C’est peu de dire qu’on est tombé sous son charme. On la suivait depuis quelque temps avec délice au fil des créations de plats qu’elle postait sur Instagram, faisant un usage délicat et toujours inspiré d’un réseau social qu’elle utilise comme le journal qui documente le temps qui passe, les saisons, les ressources qu’offrent le potager, le verger et la mer. Giorgia Goggi vit en symbiose avec les éléments dans un écosystème qui lui ressemble. La terre racée des Pouilles, généreuse et sauvage. Qui ne se dévoile pas au premier coup d’œil. La jeune femme, née à Milan en 1989, est arrivée à la cuisine par la force des évidences et l’envie d’exprimer sa voix. « J’ai grandi dans une famille où l’expression de soi par un biais créatif était une valeur importante. Enfants, nous étions incité·es à peindre sur les murs, transformer les pièces de la maison en cabanes, faire du vélo à l’intérieur », s’amuse-t-elle. Les repas étaient sacralisés, autant par la célébration des mets préparés que par le temps passé ensemble. Cuisinière autodidacte, formée aux magazines et livres culinaires que sa mère accumulait, elle a commencé par travailler comme assistante styliste de mode. Une expérience qui la laisse sur sa faim et qui détermine ce qui sera son voyage sans retour, la cuisine. Elle décide alors de faire un stage dans un restaurant. « J’ai passé des mois chez un chef japonais à Milan, le seul qui a bien voulu de moi, à nettoyer des crevettes et des anchois, à mélanger de la poudre de wasabi et à plier des feuilles d’algue nori. Objectivement, ce n’était pas passionnant mais j’étais comblée ! » Cette familiarisation avec l’exigence japonaise, ajoutée à ses expériences formatrices chez Relae à Copenhague et Maos à Londres, ont façonné la personne qu’elle est.
Une parole rare et rassurante dans un milieuQuatre ans plus tard, elle y est toujours. Et vit une histoire d’amour sans nuage avec les premières fraises du jardin, les poissons de la petite pêche artisanale de la région, les tomates du marché. Son approche de la cuisine est celle d’un état de questionnement permanent. Elle œuvre pour ne rien jeter, travailler en symbiose avec des paysan·nes engagé·es, et effectue des recherches sur les semences anciennes et endémiques aux Pouilles afin de restaurer le lien à la terre que l’agriculture intensive a mis à mal. Dans la cohérence de son désir holistique, elle crée ses céramiques avec les artisan·nes de Grottaglie. La forme rejoint le fond et magnifie les plats désormais signature qu’elle nous livre, photographiés par son amie Letizia Cigliutti. Ajo blanco, comme un velouté immaculé ponctué de touches de tomates et de fruits rouges, seiches comme des nouilles udon caressées par le végétal, poissons des côtes pensés à la japonaise, galettes généreuses garnies de fruits du verger. Une signature sensible et fascinante.