impose comme une fresque finement ouvragée sur les sixties londoniennes, sorte de version romanesque du monumental de Barry Miles (auquel il semble devoir beaucoup). Il reflète aussi avec beaucoup de finesse, à travers l’histoire de quatre jeunes musiciens venus d’horizons différents, une émouvante aventure humaine: celle qui anime, depuis que le rock existe, la plupart des groupes, connus ou inconnus.
