Le jardin des délices
Par Joseph Annet
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À propos de ce livre électronique
Lors d’un vernissage très couru, l’artiste exposant dénonce lui-même le scandale : un de ses tableaux, intitulé Le Jardin des Délices, est un faux. Bientôt, de Bruxelles à Paris et de Shanghai à la Côte d’Azur, faux-semblants et vraies victimes s’additionnent… De quoi tourner la tête à Kevlar. De quoi lui tournebouler les sens, peut-être. Jusqu’à la panne ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né à Bastogne en 1970, Joseph Annet est romaniste de formation et travaille dans le secteur associatif. Après "Le Dossier Nuts" et "Que tombent les masques", "Le Jardin des Délices" est son troisième thriller.
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Aperçu du livre
Le jardin des délices - Joseph Annet
Descriptif
La collection de romans policiers Noir Corbeau bénéficie du regard averti de François Périlleux, Commissaire Divisionnaire (e. r.), ancien chef de la Crime à la Police Judiciaire Fédérale de Liège.
Chapitre 1
En équilibre sur la ligne d’horizon, l’immense porte-conteneurs semblait immobile, soudé à la mer par les rayons d’un soleil de plomb. Sur la plage, la chaleur lourde et étouffante plaquait au sol les corps luisants. Proches de la suffocation, ils attendaient impatiemment l’orage que les premiers nuages sombres et bas annonçaient au loin. Bientôt, ils troubleraient l’horizon. Des éclairs lézarderaient le ciel. Et la terre tremblerait sous le grondement du tonnerre.
Chaussures à la main, le pantalon remonté jusqu’aux genoux, Kevlar regardait les vagues mourantes écumer à ses pieds. Il aimait la chaleur, mais il aurait aimé que l’orage éclate pour effacer ses souvenirs comme il effacerait les traces de ses pas sur le sable. Il ferma les yeux, laissant son corps se balancer au rythme de la marée.
Le couteau, la lutte, l’homme au sol, le sang qui se répand… Les images des événements de la veille accaparaient ses pensées, tournaient en boucle dans son esprit, s’imprimaient au fer rouge dans sa chair. Il revoyait sans cesse le visage hargneux de son assaillant, son regard déterminé, sa main pointant la lame vers sa gorge. Il respirait encore son haleine de tabac et d’ail lors de leur corps à corps. Il éprouvait toujours ce même soulagement mêlé de peur et de dégoût lorsque l’homme s’effondra le couteau planté dans l’abdomen.
L’impact d’un ballon sur sa jambe lui fit ouvrir les yeux. Un garçonnet attendait à quelques mètres sur sa gauche, le regard craintif. Kevlar se baissa, lui sourit et déposa le ballon dans ses mains avant de s’éloigner. La plupart des vacanciers quittaient la plage et les loueurs de chaises longues rangeaient leur matériel. Les bars de plage alignés le long de la digue se vidaient eux aussi peu à peu.
Kevlar s’arrêta près d’un point d’eau pour nettoyer ses pieds du sable collé à sa peau et rechaussa ses mocassins.
Assise à l’ombre d’un parasol du Collins Club, Isabelle Derocourt sirotait un mojito, le regard porté sur le bateau pneumatique des garde-côtes qui secouraient un nageur imprudent. Elle aperçut Kevlar qui venait à sa rencontre et se leva pour l’accueillir.
— Max ! Je suis si contente que tu sois venu ! Changeons d’endroit avant que l’orage éclate.
Elle saisit son sac à main posé sur le siège face au sien et interpella un serveur pour lui régler sa note.
Ils quittèrent le bar de plage en direction de la Kustlaan où les vacanciers s’agglutinaient à présent devant les vitrines des magasins de luxe.
— Tu t’es baladé sur la plage ? lui demanda-t-elle à la vue de son pantalon trempé.
— Cela faisait si longtemps, j’en avais presque oublié la sensation.
— Tu devrais venir lorsqu’il y a moins de monde, c’est encore plus agréable. Et si tu aimes les balades, il y a aussi la réserve naturelle du Zwin, à deux pas d’ici.
— Une promenade en pleine nature, ça aussi, il y a bien longtemps.
— Moi, ça me ressource. Tu devrais essayer.
Elle pressa le pas et conduisit Kevlar au Memlinc, un hôtel-restaurant familial bientôt centenaire qui dominait l’Albertplein au cœur du quartier branché de Knokke. L’établissement possédait au quatrième étage un skybar dont la terrasse offrait une vue sur la mer. À leur arrivée, les premiers éclairs lézardaient l’horizon sans que le roulement du tonnerre ne leur parvienne encore.
Un serveur leur proposa une table sous un parasol aux couleurs d’une marque de vodka et attendit leur commande. Ils jetèrent un rapide coup d’œil à la carte et optèrent pour un verre de vin.
Un groupe d’adolescents passablement éméchés fit une entrée bruyante et s’attabla au fond du bar.
— Dans mon souvenir, il n’y avait pas autant de galeries à Knokke, reprit Kevlar pour orienter la discussion vers la raison de sa venue.
— La ville s’est fortement développée sur le plan artistique ces dernières années. Il y a plus de quatre-vingts galeries et de nombreuses manifestations.
— Comme la Knokke Art Fair qui débute ce soir…
— C’est l’événement de l’été, mais il y en a toute l’année. Tu savais qu’après la Seconde Guerre mondiale, le Grand Casino de Knokke avait été un lieu artistique important ? Picasso ou Keith Haring y ont exposé leurs œuvres. Magritte y a peint une fresque magnifique, Le Domaine enchanté.
Une jeune serveuse interrompit la conversation pour déposer les deux verres de vin commandés et un ravier d’olives noires.
— Tu connais l’artiste ? reprit Isabelle Derocourt.
— Pas personnellement, mais j’ai déjà eu plusieurs occasions de voir ses œuvres. Et toi ?
— J’ai rencontré Geerd Gaste à deux reprises. La première fois remonte à huit ans, lorsqu’il a exposé à Bruxelles pour sa dernière grande exposition en Belgique. Je venais de lancer mon blog, Art is Life. Gaste commençait à se faire une place parmi les peintres belges reconnus à l’étranger. La deuxième fois, c’était à Paris, lors de la rétrospective que le Centre Pompidou lui a consacrée il y a trois ans.
— Une rétrospective, déjà ?
— On publie bien des mémoires à trente-cinq ans, alors pourquoi pas une rétrospective pour un peintre d’une cinquantaine d’années qui a plusieurs centaines d’œuvres à son actif ?
— Et pourquoi ici à Knokke ?
— Parce que c’est ici que les galeristes retrouvent leurs clients durant l’été. Les Babbel y sont installés depuis deux générations et programment depuis plusieurs années une exposition importante en même temps que la foire.
L’ambiance musicale, jusqu’ici un mélange de jazz et de pop cosmopolite assez fade, se changea en une musique plus électro.
— Et toi, Max, tu bosses sur quoi actuellement ? l’interrogea la journaliste.
— Je sors d’une affaire un peu compliquée…
Kevlar marqua une pause. Il hésitait à lui raconter la bagarre de la veille et ses conséquences sur sa situation présente.
— J’ai plutôt besoin d’une pause en ce moment, se borna-t-il à répondre.
— Ce petit week-end à Knokke tombe à pic, donc ?
— On peut le voir ainsi…
Isabelle Derocourt regarda sa montre puis adressa un signe au barman pour lui signifier de préparer l’addition.
— Mettons-nous en route, proposa-t-elle à Kevlar.
Sans attendre sa réponse, elle se leva, se dirigea vers le bar où elle régla la note. Ils quittèrent le Memlinc et traversèrent l’Albertplein. La galerie Babbel, comme beaucoup d’autres, se situait le long de la digue, l’emplacement idéal pour exposer les artistes à la vue des riches vacanciers qui arpentaient quotidiennement le front de mer. Un violent éclair fendit soudain le ciel, suivi quelques secondes plus tard du bruit sourd de l’impact de la foudre sur le sol. Des voiles gris se détachaient des nuages sombres qui continuaient à s’approcher de la côte. Les premières gouttes se mirent à tomber.
Une large bande de la digue avait été privatisée pour l’événement. Des oliviers en pot et de foisonnantes décorations florales bordaient un tapis rouge au centre duquel l’accueil était assuré par la propriétaire en personne. Béa Babbel, dans un ensemble vert émeraude de la maison Natan, campait l’élégance raffinée de la ploutocratie locale. L’homme qui se tenait à ses côtés ne cessait de s’éponger le front.
— Chère Isabelle, comme je suis ravie ! Merci d’avoir fait le déplacement pour couvrir notre vernissage.
— C’est avec grand plaisir, Béa ! Je suis impatiente de découvrir l’exposition.
— Tu connais mon mari, Patrick, n’est-ce pas ?
— Bien sûr, lui répondit la journaliste.
La galeriste posa son regard sur Kevlar.
— Je te présente Maximilien Kevlarovitch, un ami amateur d’art.
— Soyez le bienvenu, lui adressa Béa Babbel en lui tendant la main.
Un premier espace intérieur proposait une sélection d’œuvres sorties du stock de la galerie. On pénétrait ensuite dans une deuxième salle, plus grande, où se tenait l’exposition consacrée à Gaste.
Les plateaux de champagne et de zakouskis slalomaient entre les grappes d’invités. Quelques-uns s’arrêtaient devant les toiles. La plupart consacraient ce rendez-vous mondain à l’entretien de leur carnet d’adresses.
Isabelle Derocourt scrutait l’assistance à la recherche des noms qu’elle citerait dans son article du lendemain. Elle fit un léger geste du coude vers Kevlar.
— Tu vois l’homme en blazer bleu ciel, au fond à droite ?
Kevlar suivit son regard.
— C’est Gaste. Allons le saluer, je voudrais l’interroger pour mon papier.
Elle attendit que l’artiste termine sa conversation avec une exubérante quinquagénaire dont l’enthousiasme semblait le noyer. Il reconnut la journaliste mais ne parvint pas à se remémorer son nom.
— Isabelle Derocourt, journaliste et blogueuse…
— Art is Life, c’est ça ? l’interrompit le peintre à qui la mémoire revint subitement.
— C’est exact ! lui répondit la journaliste, ravie qu’il se souvienne de son blog.
— Désolé, on rencontre tellement de monde dans ce milieu…
— Ne vous en faites pas, ça m’arrive très souvent également. Je souhaiterais réaliser un reportage sur votre exposition. Vous auriez quelques minutes plus tard dans la soirée ?
— Avec plaisir ! Après les salutations et les discours, je devrais avoir quelques minutes pour vous.
Kevlar s’arrêta devant une toile intitulée Le Dernier Golem. La scène baignait dans une atmosphère ténébreuse. On y découvrait deux personnages aux traits exagérément expressifs : un robot humanoïde et un homme âgé. Le robot serrait dans sa main droite le poignet du vieillard. Il l’empêchait d’atteindre le mot « EMET » écrit sur son front. À leurs pieds, un crâne humain affichait un sourire sarcastique. Le haut de la toile représentait un paysage lointain. Sur la ligne d’horizon, un arbre à neuf branches auxquelles pendaient des ânesses blanches.
— Tu m’expliques ? demanda Kevlar, intrigué par le tableau.
— Gaste aime s’inspirer de figures mythologiques ou légendaires qu’il réinterprète. Le golem, né dans la mystique juive, est un être artificiel, à l’origine fait d’argile, privé de parole et de libre arbitre, modelé pour servir son créateur. Le mot « emet » signifie « vérité ». Si on efface le premier « e », « met » veut dire « la mort », qui renvoie le golem à la poussière, ce que faisait le maître chaque soir. Gaste transpose la légende dans notre monde actuel. L’Homme a créé les robots pour qu’ils soient nos esclaves, mais ceux-ci nous ont surpassés. Le golem empêchera bientôt son maître d’effacer le « e ». En réalité, le dernier golem, c’est l’Homme. L’intelligence artificielle fera de nous les esclaves des machines que nous aurons créées.
Kevlar se rapprocha de la toile pour en observer les détails.
— Le crâne qui se marre, c’est la vanité, n’est-ce pas ?
— L’Homme s’est pris pour Dieu en voulant lui aussi créer un être à son image. Sa vanité triomphante le conduit à sa perte.
— Pour l’arbre à l’arrière-plan, par contre, je n’en saisis pas le sens.
— C’est l’Arbre de la connaissance du bien et du mal. Planté par Dieu dans le jardin d’Éden à côté de l’Arbre de vie. Les ânesses symbolisent ici la sagesse mystique. L’Homme refuse d’écouter la voix de la sagesse et ne fait plus la distinction entre ce qui est bien ou mal pour l’avenir de l’Humanité.
— Un grand optimiste, ton artiste !
— Regarde le trait qui se délie depuis le centre vers l’extrémité. Par son geste pictural, Gaste figure le délitement, la décadence.
Un homme d’une quarantaine d’années passa devant eux.
— C’est Boris Babbel, le frère de Béa, glissa discrètement la journaliste à Kevlar.
— Pourquoi n’accueille-t-il pas les invités avec sa sœur ?
— Relations familiales tendues depuis la mort de leur père. Je suis étonnée qu’il soit présent.
Béa Babbel avait rejoint l’espace d’exposition en compagnie des derniers invités.
— Tout se passe bien ? demanda-t-elle à la journaliste.
— Très belle réception, comme à chaque fois, lui répondit Isabelle Derocourt.
— Vous êtes bien placée pour savoir tout le travail que demande un tel événement. C’est une réelle satisfaction de voir que nos amis et clients sont présents.
— La réputation de la maison Babbel n’est plus à faire. Vos clients vous font confiance. Et puis, Gaste n’est pas n’importe quel artiste.
Une rumeur monta soudain du fond de la salle, accompagnée bientôt d’un mouvement de la foule d’invités que fendait d’un pas nerveux Geerd Gaste. Il s’arrêta devant Béa Babbel.
— Qu’est-ce que ça signifie ? cria-t-il d’un ton nerveux.
Béa Babbel, surprise par l’attitude de son artiste, mit quelques instants à réagir.
— De quoi parles-tu ?
— À quoi jouez-vous ?
— Comment ça, à quoi on joue ? Tu ne veux pas être un peu plus clair ?
— N’essayez pas de m’enfumer !
Patrick Van Helsen s’était approché.
— Calmez-vous, bon sang ! coupa-t-il sèchement. Les gens vous regardent…
Les conversations alentour s’étaient arrêtées et les grappes d’invités avaient à présent les yeux tournés vers l’artiste et les galeristes.
— Que je me calme ? Vous présentez un faux et vous voulez que je me calme ?
L’accusation eut l’effet d’une bombe dont l’onde de choc se propagea dans toute l’assistance.
Béa Babbel s’était pétrifiée, incapable d’articuler le moindre mot. Par peur de perdre l’équilibre, elle agrippa le bras d’Isabelle Derocourt. Les yeux de la galeriste plongèrent dans les siens. Elle était paniquée. Boris Babbel rejoignit le groupe à son tour.
— Mettons-nous à l’écart, ordonna-t-il, avant de se tourner vers l’assemblée. Tout va bien, mesdames et messieurs. Il ne peut s’agir que d’un malentendu. Nous revenons très vite.
Boris Babbel saisit Geerd Gaste par le bras et le tira hors de la salle d’exposition. Patrick Van Helsen lui emboîta le pas, suivi de Béa Babbel qui n’avait pas lâché Isabelle Derocourt. Kevlar se glissa derrière elle et le petit groupe se retrouva bientôt dans le bureau de la galerie.
— Qu’est-ce qui vous prend, Gaste ? lança Boris Babbel à peine la porte refermée. Expliquez-vous !
— Ne te mêle pas de ça, Boris ! intervint Béa Babbel qui avait retrouvé ses esprits. Ce n’est pas ton exposition. Laisse-moi régler ça.
Elle se tourna vers l’artiste qui restait les bras croisés au milieu de la pièce.
— Tu te rends compte de l’effet de tes accusations ? Tu es devenu fou ?
La colère se lisait sur le visage du peintre.
— Je ne suis pas fou ! rétorqua-t-il. Vous avez accroché un tableau qui n’est pas de moi.
— C’est impossible ! s’offusqua Béa Babbel. Pourquoi aurions-nous fait une chose aussi stupide ?
— C’est à toi de répondre à cette question.
— Et pourquoi créer un tel scandale ? Tu ne peux pas rester discret ?
— Tu es sérieuse, là ? Tu me la joues à l’envers et tu veux que je sois discret ?
— De quelle toile est-ce que tu parles ? intervint Patrick Van Helsen.
Béa Babbel décocha un regard agacé à son mari. Elle n’avait nul besoin qu’il vole à son secours et lui fit comprendre de rester en dehors de la conversation.
— Du tableau qui a pour titre Éden. Il copie la série du Jardin des Délices. Faites-le venir ici !
— Pas question ! s’insurgea Béa Babbel. C’est la meilleure façon de convaincre nos clients qu’il y a un problème avec cette toile.
— Mais il y a un problème ! s’énerva Geerd Gaste. Vous devez la retirer !
— Tu en es sûr ? questionna Béa Babbel, que la certitude de l’artiste commençait à ébranler.
— Sans le moindre doute possible.
— Geerd, je peux t’assurer que Patrick et moi n’avons absolument rien à nous reprocher.
— Il y a pourtant quelqu’un qui a accroché un tableau portant ma signature, mais que je n’ai pas peint.
— Où est Thomas ? interrogea Béa Babbel.
— Avec Adélaïde, auprès d’un couple intéressé par le grand format de l’entrée, précisa Patrick Van Helsen, décidé à affirmer sa présence.
Isabelle Derocourt se rapprocha de Kevlar.
— Thomas Delvaux est le commissaire de l’exposition, glissa-t-elle à voix basse. Et Adélaïde Servais, la directrice de leur galerie de Bruxelles.
Personne n’avait prêté attention à leur absence jusqu’à présent.
— Si je peux me permettre, intervint Isabelle Derocourt, Max pourrait peut-être vous aider…
Tous les regards se tournèrent vers Kevlar, surpris lui aussi par l’annonce de la journaliste. Il comprit rapidement où elle voulait en venir mais fut contrarié qu’elle ne l’ait pas consulté au préalable. Il garda le silence et la laissa assumer son idée.
— Max est détective privé, spécialisé dans les œuvres d’art.
— Et alors ? la coupa sèchement Patrick Van Helsen.
— S’il y a bien un faux accroché dans votre salle d’exposition, il peut vous aider à découvrir qui l’a placé.
— C’est ridicule, reprit le galeriste, il ne peut s’agir d’un faux. Notre maison jouit d’une réputation à la hauteur de son professionnalisme. Jamais nous ne commettrions une telle faute. Sans vouloir mettre en doute la bonne foi de Geerd, il se peut qu’il ne se souvienne plus de toutes les toiles qu’il a peintes durant toutes ces années.
La supposition fit bondir le peintre.
— Tu me prends pour un vieux sénile ? Je suis encore parfaitement capable de me souvenir de toutes mes toiles. Celle-ci n’est pas de moi !
Pendant que Béa Babbel tentait de calmer son artiste, Kevlar attira la journaliste vers lui.
— Je n’ai aucune intention de me mêler de cette affaire, lui glissa-t-il à voix basse. Je t’ai dit que j’avais besoin d’une pause.
— C’est une occasion rêvée de mettre un pied chez les Babbel, Max.
— Je n’ai aucune envie d’y mettre ne serait-ce qu’un orteil ! Tu sais que je travaille uniquement sur recommandation. Je ne connais rien de ces gens.
— Cette histoire n’est certainement qu’un malentendu. Il ne te faudra pas vingt-quatre heures pour la régler !
— C’est vingt-quatre heures de trop !
— Max, s’il te plaît, fais-le pour moi.
Kevlar la fixa droit dans les yeux.
— Explique-moi.
— Je voudrais relater cet incident et ton enquête sur mon blog. Sa fréquentation est au plus bas depuis quelque temps. Une affaire comme celle-ci peut créer le buzz, j’en ai besoin en ce moment. Ça te ferait une belle carte de visite, non ? Allez, je te le demande comme une faveur…
Kevlar lâcha un long soupir de résignation.
— Tu es génial ! Je te revaudrai ça, promis !
Béa Babbel avait repris la maîtrise des échanges. L’artiste semblait s’être calmé et tout le monde mis d’accord sur la marche à suivre. Les galeristes avaient accepté l’idée qu’il puisse s’agir d’un faux. L’artiste avait admis le fait que les galeristes pouvaient n’y être pour rien. Dans l’hypothèse où l’artiste avait raison, ils mettraient tout en œuvre pour en trouver l’explication.
— C’est entendu, lança-t-elle. Mais nous ne ferons rien ce soir. La priorité est de sauver ce qui peut l’être de cette soirée.
Elle sortit de sa pochette une carte de visite sur laquelle elle nota quelques mots et la tendit à Kevlar.
— Retrouvez-nous à cette adresse demain matin à neuf heures.
Chapitre 2
À l’heure convenue, Kevlar se présenta au domicile privé de Béa Babbel. Comme toutes les propriétés du Zoute, le quartier huppé de la ville, l’habitation était entourée d’une épaisse haie d’arbustes qui cherchait à en masquer la vue. Il quitta la rue Maurice Maeterlinck et s’engagea dans le Rietgorzenpad où se trouvait l’entrée.
Au matin, il n’avait pas plus envie que la veille de se lancer dans une nouvelle enquête. Il fit couler l’eau de la douche et se planta devant le miroir. Depuis quelque temps, il remarquait l’apparition de l’un ou l’autre cheveu blanc. Il avait beau scruter les racines de sa dense chevelure noire pour y découvrir les signes avant-coureurs de cette transformation, il ne détectait rien. C’était comme si le poil tombé en panne de mélanine virait intégralement de couleur en une nuit. Il ajusta la température de l’eau et se glissa sous le pommeau. Après avoir enfilé un jean et une chemise beige en lin qu’il laissa pendre hors du pantalon, il s’efforça de localiser sur son smartphone l’adresse qui lui avait été donnée. Le trois étoiles sans charme où il avait finalement réussi à obtenir une chambre en cette période de forte fréquentation se situait à vingt minutes à pied.
Il espérait que Béa Babbel et son mari auraient changé d’avis et décidé de se passer de ses services. Au moment de les quitter, ils restaient sous le choc de l’incident. Ils tentaient de faire bonne figure au milieu de leurs invités qui avaient déjà commencé à propager diverses rumeurs dont les plus audacieuses prédisaient la fin de la maison Babbel. L’orage qui avait éclaté en soirée avait déclenché un coup de tonnerre inattendu. La foudre s’était abattue sur les Babbel et les pluies diluviennes qui s’étaient déversées sur la ville avaient colporté au loin la nouvelle de l’infamie. L’artiste avait quitté les lieux dès leur discussion terminée. Isabelle Derocourt avait circulé quelque temps parmi les invités puis Kevlar l’avait raccompagnée à son hôtel avant de rejoindre le sien. La journaliste avait tenté de le convaincre de
