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Éclipsée (73)
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Livre électronique343 pages3 heures

Éclipsée (73)

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À propos de ce livre électronique

Née avec une malformation cardiaque, ma sœur Emma accapare toute l’attention. Moi, je m’éclipse pour ne pas déranger. Mes parents en ont bien assez sur les bras avec tous les tests médicaux qu’elle subit. Mon rôle est d’être raisonnable et disciplinée, mais ce n’est pas toujours simple de cacher mes émotions. Ma peur et ma colère sont parfois si fortes qu’il devient difficile de les gérer…
Le jour où ma mère m’interdit de participer à un échange étudiant en France, je ressens l’envie de crier que je ne suis pas malade, moi, et que j’ai le droit d’exister. Cependant, je refoule ma déception, m’isolant pour mieux dissimuler mon égoïsme et ma culpabilité. J’ai toute la vie pour visiter l’Europe, tandis que nous ne savons pas à quel moment celle d’Emma prendra fin…

Les frères et sœurs d’enfants malades sont de grands oubliés. Souvent relégués au second plan, ces jeunes se trouvent aux prises avec des tourments invisibles, tels que l’angoisse, l’hypocondrie et l’impression d’être moins importants. Leur souffrance est discrète, mais bien réelle, et il est crucial de la reconnaître. Leur bien-être est tout aussi précieux que celui des autres membres de la famille.
LangueFrançais
ÉditeurÉditions de Mortagne
Date de sortie12 mars 2025
ISBN9782897927325
Éclipsée (73)
Auteur

Amélie Bibeau

Native de Windsor, en Estrie, Amélie Bibeau a exploré tour à tour presque toutes les sphères du milieu du livre : libraire, critique, lectrice de manuscrit, autrice. Détentrice d’une maîtrise en lettres françaises de l’Université d’Ottawa, elle a été présidente de l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse (AÉQJ) de 2020 à 2024 et elle anime un balado qui présente les écrivains membres de l’association. Elle a publié plus de trente romans pour le public âgé de 5 à 17 ans. Récipiendaire du prix littéraire Suzanne-Pouliot-Antoine-Sirois de l’Association des écrivaines et des écrivains de l’Estrie en 2019, ses romans font partie de nombreuses sélections et sont utilisés par divers intervenants et enseignants pour sensibiliser les jeunes. En 2025, elle publie Éclipsée, un roman inspiré de son histoire personnelle avec sa sœur et son premier grand amour, ainsi qu'Un verre de trop, dans la populaire collection TABOU aux Éditions de Mortagne.

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    Aperçu du livre

    Éclipsée (73) - Amélie Bibeau

    Chapitre 1

    Le ventre noué, j’observe ma mère alors qu’elle consulte le formulaire d’autorisation que je lui ai remis. Après en avoir lu le premier paragraphe, elle lève la tête et me fixe, comme si je venais de dire ou de faire une grosse bêtise.

    — Qu’est-ce qu’y a ? que je lui demande en triturant une mèche de cheveux entre mes doigts.

    — Tu peux pas faire un échange étudiant, Noémie. Voyons, t’y as pensé ? C’est beaucoup trop d’engagements !

    Elle a raison : cela exige beaucoup de responsabilités. Chaque année, les élèves de troisième secondaire de mon école polyvalente sont invités à soumettre leur candidature pour un voyage scolaire entre la France et le Québec. Les aspirants doivent avoir une attitude exemplaire, un rendement scolaire supérieur et démontrer leur motivation, afin de faire partie des trente heureux choisis. De plus, ceux-ci devront s’impliquer dans plusieurs activités de financement tout en conservant leurs notes au-dessus de la moyenne générale, pour avoir le privilège d’aller vivre deux semaines à Aix-en-Provence, chez un Français de leur âge. Ensuite, l’étudiant français sera à son tour hébergé par sa famille d’accueil québécoise pour la même durée. Il partagera alors son quotidien et visitera la province en sa compagnie.

    Il s’agit d’une chance inouïe qui ne se présente qu’une seule fois dans une vie !

    — Je sais que ça va être prenant, m’man… J’ai travaillé super fort pour être choisie et je suis prête à tout donner encore. J’te jure que j’en suis capable.

    J’aspire à ce voyage depuis mon entrée au secondaire. Étant donné que le rendement scolaire est important pour y être admis, j’ai mis les bouchées doubles afin d’être parmi la sélection. J’ai appris ce matin que mon nom avait été retenu. Avec celui de ma meilleure amie, Carolanne, qui plus est. Le rêve !

    — Je doute pas de toi, ma grande. Je suis certaine que t’en es capable, mais il aurait fallu nous en parler avant, je t’aurais dit de pas trop te faire d’idées. C’est vraiment pas possible pour nous d’accueillir un étudiant français en mai. Tu peux pas non plus partir aussi loin. Si Emma tombe malade pendant que t’es en France, tu vas faire quoi ?

    Évidemment… La condition d’Emma, ma jeune sœur de onze ans, née avec une malformation cardiaque, me met encore des bâtons dans les roues. J’en ai ma claque que ma vie tourne autour de ses problèmes de santé. Quand elle va bien, mes parents sont enjoués, chaleureux, aimants et m’accordent beaucoup de temps. Mais lorsque son état physique se détériore, je n’existe plus.

    Ma sœur est née avec une transposition des gros vaisseaux ou, pour faire plus court, une TGV (à ne pas confondre avec le train à grande vitesse). Quand j’étais petite, on me disait qu’à sa naissance, Emma avait le cœur à l’envers. Je m’imaginais alors toutes sortes de choses : que ses émotions seraient à l’opposé des miennes et que je n’arriverais peut-être pas à la comprendre. La vérité est beaucoup moins poétique.

    Le cœur humain fonctionne comme une pompe. Il est séparé en quatre sections composées de deux oreillettes et de deux ventricules. À chaque battement, l’oreillette droite aspire le sang désoxygéné qui provient des veines. Celui-ci se dirige ensuite vers le ventricule droit qui l’envoie aux poumons via l’artère pulmonaire. Une fois que le sang est oxygéné, il est dirigé vers l’oreillette puis le ventricule gauche pour être propulsé dans le corps par l’aorte, qui distribue le flux sanguin dans les artères afin qu’il alimente le corps en oxygène.

    Dans le cœur de ma sœur, la position des vaisseaux était inversée. En effet, l’aorte sortait du ventricule droit et retournait le sang désoxygéné dans le corps, tandis que l’artère pulmonaire se connectait au ventricule gauche et renvoyait le sang oxygéné aux poumons. Du coup, à sa naissance, ma sœur se retrouvait avec deux circuits sanguins distincts tournant en boucle sans jamais se croiser, ce qui impliquait que le sang dans le corps ne recevait pas l’oxygène nécessaire pour nourrir les cellules.

    Si le bébé n’est pas pris en charge rapidement, il meurt en quelques jours, puisque les organes finissent par se nécroser. Cette malformation est maintenant facile à réparer, et la plupart des enfants s’en sortent sans trop de problèmes. Cependant, ma sœur a la malchance collée aux fesses.

    À quelques jours de vie, on a ouvert une partie de son cœur pour permettre au sang de circuler entre les ventricules le temps de pouvoir corriger le problème. Cette manœuvre, appelée Rashkind, n’est pas toujours nécessaire, mais dans le cas d’Emma, cela lui a sauvé la vie en attendant l’opération à cœur ouvert qui a permis de remettre les vaisseaux à leur place. Malgré la correction de sa malformation, ma sœur n’était pas tirée d’affaire, loin de là, puisqu’une complication a nécessité une autre intervention chirurgicale. Comme si ce n’était pas assez, elle souffre également d’hypertension pulmonaire, c’est-à-dire une pression rendant la respiration plus difficile.

    Dans la plupart des cas, cette problématique demeure stable, mais dans celui d’Emma, la pression augmente. Elle se retrouve coincée dans un cercle vicieux : son cœur se fatigue, ce qui force ses poumons à travailler plus, et oblige son cœur à pomper plus fort, ainsi de suite. Pour faire augmenter son pouls qui s’affaiblissait, on lui a installé un pacemaker, et, régulièrement, elle doit passer des échographies cardiaques pour vérifier son état de santé, qui malheureusement se dégrade sans cesse.

    — Sois raisonnable, argumente maman.

    Raisonnable ? Je le suis plus qu’assez. Je respecte les consignes, j’obtiens des résultats scolaires excellents, je ne me plains pas, je ne demande rien. J’ai appris très vite à être « raisonnable ». Je n’ai pas trop eu le choix…

    Même aujourd’hui, alors que j’ai envie de hurler à pleins poumons que la situation est injuste et que je ne devrais pas avoir à me priver de ce voyage parce que ma sœur est malade, je demeure muette, malgré mes yeux qui piquent. Ces choses-là ne se disent pas. Ce sont des pensées méchantes qui m’habitent souvent et que j’ai appris à taire. Chaque fois qu’elles se présentent à moi, je me sens coupable. J’ai peur qu’un jour quelqu’un découvre à quel point je suis une fille égoïste.

    Je ravale ma déception, ramasse le formulaire dont ma mère a coché la case « Ne participera pas » et tourne les talons. Une fois dans ma chambre, je jette les feuilles dans mon sac, puis saisis mon téléphone pour écrire à Carolanne que je n’irai pas en France avec elle. Pendant plusieurs minutes, je pleure la tête enfouie dans mon toutou préféré. Ce vieil ourson en a vu de toutes les couleurs avec moi. Lorsque je suis stressée, j’ai la fâcheuse manie de rouler ses poils entre mes doigts, ce qui donne à son pelage des allures de dreads. Et lorsque je suis triste, il étouffe mes sanglots pour que personne ne les entende.

    Une fois calmée, je sors mon livre de mathématiques et m’installe à mon bureau pour faire mes devoirs et me changer les idées. Après avoir terminé tous mes exercices, je reprends mon appareil et écoute les messages vocaux de ma meilleure amie. Elle est déçue, évidemment, mais elle me promet qu’un jour nous nous rendrons ensemble à Pariiiiiiiiis, comme elle dit, en prononçant le « i » avec une intensité qui me fait rigoler. Elle me demande même si je souhaite qu’elle renonce au voyage.

    Noémie

    Es-tu folle ? Non, vas-y, voyons…

    Carolanne

    OK, cool. Ce sera pas pareil, sans toi, mais je vais spotter tous les endroits les plus chauds pour quand on va y retourner ensemble !

    Ma meilleure amie est trop chou…

    Carolanne

    Bon, je vais souper. On se voit au curling, ma poule ! Tu vas enfin retrouver ton beau F-X…

    Cette idée me redonne instantanément ma bonne humeur. Notre saison de curling reprend aujourd’hui. Cela signifie que je vais côtoyer François-Xavier Laverdure, que l’on surnomme F-X, deux fois par semaine, lors de nos séances d’entraînement les mardis soir et les samedis matin. Notre partenaire de jeu est de deux ans mon aîné. Puisqu’il étudie dans une école privée, j’ai moins l’occasion de le voir, quoique nous soyons de temps à autre de la même fête. Il me parle alors très peu, mais quand nos regards se croisent, il me file parfois un clin d’œil et un sourire amusé qui me mettent dans tous mes états.

    Revigorée à l’idée de revoir F-X, je me rends à la cuisine, où maman prépare le souper.

    — T’as fini tes devoirs ? s’informe-t-elle.

    Je hoche la tête en soupirant. Pourquoi s’entête-t-elle à me poser cette question puisque je les fais chaque jour en priorité, au retour de l’école ? Je me verse un verre de jus, et en avale une gorgée avant de demander à mon tour, avec une voix calme et paisible, qui cache ma colère :

    — On soupe à quelle heure ? J’ai mon entraînement de curling à six heures et demie…

    — Dans dix minutes. C’est presque prêt…

    — Cool, dis-je en m’éloignant.

    Elle m’interpelle :

    — Eh, Noémie… Je suis désolée pour ton voyage. Tu comprends, hein ? C’est vraiment impossible. Et puis ta sœur, elle, avec sa condition, ne pourra jamais faire d’échange étudiant. Le simple fait de prendre l’avion pour traverser l’océan pourrait être dangereux pour son cœur. Toi, au moins, tu pourras aller en France plus tard, hein, ma chouette ?

    Je serre les dents et avale une gorgée de jus pour faire passer la boule dans ma trachée, alors que ma culpabilité vient encore d’augmenter d’un cran.

    — Ben oui, je comprends. C’est pas grave.

    Bien que mon ton paisible soit une pure mascarade, ma mère paraît soulagée. Je suis consciente qu’elle est sincèrement désolée de me refuser ce voyage. Ma colère à son égard est injustifiée, mais demeure toujours aussi vive.

    — Je t’aime, ma grande… Je suis fière que t’aies été choisie. On te demande de faire beaucoup de sacrifices, et je sais que c’est plate, mais y a trop d’imprévus avec la santé d’Emma.

    Je baisse la tête, honteuse. Ma sœur voit sa cardiologue tous les trois mois et, à son dernier rendez-vous, celle-ci nous a appris une bien mauvaise nouvelle : en raison de son hypertension pulmonaire qui a encore augmenté, il y a de fortes chances qu’Emma ait besoin d’une greffe cœur et poumons avant ses dix-huit ans. Ma déception me semble puérile en comparaison des vrais problèmes de ma sœur. J’ai toute la vie pour aller en France, tandis que nous ignorons quand la sienne prendra fin…

    Saut d’espace temps.

    On frappe doucement contre la porte de ma chambre.

    — Noémie, c’est l’heure de te lever. Y’arrive onze heures, ma grande.

    Aujourd’hui, c’est congé pédagogique et je paresse au lit depuis bientôt deux heures. Je fais rarement la grasse matinée, mais depuis que ma mère m’a appris que je ne participerai pas à l’échange étudiant, je me suis cloîtrée dans ma chambre. Je prétexte crouler sous les travaux scolaires ; la vérité, c’est que je n’ai envie de voir personne et encore moins ma sœur. Je sais qu’Emma aurait souhaité naître avec un cœur en santé et qu’elle aimerait que je participe à ce voyage (d’ailleurs, elle n’est probablement même pas au courant de ce qui m’arrive), mais je n’accepte pas le fait de rater cette occasion à cause de sa malformation. Je me sens tiraillée entre ma compassion pour elle et mon envie de vivre une vie normale. Alors, pour éviter d’infliger ma mauvaise humeur à ma famille, je m’isole.

    — Noémiiiiiiiiiiie ! insiste ma mère. Debout !

    — OK, c’est bon. Je suis réveillée. T’es pas obligée d’alerter tout le voisinage…

    — Est-ce que tes valises sont prêtes ?

    — Presque !

    Mes parents se sont séparés il y a environ un an, et depuis, je vis dans mes sacs. C’est toutefois ici, dans la demeure familiale, que je me sens le plus chez moi. Nous y sommes emménagés peu après la naissance d’Emma, parce que mes grands-parents maternels habitent à quelques coins de rue. En cas d’urgence, ceux-ci pouvaient arriver à la maison en moins de quelques minutes pour prendre soin de moi. D’ailleurs, cette maison jumelée était moins chère que celle où nous restions auparavant et dont je ne garde aucun souvenir. Ma mère a ainsi pu prendre deux années sabbatiques après son congé parental. Elle a ensuite travaillé à temps partiel jusqu’à l’entrée d’Emma en maternelle. Puisqu’elle est enseignante dans notre école primaire, cela lui permet de surveiller ma sœur. Je me demande comment elle va gérer l’entrée au secondaire de sa fille chérie, l’an prochain.

    Je déteste faire mes bagages, car cela me rappelle les opérations et les hospitalisations de ma sœur. Chaque fois, j’allais vivre chez mes grands-parents pendant plusieurs jours. Ceux-ci me gâtaient beaucoup. Souvent, ils invitaient ma cousine Lauralie pour que j’aie quelqu’un avec qui jouer. Grâce à leurs excellents soins, je me sentais un peu moins abandonnée, et il m’arrivait de me trouver chanceuse de pouvoir manger des croustilles et boire de la boisson gazeuse à volonté. Ils me permettaient même de regarder la télévision jusqu’à ce que je tombe de fatigue.

    Mes parents ont tout fait pour m’éviter de souffrir de leurs longues absences, et ils y sont parvenus. Enfin… presque. Je crois que rien au monde n’aurait pu me protéger contre la peur de savoir ma sœur en danger. Nous sommes terrifiés à l’idée qu’Emma puisse mourir. Quand elle est hospitalisée, toute la famille se tient sur le qui-vive. Nous essayons de mener notre quotidien de façon normale, mais c’est impossible d’oublier que l’une des nôtres lutte pour sa survie.

    Comment pourrais-je occulter de mon esprit que l’une des personnes que j’aime le plus va peut-être mourir ? Même lorsque j’étais jeune, je comprenais ce qui se passait. J’allais en classe avec l’idée morbide qu’à mon retour chez mes grands-parents, on m’annoncerait peut-être le décès de ma complice de jeu. Emma me tape sur les nerfs soixante-quinze pour cent du temps, mais les vingt-cinq pour cent qu’il nous reste, je l’aime d’un amour fou. Ces moments sont empreints de rire, de bousculades, d’émissions de télévision collées l’une contre l’autre, d’heures à imaginer des scénarios pour nos toutous auxquels nous avons donné des prénoms farfelus, de matins où elle me réveille en douce pour que nous allions regarder YouTube pendant que nos parents dorment…

    Sans Emma, ma vie perd son sens. Si elle meurt, avec qui pourrais-je partager ces souvenirs de mon enfance ?

    Je chasse ces pensées intrusives de mon esprit et me rappelle que ma sœur n’a pas été hospitalisée depuis ses neuf ans, âge auquel on lui a implanté son pacemaker. D’ailleurs, cette fois-là, mon séjour chez mes grands-parents n’avait pas été long, puisqu’il s’agit d’une intervention mineure.

    Je passe à la salle de bain, me soulage, puis rassemble mes bouteilles de shampoing, revitalisant et gel douche pour les glisser dans ma trousse de beauté, avec mon nécessaire de maquillage. De retour dans ma chambre, je place la pochette à l’intérieur de mon bagage, puis mets ma liste d’écoute en marche le temps de faire mon lit et de m’habiller. Tout en rêvassant au sujet de F-X au son de mes ballades préférées, je remplis mes sacs de quelques vêtements et de mes accessoires de curling.

    La séparation de mes parents ne m’a pas étonnée. Cela fait des années que je les vois s’éreinter. Ils ne se comprennent pas au sujet de la maladie de ma sœur. Mon père est très nonchalant (maman dit qu’il joue à l’autruche et nie la gravité de la situation), tandis que ma mère est constamment anxieuse (papa trouve qu’elle exagère et qu’elle devrait se calmer un peu). Moi, je pense qu’ils ont tous les deux tort. Je jongle entre leurs visions.

    Lorsqu’Emma va bien, je vis dans le déni. Pourquoi m’inquiéter inutilement ? Alors j’essaie d’oublier qu’elle a ces cicatrices sur la poitrine. Cela ne m’empêche toutefois pas de rester dans une sorte d’hypervigilance. Depuis toute petite, je surveille les signes d’insuffisance cardiaque chez ma sœur. A-t-elle les lèvres bleues ? Son souffle est-il trop rapide ? A-t-elle des cernes sous les yeux ? Les joues rouges ? Est-elle blême ? Difficile d’oublier que son cœur est malade, même si elle a l’énergie d’une centrale électrique et qu’elle déplace plus d’air à elle seule en une journée que moi dans toute une année…

    Je suis effacée, alors qu’elle est pimpante. Elle dit tout ce qui lui passe par

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