Journal impersonnel
Par Oumou Diakité
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À propos de ce livre électronique
"Journal impersonnel" est un journal identitaire qui a usurpé entre ses lignes les émois de maints personnages. Dans cet ouvrage, des confidences vous sont prêtées, car il est bien connu que les états sentimentaux des uns attirent les curiosités d’autres gens. Ces pages ont été écrites dans l’idée que personne ne les lirait un jour. Mais l’auteure a perdu son carnet ; et vous pouvez, personnellement, vous en impartir.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Oumou Diakité a, depuis toujours, aimé écrire – sans emphase, sans effort. Elle était amoureuse des mots et de l’impact que l’écriture laisse au monde de manière impérissable. Elle écrivait ; écrivait comme si la littérature était sa frénésie salvatrice.
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Aperçu du livre
Journal impersonnel - Oumou Diakité
Préface
im Journal impersonnel est un carnet identitaire qui ne devait être lu de quiconque.
Même pas de son auteure.
Il est, à perpétuelle demeure, l’exposé des états de l’âme, du sentiment et des mémoires d’un·e et d’autres.
En fait.
C’est le fantasme de connaître vos curiosités qui a poussé les plumitifs à s’impartir de leurs histoires.
Alors lisez l’ouvrage comme le « moi » du vous.
Lisez, à en oublier les raisons.
Les logiques ont été laissées derrière un huis.
Et tout ce qui est conté n’est que souvent fabulations, imaginaires, folles vérités.
C’est empressé.e que vous aurez à le finir.
Parce que ce sont les instants qui qualifient la lecture de ces tapuscrits familiers.
Ce livre est une empreinte.
C’est le moyen dont chaque personnage a trouvé de vivre, de se conduire, de se manifester, d’être au monde, de consommer, d’éprouver, de se suffire.
Oumou Diakité a écrit ce livre pour exister pour toujours.
Et ce Journal est personnellement vôtre.
À raconter…
Le sol
L’orphelin du dixième étage.
Rêve de gloire et de succès.
De réussite et d’argent.
Sa mère lui avait dit trop jeune.
Qu’il n’arriverait à rien dans la vie.
Et parce qu’il était frustré.
Ou peut-être par insolence ?
Il voulait réussir pour lui montrer qu’elle avait tort.
Parce qu’il savait que six pieds sous terre.
Ou dans les cieux auprès de Dieu.
Elle contemplait ses œuvres.
Et médisait sûrement chacun de ses écarts.
Il s’était toujours dit, d’ailleurs.
Ou du moins avait toujours voulu croire.
Qu’il n’avait rien à prouver à personne.
Sauf peut-être à cette mère.
Partie trop tôt pour lui.
À cette mère, qu’il haïssait de toutes ses forces.
Parce qu’elle ne l’avait jamais traité comme un fils.
Mais comme une erreur.
De ce manque d’amour.
Il s’était toujours perçu comme le dernier.
Alors, pour prendre une revanche sur la vie.
Ou sur ces quelques années à se morfondre.
Dans sa chambre de petit garçon mal-aimé.
Il avait pris la décision d’être le premier.
D’abord, pour narguer sa mère.
Puis pour la reconnaissance de ses pairs.
Par lesquels il avait longtemps été chambré.
Et puis enfin pour lui.
L’histoire de celui que l’on traitait de misérable.
Commence un après-midi d’été dans une maison damnée.
Au bord de ce qui semblait être l’instrument des afflictions.
Au côté d’une mère apathique.
Rachitique.
Flegmatique.
Pathétique.
Autour de lui.
D’ailleurs.
Partout où ses pieds allaient.
Où son corps déambulait.
Où erraient ses pensées.
On lui faisait comprendre à tort.
Et au travers de moqueries.
Qu’il était le produit d’infortunes.
La somme entre autres de mésaventures calamiteuses.
Ou encore la soustraction effective d’un bonheur raté.
Il avait alors, toujours, été difficile de concevoir pour cet orphelin.
Un avenir de lumière.
Lui.
Lui qui brillait à l’ombre des autres.
En fait.
Il était comme inconcevable qu’il grandisse aimé.
Ou quelque part révéré.
Enfin –
pardon, respecté.
Parfois, le vocabulaire est en hyperbole.
Car entre eux.
Il y avait toujours eu ses notions de la crainte.
Particulièrement parce que sa génitrice.
Elle-même.
Ne l’avait de son vivant, considéré.
Ainsi.
Il fallait pour sa rébellion.
Pour son changement d’humeur de nullard.
Pour sa guérison intrinsèque.
Qu’il se lave de sa peau de zéro.
Qu’il quitte son déguisement d’antihéros.
Pour être enfin celui qu’il méritait d’être :
L’homme commun.
Le « commun » qui lui permettrait de se fondre dans la masse afin de revenir plus fort qu’il ne l’avait jamais été.
D’ailleurs
Se faire petit n’était pas un problème.
Aux différents lieux de son existence.
Il n’était pas compté parmi les présents.
Mais toujours au nombre des abonnés absents.
En fait.
Il devait rester lui-même.
Ce qui au fil du temps devenait difficile.
En particulier pour quelqu’un qui rêvait d’être un autre.
Dix ans s’écoulent.
L’enfance houleuse de l’orphelin se dissout peu à peu dans sa mémoire.
Et pour oublier plus vite.
Il se noie dans les médicaments.
L’aspirine devient son meilleur ami.
Tout comme le propranolol, par lequel il jure excessivement.
En fait.
Il a le mal de mère.
Et peine sur ces nouveaux rivages à naviguer sereinement.
Comme un capitaine de bord incompétent.
Il tangue loin des rives.
Comme à la recherche d’une terre promise.
Un petit bout de quelque part où il pourrait fièrement brandir son drapeau blanc.
Signe de l’achèvement de sa quête.
Signe d’une paix maternelle.
Le garçon des étages a dix-huit maintenant.
Il n’est plus le garçon apeuré d’avant.
Il est un jeune homme maladroit.
Et maladroitement.
Il s’engage dans des passions douteuses.
Qu’il croit l’emmèneront là-haut.
Là-bas où siège une élite émérite.
Une sélection de noms privilégiés.
Une aristocratie d’exception.
Un gratin de baratineur.
Un siège de bonimenteur.
Ou encore une tribune d’affabulateur.
En fait.
Le garçon ne rêvait que de ça.
D’être dans les buildings.
De manipuler les mots.
Les gens.
Et les affaires.
Il rêvait d’être ce charismatique hâbleur.
Il rêvait de manipuler les choses de l’ordinaire.
Et de les transmuer en fabuleux.
Il voulait être le magicien des Hommes.
Il voulait qu’on le regarde.
Qu’on l’acclame.
Qu’on le jalouse.
Il voulait être sur le devant de la scène.
Il avait trop longtemps été le figurant d’une pièce lamentable.
Écrite par un dramaturge néophyte.
…
Ses passions hypothétiques.
Nébuleuses.
Incertaines.
Ne le mènent nulle part.
Nulle part en tout cas.
Où il est bon.
Longtemps.
De demeurer.
Sa folie des grandeurs renforce ses vices cachés.
La notoriété.
D’abord.
L’argent.
Ensuite.
Finissent par l’obséder.
De manière compulsive.
Il veut s’adonner à une entreprise.
Mais quelle entreprise ?
Il ne sait rien faire.
On ne lui a rien appris des fondements de la vie.
Et tout ce qu’il sait.
C’est la loi des rues qui le lui a enseigné.
Et du reste.
Il est en parent avec l’échec.
Alors, comment savoir où aller ?
Que faire ?
Et comment le faire ?
Quand le seul modèle de mimétisme qu’on nous ait offert.
Est celui de sa personne.
Peut-être.
Peut-être qu’il pourrait entreprendre de grandes missions de sauvetage.
Histoire d’accueillir la sympathie des gens ?
Enfin.
Faudrait-il encore qu’il se sauve lui.
Il pourrait user habilement de ses mains pour émerveiller les autres ?
Enfin.
Faudrait-il encore qu’il sache manier les outils.
Il pourrait faire rire les gens.
Les divertir ?
Amuser la galerie ?
Pourquoi pas.
On le considérait déjà comme un pitre.
Cancre.
Diantre.
Âne.
Bigre.
Rossard.
Fichtre.
(la conteuse déborde en affaire, excusez)
Bref.
Il avait essayé les études.
Sans succès.
Enfin.
Il faut aussi dire qu’il n’était pas le plus brillant.
Ni même le nul de la classe.
En fait, il ne frôlait aucun extrême.
Il était un milieu.
Il était le mercredi dans la semaine.
Il était la salade dans le hamburger.
Il était la cinquième roue du carrosse.
Pendant cinq ans, il fréquente le système scolaire.
Enfin, il traîne dans les couloirs de l’université.
Assiste aux cours obligatoires.
Et essaie d’obtenir son diplôme.
Vingt-trois bougies.
L’orphelin compte vingt-trois bougies sur son gâteau d’anniversaire.
Et cet après-midi, il ira assister à la remise des diplômes.
Bref.
Ces temps-ci, la vie n’est pas trop mauvaise.
Le garçon est presque gai.
Gai de l’humeur.
Il s’apprête aujourd’hui à participer à un grandiose évènement.
Dans lequel il est titulaire.
Non remplaçant.
Non spectateur.
Sur l’estrade de l’amphi’.
Le directeur prononcera son nom.
Et pendant quelques minutes.
L’attention sera portée sur lui.
Il doit partir pour quinze heures.
Le jeune homme est excité.
Mais il n’est pas encore midi.
D’ailleurs.
Le garçon se demande s’il sera accompagné.
Non.
Présumément.
Alors, il devra.
À côté de lui.
Se contenter de gamins insupportables.
Qu’on aura obligé à venir pour soutenir leurs frères et sœurs.
De parents larmoyants.
Ou encore de vieux camarades de classe.
(récréation)
La cérémonie s’était entretenue de bonne manière.
Il n’y avait pas eu d’incident.
Il ne s’était pas fichu la honte.
Ou presque.
Lors de son passage sur l’estrade.
Il n’avait su prononcer qu’un mot :
Merci.
Mais dans sa tête, « Merci » était un discours.
Par « Merci ».
Il voulait remercier ses compères de ne pas l’avoir raillé.
Raillé de trop en tout cas.
Par « Merci ».
Il voulait saluer la patience de ses professeurs.
Plutôt tendres et complaisants avec lui.
Par « Merci ».
Il se sentait reconnaissant d’avoir passé les années les moins pénibles de sa vie.
Et se disait en mémoire que l’université :
« C’était presque sympa ! »
Et « Pourquoi pas vivre de nouveau l’étude ? »
Genre.
Vivre de nouveau une jeunesse aux cahiers bienheureux.
En fait.
Dans sa timidité fragile.
Qui avait l’habitude de cristalliser ses paroles.
Scander « Merci » représentait beaucoup.
Déjà.
Voilà maintenant huit jours que la remise a eu lieu.
Et voilà huit jours.
8 j. qu’il est assis à la fenêtre.
À regarder le ciel.
Il pense à sa mère.
Et imagine des conversations avec.
Malgré lui.
Elle est toujours présente.
Dans un coin de sa tête.
Un peu dans son cœur.
Mais surtout dans ses spleens.
Il est profondément mélancolique.
Il entend la nuit très tard.
Les chants lyriques de sa mère.
Qui là-haut.
Au-dessus des têtes des Hommes.
S’émerveille de la détresse de son fils.
Seulement, cette fois.
Ce ne sont pas les paroles de sa mère qu’il entend.
C’est un appel à l’aide qui vient de l’intérieur.
Il ne dit plus « Merci ».
Il dit « S’il vous plaît ».
Alors, pour se rendre service.
Il avait décidé d’oublier sa mère.
Pour de bon cette fois.
Parce qu’il était temps de vivre.
Trois mois s’écoulèrent.
Soit quatre-vingt-deux jours.
Soit plus de la douzaine, dans ce qui se compte en semaines.
Soit vingt-trois mille six cent seize heures.
Soit un million quatre cent seize mille neuf cent soixante minutes.
Soit quatre-vingt-cinq millions, dix-sept mille six cents secondes.
Bref.
Le temps défile à une allure.
Le jeune garçon ne sait toujours pas courir.
Et ne trouvant pas chaussure à ses pieds.
Il vagabonde pieds nus sur les chemins de la ville.
Il se perd aussi en comptant les dalles.
Comme s’il comptait les pièces d’un trésor.
Comme un fou qui embrasse sa fredaine.
Comme un mythomane qui tisse ses mensonges.
Il suit aveuglément les dalles rouges sur le sol.
Il est obsédé.
Obnubilé.
Envoûté.
Il s’accapare des carrés rouges à ses pieds.
Mais son obsession n’est pas mathématique.
Tel un géomètre.
Il parcourt et slalome dans les rues.
Comme s’il arpentait un périmètre quadrillé.
Là-bas.
Par exemple.
À l’angle obtus de sa vision.
Une boulangerie.
Et dans la diagonale.
Par exemple.
Un rottweiler et son maître.
Ou là-bas encore.
Dans une aire équilatérale.
Par exemple.
Un saxophoniste.
Il y a là-bas.
Par exemple.
Dans l’aire équilatérale.
Dans un angle de soixante degrés par rapport à sa position.
Un saxophoniste.
Il s’arrête net.
Son corps est en parfait alignement.
Et ses pieds bien ancrés au sol.
Trop ancré au sol.
Il est figé.
Son regard s’égare dans la foule.
Il est bousculé à droite.
À gauche.
Puis à droite de nouveau.
Mais il ne perd jamais l’équilibre.
Ses pieds se confondent au béton rougi.
On dirait qu’il saigne.
A priori, il vient de s’éveiller d’un coma lucide.
D’un sommeil conscient.
En fait.
Voilà des jours entiers qu’ils marchent sans boussole.
Sans cap.
Et par la fatigue.
Ses pieds avaient saigné de douleur.
Mais, lui, étant saoulé d’autres saveurs, n’avait pas senti son mal.
Le son du saxophone l’avait fait revenir à lui.
Et la mélodie de l’instrument venait de le sauver.
En fait.
Les quelques notes du produit de son rêve.
L’avaient guérie d’affres certaines.
Et maintenant.
Autour de lui.
Il sentait la chaleur.
Il sentait les couleurs.
Il sentait les fragrances du monde.
Il venait de découvrir.
Comme s’il naissait pour la première fois.
Les parures de l’amour.
Dont l’une de ses peaux est la musique.
Il voulait à présent.
Et pour toujours, qu’elle devienne sa mère.
L’amour.
Qu’elle soit sa victoire.
Ou sa clémence.
L’amour.
Il venait de comprendre.
Après tant d’années que Dieu ne l’avait pas puni.
Mais béni.
Amour.
En fait.
Aujourd’hui et pour toujours.
Il sera bercé par la musique.
Il venait de comprendre.
Après tant d’années, les messages subliminaux.
Amour.
La musique qu’il entendait à sa fenêtre tard le soir.
C’étaient les chants de son cœur.
Les palpitations vibrantes de ses ivresses.
C’étaient les tambours de l’orchestre.
Les cris de douleur parce que la solitude l’affamait.
C’était la voix de tête.
Et le front du chœur était enfin en faim.
Sa vie lui inspirait des paroles.
Il voulait jouer de ça.
Slamer à tue-tête sur une instru’ de terreur.
Histoire de dire :
« Ce n’était pas facile ! »
Et puis finir en a cappella pour dire :
« Maintenant, tout va bien ! »
Ou du moins « Tout ira mieux ! »
Le garçon a écrit.
Écrit.
Écrit encore.
Encore plus.
Et à force.
Il n’était plus orphelin.
Il n’avait plus de temps pour les lamentations.
Les jérémiades.
Les doléances.
Et autres désidératas capricieux.
En fait.
Il n’avait plus le temps de la solitude.
Il avait des lettres qui le couvaient le soir.
L’habillaient le jour.
Enfin.
Des textes en milliers & caractères qui l’aidaient