Le prince de Chinguetti: Une aventure intérieure
Par Laurence Huard
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Après la parution de son livre" Le Dey de l’hôpital - Un aventurier en Algérie", Laurence Huard nous convie à un voyage en Mauritanie, où nous découvrons la fascinante ville de Chinguetti. Ayant séjourné plus de vingt ans en Afrique en tant qu’infirmière puis chef de projet, l’auteure partage ses rencontres à travers des récits captivants, nous invitant ainsi à plonger dans les mystères du désert et de l’Histoire.
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Avis sur Le prince de Chinguetti
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Aperçu du livre
Le prince de Chinguetti - Laurence Huard
Première partie
Chapitre 1
Vers la terre promise
Aéroport de Paris, une longue file d’attente me signifie le lieu de l’embarquement pour Nouakchott.
J’arrive juste à l’heure, le haut-parleur appelle les voyageurs vers la porte. La pagaille règne, comme une bataille rangée. À croire que les voyageurs craignent des erreurs de réservation et l’absence de siège dans l’avion. Cela pique ma curiosité.
Les femmes se prennent les pieds dans de longs voiles qui les recouvrent tout entières. Elles égaient le lieu. Leurs tenues perdent de leur transparence en s’enroulant autour de corps élégants. Les couleurs se fondent dans une dominante, tantôt rose, tantôt bleue, ou encore orangée, turquoise, dorée. Perchées sur de hauts talons, elles se ruent, légères, bien qu’imposantes, vers le guichet de contrôle, passeport tendu vers l’hôtesse qui recule. Surprise, je me laisse doubler par plusieurs familles.
Les hommes, pas moins entreprenants, poussent même un peu. Plusieurs portent un costume européen, d’autres déjà m’invitent à un plongeon dans le Sahara. Amples et brodés, leurs longs habits repliés sur les épaules, ils marchent à longues enjambées pour suivre leur moitié. Je ne serais pas mieux placée pour un défilé de mode.
D’autres femmes, restées en arrière, patientent. Leur boubou en pagne wax, confirme leur différente appartenance ethnique, peut-être du sud. La même élégance les rapproche des femmes au grand-voile.
Mon tour arrive enfin. Je présente une dernière fois mon passeport. Je me presse à la suite des passagers qui courent vers l’avion. J’accélère malgré moi.
Le voyage commence, mon rêve prend forme. Ma soif de découverte et de repos trouve place au milieu de voyageurs qui rentrent chez eux. Il me semble être unique en mon genre parmi eux. Aucun regard ne s’attache à ma différence.
J’arrive près de ma rangée et prends place à côté du hublot tant convoité. Je ne veux rien perdre de ce vol.
Que vais-je chercher là-bas ? Suivre la trace d’aventuriers, Mermoz, Saint-Exupéry, Puigaudeau ? Je prétends suivre leur pas sur ces terres inconnues, mais qui a-t-il encore de semblable là-bas ? Les XIXe et XXe siècles leur ont livré tous leurs secrets ! Reste-t-il quelque chose pour moi ?
D’abord, y retrouver notre ami Théodore. Et avec lui, mon grand-père.
Incorrigible, j’ai dévoré tous les livres nés des sables mauritaniens. Leurs auteurs y trouvèrent inspiration et sujet d’étude. Avec eux, j’ai parcouru les routes du sel et rêvé des débuts de l’aéropostale. Des semaines de recherche, et un monde s’ouvre à moi.
Sourire. Pour l’instant je ne vois que le tarmac !
À la suite de Grand-Père, je me suis plongée dans la géologie des déserts, de leurs origines et des impacts de météorites dont ils sont les seuls à garder l’empreinte, comme la présence de géants venus les visiter. Le grenier se transformait en lieu d’excursion. Assise sur un petit fauteuil en rotin, Grand-Père sur un vieux fauteuil Louis XVI, je l’écoutais pendant des heures. Nous voyagions ensemble sans voir le temps passer.
Seule la voix de Grand-Mère nous arrachait à nos excursions sur divers continents. Au gré des livres qu’il choisissait, tous tendus vers des contrées lointaines, où des cailloux semblaient tomber du ciel, je m’évadais.
Le sujet de ma thèse s’imposa vite.
Partie à la recherche de ces gros cailloux, je bâtis mes chapitres sur des trous disséminés dans le monde entier. L’absence au service d’une présence venue d’autres planètes : l’imaginaire de beaucoup d’enfants, un monde, ailleurs, au loin, là-haut ! Aujourd’hui, je bute contre les pages vides, l’absence de problématique réelle, ce vide même laissé par leurs impacts. Grand-Père me relisait souvent les écrits de Théodore Monod. Pourquoi lui plus qu’un autre ? Je décidais d’aller voir sur place.
En questionnant les multiples œuvres racontant la Mauritanie, je me suis laissé envahir par d’autres intérêts. La vie nomade, dans le silence du désert, me questionne aussi. La soif de nouveauté naît en moi.
J’imagine.
Je me désaltère aux sources des oasis comme les voyageurs assoiffés, aventuriers imprudents. Je me repose à l’ombre des palmiers. Je goûte d’une façon nouvelle au temps.
Enfin, ça, c’est ce qu’en disent les amoureux des escapades solitaires.
Je verrai bien. Saurai-je rester ouverte à tous les défis nés de l’inconnu ?
Pour l’instant, je me colle à mon hublot, l’imagination fertile. En arrivant, j’espère voir la côte d’où s’envolaient les premiers courriers vers l’Argentine.
Je regarde le tarmac. Il me tarde que nous nous envolions. L’avion reste désespérément à terre. Le chef de bord présente ses excuses. Nous attendons des passagers munis de leur carte d’embarquement : annonce d’un quart d’heure de retard.
Ils finissent par apparaître une demi-heure plus tard, sourire aux lèvres. Aucune réaction dans l’avion, aucun reproche des autres voyageurs. Moi, je bous. Ils exagèrent, prendre ainsi tout un avion en otage et faire comme si de rien n’était ! Je regarde mes voisins que cela ne semble pas toucher outre mesure. Leur calme me gagne. J’aurais été heureuse de ne pas manquer mon avion si un imprévu m’avait retardée.
Nous roulons. La piste apparaît. Un lourd silence nous enveloppe. Le cockpit de l’avion s’élève et l’ensemble de l’appareil suit. Une fois en l’air, les passagers applaudissent.
Ces gens m’étonnent !
Aux applaudissements succède une cacophonie fabuleuse. Commentent-ils le décollage ?
Le vieil homme, à droite de ma voisine, interpelle l’hôtesse. Ils se parlent dans une langue qui me parait un peu différente de l’arabe classique que je ne maîtrise toujours pas après cinq années d’étude.
L’hôtesse repart.
Quelques minutes plus tard, elle revient avec une jeune femme drapée de toutes les couleurs. Le vieil homme lui laisse sa place. En se retournant, il nous gratifie d’un magnifique sourire et s’en va. Un tel sourire ne peut s’oublier, cerné de rides, les yeux brun clair, il s’adresse à nous avec quelque chose de tendre. Le vieil homme s’éloigne en réajustant son vêtement sur ses épaules. Je détache mon propre regard de sa silhouette, sans comprendre tout à fait ce qui vient de se passer. Nous terminerons le voyage toutes les trois sur notre rangée.
Je retourne à mon hublot. Je regarde le sol de Paris disparaître dans les nuages. Je m’assoupis. Mon léger sommeil se peuple d’images. Mes grands-parents, le grenier, les livres dans la grosse malle, tous les écrits de Monod dans lesquels je m’aventurai chaque vacance ; papa et sa passion pour l’aviation, la Sorbonne, le collège où j’enseigne…
*
Ma voisine m’a gentiment réveillée pour recevoir mon plateau-repas. Pendant que nous grignotons, le silence s’installe. Puis à peine les plateaux retirés, le brouhaha reprend. Des vagues de mots, de rires, d’appels, rencontrent ma solitude.
Le sommeil peine à revenir. Le paysage moutonneux de mon hublot finit par m’absorber. J’essaie de m’accrocher aux conversations et de comprendre les échanges. Quelques mots font échos à mes connaissances, trop peu pour comprendre le sens de ce qui se dit. Je réalise alors que je pars en terre inconnue. Mélange étrange d’insécurité et de bonheur. Ce périple, préparé de longue date, se trouve enfin à portée de mains. Je vais fouler le désert mauritanien. Je me le redis mentalement : « Isabelle, ma grande, tu y es presque ! Grand-Père sera fier de toi. Tu vas en Mauritanie ! »
Je sursaute quand le chef de bord nous demande de redresser nos sièges, de relever nos tablettes, d’attacher nos ceintures. Nous allons atterrir à Nouakchott. Le même silence lourd du décollage remplit l’avion. Le trouble me gagne. Craignent-ils quelque chose ?
L’avion se pose sans problème. Je respire.
À nouveau, une salve d’applaudissements salue l’atterrissage. Le chahut revient, rassurant, et quelques passagers se mettent debout. Le steward leur demande de patienter. Ils se rassoient, dociles.
Les lumières blanches s’allument. Nouvelle ruée. Vers la sortie cette fois. C’est fou comme ils sont pressés de descendre !
Nous marchons sur le tarmac de la capitale et nous rejoignons la douane à pied, pressés de nous mettre à l’abri de la morsure du soleil. Sur le goudron, la moiteur me happe, m’assomme. J’accélère. Je double femmes et enfants. Ils semblent moins impatients maintenant. Ils sont chez eux, plus rien ne les oblige à courir sous le soleil.
Les formalités de douane vite expédiées, l’aéroport se vide. Personne n’attend personne. J’emboîte le pas des autres vers la sortie. Je dépasse ma voisine de vol. Elle me souhaite un bon séjour. Grand sourire partagé.
Dehors, j’aperçois une pancarte avec mon nom et je me dirige vers elle.
— Mademoiselle Isabelle ? Bonjour, je suis le chauffeur de la mission catholique, je vous attendais. Vous avez fait un bon voyage ?
Il soulève mon sac sans que je puisse réagir, et se dirige vers un taxi jaune.
Ça rassurait mes parents que je loge chez les missionnaires plutôt que dans un hôtel du pays. Et puis, l’hébergement, à prix raisonnable, présente les commodités nécessaires. Surtout, je n’ose jamais les contredire. Je reste la petite fille de papa et maman. J’habite chez eux, et ils me laissent une certaine indépendance. Alors, j’essaie d’écouter leurs conseils. En outre, les pères, par réputation, jouissent d’une bonne connaissance du pays. Ils m’aideront et m’orienteront. Nos échanges de lettres promettent de belles aventures.
Près du véhicule, le chauffeur perçoit mon hésitation.
— Je suis taximan. Quand les pères ont besoin de quelqu’un pour venir chercher leurs invités, ils m’appellent. Ne vous inquiétez pas, c’est déjà payé.
Il charge mon sac dans son coffre qu’il peine à refermer. Des éclats de rouilles s’échappent sous la force qu’il déploie. J’espère qu’il réussira à l’ouvrir à nouveau !
Après quelques embouteillages, provoqués par des ânes attelés qui traversent la route ensablée, ou par des piétons en désordre sur le macadam, le taxi me laisse devant un étrange bâtiment. Rapide salut, d’autres courses l’attendent.
La bâtisse ressemble à un chapiteau blanc. Les côtés gonflés par le vent, telle une voilure tendue vers le ciel, imitent un grand bateau. J’entre dans la cour par une petite porte en bois grise. Un revêtement granuleux donne aux murs d’enceinte une couleur sable, version tyrolienne, belle, propre. La cour semble avoir été balayée juste pour mon arrivée, pas une feuille par terre. Des arbres, que je ne reconnais pas, ménagent une ombre bienfaisante. Tout contraste avec le désordre de l’avion et de la ville.
Reposant.
Personne.
Je m’aventure sous les arbres. Une pierre m’invite. Je m’assois et pose mon sac à dos. Je ne vois ni panneau « accueil », ni « information », ni quoi que ce soit. J’attends, cinq minutes, dix minutes, une demi-heure. J’entends enfin des voix au loin, comme un murmure harmonieux. Elles proviennent d’une petite porte à l’arrière du grand bâtiment surmontée d’une énorme croix. La cathédrale dont parlent les lettres ?
Un homme arrive derrière moi. Je sursaute.
— Bonjour, madame. Vous attendez quelqu’un ?
— Bonjour. J’ai réservé une chambre, mais je ne vois personne.
— Les pères prient dans la cathédrale.
Je ne me trompais pas.
Il désigne le bâtiment aux formes élancées.
— Ils ne vont pas tarder. Vous entendez le chant ? C’est celui de la fin. Vous voulez entrer vous asseoir ?
— Merci monsieur. Je vais les attendre ici.
— Comme vous voulez. Bonne soirée.
Bien aimable, cet homme au couvre-chef bleu, mètres de tissus enroulés sur la tête. Un homme du désert !
La fraîcheur de l’ombre me ravit. Elle chasse l’oppression moite qui me gagna au sortir de l’aéroport.
La cathédrale ? Pas mal comme idée architecturale, entre tente nomade et grand voilier, un bon camouflage. Évocation du désert et de la mer à elle seule. Les livres s’engouffrent dans son antre, avec, d’un côté, les archéologues des dunes, de l’autre le radeau de la Méduse. Des pages et des pages s’envolent dans la brise qui chante dans les feuilles de l’arbre sous lequel je m’abrite. Je m’assoupis.
Soudain, une foule bruyante sort par la petite porte vernie. Des femmes en sari, des hommes en chemise, manches courtes, des familles africaines avec de joyeux enfants qui s’échappent des boubous multicolores et se jettent à l’assaut des fleurs. Les parents les rabrouent, mais n’obtiennent que des rires.
Je me lève, me dirige vers le groupe et m’approche d’un vieil homme à barbe blanche. Le parfait portrait du missionnaire dans les livres. J’arrive à sa hauteur.
— Bonjour monsieur. Je suis Isabelle Laflèche. Je cherche le responsable de la mission.
— Bonjour Isabelle. Je suis le Père Paul avec qui tu as échangé par mails. Tu as fait bon voyage ? On peut se tutoyer, n’est-ce pas ?
— Oui, bien sûr. (Je suis prise de court).
— Alors ce voyage ?
— Bien, merci. Étonnant parfois, mais bien.
— Tu dois être fatiguée. Je vais te montrer ta chambre. Viens, comme ça tu sauras où sont les clefs et tu pourras t’installer.
Le Père Paul marche lentement. Nous entrons dans une pièce sombre où je devine plusieurs fauteuils en fer avec des lanières tendues. Elles sont beiges donc plus visibles que les autres meubles, tables, chaises et armoires en bois foncé, style européen. Mes yeux s’habituent petit à petit et les distinguent chacun leur tour.
— Voilà ! (il me tend des clés) Nous les posons dans cette petite armoire, chacune étiquetée. Quand tu pars, tu peux les remettre là. Comme ça tu ne les perds pas. Dans le sable, impossible de les retrouver ! Tu vas voir, les chambres sont simples. Tu as ta douche et tes toilettes, seul luxe ! N’oublie pas d’éteindre le ventilateur quand tu sors. Il va devenir ton meilleur ami.
Il me précède et s’arrête devant la chambre.
— Tu es chez toi. Nous dînons à 19 h. Repose-toi d’ici là. S’il te manque quelque chose, tu nous le diras. Surtout, n’hésite pas.
— Merci monsieur, Père Paul. Heu, comment dois-je vous appeler ?
— Paul, ça suffira. À tout à l’heure, Isabelle.
Seule dans ma chambre, je m’étends sur le lit.
La voix du Père, douce et calme, me met à l’aise.
*
Je me suis endormie. Quelqu’un frappe à la porte et je m’aperçois qu’il fait nuit.
— Isabelle ? Nous sommes à table.
— (Je bafouille). Oui, je viens, excusez-moi.
J’arrive dans la salle où Paul me remit les clefs. Une dizaine de personnes, assises autour de la grande table rectangulaire, mangent et discutent. La même table qui trônait dans la salle à manger de mes grands-parents. Étrange de trouver ici tous ces meubles d’une autre époque et d’un autre monde.
— Excusez-moi, je m’étais endormie.
— C’est ce que nous pensions. Mais manquer le succulent Tiep de Juliette serait dommage ! Es-tu bien installée ?
— Oui, merci.
— Assieds-toi Isabelle. C’est bien ça, Isabelle ?
— Oui.
— Moi c’est Juliette. Cuisinière et fille de Paul.
La fille du père ?
Je m’assois sans mots, encore un peu endormie à vrai dire. La conversation reprend son cours autour de la table. Mon voisin s’adresse à moi.
— Moi c’est Vincent. Sénégalais, autrement dit, un voisin. Qu’est-ce qui t’amène ici ?
Lui aussi, il me tutoie, ça a l’air si simple pour eux !
— Mes études et le besoin de faire une pause. Des livres aussi, cadeau de mon grand-père quand j’étais enfant. Il me parlait de la Mauritanie. Il se passionnait pour les découvertes de Théodore Monod. Je viens voir par moi-même. J’espère mettre mes pas dans ceux d’aventuriers français illustres.
— Ça semble passionnant. Je ne connais pas les écrits de Monod, mais il est célèbre ici et chez nous. Tu as pris des vacances pour venir ? Tu fais quoi dans la vie ?
— Je suis doctorante et j’enseigne les SVT au collège, pour compléter ma bourse d’études. J’ai pu ajouter une semaine aux vacances de printemps de façon tout à fait exceptionnelle.
— Quelle chance ! Ce n’est pas encore la saison chaude, tu vas avoir un agréable séjour. SVT ? C’est quelle matière ?
— Les sciences de la vie et de la terre.
— Ce que nous appelons sciences naturelles ?
Je n’ai pas le temps d’acquiescer.
Paul, en face de nous, intervient.
— Dans tes courriels Isabelle, tu souhaitais voyager dans le pays. J’ai transmis tes demandes aux missions catholiques de Nouadhibou et d’Atar, tu es attendue.
— Merci, je suis impatiente. Depuis que je m’y intéresse, Mermoz et Saint-Exupéry habitent mes rêves. Nouadhibou était bien une escale de l’aéropostale ? J’aimerais aussi visiter Chinguetti, la Ville Sainte. Je suis passionnée par les livres et j’ai lu que de vieux manuscrits y sont encore visibles. Et puis, c’est sur cette route que Monod cherchait la fameuse météorite.
— Que personne ne trouva.
— D’après mes recherches, un excès de zèle aura inspiré celui qui en fit l’unique description connue. Peut-être n’a-t-elle jamais existé. Mais cela m’intrigue.
— Tu sembles passionnée !
L’intervention vient de Juliette. Je m’aperçois que tout le monde nous écoute. Je rougis, intimidée d’être tout à coup l’objet de l’attention générale, et prise en flagrant délit de raconter ma vie. Paul me tire d’embarras en relatant sa première visite à Chinguetti et quelques anecdotes amusantes.
Son émotion se transmet quand il évoque les bibliothèques enfouies sous le sable, et l’amour des propriétaires qui tentent de préserver ce site unique. J’en ai l’eau à la bouche.
Épuisée par le voyage, je n’attends pas la tisane servie au salon. Je me retire en leur souhaitant une belle fin de soirée.
Je marche vers ma chambre telle une somnambule. J’essaie d’écrire dans ma tête les prénoms des convives. Paul, facile, sa fille Juliette (une énigme), Vincent, le prêtre sénégalais, Georgette, la sœur togolaise, Charles, l’autre prêtre français, Antonio, le frère italien… il me manque trois autres personnes. Pas moyen de me souvenir de leurs prénoms. Tant pis. La nuit rafraîchira peut-être ma mémoire. Et qu’importe ? Je ne fais que passer.
*
Au matin, la fraîcheur me réveille et m’attire dehors. Le froid me saisit, je me rends sans traîner vers la salle à manger.
Les habitants du lieu arrivent les uns après les autres me saluant avec chaleur.
Après un petit déjeuner copieux et sympathique, chacun taquinant l’autre sur ses projets de la journée, Charles, désigné pour m’aider, me propose de voir avec lui l’organisation de mon voyage. Il me tarde de me mettre en route.
Son bureau : un vrai fourbi, où la poussière et le sable, je ne vois pas trop de différence, règnent en maîtres ! Les livres occupent toutes les surfaces planes ! Je trébuche sur une pile et me retiens au grand bureau, d’où une autre pile de livres tombe.
— Pas grave, avance, regarde.
Il ne jette même pas un œil sur le désastre.
Aux murs, des cartes, que j’imagine du pays, à plusieurs échelles, font tapisserie. J’aime ce désordre. Il sent l’aventure. Par contre, je doute un peu de la capacité d’organisation de « mon guide ».
— Combien de jours restes-tu ?
Charles me ramène sur terre.
— Vingt jours, moins deux de voyage.
— Donc dix-huit si nous comptons de la même façon ?
— Oui c’est cela.
Il se moque de moi…
— OK, voyons. (Il fouille dans un tas) Oui, cette carte. Je te montre ton périple et tu me dis si ça te convient.
Charles trace avec son doigt un parcours qui relie Nouakchott, Nouadhibou, Atar et Chinguetti. La boucle se referme sur Nouakchott. Entre Chinguetti et Nouakchott, il trace une boucle au milieu de nulle part.
— Ça te va ?
— La dernière boucle correspond à quoi ?
— À peu près au lieu de l’atterrissage de la fameuse météorite !
— Je n’en avais pas parlé dans mes courriels.
— Mais à table si.
— Tu crois que cette escapade est possible ?
— Cela dépend des personnes qui vont t’accueillir. En fait personne, tu le disais, n’a jamais retrouvé le lieu décrit par Ripet³. Tu verras avec eux si quelqu’un peut te guider. Le lieu est grandiose de toute façon, avec ou sans caillou venu du ciel.
Et si ? Mais non, inutile de rêver, comment une étudiante du XXIe siècle rivaliserait avec le chercheur des années trente ! Théodore doit bien rire dans sa tombe s’il perçoit ma vaine excitation. Pourtant, ça donnerait à mon travail une réelle valeur ! Je pourrais revenir avec des moyens modernes, drones et autres…
Je quitte le monde des rêves. Je ne serai pas la première à confirmer les conclusions de Monod sur la fameuse météorite fantôme : RIEN, aucune trace, jamais existée !
Je reviens à mon interlocuteur.
Charles déplie une carte qui a, ô miracle ! échappé à la poussière. Il doit la secouer souvent. Nous nous penchons sur elle tels deux explorateurs. Ma propre aventure commence !
— Ici c’est Nouakchott. Tu vas partir pour Nouadhibou en haut sur la presqu’île, frontalière avec le Maroc. Tu as le choix. Maintenant, tu vois, là, il y a la route. Mais parfois des 4-4 empruntent encore l’ancienne piste, par la mer, puis le désert. Ça peut te permettre de t’arrêter au Banc d’Arguin. Tu en exprimais le souhait, non ?
— Ça serait fantastique !
— Des amis effectuent le trajet régulièrement jusqu’au village. Moussa part demain. Il peut ensuite t’arranger un départ pour Nouadhibou, en fonction des occasions. Et peut-être, t’y conduira lui-même. Le problème c’est qu’on ne peut pas dire combien de jours ça va te prendre. Qu’en penses-tu ?
— C’est jouable. Voir les lieux où la Méduse⁴ s’est échouée, un rêve !
— Tu as raison. Fais juste attention aux cannibales.
Je le regarde les yeux pleins de questions.
— Je plaisante ! Tu fais référence au radeau de la Méduse, alors je fais le lien avec le cannibalisme qui leur permit de survivre.
— Oui, oui, mais bon, je ne connais pas les mœurs par ici.
Je m’oblige à sourire, en mode plaisanterie aussi.
— T’inquiète, personne ne va te manger. C’était une affaire entre Européens (il sourit) ! Le banc de sable se déplace, alors tu ne verras ni goélette ni radeau… mais des paysages uniques ! Et tu seras accueillie telle une princesse. Paul t’a présenté à Moussa comme sa nièce. Alors, tu fais partie de leur famille aussi. Ne pense pas trop au radeau, admire plutôt la nature là-bas. Tu verras, c’est un petit paradis.
Je sens bien qu’il me taquine. J’ai compris, il n’arrivera pas à me faire peur.
*
Dans le pick-up de Moussa, deux autres passagers seront du voyage, une femme et un enfant. J’arrive près du véhicule en avance.
*
Hier, après la répétition orale de mon voyage, Fatimatou me guidait dans la capitale. Sans beaucoup d’intérêt touristique, la ville grouille cependant d’une vie colorée. Dans les rues, la pagaille règne : autre code de la route, à l’aveugle, des routes envahies par les charrettes et les ânes battus jusqu’au sang ;
