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Au temps de la pensée et des roses
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Livre électronique455 pages5 heures

Au temps de la pensée et des roses

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À propos de ce livre électronique

Les mots deviennent le refuge de Petit Jean lorsque la vie le précipite dans un établissement spécialisé, après une dépression dévastatrice. D’une simple envie de se raccrocher à ses repères naît un voyage littéraire. Il replonge dans la douceur de son enfance dans le Périgord noir des années 1950, partage ses premières amours et dévoile les tumultes d’une vie marquée par l’excès. Entre lumière et obscurité, ce récit sensible esquisse les contours d’une existence aussi complexe qu’émouvante.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Voyageur impénitent, la vie de Jean Rigoulet a été marquée par une succession de métiers exercés avec passion. Par l’écriture de cet ouvrage, il illustre avec sensibilité que l’existence est un mélange de douleurs et de joies, chaque instant contribuant à façonner une trajectoire riche et vibrante.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie8 mai 2025
ISBN9791042262938
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    Aperçu du livre

    Au temps de la pensée et des roses - Jean Rigoulet

    Chapitre 1

    La campagne et l’enfance

    Depuis longtemps, j’avais pris des notes sur un épisode difficile de ma vie, mais j’ai pensé qu’il serait injuste de laisser croire qu’elle n’est pas la même pour tous, faite d’une succession de joies et de peines. Ainsi, j’ai décidé de commencer un récit qui me passionne, puisqu’il s’agit parfois de ma propre vie. Mais, d’autres séquences seront la source de pure imagination ou simple roman.

    Évoquer mes premiers souvenirs d’enfance, vous livrer mes sentiments, vous parler de mes prouesses et de mes excentricités, des défauts et des qualités que m’attribue mon entourage, vous livrer quelques secrets, voilà un exercice bien difficile, mais combien passionnant lorsque la vie vous a appris un peu à vous connaître.

    Les évènements évoqués, en remontant plus de soixante-dix ans en arrière, sont exprimés parfois d’une façon désordonnée, peu importe, l’essentiel est de vous les faire partager.

    Je vous raconterai quelques anecdotes bien amusantes, marquant ma plus jeune enfance. Même si le récit comporte quelques erreurs ou imprécisions, je tenterai de mettre l’accent sur la partie romancée pour ajouter un peu de piquant à certaines histoires rocambolesques.

    Je vous parlerai de mes pérégrinations, de mes déboires, de mes échecs amoureux, mais aussi de mes succès.

    Je ne vous raconterai pas toute ma vie émaillée de vagues et de creux, de succès et d’échecs, mais les péripéties de ma vie normale. J’en choisirai les moments les plus cocasses d’un côté, les plus douloureux de l’autre.

    Je vous expliquerai comment je suis passé du rachitisme à l’obésité, et vous donnerai des conseils pour devenir épicurien.

    J’aime le chaud et le froid, l’été et l’hiver, bref, les contraires en général, et les excès.

    Je suis ainsi fait, on m’aime ou on ne m’aime pas. C’est la nature qui parle.

    Le plus beau jeu, en famille, à l’aide des aïeux interposés et les plus sensibles à ce genre d’exercices, consiste à évoquer les souvenirs les plus lointains. D’ailleurs, qui n’affirme pas un jour, le premier souvenir de mon enfance remonte à telle époque.

    Est-ce vraiment une réalité ? Ce temps fort ou parfois insignifiant n’a-t-il pas tout simplement un rapport avec une situation frappante à un instant donné de notre vie d’enfant ou d’adolescent, ou avec l’histoire racontée bien plus tard par un membre de la famille.

    Il est bien hasardeux de dire, avec le recul du temps, s’il s’agit d’une joie intense ou d’un moment douloureux, bref d’un évènement particulièrement marquant.

    En fait, j’affirme que le premier souvenir de mon enfance m’évoque avec précision, mais avec une certitude relative un voyage en landau assez rocambolesque.

    La voiturette, poussée par ma mère durant une bonne douzaine de kilomètres à travers bois, routes et chemins de terre, n’avait pas le confort des poussettes d’aujourd’hui.

    Ce premier souvenir me laisse bien perplexe. Le défilé incessant des branchages au-dessus de ma tête me provoquait une angoisse intrigante, une peur immense qui m’envahissait le corps et l’esprit tout entier.

    Le matin, ma mère m’avait emmené à Périgueux en empruntant l’autobus du fameux Burette qui assurait la liaison quotidienne. Nous allions voir mon père rappelé militaire réserviste.

    Si, à l’aller, il ne s’était pas posé de problèmes particuliers, au retour, le chauffeur Burette surnommé grincheux, avec un caractère épouvantable, était parti sans prendre sa cliente. Il ne restait plus qu’une solution pour regagner la ferme familiale à trente-cinq ou quarante kilomètres, celle de prendre le train jusqu’à la gare de la Gélie et ensuite, en plein bois, regagner à pied « Le Claidier »¹ à dix bonnes lieues !

    Le crépuscule tombant, ma jeune mère ne devait pas s’attarder pour regarder sur sa droite ou sur sa gauche, ni derrière elle, mais droit devant pour éviter les obstacles et les figures imaginaires que la frayeur engendre en pareil cas. De surcroît, il n’y avait sûrement pas de clair de lune du côté de Cendrieux dans les combes, et il devait être facile de confondre un vieux genévrier rabattu par le vent avec un sanglier mâle agressif.

    Mon esprit de bébé décelait au cours du trajet, qu’il ne s’agissait pas du bercement habituel après la tétée de vingt heures, accompagné des traditionnelles paroles de la mémé Anaïs répétant sans cesse « bing bang, bing bang, bing bang » !

    J’exprime ici mon premier souvenir avec conviction.

    J’en perçois, bien d’autres, mais avec un flou qu’il m’est bien difficile de dissiper.

    J’étais âgé d’un an et demi environ, lorsque les Allemands en débâcle firent brûler les fermes voisines près d’un PC de la Résistance. La colonne prenait le chemin du Claidier et tout le monde s’enfuyait pour coucher finalement dans la cabane à poules située à l’orée du bois en contrebas de la maison. La famille pensait qu’il allait être plus facile de s’échapper du côté de la forêt en cas d’alerte. Ce fut ainsi le cas, nous partîmes à la Brugueyrie nous réfugier chez les Duraton, des amis de ma mère.

    Je me souviens bien, en fait, de l’affolement et de la précipitation lors du départ de la ferme avec la mère qui criait en patois : « les sous ! Les sous ! » La fortune ne devait pas être considérable, mais à cette époque un sou était un sou.

    Je revois bien le bétail affolé, détaché à la hâte pour tenter de le protéger. Ces décisions ne servaient pas à grand-chose, en effet, comment les agneaux auraient pu se sauver devant une mitrailleuse allemande, si les SS avaient envie d’une grillade !

    La réalité de ces souvenirs n’était pas tout à fait exacte. Ma mère m’avait apporté des précisions sur la véracité de ces évènements et mes confusions, mais en fait l’essentiel était relaté. Je vais donc retracer l’exactitude des faits pour être précis.

    Pour ce qui concerne l’itinéraire en autobus, il s’agissait bien de Burette et de ses sarcasmes. En fait, l’histoire se passait vers Limeuil au lieu-dit la Pêchère. À cet endroit, maman et bébé attendaient le seul moyen de transport en commun pour rentrer à Cendrieux.

    Quant à mon père, il emballait le tabac chez Guignol, avec Léon et Nitouche, au milieu de la plaine de Limeuil. À l’aller, pas de problème de transport avec Burette, mais au retour, à la Pêchère, les difficultés allaient surgir.

    Le règlement stipulait qu’il n’y avait pas de possibilité de déclarer le landau en bagages à cet arrêt. Le voyage retour fut entrepris à pied, accompagné de Boby, le Fox-terrier du grand-père paternel.

    J’ai pu effectuer ma première tétée sur le bord d’une route du côté de Pradelle, d’ailleurs, j’en effectuerais bien d’autres en adolescent, cette fois avec de belles filles et je vous en parlerais ultérieurement lors d’une adolescence passionnée.

    À propos du retour de La Gélie au Claidier, les faits relatés par ma mère comme authentiques n’étaient pas tout à fait ceux que j’imaginais, mais se ressemblaient néanmoins.

    Nous avions bien rendu visite à mon père rappelé militaire réserviste, mais pris le train de Périgueux à La Gélie.

    À cette gare, nous devions retrouver le cousin Mimiche avec deux vélos, mais nous ne l’avons jamais vu venir.

    Nous venions de passer trois jours cours Saint-Georges à Périgueux, chez la tante Louise, la femme du tonton Raoul qui travaillait dans un bar restaurant. En ces lieux, mon père venait nous rejoindre depuis son casernement, voilà pour la réalité avec le recul du temps.

    Après cette mise au point, j’évoquais un autre souvenir : celui d’avoir vu une locomotive à vapeur qui, pour moi, ressemblait à un monstre d’acier. Mais cet épisode paraissait assez diffus, je ne pouvais vraiment pas certifier qu’il s’agissait de cette époque-là.

    Noé, mon Grand-Père devait se trouver dans le cantou ² de la cheminée en reniflant la marmite de soupe mijotant au-dessus du feu de bois. Suspendu à la crémaillère à hauteur de ses narines, ce bouillon lui permettait de percevoir les odeurs de raves, de patates, de haricots et de citrouille, parfumé d’un bout de lard rance.

    De temps à autre, il devait tirer des petits coups répétés sur sa bouffarde usagée remplie de tabac bâtard qu’il faisait sécher dans le grenier. La découpe de ce tabac, finement émincé avec son couteau rasoir, était une véritable cérémonie avant de remplir sa blague en latex véritable. Aucunes miettes n’étaient laissées au hasard et s’il en restait un surplus, elles finissaient obligatoirement en chique.

    Le fait de chiquer et de se la coincer de temps à autre derrière l’oreille n’est pas une légende, mais lui ne pratiquait pas cette méthode. Il se faisait gronder par la grand-mère au sujet de ses mouchoirs, car il les rendait dans un état lamentable, il faut bien le dire.

    Il y déposait ses chiques déjà mastiquées, en attente de les sucer à nouveau et ils servaient aussi de replis pour les gros crachats remplis de goudrons et de nicotine. On aurait dit qu’il en avait essuyé les côtés d’une marmite sale lorsqu’elle a bien suinté, telle celle de cuisson du gimbourat³ par exemple.

    Mémé Anaïs lavait sur le bord du ruisseau ou tout simplement à même une grosse bassine, elle avait donc un peu raison de se fâcher.

    J’aurai bien des occasions de vous parler de mes grands-parents, mais je désire revenir encore sur cette date du 12 février 1943.

    Au même moment en face de la petite propriété rurale, dans les forêts qui encadrent Murestril, s’organisait à flanc de coteau et dans les bois, une partie de la résistance en Dordogne.

    Dans le prolongement de la chambre de mes parents, à quelques mètres derrière, ruminaient et soufflaient de temps à autre deux magnifiques couillards⁴ et l’unique vache laitière dormait paisiblement. Dans le cognassier et le tilleul bordant la mare de la basse-cour, les pintades s’étaient perchées pour dormir et les hululements d’une chouette allaient bientôt troubler le silence de la nuit.

    Les moutons toujours affamés bêlaient lamentablement en désordre dans leur étable en bout de la grange, excepté la seule brebis noire qui émettait un son rauque du genre bémol, pour ponctuer la cacophonie du troupeau réclamant du foin.

    La grand-mère Anaïs exprimait l’angoisse habituelle qu’elle manifestait à chaque évènement particulier. Elle prenait son air attristé et manifestait l’émotion déguisée des grandes catastrophes, sans pour autant être vraiment inquiète intérieurement.

    Néanmoins, elle assurait, comme à l’accoutumée, toutes les tâches de fin de journée. Elle portait à bras d’homme une bonne souche d’arbre pour tenir le feu de cheminée toute la soirée, après avoir gavé quelques canards, mis la litière au bétail, soigné ses lapins, fermé la volaille dans la cabane du vallon, coupé la mangeaille des oisillons et ramené deux seaux d’eau accrochés aux extrémités de son cambalou⁵.

    Ses activités de fin de journée n’étaient pas pour autant terminées, si elle en avait le courage et elle n’en manquait pas, elle faisait des crespélous⁶ pour tous les convives. Les trente-cinq heures la feraient bien sourire aujourd’hui !

    Mes parents m’ont indiqué que ma date de naissance déclarée était le douze février de l’an 1943 vers dix-sept heures. Mon état civil fut libellé avec grand soin dans le livret d’usage par le secrétaire de la mairie de Cendrieux, à la plume d’oie trempée dans l’encre de Chine, en faisant ressortir les pleins et les déliés.

    Le futur père avait en hâte, « enfourché son vélo » avant d’exprimer sa joie de voir arriver Petit Jean ou Arlette, pour aller chercher le médecin accoucheur généraliste de Sainte-Alvère ou la sage-femme accréditée. Heureusement, il n’y avait pas de verglas dans le virage du côté de la Font Luzière, car il aurait bien pu se retrouver en contrebas dans les taupinières.

    Les grands-parents paternels sûrement prévenus arriveraient sans doute le lendemain matin, à moins que la Nenette ne soit déjà là pour faire la soupe. Sinon, ils allaient déambuler en fin de semaine, à pied au bout de l’allée bordée d’arbres fruitiers menant à la ferme, les vélos à la main.

    Dans la cuisine se trouvait tout le nécessaire vital pour survivre pendant deux hivers rigoureux et il ne faisait jamais très froid dans la pièce commune.

    La grande cheminée périgourdine où pouvait brûler n’importe quel bois, souches de noyer, châtaignier, branchages, vieux pruniers morts, bûches, était toujours active.

    Les belles marmites en fonte culottées qui font la bonne soupe de campagne, les poêles à frire et à virols⁷ entreposées à proximité donnaient à l’ensemble un aspect convivial.

    Les buffets étaient remplis de toupines en grès pleines à ras bord de graisse de canard, de quelques confits et de gésiers, réservés aux repas de fête en famille.

    Il y avait aussi des provisions en tout genre. La mère étant plutôt du genre fourmi, elle accumulait des stocks de provisions courantes. Je ne me souviens pas de l’avoir vu manquer de vermicelle ou de nouilles, celles que l’on donne aux chiens aujourd’hui.

    Je ne vous parle pas de la réserve de couennes ni des deux jambons suspendus aux poutres pour honorer les convives. Les petits salés n’étaient pas en reste ainsi que des jambonneaux et des pieds de cochons superbement préparés.

    Je ne vous parle pas non plus des pâtés de campagne, de foie gras de canard, ou de lapins aux patates, des confitures en tout genre, et de tout ce que je dois oublier.

    Le Grand-père effectuait d’ailleurs tous les matins ses frétiches⁸ devant le buffet avant d’aller battre sa faux. Après ce casse-croûte, il partait couper et rassembler la litière dans les bois pour épandre sous le bétail (mélange de fougères sèches, de feuilles et de bruyère qui en association avec les déjections animales assurait un bon fumier).

    La grande table en chêne au milieu de la pièce avec ses deux bancs, la cuisinière à bois dans le coin gauche de la cheminée, la pendule dressée jusqu’au plafond rajoutaient un charme indéniable, dans la plus pure tradition périgourdine.

    L’évier, situé en rentrant à droite, était équipé d’une superbe pierre massive dans laquelle une saignée conduisait les eaux usées à l’extérieur, à même la basse-cour. Cette pierre se terminait par un bec caractéristique dénommé pissarou en patois.

    De part et d’autre de cet évier se trouvaient deux seaux d’eau avec leur couade⁹ utilisée par souci d’économie, mais aussi pour boire par grandes chaleurs l’eau fraîche tirée du puits ou de la source à la rivière !

    L’immense pièce principale servait de cuisine, de salle à manger et de chambre à coucher pour les grands-parents et le cousin des Perroutis. Elle se dissimulait derrière un immense rideau accroché au plafond. Leur lit rouleau se trouvait à gauche en rentrant, la ganelle¹⁰ côté mur extérieur.

    Il va être dix-sept heures, la future mère, Adèle, se tord de douleurs et pousse sous les impulsions du docteur Raleur.

    Petit Jean se présente et se fait tirer aux forceps et voilà, je suis né, à la grande joie de tout ce petit monde qui m’entoure, mais si eux riaient, je pleurais ! La vie est ainsi faite, on ne naît pas en riant.

    Ainsi, je vais avoir la lourde tâche de perpétuer le nom des Cabochon de Limeuil, car vous le verrez, personne n’en sera capable par la suite, quelle charge épouvantable !

    Mon père Jean René Cabochon, agriculteur par alliance avec Adèle, avait « quelques bagages ». À l’époque, le brevet élémentaire du premier cycle lui aurait permis de devenir instituteur. Il était donc né à Limeuil en Dordogne le 7 juillet 1920. Il était le fils de Cabochon Jean Cyprien, un vrai gringalet, facteur alcoolique, mais ancien poilu jamais décoré officiellement, avec pourtant, une multitude de citations. Appelé Sylvain dit Guignol par les gens du pays et de Deleterre Françoise surnommée la Nenette agricultrice, large comme une barrique, boulimique, émettant des rots caractéristiques du fond du pharynx toutes les trente secondes après les repas. Sans doute, elle ne supportait pas ses excès de nourriture et de desserts en particulier, du genre îles flottantes ou charlottes à la crème anglaise en quantité industrielle.

    Vous devinez le couple parfait, l’un disposant en permanence d’une bouteille de vin rouge à la main et l’autre du rouleau à pâtisserie, pour se faire respecter.

    Ma mère Adèle Birouille, dite Lisette, agricultrice, couturière, matelassière, cuisinière, était née le 13 mai 1922 à Cendrieux.

    Elle était la fille de Birouille Noé, dit Biroulet et d’Anaïs Baufretou dite Angèle.

    Nöe était un homme génial, un grand-père que j’ai beaucoup aimé, et je sentais que cet amour était réciproque. Il adorait jouer de l’harmonica avec moi. Il était né à Mauzens Miremont le 25 décembre 1895. Nous partions assez souvent en vélo chez son frère André. Il exerçait la profession d’agriculteur, bûcheron, producteur de feuillards de châtaigniers pour effectuer des paniers, charbonnier à ses heures. Ancien combattant, il fut gazé à plusieurs reprises durant la Grande Guerre et participa à la défense du fort de Douaumont (Verdun 1916). Il me raconta souvent ses souffrances à la bataille du chemin des Dames.

    Baufretou Anaïs dite Angèle était née à Cendrieux le 14 mars 1900. Agricultrice, fille d’Antonin Baufretou et de Anette Védrine. Elle me parlait souvent de sa mère partie nourrice en Algérie pour vendre son lait à la progéniture d’un officier.

    Elle me racontait aussi que dans sa famille il existait de nobles vers Saint Laurent des Bâtons nommés De Gonthier. Cette situation me permit d’ailleurs de créer une gamme de foies gras du Périgord, sous l’étiquette Catherine de Gonthier.

    Mes grands-parents maternels formaient un couple qui passait son temps en palabres, voire à s’injurier. Néanmoins, ils se cherchaient lorsqu’ils ne s’étaient pas vus depuis quelques instants. En fait, c’était au jeu d’une véritable comédie que mari et femme aimaient se livrer.

    Je vois donc le jour, ce vendredi 12 février 1943, et provoque un pôle d’attraction dans la ferme du Claidier, chez les Birouille et les Cabochon pour la famille, les voisins et les amis.

    Les Bartélémy, les plus proches voisins, étaient conviés au traditionnel apéritif au vin rouge. Seuls un vieux mur, une grange et leur cave assuraient la mitoyenneté et Guillotin Bartélémy allait très vite pour sauter la barrière s’il pouvait gagner un casse-croûte ou boire un verre de vin.

    Cet homme, pourtant bon enfant, était toujours en quête de mendicité, ou cherchait toujours à profiter des autres. Il manifestait cet esprit de resquille sous prétexte de sa pauvreté.

    Gaétan Cabriduche et la Mathilde, ces travailleurs assidus, ainsi que Novembre le grand-père tout courbé, avaient fait l’effort de traverser les quelques champs qui les séparaient du Claidier pour venir voir le nouveau-né, Petit Jean, d’ailleurs très vite appelé Jeannot, puis surnommé par ses Grands-parents paternels à Limeuil Coco.

    C’est sans doute pour cette raison et par déviationnisme que j’adhérais au parti communiste français, bien plus tard, en 1968, pendant la guerre que livraient les étudiants à la société de consommation et aux bonnes mœurs.

    Je compris d’ailleurs très vite que les libertés et mon chemin n’étaient pas de ce côté-là ! Je quittais le parti, après les évènements de Tchécoslovaquie, où mes camarades justifiaient l’intervention russe comme une défense de la démocratie et les acquis du socialisme (pas d’autres commentaires).

    Ce surnom de Coco me venait aussi du côté bolchévisant de la famille, car truffé de fonctionnaires influencés par cette idéologie chez les Cabochon, les Deleterre, les Perruche et bien d’autres.

    Mon grand-père Guignol ne cachait pas ses sympathies pour Maurice Thorez et le grand frère Staline, le père des pauvres et bienfaiteur de l’humanité.

    Employé à la poste, il avait un emploi sûr, même s’il perdait du courrier et oubliait sa sacoche dans un champ, il ne pouvait pas être licencié.

    L’oncle Robuste fera lui aussi une brillante carrière dans ce secteur, mais ne jouira pas très longtemps de sa confortable retraite, décédé presque aussitôt. Il avait pourtant réussi la prouesse de s’emparer du patrimoine global des Cabochon ne laissant rien à ses propres neveux. Quel dommage pour lui et sa chère épouse Miélette, un temps riche, mais rapidement malade et morte.

    Et les Cantalous, nos voisins préférés et amis de toujours ? Je pense souvent à eux par affection, car ils étaient présents depuis la première heure. La Titir, cette femme exceptionnelle, assurait telle une mère l’intendance, ainsi qu’une présence amicale et très efficace.

    D’une gentillesse remarquable, elle n’était pas tous les jours à la fête. Elle supportait les colères de son mari, le grand Paulo, bourru, coléreux et violent. Il lui flanquait des trempes de temps à autre, car elle se présentait parfois sans se plaindre, meurtrie, avec les yeux au beurre noir.

    Leurs enfants Marcel et Sergio pointaient leur nez avant de partir chez Chanoutan pour un cours de solfège. Ils jouaient du saxo et du banjo à merveille, et la petite grange longtemps en ruine du côté du chemin leur servait de salle de répétition. Elle a été réhabilitée depuis quelques années par de nouveaux propriétaires.

    Ce 12 février 1943 dans le monde n’est pas un jour de gloire pour tous.

    Voici le résumé du journal L’action française, édition de Lyon du 12 février 1943.

    Berlin, le 10 février 1943 – Le haut commandement des forces allemandes communique :

    Dans la partie méridionale du front de l’est, les durs combats défensifs se sont poursuivis hier encore avec la même intensité. Du fait de nos puissantes contre-attaques, et de notre défense acharnée, les soviets ont à nouveau subi de lourdes pertes.

    Dans le Caucase occidental, reprise de l’activité. Toutes les attaques ennemies menées en partie avec l’appui d’engins blindés ont été repoussées.

    Dans la région du Donetz supérieur et à l’ouest du secteur de l’Oskol, les divisions allemandes ont non seulement arrêté en de nombreux endroits l’avance de l’ennemi, mais ont également rejeté les Soviets vers l’est.

    L’adversaire a subi de lourdes pertes ; au cours de ces opérations, un régiment de cavalerie ennemi a été presque entièrement anéanti. La 168e et la 45e division d’infanterie se sont particulièrement distinguées dans ces combats.

    Dans les secteurs central et septentrional, du front de l’est, la journée a été calme dans l’ensemble.

    Sur le front occidental, la nuit dernière, des bombardements britanniques isolés ont effectué des raids de harcèlement inefficaces au point de vue militaire sur l’ouest de l’Allemagne. Des avions de combat allemands ont bombardé hier plusieurs localités du sud et du sud-est de l’Angleterre.

    On mande de Berlin :

    Le centre des violents combats qui se déroulent à l’est s’est maintenu dans la région du cours moyen du Donetz, où les Russes ont lancé une violente offensive.

    Les troupes allemandes se trouvent aux prises avec un adversaire fanatique, qui se bat avec un acharnement bien supérieur à celui de l’hiver dernier. La Wehrmacht ne dispose d’aucune ligne de défense pourvue de points d’appui, mais uniquement d’un système défensif échelonné en profondeur et flanqué de fortifications.

    « Aussi, déclare-t-on dans les milieux militaires du Reich, est-il parfaitement possible que l’adversaire ait réussi à pénétrer en quelques endroits dans le dispositif allemand. Le verrouillage et le nettoyage de ces poches ne pourront s’effectuer qu’au cours de combats ultérieurs. »

    On souligne également à propos des informations de source adverse selon lesquelles Koursk et Bielgorod auraient été reconquis par les Russes que les combats se poursuivent actuellement dans les deux localités.

    D’autre part, les combats dans la région de Novorossiisk se déroulent avec une violence accrue. Les Russes ont lancé de nouveaux renforts dans la bataille, dont le centre de gravité se situe au sud de la ville. Un porte-parole de l’armée a annoncé aujourd’hui à midi que les Russes avaient réussi à débarquer de nuit des troupes de renforts au nord-ouest de Novorossiisk.

    L’adversaire a déployé une vive activité dans les secteurs du Kouban inférieur et du Don inférieur, sans toutefois que ces combats aient atteint la violence des attaques soviétiques dans le secteur central du Donetz.

    Aucune opération d’envergure n’est signalée dans la région de Rostov.

    J’ai emprunté ces textes à un journal nationaliste et pétainiste du Lyonnais du 12 février 1943 que m’avait offert mon fils Bibiche.

    À la lecture du paragraphe précédent, vous pouvez vous rendre compte que la Deuxième Guerre mondiale entrait dans une phase décisive au jour de ma naissance. À cause de l’offensive gigantesque menée par les Russes sur le front de l’est, de l’action de la résistance intérieure à l’occupant, et de l’internationalisation du conflit, l’offensive des Allemands et de leurs alliés commençait à montrer des signes de faiblesse.

    Des politologues occidentaux commençaient d’ailleurs à s’inquiéter du devenir de l’Europe en cas de victoire totale des Soviets.

    Le gouvernement de Vichy avait beau stigmatiser les Gaullistes, les Francs-maçons, les Juifs et accepter l’invasion de notre patrie, rien ne pouvait plus désormais arrêter, au prix de sacrifices énormes, la libération des peuples vis-à-vis de la barbarie.

    Cette période connaissait également une intense activité politique dans le monde.

    Le général de Gaulle coordonnait l’action des forces libres et combattantes tant depuis l’Angleterre qu’en Afrique où il rencontrait les chefs militaires près du théâtre d’opérations.

    Les Russes et Japonais continuent leurs palabres pour négocier les ressources de l’île de Sakhaline. Malgré l’adversité, ils se rencontraient à nouveau comme chaque année au sujet des pêcheries.

    La grande île (sa superficie égale à peu près le septième de la France) est probablement un des lieux les plus déshérités de la planète. Cependant, son sol et les eaux qui l’environnent recèlent des richesses qui expliquent l’intérêt que Russes et Japonais attachent à sa possession.

    En fait, je suis bien né pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais n’en ai pas de souvenirs très précis, excepté peut-être lors de la débâcle allemande et ne m’en veuillez pas de cette dispersion par rapport au sujet. Je pense qu’il était nécessaire de parler de la situation dans le monde à ce moment-là.

    Ce rappel historique qui fait un peu frémir, laisse perplexe sur la responsabilité des dirigeants politiques de l’époque et de leurs aptitudes à se prémunir contre le fascisme. Bien des similitudes peuvent être constatées de nos jours. Hélas, les criminels responsables de massacres demeurent impunis et aucun pays, voire groupe de pays ne peut contenir ou ne veut contenir par la force, ce cancer de notre société.

    Comme les mêmes causes reproduisent les mêmes effets, soyons persuadés de la fragilité de la paix et de la démocratie et prenons garde.

    Le laxisme, le manque de courage et de fermeté vis-à-vis de l’anarchie, le laisser aller, les promesses non tenues, les crimes impunis, engendrent la confusion et à terme la violence.

    Le nombre de poudrières se multiplie et des innocents y laissent leur vie. Partout, le nombre de lazzarones augmente sans cesse.

    Mais moi, en ce 12 février, je ne pense qu’à téter et dormir, mon esprit de nouveau né est bien loin de toutes les réflexions précédentes qui exprime un seul point de vue : le mien trop pessimiste pour certains, assez réaliste pour d’autres.

    Le plus dramatique dans les discussions avec beaucoup de gens aujourd’hui, c’est de leur entendre dire que la guerre serait le seul remède à toutes leurs difficultés. Avec cynisme, ils pensent qu’après la tourmente et les massacres, il y aurait du travail pour tous.

    De grâce, mesdames et messieurs, arrêtez vos fantasmes et pensez aux cortèges de souffrances endurées par les vôtres lors des conflits de ce siècle ou du

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