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Le TIRAGE ROYAL
Le TIRAGE ROYAL
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Livre électronique429 pages6 heures

Le TIRAGE ROYAL

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À propos de ce livre électronique

Le Tirage Royal est de retour cette année au royaume d’Ereya. Les jeunes de 18 ans du Bronze, de l’Argent, de l’Or et de la Cité Royale connaîtront enfin leur partenaire de mariage. Le Tirage de cette année s’avère spécial : le prince Ethan et la princesse Juliana, les jumeaux royaux, y participent.

Pour beaucoup, joindre la famille royale et vivre au palais est un rêve. Pour Victoria, toutefois, ce Tirage n’est qu’un cauchemar. Il signifie renoncer à son amour interdit avec Alexander et vivre loin de sa famille. Lorsque Victoria est envoyée à la Cité Royale et que Grace, son amie, est envoyée à la Cité Solitaire, toute sa vie vole en éclats.

Contrainte de cohabiter avec le prince et de composer avec la famille royale – et ses secrets, – Victoria devra vivre dans un tourbillon de rébellion, de haine, d’amour et d’amitié. Tout cela en tâchant de ne pas se laisser emporter, au risque de s’y perdre elle-même.
LangueFrançais
Date de sortie14 févr. 2024
ISBN9782898560132
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    Aperçu du livre

    Le TIRAGE ROYAL - Daphné Bédard

    Chapitre 1

    Victoria

    La lame de mon couteau percute la cible en bois et je souris en constatant que j’ai visé en plein dans le mille, et ce, pour une troisième fois d’affilée. Mes trois petits couteaux sont tous bien entassés les uns sur les autres au centre de la cible. Je me suis bien améliorée dans les derniers mois. Il y a un an, c’est à peine si je l’atteignais, alors qu’à présent, je les mets tous bien au centre. Après tout ce temps de pratique, la cible commence à être très usée. Mon père me l’avait offerte pour mon anniversaire l’année dernière lorsque je lui avais avoué vouloir m’entraîner au lancer du couteau. Ma mère était plutôt réticente au début, mais en voyant les progrès que je faisais et en constatant que cela servirait à me défendre, elle a changé d’avis assez rapidement.

    Je range mes couteaux dans leur sac de toile et j’essuie la sueur sur mon front avec le dos de ma main. Les clôtures en vieux bois entourant notre cour arrière bloquent le vent et empêchent la fraîcheur de pénétrer. Il fait très chaud pour une première semaine de mai. Surtout dans le Bronze. Notre village, Blateris, est situé au nord-est du Bronze, qui est lui-même au nord du royaume. Il est donc très rare d’avoir des journées chaudes comme aujourd’hui avant la moitié du mois de juin.

    Je m’empare de mon sac et me dirige vers le devant de la maison. Elle est faite de bois usé, mais elle est encore en bon état en comparaison à beaucoup d’autres maisons du Bronze. Certains Bronzes n’ont tout simplement aucun endroit où vivre, alors je me considère chanceuse d’avoir un toit sur la tête même si notre demeure est assez petite. L’air s’engouffre un peu partout dans la maison pendant l’hiver, mais je suis tout de même très reconnaissante de ne pas vivre dans la rue.

    J’atteins le devant de la maison et entends quelqu’un entrer précipitamment, verrouiller la porte et marcher rapidement à l’intérieur. Je pousse un soupir. Je n’arrive pas à croire qu’elle ait encore fait cela. Je lui ai pourtant assuré que je n’avais pas besoin de tous ces surplus pour vivre. Ma mère a toujours voulu s’assurer que ma sœur, mon frère et moi ne manquions de rien et que nous puissions avoir une belle vie malgré notre niveau social très bas.

    Le Bronze est le niveau social le plus pauvre. Les conditions de vie y sont misérables. C’est le seul niveau qui ne possède pas d’électricité, excluant ses places publiques et ses usines, ainsi que d’eau courante. La température est beaucoup plus froide que dans les autres niveaux, surtout en hiver. L’air est très pollué en raison des nombreuses usines et mines du royaume, qui sont situées presque en totalité dans le Bronze. Nos vêtements et nos maisons sont imprégnés de fumée, mais à la longue, on s’y habitue. La majorité des Bronzes, surtout les hommes, travaillent dans ces mines et ces usines contre un maigre salaire pour faire vivre leur famille. La majorité des ressources du royaume proviennent du Bronze, mais les dirigeants du royaume n’en ont rien à faire des conditions dans lesquelles nous vivons, comme si nous étions de simples déchets à leurs yeux. Ils ferment les yeux sur les problèmes du royaume, ne voulant pas fournir d’efforts pour aider le peuple.

    C’est en raison de ces piètres conditions que les vols de ma mère ont commencé. Mon frère était tombé malade et malgré toutes les heures que mon père faisait à l’usine, nous manquions d’argent pour vivre. Mes parents n’avaient donc pas de quoi acheter des médicaments pour mon frère et ma mère avait décidé d’en voler. Depuis, elle revient souvent du marché les mains pleines et manque presque de se faire prendre chaque fois. Elle avait arrêté pendant un moment quand elle s’était fait surprendre par d’autres Bronzes, mais cela ne l’a pas empêchée de recommencer.

    Je passe ma main par le trou à droite de la porte et glisse mon bras pour atteindre la serrure de l’intérieur. Je tourne le verrou et j’entre dans la maison. Tout est silencieux. Je sais que ma mère restera cachée pendant au moins quelques minutes pour être certaine de ne pas se faire voir. Comme si elle était vraiment en sécurité dans la maison alors que je viens tout juste de déverrouiller la porte de l’extérieur.

    Je décide de jouer le jeu et de la chercher. Je marche sur le plancher instable en regardant tous les recoins. La plupart du temps, elle opte pour le dessous de son lit, mais cette fois, j’aperçois ses cheveux châtains derrière notre vieux sofa bleu.

    — Maman, je te vois, dis-je en m’étalant sur le sofa et en posant ma tête sur l’accoudoir.

    J’entends bouger et son visage apparaît à une trentaine de centimètres du mien. Ses petits yeux gris me regardent et ses grandes lèvres forment une moue triste.

    — Je suis si nulle que ça pour me cacher ?

    — Oui, maman. Très nulle.

    Elle soupire et sort de derrière le sofa. Elle me regarde en cachant un énorme sac derrière son dos. Je fronce les sourcils.

    — Qu’as-tu pris, cette fois ?

    Son visage s’éclaire. Elle se dirige vers la table pour y étaler le contenu de son sac. Je la rejoins dans la cuisine et je souris en constatant tout ce qu’elle a rapporté. Il y a des morceaux de tissu, des ustensiles, un jeu de cartes neuf, des cacahuètes, un roman d’amour, un morceau de viande, deux pamplemousses bien mûrs ainsi qu’une pastèque.

    — Ouah ! Tu as réussi à en trouver ! je m’exclame en prenant un pamplemousse et la pastèque.

    — La dame m’a dit qu’ils arrivaient tout juste de l’Or et je n’ai pas pu résister. Quand elle a eu le dos tourné, ils sont tombés comme par magie dans mon sac, dit ma mère avec un regard innocent.

    Je m’empare d’un couteau et coupe un des pamplemousses en deux.

    — Tu dois tout de même rester très prudente. Tu serais exécutée si tu te faisais prendre.

    — Je sais, Victoria, je fais très attention. Évite d’en parler à ton père. Pouvons-nous en profiter maintenant que toutes ces choses sont à nous ?

    — Bien sûr, dis-je en mettant un morceau de pamplemousse dans ma bouche.

    Le goût est tout simplement exquis. Les agrumes et les melons sont très rares dans le Bronze et la seule façon d’en obtenir est de les acheter au marché lorsqu’ils sont importés de l’Or et du sud-ouest de l’Argent. À part les pommes et les légumes que nous faisons pousser dans notre jardin pendant l’été, il est plutôt difficile de trouver des fruits et des légumes dans le Bronze durant les autres saisons de l’année. Ceux qui vivent près de la frontière de l’Argent réussissent souvent à s’en procurer, mais pour nous, qui vivons complètement au nord, ce n’est pas quelque chose de fréquent. Une chance qu’il y a les pommes de terre, les tomates et les carottes pour nous maintenir en vie.

    — Tu laisseras l’autre moitié du pamplemousse à ton père et l’autre pamplemousse pour ton frère et Myriam. Tu sais qu’ils adorent ce fruit autant que toi.

    J’acquiesce et je constate qu’il reste encore quelque chose d’assez gros dans le sac de ma mère. Elle me voit le toucher et me l’enlève des mains.

    — J’ai aussi trouvé quelque chose pour toi. Et je t’assure que je l’ai payé.

    — Je te félicite. Quelle est cette fameuse trouvaille ?

    Elle sort une robe vert émeraude de son sac. La robe s’arrête aux genoux et s’attache dans le cou. Il y a une large bande serrant la taille et plusieurs petits plis sur la partie inférieure de la robe. Elle est simple, mais très belle. Je regarde ma mère, qui a un sourire aux lèvres, et je lève un sourcil.

    — C’est pour quoi, cette robe ? Ça a dû te coûter une fortune.

    — C’est pour le Tirage Royal, Victoria ! Je ne veux pas que ma fille ait l’air de rien devant tout le royaume ! Je n’ai pas eu la chance d’avoir de beaux vêtements lors de mon Tirage et je me suis toujours dit que ce ne serait pas le cas pour mes enfants. C’est une journée spéciale où des milliers de gens poseront les yeux sur toi. Il est hors de question que tu ne sois pas bien habillée.

    Ma mère vient de l’Argent et elle a vécu seule avec mon grand-père jusqu’à ses 18 ans. Ma grand-mère est décédée lorsque ma mère avait à peine quelques mois. Je sais que mon grand-père travaillait d’arrache-pied comme agriculteur, mais les revenus ne devaient pas être assez suffisants pour permettre à ma mère de s’acheter de beaux vêtements pour le Tirage. L’Argent est un niveau social plus aisé, mais certaines conditions de vie sont similaires à celles du Bronze, surtout près de la frontière entre les deux niveaux. Une petite partie ne possède pas d’électricité, mais tout le reste est électrifié. L’Argent se situe principalement à l’est du royaume, donc la température est plutôt agréable, mais assez froide en hiver. C’est dans ce niveau que la terre est la plus fertile et donc de là que proviennent la majorité des aliments. Les Argents travaillent beaucoup, surtout dans les champs. Cela leur permet de mener une bonne vie, majoritairement dans de bonnes conditions, tout en ayant la possibilité de s’instruire grâce aux nombreuses écoles. Ce qui n’est pas toujours possible dans le Bronze. En revanche, l’Or est un des niveaux sociaux les plus aisés avant la Cité Royale. La plupart des femmes Ors ne travaillent pas, puisque le salaire de leur mari est suffisant. C’est ce niveau qui fournit la grande majorité du savoir au royaume avec ses nombreux musées, théâtres, écoles et universités. L’Or est situé au sud-ouest du royaume. La température y est agréable presque toute l’année, surtout durant l’été où les gens peuvent en profiter pour se baigner à la mer, au sud de l’Or. Les Ors mènent une vie très agréable sans jamais manquer de rien. Pour sa part, la Cité Royale, au centre du royaume, est le niveau social le plus élevé. Les femmes ne travaillent pas et parfois certains hommes non plus. Beaucoup de Puissants, les habitants de la Cité Royale, travaillent au palais quelques heures par jour pour un salaire énorme. La Cité Royale possède de nombreuses écoles ainsi que des musées et des théâtres, comme dans l’Argent. De plus, puisqu’elle est très centrée sur le divertissement, il y a aussi de nombreux restaurants, des boutiques et des centres d’amusement.

    Je lève les yeux au ciel et croise les bras sur ma poitrine.

    — Je me fous complètement de ce Tirage, maman. Même si tout le royaume me voyait habillée de haillons, je m’en foutrais totalement.

    — Victoria, ce Tirage ne me plaît pas à moi non plus, mais tu n’as pas le choix. D’autant plus que la robe est magnifique et qu’elle m’a en effet coûté presque un bras, dit-elle avec un sourire espiègle.

    — Papa va te tuer, dis-je en prenant la robe et en me dirigeant vers ma chambre.

    — Ça, c’est mon problème ! me crie-t-elle depuis la cuisine.

    Ma mère m’exaspère souvent, mais je l’adore. Je retire mes vêtements usés et j’enfile la robe. La taille est parfaite et je réussis à l’attacher dans le cou. Je me regarde dans le miroir à côté de mon lit et je suis surprise de voir le résultat. Le nombre de fois où j’ai porté une robe dans ma vie peut se compter sur les doigts d’une seule main, mais celle-ci est tout simplement magnifique. Elle s’agence parfaitement avec mon teint plutôt bronzé, mes cheveux bruns aux tons mielleux et mes yeux brun doré. La robe dévoile mes longues jambes et laisse mes bras à découvert. Je détache mes cheveux et les laisse tomber sur mes épaules. Ma mèche blanche, une marque de naissance héritée de mon père, vient se loger devant mes yeux et je la replace derrière mon oreille. Habillée tous les jours avec des vêtements de seconde main, je me trouve particulièrement jolie dans cette robe.

    Ma mère apparaît dans le miroir et me sourit. En la voyant à côté de moi dans la glace, je constate que je la dépasse de plusieurs bons centimètres.

    — Je savais qu’elle t’irait comme un gant.

    — Elle est très belle. Merci, maman, dis-je en la prenant dans mes bras.

    Je regarde ma mère. Elle a les larmes aux yeux.

    — Mon troisième bébé qui s’en va dans moins de deux mois, qu’est-ce que je vais faire sans toi ?

    — Ne pleure pas. Si ça se trouve, je serai tirée avec un Bronze qui habitera tout près d’ici.

    — C’est ce que j’espère du plus profond de mon cœur. Déjà que ta sœur est devenue une Argent, je ne voudrais pas te perdre, toi aussi.

    — Ne t’inquiète pas, maman, tu seras prise avec moi comme tu l’es déjà avec Rafael, je rétorque.

    Ma mère se met à rire et essuie ses larmes.

    — Ton frère vient nous voir au moins cinq fois par semaine, alors je ne crois pas que tu pourrais faire pire. Et parlant de ton frère, tu pourrais aller lui porter le pamplemousse ? Ça lui ferait plaisir d’avoir la visite de sa sœur qui, en plus, lui apporte son fruit préféré.

    — Je savais que tu allais me le demander. Oui, j’irai.

    — Et tu pourrais retourner au marché ? J’ai oublié d’acheter du lait et de la farine avec tout ça.

    — La prochaine fois, oublie de voler et tu te souviendras de ce que tu as à acheter.

    J’enlève la robe, la pose délicatement sur ma commode et rejoins ma mère au salon.

    — Tu devrais avoir assez de cinq érus, dit-elle en me tendant quelques pièces de monnaie. Et n’achète rien d’autre, seulement ce que je t’ai demandé ! s’écrie-t-elle en disparaissant dans la cour arrière.

    Très ironique de la part de quelqu’un qui vient de dérober tout un paquet de trucs et d’acheter une robe pas du tout dans nos moyens. Je mets l’argent dans ma poche et je sors à l’extérieur.

    Il fait aussi chaud que tout à l’heure, mais le soleil commence doucement à descendre. Il y a beaucoup de bruit provenant des usines et l’air sent la fumée, mais je n’y porte pas trop attention. J’emprunte le chemin de terre rempli de bosses et de trous menant au centre du village, mais avant, je bifurque à droite sur un sentier. Je rencontre plusieurs Bronzes, certains en piteux état, mais je ne peux malheureusement rien faire pour eux. Nous sommes aussi pauvres qu’eux. Je croise aussi plusieurs chats et chiens errants qui se sauvent à mon passage. Les rues sont bordées de détritus malgré les quelques Bronzes que je croise en train de faire le ménage. Ce sont les autorités, à en voir leurs habits. Ils ont l’air profondément découragés par la tâche qui leur a été assignée.

    Je marche quelques minutes avant d’atteindre la maison de Grace, mon amie. Je l’aperçois assise dans l’herbe avec son petit frère, les deux en train de jouer avec un ballon. Le soleil se reflète sur ses longs cheveux roux que le vent fait bruisser, révélant un petit visage rempli de taches de rousseur. Elle tourne la tête et m’aperçoit. Elle sourit et crie mon nom en me saluant de la main. Grace est une jeune femme magnifique et très féminine. Sa poitrine et ses hanches sont déjà assez développées pour une adolescente de 18 ans, tandis que moi, j’ai presque encore le physique d’une enfant.

    — Je vais au marché, tu m’accompagnes ? je lui demande lorsque j’arrive à sa hauteur.

    — Je veux bien, mais nous devrons emmener Demian. Ma mère travaille au marché aujourd’hui et mon père est à l’usine.

    — Pas de problème, allons-y !

    Grace indique à son frère de ramasser son ballon et d’aller le porter dans la maison. Les vols sont assez fréquents dans le Bronze, il est mieux de ne rien laisser traîner.

    — Ça fait deux jours que je ne t’ai pas vue, où étais-tu passée ? me demande-t-elle en enlevant quelques mèches de cheveux collées à sa bouche.

    — J’ai passé du temps avec Alexander et je me suis aussi entraînée au lancer du couteau, dis-je en imitant le mouvement que je fais lorsque je lance mes couteaux vers la cible.

    — Et te sens-tu fin prête à te défendre si jamais tu te retrouves mariée à un psychopathe ?

    — Oui, certainement. Aucune pitié !

    — Je crois que tu vas terroriser ton futur mari, répond Grace en riant.

    — C’est une bonne affaire ! Il n’osera pas m’agresser s’il a peur de moi ! je m’exclame.

    — Tu as probablement raison, mais évite tout de même de le tuer dans son sommeil. Ce serait déprimant que tu passes le reste de ta vie à la Cité Solitaire.

    — Ne t’inquiète pas, je ne suis pas une meurtrière, je confirme avec un sourire.

    — Mais sans blague, j’espère que nous serons un nombre pair cette année. Ça arrive toujours aux filles d’être plus nombreuses et voir leurs visages lorsqu’ils leur annoncent qu’elles iront à la Cité Solitaire me brise le cœur chaque fois.

    — Oui, je sais. Ça doit plutôt être déprimant comme vie.

    Chaque année, lors du troisième vendredi de juin, se déroule le Tirage Royal. Instauré il y a presque 200 ans à la suite d’une maladie attrapée par les femmes les rendant infertiles, et menant même parfois au décès, le Tirage avait pour but de favoriser les naissances. En raison de cette maladie, les femmes qui réussissaient à avoir des enfants étaient rares et la population avait tellement chuté que la fin du royaume d’Ereya devenait de plus en plus inévitable. Après le décès de la reine qui régnait à cette époque, le désespoir était à son comble. La reine n’ayant pas pu donner d’héritier avant de mourir, la lignée royale était fortement menacée. Les autorités ont finalement remarqué que le très faible pourcentage de femmes qui réussissaient à tomber enceintes avaient eu un partenaire du même âge. Après quelques observations, les dirigeants du royaume, composé à ce moment-là du roi, de sa jeune sœur et de quelques conseillers, en ont conclu que la fécondité était plus présente chez les Ereyaens nés la même année et ont interprété cela comme la solution pour faire disparaître cette maladie mystérieuse.

    Depuis ce temps, chaque année, tous les Ereyaens qui ont eu 18 ans depuis le dernier Tirage Royal sont tirés au sort afin de déterminer qui sera leur partenaire de mariage jusqu’à la fin de leurs jours. Une fille et un garçon, peu importe leur niveau social, Bronze, Argent, Or ou Puissant, sont tirés jusqu’à ce qu’il ne reste plus de noms. S’il reste des noms du même sexe à la fin, les Ereyaens non tirés sont envoyés à la Cité Solitaire pour le restant de leurs jours et ne pourront jamais avoir de partenaire de mariage ni d’enfants. Cette mesure, imposée par les dirigeants il y a déjà quelques décennies, a été fortement concrétisée par le successeur du roi veuf, le fils de sa jeune sœur, né plusieurs années plus tard.

    Depuis son instauration, le Tirage Royal n’a jamais fait l’unanimité au sein du royaume. De ce que nous avons appris dans nos cours d’histoire, quand cette mesure a été imposée, il y a eu beaucoup de révolte et les autorités n’hésitaient pas à exécuter les rebelles qui ne la respectaient pas. C’est encore le cas aujourd’hui, mais les règles et les punitions ont été renforcées lorsque des cas de la maladie sont réapparus il y a quelques années. C’est devenu encore plus strict quand la reine actuelle, Ambroisie, n’arrivait pas à tomber enceinte. Le roi, Nelson, était certain que sa femme était touchée par la maladie et a de ce fait accru considérablement la violence des punitions. C’est donc cette peur générée par les dirigeants du royaume qui empêche le peuple de se révolter. Ils n’hésiteraient pas à nous exécuter si nous décidions de contester les mesures et les lois.

    Ces mariages arrangés ne me plaisent pas du tout. L’idée de m’enfuir lors de la journée du Tirage Royal me passe souvent par l’esprit, mais je sais que j’en paierais fortement les conséquences, alors ce n’est malheureusement pas une option. L’idée de tuer mon mari m’est aussi passée par la tête, mais j’en ai rapidement convenu que cela ne fonctionnerait pas non plus. Ce que j’aurais voulu, c’est de vivre dans le Bronze avec Alexander pour le restant de mes jours, mais les chances que nos deux noms soient tirés ensemble lors du Tirage Royal sont tellement minimes que je n’entretiens pas trop d’espoir. La seule chose que j’espère du plus profond de mon cœur est d’être mariée à un Bronze ou à un Argent afin de pouvoir rester près de ma famille.

    Je pousse un soupir lorsque j’aperçois enfin le marché au loin. De nombreux kiosques se dressent sur le sol de terre. Certains ont des tentes, alors que d’autres sont exposés au soleil. L’endroit est bondé et il y règne une chaleur étouffante. Plusieurs odeurs flottent dans l’air et font retrousser mes narines. D’un côté, il y a des effluves de pain frais, mais de l’autre, des odeurs de corps mal lavés et d’excréments me montent au nez. Il faut dire que dans le Bronze, il n’y a pas beaucoup de gens qui possèdent des cuves pour se laver. Souvent, l’unique option qui leur reste est la rivière et l’eau est glacée la plupart du temps.

    J’essaie d’oublier les mauvaises odeurs autour de moi, puis j’emboîte le pas à Grace, qui se dirige vers le kiosque de sa mère au milieu du marché. Nous passons devant le kiosque à journaux et je ne peux m’empêcher d’y jeter un œil. Mes yeux se posent sur le journal du jour et à la une, je lis qu’un bateau a coulé dans l’Or pendant une expédition en mer, causant la disparition d’une dizaine de personnes. Je grimace devant cette mauvaise nouvelle et marche vers Grace, qui m’appelle pour rejoindre le kiosque de sa mère. Celle-ci vend plusieurs produits de base et des vêtements qu’elle tricote et coud à la main.

    — Maman ! s’exclame Demian en apercevant sa mère derrière le kiosque muni d’un toit en toile.

    Jodie se tourne vers nous et ses grands yeux verts s’éclairent en nous percevant.

    — Les enfants ! Que faites-vous ici ?

    — Ma mère a besoin de lait et de farine. Il t’en reste ? je lui demande.

    — Bien sûr ! Je te prépare ça, me répond-elle en me faisant un clin d’œil.

    Jodie sort un sac de jute et le remplit de farine. Ses cheveux roux rebelles virevoltent autour de son visage lorsqu’elle s’affaire à la tâche.

    — As-tu eu beaucoup de clients aujourd’hui ? lui demande Grace en s’avançant vers la table pour laisser passer un groupe de femmes derrière elle.

    — Oui, je suis assez satisfaite. Ç’a été une très belle journée, alors les gens en ont profité pour sortir, répond-elle en me tendant le sac de farine et un bidon de lait.

    — Combien ça fera ? je demande en sortant de ma poche les cinq érus que ma mère m’a donnés.

    — Rien du tout ! C’est moi qui offre, lance-t-elle.

    — Merci beaucoup, Jodie ! Ma mère te remerciera probablement un million de fois quand tu la reverras, dis-je en riant.

    — Tu lui diras que ça me fait grandement plaisir !

    Demian rejoint sa mère derrière le kiosque et fouille dans les paniers en dessous de la table.

    — Demian, que cherches-tu ? le questionne Jodie, les mains sur les hanches.

    — Est-ce que tu as des friandises aujourd’hui ? demande-t-il avec les yeux espiègles.

    Sa mère l’embrasse sur la joue et lui sort une friandise au caramel de son tablier. Les yeux du petit garçon s’éclairent et il enfourne rapidement la sucrerie. Jodie en sort deux autres de sa poche pour Grace et moi, puis nous la remercions et la laissons avec le client qui vient d’arriver.

    — Les bonbons de ta mère sont tout simplement délicieux, je lance à Grace en savourant le goût du bonbon.

    — Tu as tout à fait raison ! Je pourrais en manger des centaines !

    Grace prend son petit frère par la main et nous nous dirigeons vers la sortie du marché. En sortant, j’aperçois du coin de l’œil un homme et une femme se faire emporter par les autorités. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait, mais ils se débattent fortement. Je vois un des gardes frapper l’homme au visage et je serre la mâchoire. C’est totalement injuste, mais je ne peux pas intervenir. Cela me mettrait aussi en danger et j’en sais bien quelque chose. Je détourne le regard et rejoins Grace et Demian, qui n’ont rien vu du tout.

    Le soleil descend doucement à l’horizon et la fraîcheur commence à se faire sentir. Nous marchons pendant un bon 20 minutes avant d’arriver devant la maison de Grace. Demian me salue et part à la course à l’intérieur, pressé de retrouver ses jouets.

    — Merci de m’avoir accompagnée, je murmure en prenant Grace dans mes bras.

    Mon amie me serre de toutes ses forces et nous restons comme cela pendant quelques secondes. Nous savons que la fin arrive à grands pas, alors nous profitons de chaque instant passé ensemble.

    — Je te souhaite une belle nuit. Je passerai chez toi demain pour voir tes progrès au lancer du couteau, me dit-elle en se dégageant.

    — Je te jure que tu vas être très impressionnée !

    — Je te crois sur parole ! À demain, Victoria !

    Je la regarde partir vers chez elle, les bras croisés sur la poitrine. Nous avons une chance sur quatre d’être tirées dans le même niveau, mais je sais qu’il y a de fortes chances que nous soyons séparées. Je reprends mon chemin, tout en essuyant une larme coulant sur ma joue.

    Chapitre 2

    Victoria

    Je cogne à la porte de mon frère et j’attends patiemment que quelqu’un vienne ouvrir. Après quelques secondes, j’entends du bruit à l’intérieur et une jeune femme aux yeux bridés vient finalement ouvrir la porte, qui grince fortement.

    — Ah, c’est toi, lance-t-elle avec un visage sans émotion.

    — Bonjour, Myriam, est-ce que mon frère est là ?

    — Non, il est encore à l’usine, répond-elle en agitant ses longs cheveux noirs.

    — Il est plutôt tard, dis-je en regardant le soleil se coucher à l’horizon. Est-ce qu’il devait se rendre quelque part avant de rentrer ?

    — Je n’en sais rien, lâche-t-elle, indifférente.

    — Je vais attendre quelques minutes pour voir s’il arrive, mais sinon, je repasserai demain.

    Myriam acquiesce et me referme la porte au nez. Je serre les dents et me retiens pour ne pas lui dire le fond de ma pensée. Elle habite avec mon frère depuis deux ans et nous déteste toujours autant que le jour où elle est arrivée. Elle était une Or avant le Tirage Royal et vivait donc une vie de luxe. Tout lui était servi sur un plateau d’argent. Elle n’avait jamais à travailler pour obtenir ce qu’elle voulait. Ce qui n’est pas du tout le cas dans le Bronze. Elle n’a jamais vraiment apprécié notre famille et elle est très désagréable avec mon frère. Rafael ne le montre pas, mais je sais que cela l’affecte énormément. Ce n’est pas pour rien qu’il nous rend visite presque tous les jours de la semaine.

    Je replace des mèches rebelles derrière mon oreille et m’assois sur le perron de bois dépareillé. Mon frère a construit lui-même cette maison avec notre aide. Puisque chaque garçon doit avoir son propre logement pour accueillir sa partenaire après le Tirage Royal, la maison devait être prête pour qu’ils puissent emménager immédiatement. Après quelques mois de travail, nous avons finalement réussi à construire une belle petite maison avec le bois que nous avions coupé et des matériaux achetés à d’autres Bronzes. Elle n’est pas parfaite, mais c’est ce qui la rend aussi coquette et accueillante.

    La noirceur commence doucement à s’installer et mon frère n’est toujours pas revenu. J’en ai marre d’attendre et je ne devrais pas rester dehors aussi tard. Je m’apprête à partir lorsque j’entends du bruit dans le sentier menant à la maison. Mon frère apparaît derrière les arbres. Sa figure est sale et ses vêtements sont poussiéreux. Son visage s’éclaire quand il m’aperçoit.

    — Victa ! Qu’est-ce qui t’amène aussi tard ?

    — Un cadeau de maman, dis-je en soulevant mon sac.

    Je sors ce que j’ai apporté et ses yeux s’illuminent en voyant le pamplemousse dans ma main.

    — Maman a réussi à en acheter !

    — Acheter est un grand mot, mais oui, elle en a trouvé.

    — Elle l’a encore fait ? demande-t-il d’un regard désespéré.

    J’acquiesce et Rafael me fait signe de le suivre derrière la maison. Myriam doit probablement être en train de nous écouter et nous devons être discrets avec elle. Nous ignorons ses réelles intentions envers notre famille, donc nous ne lui faisons pas confiance.

    Nous marchons jusqu’à la petite rivière. Une mauvaise odeur s’en échappe, mais c’est la seule source d’eau que nous avons qui est facilement accessible. Tout habillé, Rafael entre dans l’eau après avoir déposé le sac qu’il traînait.

    — La chaleur était accablante aujourd’hui et nous sommes seulement au mois de mai. Je n’imagine pas ce que ce sera pour les trois prochains mois. Une dizaine d’hommes sont tombés dans les pommes. C’est pour cette raison que j’ai terminé aussi tard.

    — Papa aussi vient de rentrer ?

    — Oui, je l’ai raccompagné à la maison avant de venir ici.

    Rafael sort un couteau de son sac et pointe le pamplemousse dans ma main.

    — Ça doit faire une bonne année que je n’en ai pas mangé, déclare-t-il en coupant le fruit et en me tendant un morceau.

    Nous mangeons en silence. J’observe mon frère pendant qu’il est concentré à couper le fruit. Ses traits sont tirés et il semble fatigué. Il a perdu l’étincelle constante qui illuminait ses yeux auparavant. Il a l’air malheureux.

    — Es-tu heureux, Rafael ?

    Surpris par ma question aussi directe, il reste silencieux quelques instants, en se promenant dans l’eau.

    — D’une certaine façon, oui.

    Je le regarde en attendant qu’il précise sa pensée. Il sort de l’eau et vient s’asseoir près de moi sur un rocher. Ses vêtements lui collent à la peau et laissent entrevoir sa musculature. Il a un regard pensif et ses lèvres sont crispées. C’est fou comme il ressemble à mon père. Ils ont la même carrure et les mêmes yeux brun clair. Rafael a aussi hérité des pommettes prononcées et du visage rond de mon père. Il a une beauté naturelle et fait souvent tourner plusieurs têtes sans s’en rendre compte.

    — Je suis chanceux de pouvoir vivre près de ma famille, mais je crois que j’aurais préféré rester seul pour le restant de mes jours plutôt que de devoir vivre avec quelqu’un d’aussi désagréable.

    Il enfourne une autre bouchée de pamplemousse avant de reprendre la parole.

    — Elle ne fait rien. Absolument rien. Elle ne veut pas travailler, elle ne va pas au marché acheter de la nourriture, elle ne s’occupe pas du jardin ni des plantes et elle ne sort pas pour rencontrer d’autres Bronzes. En revanche, elle est capable de dépenser l’argent que ses parents lui envoient dans des vêtements ou des bijoux. Elle ne veut pas sortir de la vie de luxe dans laquelle elle vivait et ses caprices m’enragent, mais je ne peux rien y faire. Je suis coincé, Victa.

    Voir mon frère aussi malheureux avec sa partenaire me fait de la peine. Rafael a toujours été charmeur et je sais qu’il a eu plusieurs amourettes en cachette avant le Tirage, mais qu’il attendait patiemment le jour où il pourrait enfin vivre avec sa femme.

    — Je te souhaite d’être tirée avec un garçon qui t’appréciera à ta juste valeur et qui te respectera.

    Je pousse un soupir et regarde l’eau qui coule doucement au travers des rochers dans la rivière. La nuit est presque totalement tombée et il fait beaucoup moins chaud que tout à l’heure.

    — Tu veux entrer ?

    — Non, merci, je vais rentrer à la maison. Il se fait tard.

    Je prends mon frère dans mes bras et le remercie pour tout ce qu’il fait pour moi. Je lui souhaite bonne nuit et j’emprunte le sentier pour retourner à la maison. Lorsque je débouche sur la grande route, j’aperçois les usines et les mines au loin. Mon frère travaille à la même usine de métaux que mon père depuis qu’il a 13 ans.

    Il y a quelques années, l’Argent a perdu la moitié de ses récoltes en raison d’une maladie causant la mort des plants. Les récoltes qui ont pu être sauvées ont été envoyées dans les niveaux supérieurs, alors que le Bronze n’a presque rien reçu cette année-là. Les maigres quantités que nous recevions étaient vendues à des prix exorbitants. Beaucoup de gens n’ont pas survécu, mais ma famille et moi avons réussi en nous entraidant. Ma sœur travaillait déjà à la petite école du coin avec ma mère avant qu’elle soit tirée au sort et mon frère a décidé de quitter l’école pour travailler. Il y a très peu

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