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Vale Elvira
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Livre électronique341 pages4 heures

Vale Elvira

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À propos de ce livre électronique

Espagne. Année 718. Dans un pays où cohabitent divers peuples et confessions, une jeune fille arabe, un moine et un étudiant juif traversent la péninsule en quête d’un refuge. Fuient-ils uniquement pour sauver leur vie ou pour donner un sens à celle-ci ?
Lutter ou se soumettre, aimer ou renoncer à la passion, telle est l’alternative à laquelle sont confrontés ces trois personnages. Mais trouver un lieu où l’on peut vivre librement sans se soucier de son milieu d’origine se révèle difficile …


LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie18 août 2022
ISBN9782384542840
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    Aperçu du livre

    Vale Elvira - Dominique ALTAROCA

    II

    Bassam était parvenu à remonter sa robe jusqu’à la taille, et utilisait son poids pour l’immobiliser. Elle sentit une chose à moitié molle tenter de se faufiler entre ses cuisses. En dépit de son dégoût, l’idée de cette misérable excroissance de chair essayant vainement de la forcer la fit éclater d’un rire absurde. Le sexe de l’obèse devint plus flasque encore.

    « Bassam ne pourra jamais supporter cette humiliation : il va me tuer, pensa-t-elle. »

    Préparée depuis la veille à cette éventualité, elle décida de s’offrir une dernière satisfaction avant de mourir.

    –Je n’insisterais pas à ta place :¨ un vase ne répand que ce qu’il contient⁴, ta mère ne t’a jamais appris ça ? Pauvre cousin, incapable de réaliser ce qu’il entreprend … fit-elle d’un ton navré.

    L’homme perdit totalement ses moyens. Proférant une insulte, il plaça une main autour de son cou, et commença à serrer.

    « Nous y voilà, se dit-elle avec une sorte de soulagement. Ma vie s’achève. Ce n’est pas plus mal, tout compte fait. Cet imbécile va m’éviter d’avoir à mener un combat perdu d’avance. »

    Yasmina commençait à perdre conscience quand un soubresaut agita soudain le corps de son agresseur. Bassam poussa un grognement de douleur, et lâcha prise. Il se mit péniblement debout, et fit face à l’impudent qui lui avait assené un violent coup de pied dans les côtes.

    « Un moine ! constata-t-il, stupéfait. Un misérable moine ! »

    Fou de rage, il prit un couteau dans la poche de son vêtement, et se précipita en hurlant sur celui qui venait de le frapper.

    ***

    Le sentiment de se mouvoir dans un monde fluctuant ne l’avait jamais quittée. Était-ce dû à son caractère ? Au mode de vie très particulier que son père leur imposait ? Elle n’aurait su le dire, mais aussi loin qu’elle se souvienne, cette incertitude l’avait toujours habitée.

    Ils n’avaient cessé de voyager au gré des tribulations du chef de famille, un marchand aussi dénué de scrupules que de talent. Arrivé quelque part, il montait un négoce qui, inévitablement, capotait au bout de quelques mois, voire de quelques semaines. Immuable, lamentable, le cycle se reproduisait dans tous les endroits où ils s’installaient : l’homme donnait plus ou moins longtemps le change, puis, couvert de dettes qu’il ne pouvait rembourser, quittait discrètement la ville, et partait chercher fortune ailleurs, dans les nouveaux territoires conquis par les troupes du Calife, où personne ne le connaissait, et où le fait d’être né sur la terre du Prophète lui procurait assez de prestige pour emprunter de l’argent et lancer une nouvelle affaire.

    Ils avaient séjourné dans de nombreuses contrées. En Perse tout d’abord, un pays dont la langue, les jardins, et l’architecture lui avaient laissé un souvenir émerveillé. Encore petite à l’époque, elle avait été néanmoins sensible à la douceur du pays et au charme de cette civilisation millénaire. La nuit, elle s’endormait en écoutant sa nounou lui raconter les amours de ¨Leïla et Majnoun¨ ⁵ , ou des contes fantastiques peuplés de djinns et de tapis volants. Ils y étaient restés une année entière, jusqu’à ce que les marchands d’Ispahan découvrent les combines de son père. Fuyant la région, ils avaient rapidement traversé le continent pour échapper à leur vengeance. La Méditerranée offrait de belles opportunités : après avoir écumé divers ports du Levant et d’Afrique, la famille avait, des années plus tard, débarqué en Espagne où, ayant atteint l’extrémité occidentale de l’empire, elle semblait condamnée à rester.

    Chaque matin, au réveil, Yasmina se demandait si la journée qui débutait ne serait pas la dernière passée dans cet endroit. Envisager sereinement l’avenir s’avérait impossible. Une ville n’était pour elle qu’une étape sur le chemin d’un perpétuel voyage. Tôt ou tard, son père rentrait à la maison, et leur annonçait d’une voix angoissée qu’ils devaient immédiatement quitter les lieux. Ils faisaient alors leur baluchon, et, une fois l’obscurité venue, s’enfuyaient au milieu de la nuit.

    Privée d’amies et de stabilité, elle s’était inventée un univers imaginaire où elle aimait se réfugier pour échapper à la solitude et à la précarité. Avec le temps, cette vie singulière l’avait immunisée contre la dépendance aux êtres et aux choses. Son caractère rebelle s’était accentué.

    Comme tous les enfants, elle avait au début accepté sans rechigner les conditions de leur existence. Les fuites, les déménagements incessants vers des villes inconnues n’avaient à ses yeux rien d’anormal. Leur vie était ainsi faite ; il lui fallait s’y conformer. Puis, en grandissant, son regard s’était modifié. Elle avait fini par se dire que certaines choses ne se déroulaient pas tout à fait comme elles l’auraient dû.

    « Comment maman fait-elle pour supporter une telle existence ? se demandait-elle souvent. »

    Jamais elle ne l’avait vue adresser le moindre reproche à son mari. Soumise, résignée, la malheureuse se contentait de pleurer en silence. Yasmina éprouvait de la peine pour elle, ainsi qu’une forme de mépris inavoué. Ses sentiments envers son père étaient tout aussi ambigus. Elle l’aimait, mais ne pouvait se défaire d’une certaine défiance à son égard. Écoutée derrière une porte, une discussion à son sujet entre celui-ci et ses frères, deux garçons arrogants qui rêvaient de marcher sur ses pas, l’avait convaincue de ne pas se faire d’illusions : ses rêves et ses désirs ne l’emporteraient jamais face à leurs calculs sordides.

    –Elle est irrespectueuse, c’est un fait, mais sa beauté est fascinante, avait déclaré son géniteur. Son teint clair et sa chevelure sombre et lisse comme de la laque de Chine ne peuvent laisser aucun homme indifférent. En dépit de son sale caractère, je suis convaincu que nous pourrons tirer profit de son mariage le moment venu. 

    « Voilà donc l’idée qu’ils se font de moi et le sort qu’ils me réservent, s’était-elle dit, consternée. »

    Jusqu’où les conduirait leur absence de sens moral ? Quelles en seraient les conséquences pour elle ? Cette conversation qu’elle n’aurait pas dû entendre l’avait amené à s’interroger sur son futur ; un futur dont elle ne parvenait pas à cerner les contours, mais dont elle avait néanmoins décidé de fixer les limites.

    « Jamais je ne vivrai sous la coupe d’un homme. Jamais ! Mieux vaut disparaitre plutôt que d’accepter un destin semblable à celui de ma mère. »

    Ce n’était pas une de ces résolutions prises sous l’effet du ressentiment et qui ne résistent pas à l’épreuve des faits, mais une promesse faite au plus profond de son âme, un pacte signé avec elle-même. La mort était-elle si effrayante, d’ailleurs ? N’avait-elle pas le pouvoir de la libérer des contraintes et des humiliations qu’elle devait subir au quotidien ? Elle était, quoiqu’il en soit, résolue à défendre férocement sa liberté.

    Conscient qu’Elvira était la dernière étape de leur voyage, et qu’en cas de problème ils n’auraient nul autre endroit où se réfugier, son père, renonçant aux ¨affaires¨, avait accepté un poste d’employé subalterne au palais du gouverneur. Leur train de vie s’en était trouvé considérablement réduit. La famille vivait presque misérablement de son modeste salaire dans un logement proche du quartier juif de Granata. Un soir, il était rentré de bonne heure à la maison, et, l’air ravi, leur avait annoncé la venue de Bassam, un cousin de Médine. Le jeune négociant s’apprêtait à demander Yasmina en mariage. Cette union tombait à point nommé : les relations commerciales qu’il comptait établir avec cette branche de la famille allaient grandement améliorer leur situation financière devenue catastrophique.

    –Tu vas enfin être utile à quelque chose, avait-il plaisanté en clignant de l’œil de manière finaude.

    La nouvelle n’avait surpris Yasmina qu’à moitié, mais lui avait fait du mal cependant. Se sentir utilisée de cette manière était insupportable. Semblable à un fauve emprisonné dont on aurait brusquement ouvert la cage, la révolte qui couvait en elle depuis des années avait surgi des tréfonds de son être. Elle s’était opposée à ce mariage avec véhémence. Sa colère avait suscité un bref haussement d’épaules chez son père. Ses frères s’étaient moqués de ses caprices, puis, sans lui accorder plus d’attention, avaient repris leur discussion quant à la meilleure manière de tirer profit de l’aubaine.

    Les voir tourner son refus en dérision avait été pire qu’une gifle : l’expression d’un incommensurable mépris. Avait-elle seulement une quelconque valeur à leurs yeux ? Pleurer était inutile : personne n’allait se laisser émouvoir par ses larmes ou ses supplications. Sentant le peu de respect qu’elle éprouvait encore à leur égard voler en éclats, elle avait décidé de se taire et de prendre ses dispositions pour échapper au destin qu’on voulait lui imposer.

    « Vous ne perdez rien pour attendre. Mon humiliation n’est rien en comparaison de celle que je vais vous infliger ! Il me reste suffisamment de temps pour mettre vos projets en échec. »

    Dès le lendemain, elle était allée voir son amie Yaël pour lui demander conseil et décider de ce qu’il convenait de faire.

    Quelques semaines plus tard, Bassam arriva à Elvira, et toute la maisonnée s’activa pour le recevoir en grande pompe. De beaux tapis persans avaient été empruntés chez les voisins pour l’occasion, et la maîtresse de maison avait fixé de nombreuses décorations aux murs. Le repas allait être grandiose. Yasmina fut présentée à son futur mari, un jeune homme au ventre proéminent dont les vêtements et le front bas étaient perpétuellement mouillés de sueur. La jeune fille l’observa attentivement.

    « Avec son air emprunté et ses yeux ronds écarquillés, il ressemble à une poule qui ne saurait où pondre son œuf, décida-t-elle. »

    Plus encore que son aspect physique, sa manière de la contempler, bouche bée, comme s’il venait de découvrir une lampe magique en se promenant dans le désert, l’horripila.

    « Ce nigaud n’a donc jamais vu une femme de sa vie ? se demanda-t-elle, exaspérée. Il est hors de question que je passe le restant de mes jours avec un individu pareil ! »

    Alors qu’il lui décrivait les merveilles de la propriété familiale à Médine et le bonheur qui les attendait là-bas, elle lui signifia brutalement son refus de l’épouser.

    Le scandale fut terrible. Les murs de la maison tremblèrent sous les cris et les imprécations de son père. Ses frères l’accablèrent de reproches, l’accusant de jeter l’opprobre sur la famille. Assise dans un coin, sa mère, comme à son habitude, pleurait en silence.

    La voir ainsi, affaissée et résignée, incapable de lui apporter le moindre soutien, renforça sa résolution : il lui fallait échapper à ce mariage.

    « Voilà à quoi je vais ressembler dans quelques années. Le piège se referme sur moi. Plutôt braver le déshonneur et la mort que d’accepter ce destin ! »

    La soirée s’acheva dans une ambiance lugubre. Rouge d’humiliation, Bassam s’efforça néanmoins de faire bonne figure.

    –Je crois que nous sommes tous un peu émus ce soir. La nuit porte conseil. Je suis sûr que tout va s’arranger demain, dit-il avec un sourire crispé avant de se retirer.

    Tous suivirent son exemple, et bientôt le silence s’installa dans la maison.

    Une fois seule dans sa chambre, Yasmina retrouva rapidement son calme. Elle alla chercher la boite en bois verni que sa nourrice lui avait offerte avant qu’ils ne quittent la Perse, et l’ouvrit. Ses trésors les plus chers s’y trouvaient : un collier de pierres brillantes, une branche d’oranger cueillie jadis dans les jardins d’Ispahan, et diverses autres babioles. Elle prit dans ses bras la vieille poupée en chiffon à qui elle se confiait lorsqu’elle était petite, et se mit à lui parler. Elle seule savait la consoler lorsqu’elle éprouvait du chagrin et la conseiller quand des décisions graves devaient être prises.

    « Tout est finalement très simple, lui dit la poupée. Pénible, tragique, mais parfaitement clair. Il faut juste choisir ce que tu veux faire : céder ou lutter. »

    Savoir que son amie Yaël était prête à l’aider diminuait le caractère dramatique de la situation. Durant les jours précédents, toutes deux avaient échafaudé des plans pour lui permettre de se soustraire au mariage. Le moment semblait venu de les mettre à exécution. Elle s’assit sur le lit, et réfléchit aux alternatives qui s’offraient à elle.

    « Tu as raison Khâleh khâmbâdji ⁶ : l’affaire est moins complexe qu’il n’y parait. Une seule question demeure : savoir si j’ai la volonté de réaliser ce qui s’impose, fit-elle en caressant la poupée. »

    Yasmina ferma les yeux et pria un long moment, demandant à Dieu de lui donner suffisamment de force et de courage. Puis, l’âme en paix, elle se leva sans faire de bruit, mit sa poupée et quelques affaires dans un baluchon, et quitta discrètement la maison un peu avant l’aube.

    Dans une chambre proche de la sienne, Bassam avait passé la nuit à ruminer l’affront que lui avait infligé sa cousine. Sa frustration et sa colère étaient d’autant plus grandes que la beauté de Yasmina l’avait subjugué. L’ovale de son visage le hantait. Le souvenir de sa peau claire, la courbe de ses sourcils et de ses lèvres faisait naître en lui un désir douloureux. Se sentir repoussé alors même qu’elle ne le connaissait pas l’avait profondément blessé.

    « Cette peste ne perd rien pour attendre. Elle va regretter de m’avoir humilié devant ses parents ! Je dois supporter son insolence pour l’instant, mais, une fois le mariage célébré, ce sera une autre paire de manches… »

    Plusieurs heures durant, il s’était remémoré la scène, essayant de comprendre ce qui l’avait poussée à se montrer aussi odieuse à son égard. Leurs familles avaient négocié ce mariage. Comment une fille de seize ans osait-elle s’opposer à une décision prise par ses parents ? Une telle attitude était non seulement grossière, mais inconcevable. Était-il à ce point repoussant ? Mille fois répétée, cette question restée sans réponse avait fini par avoir raison de son insomnie.

    Il venait à peine de s’endormir quand le craquement d’une des lattes du plancher lui fit dresser l’oreille. Quelqu’un s’apprêtait à sortir de la maison. À cette heure ? C’était étrange. Curieux de découvrir de quoi il en retournait, il entrouvrit la porte de sa chambre, et vit Yasmina sortir de la demeure.

    « Où va cette folle en pleine nuit ? Qui doit-elle rencontrer ? se demanda-t-il, soupçonneux. »

    S’habiller ne lui prit qu’un instant. Il abandonna à son tour la maison, et la suivit, prenant soin de rester un peu en retrait pour ne pas révéler sa présence.

    Yasmina laissa la ville derrière elle, et s’engagea sur la grande voie romaine qui se dirigeait vers le Nord. Sans être véritablement froid, l’air chargé d’humidité laissait une impression désagréable. Elle serra son châle autour de ses épaules, et accéléra le pas pour se réchauffer. La campagne était déserte et silencieuse. Seul le vent dans les branches faisait entendre parfois un bruissement, une sorte de murmure ponctué par de brefs gémissements. Un immense sentiment de solitude l’étreignit. Elle ralentit, soudain hésitante. Était-ce réellement ce qu’elle souhaitait ? L’avenir lui parut brusquement aussi sombre que ne l’était cette nuit d’automne. Ne valait-il pas mieux renoncer à cette folie et retourner chez elle avant que ne se réveillent ses

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