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Le liftier des anges
Le liftier des anges
Le liftier des anges
Livre électronique109 pages1 heure

Le liftier des anges

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À propos de ce livre électronique

Un quart de siècle de direction théâtrale a ceci d’agréable qu’il laisse peu de place à la tiédeur : il y a ceux, nombreux, qui vous haïssent, et il y a les autres, chez qui vous avez laissé un souvenir, une bribe d’émotion, une trace quelconque, et qui éprouvent un sentiment qui va du respect à l’amitié. Ou quelque part entre les deux.
« Ce splendide récit où se mêlent tant de choses essentielles étreint la gorge et l’estomac. L’amitié, l’amour, le travail, la ville, les gens. Ce sentiment double de la plénitude et de l’incomplétude d’une vie. L’auteur a l’art de raconter ce qu’il a connu, souffert, aimé. Il atteint le rêve de l’écrivain, mettre en scène sa réalité, avec vigueur et la distance nécessaire. »
Felice Graziano

À PROPOS DE L'AUTEUR 


Raoul Pastor a consacré sa vie à la scène. Fondateur et ancien directeur du Théâtre des Amis, à Carouge, il signe avec "Le liftier des anges" son deuxième récit après "Un été avec Geronimo" (Slatkine, 2019).
LangueFrançais
ÉditeurSlatkine Editions
Date de sortie27 août 2025
ISBN9782832114285
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    Aperçu du livre

    Le liftier des anges - Raoul Pastor

    CouverturePage de titre

    À ma femme

    « Souviens-toi d’oublier. »

    Friedrich Nietzsche

    « …Je ne fais pourtant de tort à personne en suivant mon chemin de petit bonhomme, mais les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. »

    Georges Brassens

    Jaune et ocre pâle ou blanc. On ne distingue pas le ciel de l’air. On respire sous daltonisme.

    Le silence est immobile.

    La mer, pourtant si proche, se venge de son absence.

    Les vieux, sous leurs bérets, ont quitté les trottoirs et leurs chaises pour se mettre à l’abri dans l’ombre de leurs femmes et des volets clos.

    Rien ne bouge que le curé qui traverse la place, de l’église à la cure, vite, le dos voûté, sous une averse de lumière. Rien ne va, pouf ! pouf ! pouf ! que ses semelles sourdes sur la poussière. Le village est ouaté de chaleur.

    Un petit garçon joue. Il a quatre ou cinq ans et il ne sait pas que, sous ses pieds, cette terre irrégulière restera plus qu’un souvenir. Une trace, un code, un rhésus maternel.

    Il court en rond de trou en trou, et ses chevilles encore souples rebondissent sur le terrain lunaire.

    Il n’est déjà plus de ce monde et je parierais qu’il en devine les cahots. Il tape sur ces mottes pour conjurer les coups à venir.

    Les nuages sont avares de larmes sur cette terre aride et il arrose le sol infécond à pieds joints dans une flaque solitaire. Maman le punira pour ses pantalons crottés, mais elle n’est qu’un mirage.

    Qu’importe, puisque demain est si loin et qu’il n’est l’enfant de personne.

    Son seul avenir, dans ce matin d’avril, est la prochaine flaque.

    L’innocence est le terreau du désastre.

    L’ exil n’est rien si l’on a l’espoir du retour. La peur ne devient terreur que si l’on n’en voit pas la fin. Les otages ne craignent qu’une seule souffrance, la distance et le temps qui les séparent du retour. Ils ne demandent ni eau ni nourriture. Ils demandent « quand ? » L’enfant inquiet est entré dans la ville, pas si grande, mais pleine de lumières et de pluies qui s’allument et s’éteignent. Et il ne voit rien d’autre que cette eau perdue et sans vertu qui ne remplit que des flaques imperméables où les genoux et les chevilles se blessent. Toutes ces lumières n’éclairent que des chapeaux qui courent, mécontents de leur sort, et des regards qui ne voient que leurs miroirs.

    Le petit garçon regrette la boue salissante, moelleuse, et l’obscurité trouée de fenêtres jaunes d’où les voisins épient, mais accompagnent aussi. Il grandit peu, mais apprend l’isolement.

    Il pleure sans raison, n’a plus goût aux jeux. Il refuse de manger et finit par ne plus rien dire, parce qu’il n’a personne à qui s’adresser. Il y a trop de monde autour de lui et aucun visage à regarder.

    – D’où vient-il, cet enfant ? Il faut le renvoyer chez lui, dit le gentil docteur. Et s’il doit revenir, que ce soit avec moins de rudesse.

    Première maladie. Joyeuse liberté conditionnelle et première Caravelle qui le ramène à son école, aux uniformes blancs rayés de bleu sous lesquels on protège ses habits du dimanche. Dans le village on n’efface pas les différences sociales. Il n’y en a pas. On économise. Dans la cour de récréation on se regarde sans se toiser. On joue tous avec la même balle. Les lentilles de midi auront plus ou moins de lard, mais rempliront les ventres et auront moins d’importance que le résultat du match de foot dans la cour pierreuse de l’école des garçons, où comme toujours, ceux des quartiers du bas mettront une branlée à ceux du haut.

    L’arbitre est un séminariste, seul représentant de l’Église dans cette cour d’école discrètement républicaine. On raconte qu’il a pris la soutane lorsqu’il s’est vu refuser son admission dans les juniors du Barça¹. Il court en soulevant ses jupes noires, tel un corbeau tombé du nid. Les gamins l’aiment bien, parce qu’ils se moquent de lui et qu’il rit avec eux.

    Lui, le petit footballeur en uniforme bleu et blanc, a oublié qu’il y avait un autre monde. Il ne pense plus à retourner là-bas, dans l’autre pays. Là-bas n’existe plus. Il a oublié tout ce qui n’est pas ici.

    * * *

    Mais c’est l’inévitable retour à l’envoyeur. Jusqu’à l’aéroport, on le confie au chauffeur du car qui essuie ses larmes avec un mouchoir à carreaux, cent fois utilisé, et partage avec lui son sandwich pain, tomate, ail et jambon. Le gamin ment tant qu’il peut, jusqu’à l’extrémité de son imagination, jusqu’au bout de son désespoir. Il lui dit qu’il est abandonné, qu’on le conduit chez les méchants. Il invente même qu’il veut devenir chauffeur de car. L’homme l’écoute sérieusement, comme un ami, mais il tient bon, bien sûr. Il a une mission. Avant de monter dans l’avion qui le ramène, on lui pend au cou un écriteau prémonitoire : ENFANT NON ACCOMPAGNÉ.

    * * *

    À la ville, il grandit de travers comme une table bancale sur une terrasse mal pavée. Les verres tremblent, mais rien ne se renverse. Le temps est inutile lorsqu’on attend une libération, et les années passent comme des feux de détresse. Il les remplit de patience et d’anonymat. Il navigue, comme les bateaux de papier quadrillé qu’il déposait sur le canal de son enfance et qu’il poursuivait selon l’humeur de l’eau. Il court après la vie sans jamais la rattraper. Barquito de papel/sin nombre sin patrón y sin bandera/navegando sin timón donde la corriente quiera². Avec les années, il devient indocile. Il lit Edgar Allan Poe et chante Le corbeau avec, pour décor, le parapluie volé à sa prof d’anglais en dansant sur son pupitre un charleston approximatif et périlleux sous les applaudissements d’une cour de moutons déjà tondus. Il prend d’assaut le bureau du directeur du collège pour appeler à l’insurrection. Il recouvre de mayonnaise la voiture de M. Schlup, le professeur d’allemand. Rien n’est assez. Rien ne suffit jusqu’à ce « persiflage stupide » au sortir de l’adolescence. Ce commentaire qui chapeaute son dernier devoir d’histoire dans cette école qu’il n’aime pas et qui le regarde avec méfiance comme un élément doué, peut-être, mais assurément séditieux. Il est fier de ce zéro qui le promeut au rang de héros auprès de ses camarades.

    Il a comparé l’antinatalisme de la Chine à l’extermination des punaises de lit. Pas très fin certes, mais mission accomplie et renvoi sans appel.

    Son

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