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La folle histoire de Coralie
La folle histoire de Coralie
La folle histoire de Coralie
Livre électronique590 pages8 heures

La folle histoire de Coralie

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À propos de ce livre électronique

Embarquez dans un voyage à la frontière des rêves ! Là où la folie peut en un instant prendre le dessus...


Coralie aimait flâner à Baiser-de-Glace, plongée dans ses rêves, dans les ruelles étroites et mystérieuses de cette ville pas comme les autres.

Pourtant, lorsqu’une fontaine lui donne la chance d’exaucer son vœu le plus cher, tout ne se passe pas exactement comme prévu. Les mondes oniriques cèdent la place à une réalité altérée, devenant un miroir de ses désirs les plus profonds et un reflet de ses peurs enfouies. Coralie s’apprête malgré elle à vivre l’aventure la plus folle de son existence, rêvant pour aller à la rencontre de personnages aussi étranges qu’enchanteurs.

Mais attention, chaque songe ouvre une porte vers l’inconnu et un rêve peut vite se transformer en cauchemar. Bien que les mondes oniriques aient toujours été son refuge,


Coralie parviendra-t-elle à trouver l’issue de cette situation avant que la frontière entre illusion et réalité ne s’effondre complètement ?




À PROPOS DE L'AUTRICE

Eulalie Bué, née au mois de juin 2001, a toujours été une rêveuse compulsive. Amoureuse des livres, de la magie des mots, elle s’est formé un monde qu’elle rejoint chaque nuit. La majorité des personnages de "La Folle Histoire de Coralie" viennent tout droit de ses propres rêves qu’elle voulait partager, mettre en lumière, au nom de son imaginaire.


LangueFrançais
Date de sortie21 juin 2024
ISBN9782876838246
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    Aperçu du livre

    La folle histoire de Coralie - Eulalie Bué

    Avant-propos

    Coralie est directement inspirée d’un moi profond, d’une fissure de l’esprit et de l’âme. Elle évoque un sentiment de liberté et l’existence d’un esprit sans limites physiques.

    Je suis une rêveuse et une bâtisseuse de mondes, je ne me contente pas de celui où se trouve mon corps de chair et de sang, mon esprit s’éveille et je pars voyager dans d’autres brèches.

    Bienvenue dans l’antre de l’une d’elles, bienvenue dans la folle histoire de Coralie et surtout, bon voyage.

    Chapitre 1

    Le souhait d’une rêveuse, dans une vie ordinaire

    Une perle de pluie,

    A enveloppé mon cœur,

    D’un doux voile céleste,

    Oh ! Doux songe passé,

    Oublie-moi dans tes plus profondes pensées,

    Oh ! Mon beau présent, rends mon futur aussi doux qu’à cet instant,

    rends mon sourire aussi éclatant…

    Qu’un soleil levant.

    Future, Eulalie Bué

    J’étais assise sur les cailloux d’une plage de galets, j’observais l’eau salée valser. Mes pensées m’avaient déjà portée loin dans des songes farfelus, dignes de la rêveuse que je pouvais être. Je pouvais sans souci m’imaginer sortir un sabre crocheté à ma ceinture et réclamer mon pesant d’or au capitaine d’un vaisseau pirate qui, grâce à mon aide, aurait trouvé le Graal sans une égratignure. Je volais de rêve en rêve, sous le son relaxant de l’eau qui s’abattait sur les galets et les rochers. Le temps était frais, comme souvent ici : je vivais dans une petite ville de plusieurs milliers d’habitants, couverte par des nuages presque permanents – c’était à croire que le soleil nous mettait de côté, ce qui n’était d’ailleurs pas un souci pour moi, car j’aimais cette brise fraîche qui caressait chaque jour mon visage et j’appréciais mon teint d’ivoire.

    Autant que je m’en souvienne, j’avais toujours vécu dans cette petite ville que j’aimais appeler « Baiser-de-Glace », cela lui donnait un charme plus poétique, romantique, dû à cette fraîcheur presque éternelle qui arrivait à nous envelopper de riches tendresses – encore une fois, j’étais en train de m’égarer.

    J’aimais venir ici, comme si en un coup de vent j’allais pouvoir déployer mes ailes et voler dans des aventures soudaines, en revanche, quand arrivait l’heure de rentrer, je devais remballer tous mes rêves et reprendre l’attitude normale d’une jeune fille de 18 ans. Mais, à ce moment-là, le jour était toujours présent. Il était à peine 15 h et je n’allais pas rester assise ici jusqu’à la tombée de la nuit. Nous étions au milieu du mois d’août, la nuit se ferait donc un peu attendre.

    J’imaginais déjà tous les écoliers retourner en cours. Ils devaient sentir la rentrée arriver et ils devaient l’appréhender. Les cours, pour moi, étaient en tout cas terminés, car, j’avais raté l’obtention de mon diplôme et je m’étais fait sermonner, car l’on m’avait dit « qu’une fille comme moi » n’arriverait à rien en étant perchée aussi haut dans ses rêves et en étant aussi loin de cette réalité. Ça m’avait d’ailleurs valu plusieurs années de psy, qui n’avaient abouti à rien. On ne pouvait pas changer, de force, la personnalité de quelqu’un. Cela m’avait valu aussi plusieurs plaintes dans lesquelles mes parents me disaient qu’ils auraient dû choisir une autre petite fille à l’orphelinat, car, oui, j’avais fait partie de ces enfants seuls au monde. Ils m’avaient adoptée quand j’avais environ 7 ans et ils me reprochaient souvent de ne pas être de leur chair et leur sang. Je devais supposer que s’ils m’avaient tout de même prise, c’était pour satisfaire leur instinct de parents, car ma mère adoptive était stérile. Enfin, je ne leur en voulais pas et je pouvais avouer que j’avais d’autres choses auxquelles penser, comme le fait de deviner quelles aventures allaient naître pour moi le lendemain. Je trouvais cela plus intéressant et cela me permettait d’espérer devenir un jour l’héroïne d’une histoire, quelle qu’elle soit. L’espoir me faisait vivre et me récompenserait, c’est ce que j’aimais me dire, il était inutile de toute manière de penser à des choses négatives.

    Une fine pluie avait commencé à tomber, ce qui n’était pas dérangeant vu que je m’y étais préparée. Je portais un pantalon molletonné noir, de bonnes chaussettes dépareillées, mais chaudes, mes Dr. Martens préférées aux pieds, de couleur noir brillant, mais un peu abîmées avec les années. Mon pull XXL bleu nuit cachait sans souci le peu de formes que possédait mon corps. Il me tombait en dessous des fesses, j’aimais me camoufler dans de larges hauts. Je n’avais pas de gros complexes, mais je préférais le confort à l’image. J’étais également vêtue d’un imperméable assorti à mon pull de couleur bleue dont j’avais rabattu la capuche sur ma tête, ce qui cachait la majorité de mes cheveux blonds bouclés. D’ailleurs, certaines mèches rebelles s’amusaient à venir s’abattre sur mon visage au gré du vent, ce qui avait plutôt tendance à m’énerver. J’entendais la fine pluie tomber sur ma capuche, elle résonnait dans le creux de mes oreilles sous le bruit du plastique mouillé. C’était reposant et je pouvais déjà imaginer un peintre debout derrière moi, subjugué par les petites vagues caressant la plage de galets, dans un ciel gris, pleurant de fines gouttes de pluie. Sur ce tableau il y aurait ajouté ma présence, celle de mon imperméable bleu se camouflant dans les vagues et où j’aurais été alors méconnaissable ; une scène immortelle retranscrite avec attention et passion, cela m’avait fait sourire.

    J’aurais aimé pouvoir parcourir le monde, pouvoir graver dans ma mémoire d’autres paysages que j’aurais trouvés magnifiques, les rendre éternels et pouvoir leur inventer des histoires fantastiques. Je rêvais de tant de choses, mais, dès qu’il s’agissait de la réalité, je me sentais presque incapable de bouger ou d’essayer de changer pour arranger mon destin. Comme si je n’éprouvais aucun désir ou rêve de vie réelle, comme si j’attendais que les choses puissent changer pour moi. J’étais heureuse de pouvoir vivre dans mes rêves, mais j’étais aussi consciente que mes parents avaient raison sur le fait que cela me porterait toujours préjudice, ou m’apporterait de la déception, car plus je vieillirais, plus je devrais porter d’attention à cette vie, et donc rabattre mes rêves avant de devenir quelqu’un d’encore plus malheureux. Mes rêves, mes histoires ne seraient jamais quelque chose de réel et cette seule pensée avait un goût amer de tristesse qui creusait sa place dans tout mon être.

    Me voyant commencer à sombrer, j’avais décidé de me lever et de me perdre entre les allées et les chemins secrets de cette petite ville. Je n’aimais pas avoir cette aura pleine de chagrin, bien qu’elle fût plus souvent là que je ne l’aurais voulu. Je m’étais mise à remonter la pente de galets en essayant de ne pas tomber. Tout était désormais mouillé et ce n’était d’ailleurs pas près de s’arrêter puisque la pluie avait décidé de s’intensifier.

    Arrivée au pied des escaliers de la plage, je m’étais retournée une dernière fois. Je voulais graver cette toile de peintre dans ma mémoire, puis pas à pas j’avais remonté l’escalier en pierre. Il devait être d’un grand âge, pas comme la rambarde en fer forgé que le maire avait ajoutée plusieurs années auparavant pour plus de « sécurité ». Je me demandais d’ailleurs ce qui était le plus probable : tomber en refusant de toucher la rambarde ou attraper le tétanos compte tenu de la rouille qui s’était créée. Évaluer la probabilité de chaque issue aurait nécessité une analyse minutieuse, mais l’envie de m’attarder sur de telles considérations me manquait.

    En haut, j’avais pris le temps de m’appuyer contre le muret de pierre, il nous offrait une belle vue sur la plage. Bien sûr, le charme était rompu dès lors que l’on se retournait  : une route départementale traversait toute la ville et était sans cesse empruntée. Je trouvais que c’était une idée étrange de l’avoir mise aussi près de la mer. De l’autre côté, il y avait divers commerces : une boucherie, une boulangerie, un coiffeur, deux restaurants, le premier spécialisé dans la viande et le second dans le poisson donc, pas vraiment de concurrence puisque tout dépendait des envies du moment. Il y avait aussi toute une rangée de maisons mitoyennes et un tabac.

    C’était pas mal pour une grande rue de petite ville.

    Plus loin se trouvaient d’autres allées de maisons mitoyennes, il y avait également des maisons individuelles avec des terrains attenants, ainsi qu’un autre tabac suivi d’un bar, d’un collège, d’un lycée, d’une école primaire, tout y était et j’avais moi-même fréquenté ces établissements.

    Ici tout le monde se connaissait et les secrets étaient par conséquent mal gardés. Il y avait aussi un parc, différents terrains d’amusement pour les jeunes – des endroits où je n’allais jamais. C’était trop bruyant et je n’étais pas très à l’aise avec les autres individus de mon âge. Là où je passais le plus de temps était la plage, surtout quand il n’y avait personne. Sinon, j’aimais aller me perdre dans l’immense forêt qui entourait une bonne partie de la ville. Elle était très dense et je savais que l’on pouvait y croiser divers animaux sauvages, même si je n’avais encore jamais rien croisé.

    J’aimais également me perdre dans les recoins de la ville, car avec son grand âge, elle avait gardé des structures d’une autre époque et des ruelles étroites, sinistres, qui me donnaient l’impression d’être un bandit ou un personnage de la vieille époque se cachant des regards curieux. C’était d’ailleurs dans ces ruelles que je me dirigeais à ce moment-là, suivie par la pluie et le vent assourdissant. Je connaissais tous les recoins de Baiser-de-Glace. En même temps, c’était quelque chose d’évident vu que je n’avais jamais rien connu d’autre que cet endroit.

    Il arrivait souvent pendant des périodes de vacances que certains touristes viennent se perdre ici. À chaque fois ils se retrouvaient étonnés qu’une petite ville comme celle-ci ne manquât de rien. Elle possédait des établissements que certaines grandes villes n’avaient pas, j’entendais par là un orphelinat ou encore une prison – bien que ce ne fût pas la prison d’Azkaban d’Harry Potter, elle avait quelques pensionnaires. Il y avait aussi un hôpital psychiatrique. Oui, à Baiser-de-Glace, on trouvait tout ce que l’on voulait.

    Je venais d’arriver dans une petite rue appelée rue de la Source. Elle se finissait en un cul-de-sac, mais je l’appréciais en raison de son étonnante fontaine. Elle nous obligeait à nous arrêter avant d’opérer un demi-tour. Dans la fontaine, on pouvait trouver des pièces de monnaie, que ce soit en euros ou en francs, personne n’y touchait. Chaque pièce représentait un vœu, un rêve qui appartenait à quelqu’un. Je m’étais toujours demandé si d’ailleurs certains s’étaient réalisés, car si tel avait été le cas, les miens non.

    Je me trouvais à rêvasser et à observer cette fontaine à souhait. Lors de sa conception, elle devait être d’un blanc sans souillure, surplombée de deux enfants anges qui déversaient de l’eau à l’aide de leurs jarres. Désormais, bien que ces détails y fussent toujours, le blanc parfait s’était transformé en un blanc écaillé, usé par le temps et dans le fond de l’eau, une couche verdâtre s’était répandue, ce qui donnait envie d’esquisser un geste de recul compte tenu de son aspect aussi écœurant. C’était une réaction purement humaine, car l’eau de pluie ne suscitait aucun dégoût et allait même aider les anges à remplir leurs jarres pour encore faire vivre cette petite fontaine.

    J’avais décidé de partir à la recherche d’une pièce dans la poche de mon imperméable. J’en avais trouvé une qui s’était égarée : 20 centimes, que je venais de lancer dans l’eau les yeux fermés. Ma main gauche se tenait près de mon cœur et je restais à l’affût du moment où elle allait entrer dans la demeure de cette fontaine, accumulant les vœux et donnant de l’espoir. Je m’étais imaginée des personnes de tout âge et à diverses époques, jeter leur pièce ensevelis par leurs émotions, toutes différentes, mais toutes rejointes et liées par l’étoile de l’espoir. J’avais donc fait de même. Les yeux toujours clos, j’avais fait le vœu de vivre mes rêves pour qu’ils puissent devenir ma première réalité. Peu m’importait que cela puisse paraître impossible, j’avais l’espoir de dépasser cette limite.

    La pièce avait traversé l’eau pour s’éterniser dans un espace verdâtre, près d’une autre petite pièce qui me semblait être un franc solitaire. J’avais souri en me disant que cette pièce perdue au fond d’une poche m’avait permis d’agrémenter un espoir. J’avais ensuite fini par me décider à rentrer, car mon imperméable avait perdu toute son utilité. Ça ne me dérangeait pas d’être trempée et ce n’était pas non plus la première fois que cela m’arrivait, mais il arrivait un moment où il fallait se montrer sage pour ne pas tomber malade. D’ailleurs, j’aurais aimé rentrer avant le retour de mes parents. Il n’était pas encore très tard, mais, le temps de faire le trajet retour et de me changer, je n’aurais pas longtemps à les attendre.

    Mon père adoptif finissait assez tard en tant que surveillant pénitentiaire, contrairement à ma mère qui, elle, quittait le travail relativement tôt le lundi ; donc, je préférais éviter de trop traîner. Je n’allais pas me plaindre de ses horaires, car au mois de septembre, je devrais moi-même travailler avec elle à la boutique de fleurs. Je ne savais pas si c’était une chance ou à l’inverse, une malchance, mais, j’aimais assez l’ambiance de sa boutique, elle donnait un air d’Alice au pays des merveilles. J’étais même plutôt ravie finalement, si je faisais abstraction du fait qu’elle serait une patronne sévère. Sur ces dernières pensées d’avenir, j’avais plongé une dernière fois mon regard dans cette eau assombrie par le temps. J’avais observé ma pièce, pleine d’espoir, puis j’avais dirigé mon regard sur son unique voisine et je m’étais surprise à me demander à voix haute :

    — À qui cette pièce avait-elle pu appartenir, à un homme ? À une femme ? À un enfant ? Et quelle était la nature de son souhait et de ses sentiments lors de cet instant ? 

    Des questions que je savais sans réponses et quand bien même elles en avaient eu, ces réponses s’étaient retrouvées perdues avec leur propriétaire.

    Un léger soupir s’était échappé de mes lèvres avant que je n’opère un demi-tour ; avant que je ne quitte cet instant qui resterait gravé tel un souvenir dans le temps.

    Le chemin du retour avait été rapide. J’y étais arrivée en moins de 10 minutes, sûrement à cause de ma course pressée dans l’espoir de ne pas attraper froid. Mes pas, eux, claquaient contre le goudron usé qui laissait place à de petites flaques éphémères. J’aimais m’amuser à y sauter à pieds joints, quand elles n’étaient pas trop profondes, bien évidemment, sinon j’aurais craint de m’y noyer, ou peut-être aurais-je été envoyée dans les profondeurs d’un temps où l’eau était maîtresse et où les sirènes avaient leur place.

    Je ne pensais pas que j’aurais pu être une bonne sirène au vu de mes talents de nageuse, car ils avaient toujours été limités. Il fallait dire que je n’avais jamais fait aucun effort pour m’améliorer. Autant j’aimais observer la mer, autant je n’étais pas fan à l’idée de m’y baigner. Fort heureusement, le temps ne laissait que rarement l’occasion d’y plonger, chose à laquelle j’aurais été certainement contrainte pour faire plaisir à mes parents bien que je ne sache pas nager.

    Arrivée devant chez moi, j’avais pris quelques instants pour observer la devanture, elle avait un charme victorien. Elle était semblable en tous points aux maisons voisines : toit en pointe, façade ornée de ravissantes sculptures en pierre avec des gargouilles qui attendaient le bon moment pour se réveiller, et chasser les intrus, ou encore, quelques fées et dragons, gravés dans la pierre de manière détaillée, certaines presque effacées par le temps. Le bâtisseur de ces maisons devait tout comme moi aimer rêver et il devait posséder une grande imagination, à moins que cela ne vienne de quelques légendes perdues au fil du temps. En tout cas, cela était vraiment magnifique et notre maison ressortait tout particulièrement bien, grâce à ses belles jardinières fleuries en tout temps qui ornaient le rebord de chaque fenêtre de la façade, ce qui faisait en tout douze pots : quatre au rez-de-chaussée, quatre au premier étage et quatre suivants au second. Les maisons n’étaient pas bien larges, beaucoup jouaient sur la hauteur et la profondeur.

    En observant cette allée de maisons pendant que je me perdais dans mes pensées, une chose ressortait de manière évidente : pour rien au monde je n’aurais quitté cet endroit, cette ville. Ce n’était pas une question d’habitude. Il s’agissait d’autre chose. J’avais parfois l’impression qu’elle sortait tout droit d’un magnifique rêve. Toutes ses rues, ses sculptures, son grand âge, ses secrets perdus, ses légendes et bien d’autres choses m’étaient trop importants pour qu’un jour je les laisse, à moins que ce ne soit pour aller dans un autre monde. J’avais l’impression que tout ce dont j’avais besoin se trouvait ici, dans cette ville presque hors du temps. Il fallait simplement que je fasse abstraction des gens.

    J’avais gravi les quelques marches qui s’imposaient devant moi pour accéder à l’entrée. La porte avait été taillée au cœur d’un chêne, elle était lourde, parfaitement résistante et avait une prestance remarquable ; elle avait gardé sa couleur d’origine d’un brun foncé. Ici, il n’y avait aucune sonnette contrairement à certaines autres maisons. C’était quelque chose d’encore plus amusant que nous possédions ; un vieux heurtoir de porte en fonte qui exigeait d’être cogné contre cette dernière. J’avais toujours trouvé cela plus authentique, comme si le fait de nous tenir à cela nous gardait liés à un autre siècle, ce qui me fascinait. Nul besoin pour moi de toquer puisque personne n’aurait été présent pour m’ouvrir. J’avais donc sorti de la même poche dans laquelle se trouvaient mes 20 centimes, une vieille clé d’origine comme il en existait de moins en moins, mais qui était toujours étonnamment utilisée par encore beaucoup d’habitants de cette ville. Certains curieux pourraient penser que l’on n’avait pas suivi notre siècle, mais c’était tout autre.

    Beaucoup de choses ici avaient tout de même perdu de leur charme : les établissements scolaires qui avaient un aspect décrépi, ou encore certaines maisons solitaires qui étaient complètement dépareillées à cause de leur construction moderne au toit plat sans âme. Il était certain que je ne ressemblais pas beaucoup à ceux de mon âge qui, pour la plupart, rêvaient des dernières nouveautés. En revanche, pour moi l’authenticité d’une époque antérieure me faisait beaucoup plus chavirer que cette soudaine modernité de mauvais goût. Je n’étais pas de nature à juger, mais ce sujet me faisait souvent sortir de mes gonds, que je le veuille ou non.

    Une fois passée la porte, j’avais voulu me précipiter au second étage, mais, avant cela, j’avais dû prendre le temps de dénouer mes chaussures sales à l’entrée. J’étais trempée et je n’avais qu’une envie : celle de prendre une douche puis de me blottir dans une tenue décontractée et chaude. Ma chambre se trouvait au deuxième étage, j’avais la chance de le posséder pour moi seule, bien qu’il y eût toujours une ribambelle de marches qui se présentaient à moi ; c’est ce qui avait d’ailleurs joué en ma faveur quand mes parents adoptifs avaient eu la gentillesse de me le laisser, car ils avaient rarement le courage d’y monter.

    Le premier étage leur était en revanche en partie dédié, car, bien qu’il y eût leur majestueuse chambre, salle de bain et bureau pour chacun, il se trouvait une pièce dans laquelle j’aimais particulièrement me faufiler et où j’étais autorisée à aller : c’était une ravissante bibliothèque que mon père avait eu le loisir de concevoir. Elle faisait un bon 30 m² et des étagères en chêne camouflaient les murs jusqu’au plafond, au point que l’on n’en voyait plus la couleur. Celles-ci étaient remplies de livres de tout âge, de toutes histoires et de tout genre. Au centre de la pièce, se trouvait un canapé Chesterfield confortable, parfaitement bien choisi et semblant ne faire plus qu’un avec le parquet grinçant de notre vieille maison. À ses pieds était disposé un chaud tapis, qui semblait avoir été dérobé dans un château, lors d’une froide nuit d’hiver. Un poêle à bois authentique s’était quant à lui camouflé sur le mur opposé à la porte. Cela donnait un charme rustique et confortable à la pièce dans laquelle je m’éternisais régulièrement, pour le plus grand plaisir de mon père qui partageait avec moi sa passion pour la lecture.

    Cela avait tendance à le dérider un peu, car autant il ne supportait pas ma fâcheuse tendance à faire valser mes pensées en dehors de notre monde, autant il appréciait ma compagnie durant des soirées lecture et cela me faisait chaud au cœur. Mon étage possédait une grande chambre de près de 20 m² et une salle de bain privée, endroit où je m’étais empressée d’aller après avoir fait grincer les marches de l’escalier. J’étais heureuse à l’idée de pouvoir me changer, car, bien que mon pull ait été sauvé de la pluie, ce n’était pas le cas de mon pantalon qui me collait sévèrement à la peau à cause de l’humidité qui s’y était infiltrée.

    Ma salle de bain était de taille correcte, avec en son fond une baignoire fermée par un paravent, pour les fois où j’étais plus désireuse d’une douche et non d’un bain. Non loin, sur le mur de droite, se trouvait une toilette et en face de celle-ci, un meuble-lavabo surplombé d’un beau miroir ovale de taille conséquente. Le nécessaire était là, le charme également. J’étais de nature assez longue quand cela concernait le fait de se laver. J’aimais particulièrement bien me prélasser sous l’eau chaude jusqu’à atteindre presque le stade de l’endormissement. C’était une étape qui me donnait l’impression que le monde s’était mis en pause pour mon plus grand bonheur. Je pouvais vraiment y passer des heures, bien que le ballon d’eau chaude ne le permît pas.

    Une fois lavée et séchée, je m’étais enroulée dans ma serviette de bain blanche et j’avais filé jusqu’à ma chambre qui était la porte d’à-côté. Il n’y avait que deux vraies pièces de toute manière, je dis « vraies », car, vu la superficie de la maison, je partageais l’étage avec un grand grenier ; un couloir qui suivait la continuité de l’escalier nous séparait, bien que la porte se trouvât face à celle de ma chambre. Ce qui égayait le couloir était une fenêtre du côté du jardin. Elle possédait une très belle vue sur les divers arbres et fleurs qui étaient bien entretenus, et que j’avais régulièrement le loisir de contempler.

    Ma chambre n’avait rien d’exceptionnel : un grand lit à baldaquin se situait sur la gauche de la porte avec, de part et d’autre, des tables de chevet et sur chacune une lampe simple avec un abat-jour. Je m’en servais beaucoup comme lumière tamisée le soir, car le lustre au centre de la pièce était bien beau, mais me faisait vite mal aux yeux quand tombait la nuit avec sa lumière trop vive. Une armoire et une commode se tenaient contre l’un des murs de couleur gris perle. Je disposais également d’un bureau avec un ordinateur, accessoire indispensable, mais que j’allumais rarement. J’avais aussi une petite bibliothèque. Elle me dépannait bien souvent même si je préférais aller à celle d’en bas, dans la pièce dédiée à la lecture et où l’ambiance était plus solennelle. De petites étagères étaient disposées à plusieurs endroits. Elles contenaient de vieilles poupées en composite que j’adorais, des bibelots et des curiosités. Ma chambre était simple, mais, dans mes goûts. Elle possédait deux fenêtres côté rue, chacune se trouvant près d’une table de nuit de manière à entourer mon lit. D’ailleurs, notre maison et celle de nos voisins faisaient face à d’autres bâtisses qui se situaient de l’autre côté de la rue. Celles-ci étaient semblables aux nôtres, c’était le même principe que de voir son reflet dans un miroir, bien que la maison en face de la nôtre ne fût habitée par personne depuis plusieurs années. Je ne savais même pas si elle était à vendre puisque rien n’était affiché. Il y avait juste les volets qui étaient continuellement fermés.

    J’étais en tout cas changée et prête à commencer la soirée. Ma mère d’ailleurs, ne devrait pas tarder à rentrer. J’avais pensé préparer à manger, mais il était encore trop tôt. Je m’étais donc résignée à m’installer dans la chaleur de mes draps, toujours parfumés par l’odeur de lessive de fleurs, accompagnée par un merveilleux roman appelé « La nuit des temps » de Barjavel, livre qui ne m’avait pas captivée au départ, mais qui ensuite, au moment du passage sur la fameuse Éléa racontant son histoire encore inconnue du monde, m’avait fait rêver. C’était la troisième fois que je le lisais.

    Les minutes avaient vite défilé et j’avais fini par entendre ma mère rentrer. Cependant je n’avais pas eu l’envie de descendre et j’avais donc attendu que l’on m’appelle pour dîner, trop captivée par mon roman et tourmentée par un instant de flemmardise. Après les minutes, c’étaient les heures qui s’étaient mises à défiler jusqu’au retour de mon père vers 20 heures ; heure fixe qu’il respectait quasiment tout le temps. Cela voulait aussi dire que le repas serait bientôt prêt, et ce, pour le plus grand plaisir de mes papilles et de mon estomac qui ne cessait de gargouiller. Cela n’avait d’ailleurs pas manqué. Peu de temps après, j’avais entendu ma mère faire sonner une petite cloche au bruit strident qui résonnait. Cela signifiait que le repas était prêt et qu’il ne fallait pas tarder à descendre pour manger. C’était une méthode qui avait été trouvée par mon père, car ma mère n’en pouvait plus de toujours hausser la voix pour nous appeler. Cette cloche était donc une bonne façon de s’exprimer.

    J’étais arrivée en bas dans la minute qui avait suivi. Le rez-de-chaussée était aussi vaste que les étages, il était divisé en deux par rapport à la porte d’entrée. Sur la gauche se trouvait un vaste salon avec télé et à côté, se trouvait une salle plus petite pour prendre le thé, ce qui était le petit péché mignon de ma mère. Cette pièce lui était donc réservée, mais je pouvais m’y aventurer si l’envie me prenait. Il y avait également un autre bureau, plus professionnel que personnel comme ceux se situant au premier étage. C’était là qu’ils conservaient les papiers importants et que se déroulait toute discussion professionnelle. Ce n’était pas un endroit pour moi en somme, même si je pouvais supposer que je devrais finir par y mettre les pieds quand j’irais travailler à la boutique de fleurs. J’y serais probablement conviée et je devrais participer aux discussions ennuyeuses, mais nécessaires pour le bon fonctionnement des choses. Près de l’escalier se trouvait une toilette, bien utile pour ne pas être obligé de remonter ; de l’autre côté de celle-ci se trouvait un débarras où était rangé tout le nécessaire pour entretenir une maison et pour laver et sécher le linge. Toujours sur la droite se situait la cuisine puis, une salle de jeux, pas pour enfants, mais pour adultes, réservée aux parties de billard ou de poker. C’était un endroit où mes parents et leurs amis s’autorisaient à fumer, au point de créer des nuages irrespirables et invivables. C’était un lieu où je n’allais que rarement, sauf quand personne ne se trouvait dans les parages, car il était tout de même agréable en raison de sa superficie et de son style bourgeois passé. Le souci était que cette pièce n’avait aucune fenêtre, car de l’autre côté se trouvaient nos voisins.

    Pour finir, au rez-de-chaussée se trouvait également la salle à manger. Elle était bien éclairée par ses deux grandes fenêtres qui se situaient du côté de la rue. C’était là que je me rendais pour pouvoir aller manger. Quand j’étais rentrée dans la pièce, mon père était déjà installé à la place du chef, en bout de table, ce qui permettait de tout dominer. Celle-ci pouvait facilement faire penser à une table de banquet et pouvait probablement accueillir une vingtaine d’invités, ce qui n’était pas rien. J’avais salué mon père d’un bonjour audible et neutre et il m’avait répondu aussitôt d’un hochement de tête rapide, déjà préparé. Sans rien ajouter, je m’étais assise à sa droite ; il ne restait plus qu’à attendre ma mère et son plat. Ce soir-là, c’était poulet rôti et pommes de terre dorées, un délice qui se faisait encore quelques instants désirer.

    Elle avait fini par apparaître, tout sourire et fière comme toujours de ses talents de cuisinière. Je trouvais qu’elle excellait dans beaucoup d’arts différents, malgré le fait qu’elle avait la mentalité d’une femme à l’esprit très fermé. Elle avait la main verte, des talents de cuisinière, pour dire, je ne l’avais jamais vue rater un plat depuis que je vivais sous leur toit. Elle était aussi douée dans la broderie et jouait de différents instruments : piano et violon. Je trouvais que cela dressait une ravissante liste de talents en tout genre. Une vraie dame, comme l’on aurait pu dire, ses talents auraient été d’autant plus appréciés dans un temps où l’élégance et diverses capacités étaient conseillées, voire imposées aux jeunes filles ; cela faisait d’elles de bonnes épouses, avec de belles aptitudes.

    Physiquement, nous n’avions évidemment aucune ressemblance, puisque nous n’avions aucun lien de parenté. Ses cheveux avaient la couleur du bois flotté, c’était un châtain délavé qui tournait au beige, coupé au carré. Ses rides étaient presque invisibles, camouflées sous un fond de teint que je trouvais trop foncé pour elle. Ses vêtements étaient toujours colorés, bien que trop classiques. Elle se confondait avec les fleurs et il était difficile de bien la juger, de déterminer sa personnalité, car d’un côté l’on aurait pu la prendre pour une femme de la ville, rigide, classique et refermée dans ses idées et de l’autre, on aurait pu penser qu’elle était originale, agréable, touchée d’un grain de folie. Deux idées contraires, mais aucune des deux n’était fausse. Je l’avais souvent soupçonnée d’avoir un dédoublement de la personnalité, car souvent elle me grondait comme si le simple fait de ne pas avoir le même sang la répugnait, et lui donnait une sorte de légitimité sur le fait de me rejeter ; mais, certains jours, elle me donnait la sensation d’être une fille aimée et presque complice avec elle. Il était toujours difficile de l’aborder, sans savoir comment elle réagirait d’un jour à l’autre. J’avais souvent eu l’envie de questionner mon père à ce sujet, mais je ravalais toujours mes interrogations, car je savais qu’il les aurait ignorées. Lui était un homme touché par les années, il avait un visage fermé, des cheveux courts bruns, un regard très souvent vide. Son nez était aquilin, ce qui orientait souvent le regard des autres et cela avait tendance à le faire tressaillir et pincer des lèvres dans une grimace déformante. En matière de personnalité, c’était un homme froid, peu avenant, mais toujours entouré de bons amis en qui il avait confiance. Je l’avais souvent entendu rire en leur compagnie. Peut-être n’était-il tout simplement pas heureux chez lui. Je ne savais pas trop comment interpréter son attitude et j’avouerais ne pas avoir eu l’envie de m’y attarder.

    Nous étions tous assis pour le dîner. Ma mère était en face de moi sur la gauche de mon père. Nous mangions en silence comme beaucoup de soirs. L’ambiance était monotone, chacun était plongé dans son assiette sans ne savoir trop quoi dire. Souvent c’étaient des questions de politesse qui rompaient le silence : as-tu passé une bonne journée ? Comment vas-tu ? Qu’as-tu fait de différent au travail ? 

    Les questions de ma mère adoptive étaient toujours formulées dans le même ordre : aucun détenu ne t’a embêté ? Tu n’es pas trop épuisé ? Et celles de mon père n’étaient guère mieux : les clients se sont faits nombreux ? Personne ne t’a rendu la vie difficile ? Toujours les mêmes questions. Je me demandais même s’ils prenaient au moins la peine d’écouter les réponses. À moi, ils ne me demandaient que rarement mon avis et bien souvent, en dehors des questions de politesse, leur conversation tournait justement autour de moi. Ils parlaient comme si je n’étais pas là et ils se demandaient ce qu’ils allaient faire de mon cas, bien que tout eût déjà été décidé. J’allais travailler avec ma mère, en attendant j’avais le loisir de pouvoir profiter de mes journées comme je le voulais.

    De temps en temps, je devais quand même évidemment rendre quelques services à la maison, ce qui était normal. Je faisais en sorte de leur faciliter le plus possible la vie et en échange, ils me laissaient vagabonder là où je le désirais. Ils étaient des gens durs et froids, voire incompréhensibles en tant que parents, mais, ils restaient tout de même d’assez bonnes personnes. Je n’avais pas à me plaindre ; j’étais nourrie, logée. Depuis le mois de juin, ils ne m’embêtaient plus, bien que j’aie eu droit à plusieurs remontrances en ratant les examens pour mon diplôme. J’avais passé le bac littéraire, mais je n’avais jamais été une bonne élève. Non que j’aie dérangé la classe, mais je n’écoutais tout simplement pas et je ne faisais jamais mes devoirs. Je ne supportais pas ces longs moments de théorie qui, à mon sens, ne serviraient à rien, et finalement, j’avais passé les épreuves sans envie particulière d’obtenir mon diplôme. Cela avait joué en ma défaveur.

    Cette soirée laisserait une image semblable à celle des autres soirs et les suivantes seraient dans cette même continuité.

    Une fois le repas terminé, j’avais pris le soin de débarrasser à l’aide d’un chariot en métal noir, cela évitait les allées et venues interminables. Mon père était parti au salon, il m’avait souhaité une bonne soirée. Peu de temps après, ma mère l’avait rejoint après avoir terminé de m’aider à débarrasser. J’imaginais qu’ils allaient allumer la télé et zapper la totalité des chaînes jusqu’à trouver, par miracle, un quelconque film ou documentaire. Dans le cas contraire, lui irait certainement lire à l’étage et ma mère continuerait probablement son travail de broderie en restant dans le salon. Elle travaillait sur une pièce majestueuse qu’elle avait entreprise depuis plusieurs semaines. Il me semblait que c’était la représentation d’une chaude fin de journée d’été à la campagne, juste avant la fin des moissons. J’avais d’ailleurs hâte de la voir terminée, car l’art était quelque chose qui me plaisait. Sur mes suppositions, j’avais fini de débarrasser la cuisine, où une tempête semblait être passée. Le lave-vaisselle regorgeait même encore de plats sales de la veille. J’avais dû l’allumer pour éviter que l’on nous retrouve ensevelis sous la saleté. J’étais ensuite retournée dans ma chambre et je n’avais que peu d’envie concernant cette soirée. Je ne désirais rien regarder ni lire, bien qu’avoir soudainement mis un terme à ma lecture m’eût frustrée.

    J’avais fini par aller me coucher : le soleil, lui, était déjà parti de l’autre côté du monde. Je n’avais alors plus qu’à attendre Morphée, bien qu’il ne fût pas encore tard. Ce qui avait retardé son arrivée avait été mon aura qui s’était soudainement remplie de quelque chose de sombre. Cette amertume contre la vie s’était éprise de moi et je ne savais pas comment interpréter mes émotions dans cette obscurité totale. En réalité, je n’avais jamais vraiment su dompter mes émotions et j’avais par moments l’impression qu’elles ne venaient pas de moi. Peut-être qu’écrire m’aurait fait du bien pour m’aider à me soulager, mais j’avais finalement opté pour la rêverie. Mes pensées s’étaient tournées naturellement vers la fontaine de la rue de la Source, fontaine à souhait et à espoir. J’avais repensé à ma pièce perdue dans l’eau verdâtre avec les autres de tous âges. J’y repensais avec tant d’intensité que cela m’en paraissait fou. J’avais l’impression de me noyer et de me nicher dans l’eau à ses côtés, comme si tous mes rêves, tout ce qui se cachait au fond de mon cœur ne ressemblait plus qu’au fond d’une vieille fontaine gorgée par les eaux. 

    Je m’étais mise à essayer d’imaginer le fonctionnement de mon cœur, pas de manière rationnelle, mais plutôt de manière spirituelle. Je le percevais comme étant une salle rouge, remplie par les eaux, il y avait des taches de couleurs, semblables à des billes qui valsaient à l’intérieur. Elles représentaient mes émotions qui nageaient sans arrêt. Dans le fond des eaux de mon cœur se trouvait la pièce de monnaie qui avait été fraîchement déposée par ma main. Elle n’était pas seule, à ses côtés se trouvait un franc solitaire qui avait été la possession d’un ou d’une inconnue, encore vivant ou non ; un inconnu qui avait pris le temps de la déposer avec tous ses espoirs et tous ses rêves.

    Sur ses images offertes par ma tête de l’analyse de mon cœur, je m’étais surprise à sombrer peu à peu dans les bras de la nuit, mon amie de chaque soir qui avait fini par me bercer.

    Je m’étais réveillée dans la matinée avec un sentiment de légèreté. La journée s’annonçait orageuse sans perspective de pluie et l’idée de marcher en forêt avait germé dans mon esprit. C’était ce que j’avais alors décidé de faire. Une fois mon petit-déjeuner ingurgité : grand bol de lait chocolaté suivi de plusieurs tartines que j’aimais faire tremper – c’était, selon moi, le repas le plus important de la journée donc je ne m’en privais pas, à moins bien sûr, de me retrouver bloquée dans un immense trou sans possibilité de remonter ou encore, de me retrouver séquestrée dans le coffre d’une voiture style coccinelle sans manières. L’idée m’avait fait étonnamment rire, non pas que j’en aie eu envie, mais je ne pouvais résister à l’idée de défigurer ces images en quelque chose de beaucoup moins sérieux. J’avais choisi une tenue semblable à celle de la veille, pantalon noir, pull noir, même imperméable qui aurait pu me protéger du vent, puis, après avoir jeté un bref coup d’œil à mon miroir pour être sûre de ne pas ressembler à une créature terrifiante, je m’étais sentie fin prête à accueillir cette journée.

    Chapitre 2

    Une apparition, ou un cauchemar

    Lorsque j’étais arrivée devant la clairière, peuplée par l’obscurité des arbres, j’avais été paralysée de peur un court instant. C’était l’une de ces situations où l’instinct de survie me faisait comprendre que c’était une potentielle mauvaise idée. Je n’allais tout de même pas chambouler mon programme pour un peu d’obscurité. Je ne voyais pas ce qu’il y aurait pu avoir de soudainement dangereux dans cette forêt. Ce n’était pas comme si c’était la première fois que je m’y aventurais.

    J’avais donc décidé de pénétrer malgré tout dans les bois. Il y avait une forte odeur d’humidité, pourtant la pluie n’était pas là. Le ciel grondait si fort que ça me faisait frémir ; ma peau avait l’aspect d’un poulet déplumé. Je ne craignais pas la colère du ciel, mais cela n’en restait pas moins impressionnant et je savais que cela pouvait être dangereux de se trouver à découvert durant les temps orageux. J’avais avancé, me convainquant que je ne risquerais rien, couverte par les arbres. La forêt était dense, fraîche, mes pas étaient lourds et faisaient suinter les quelques tapis de mousse qui se présentaient devant moi. Je ne savais pas ni où j’allais ni pourquoi je tenais tant à avancer, mais j’étais lancée.

    Plus loin, j’avais pris le temps de faire une pause, car je m’étais sentie essoufflée, prise de vertige, tout devenait flou, mon regard était brouillé, j’avais l’impression que le monde tournait autour de moi. Pendant un instant, j’étais convaincue d’être perdue sans possibilité de rentrer, que ma dernière heure était venue. Mon pouls palpitait, je ne comprenais plus rien à ce qui m’arrivait.

    Soudainement, ma vue était finalement redevenue normale, je pouvais de nouveau prendre conscience du monde qui m’entourait bien que mon pouls gardât un rythme beaucoup trop rapide. J’avais peur, je me sentais honteuse de ce faible sentiment, mais j’avais tout de même pris le soin de l’écouter, car quelque chose d’anormal avait peut-être capté mes sens et je ne pouvais donc pas me permettre de l’ignorer. Instinctivement, je m’étais accroupie dans l’épaisse verdure. J’étais bien placée, car un arbre camouflait mon dos ; des ronces et des herbes hautes m’entouraient. J’avais pris soin de mettre ma capuche pour cacher mes cheveux blonds qui, à mon sens, étaient beaucoup trop voyants. J’étais désormais à l’affût du moindre bruit, telle une biche apeurée. La sensation d’être une faible proie prise en chasse me donnait la nausée. Le ciel avait gardé une allure sombre, des éclairs illuminaient par instants la noirceur du temps. Je n’osais plus bouger, ni même respirer. Ma vision avait une faible portée, les deux seules choses sur lesquelles je pouvais alors me baser étaient : mon ouïe et mon instinct, un petit bagage que j’espérais suffisant pour me protéger.

    Un court instant, je m’étais sentie stupide de m’être accroupie dans les hautes herbes sous le coup de la peur, mais, peu après, j’avais compris que j’avais eu raison. Le tonnerre s’était tu, plus aucun bruit ne sifflait dans mes oreilles, la forêt et le temps me semblaient comme morts. Seule ma respiration saccadée me parvenait à faibles coups et là, il avait suffi d’un seul bruit pour me glacer le sang. C’était le bruit d’une petite branche qui se faisait marcher dessus, ce qui signifiait que quelqu’un ou quelque chose se trouvait proche de moi.

    Je ne voyais toujours rien, car le son venait de derrière l’arbre qui me cachait et je ne pouvais prendre aucun risque pour essayer de voir qui c’était. J’avais la conviction qu’en bougeant, j’aurais fait trop de bruit et que cela aurait attiré toute l’attention sur moi, chose que je ne pouvais pas tolérer. Une autre branche s’était brisée, les pas étaient plus lourds. J’avais facilement pu reconnaître ceux d’un humain, du moins, c’était l’idée que je m’en faisais.

    C’était trop lourd, trop bruyant et pas assez saccadé pour être un animal, mais alors, qui était-ce ? Qui pouvait être assez fou – mis à part moi –, pour s’aventurer ici sous l’orage ? À moins d’avoir été suivie ! Cette idée m’avait fait pâlir de terreur et j’avais ressenti le besoin oppressant de fermer les yeux, comme si cela allait me protéger, mais des images affolantes se formaient dans mon esprit. Je n’arrivais pas à me séparer de l’idée que cette personne m’avait repérée, ou si ce n’était pas encore le cas que cela n’aurait su tarder. Je m’imaginais avoir le courage de me retourner, tenter le tout pour le tout et là, précisément à ce moment, de me retrouver nez à nez avec elle ! 

    J’eus un haut-le-cœur, « elle », une femme ! C’était la représentation de mon esprit. Elle était terrifiante, elle dégageait une aura noire, pire encore que celle d’un démon. Je l’imaginais me fixer de ses yeux remplis de folie, ronds, sans paupières, dans un sourire vengeur et figé. Sa peau était violette, pas quelque chose de flashy, mais plutôt un violet sombre délavé, comme un corps plein d’hématomes violacés, ou plus ressemblant encore, comme la lividité cadavérique qui arrivait quand le sang arrêtait de couler.

    Sous cette image qui, je le sentais, augmentait ma panique, j’avais décidé d’ouvrir les yeux dans un dernier élan de courage. Je m’étais forcée à ne rien imaginer de pire, rien de plus compliqué pour une rêveuse emplie de terreur. Face à moi, heureusement, il n’y avait rien. Mais derrière moi, les bruits n’avaient pas cessé et je n’arrivais pas à comprendre ce que trafiquait la source de mes tourments, jusqu’à ce que l’évidence tombe ! Elle cherchait quelque chose, elle me cherchait ! Mon corps s’était mis à trembler et j’avais l’envie soudaine de pleurer, de disparaître. Mes bras enlaçaient fermement mes genoux, mon visage y était aussi plongé, pour laisser le moins de parties de mon corps à découvert. J’avais seulement laissé mes yeux « au front ». C’étaient des soldats qui cherchaient un quelconque indice.

    Le moment que je vivais se trouvait désagréable au plus haut point, mais le fait de ne pas savoir qui se trouvait être la source de tout ceci était encore pire.

    Un tas de

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