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Harald, le trois-fois-né: Et autres histoires des dieux qu'un mort m'a racontées
Harald, le trois-fois-né: Et autres histoires des dieux qu'un mort m'a racontées
Harald, le trois-fois-né: Et autres histoires des dieux qu'un mort m'a racontées
Livre électronique463 pages5 heures

Harald, le trois-fois-né: Et autres histoires des dieux qu'un mort m'a racontées

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À propos de ce livre électronique

Parti seul explorer en spéléologie le volcan Snæfellsjökull, Bjarni Rolfson est victime d'un éboulement. Blessé, effrayé, il découvre avec horreur qu'il n'est pas seul : un squelette partage sa caverne...
Et quel squelette ! Ancien scalde et ami des dieux nordiques, Hakon attend ici depuis deux siècles qu'un mortel aventureux le retrouve.

Un dialogue savoureux va s'établir en l'homme du vingtième siècle et le scalde oublié, histoires des dieux qui ne sont peut-être pas que des mythes et des légendes.

Un voyage initiatique dans lequel l'homme moderne et l'homme du passé se découvriront des points communs et retrouveront la sagesse perdue à travers dix histoires mêlant dieux anciens, êtres étonnants et humains.
LangueFrançais
ÉditeurBooks on Demand
Date de sortie6 août 2020
ISBN9782322195862
Harald, le trois-fois-né: Et autres histoires des dieux qu'un mort m'a racontées
Auteur

David Pottier

David Pottier est né en 1974 dans la ville de Vendôme. Après quelques études supérieures, il a créé son entreprise dans l'informatique et les réseaux numériques. Bien qu'il ait consacré plusieurs années à cette activité, son existence a pris un virage radical lorsqu'il a accepté de consacrer son existence au don que la vie lui a offert. Il exerce comme magnétiseur, "sorcier de campagne" comme il aime à se décrire lui-même ! L'écriture de romans et de jeux de rôles est une passion qui l'habite depuis son adolescence, passion qu'il aime faire partager ! Heureux papa d'une bande de petits trolls, sa famille est son plus grand trésor.

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    Aperçu du livre

    Harald, le trois-fois-né - David Pottier

    À l’amour de mes vies

    À mes enfants

    À ceux que j’aime

    Et à vous chère lectrice, cher lecteur, qui me faites l’honneur

    de découvrir ce roman. J’espère qu’il vous donnera du plaisir,

    du rêve et le bonheur du voyage immobile !

    llustations

    Je remercie tout particulièrement les deux illustrateurs qui ont donné du temps et de l’énergie pour illustrer ce livre.

    Si une histoire est agréable à lire, quelques illustrations l’embellissent toujours !

    Illustrations de Valérian Lefebvre (alias Rew)

    www.rewillustrations.fr :

    Couverture

    Harriet, l’álf (page →)

    Grimmr (page →), poème de Niele

    Gretta (page →)

    Thor, enfant (page →)

    Les trois Nornes (page →)

    Illustrations de Niele :

    Yggdrasil (séparation entre les chapitres)

    Inukshuk (page →)

    Autres illustrations :

    Carte du Vinland (page →) conservée à la Bibliothèque Beinecke1 de Yale.

    Poèmes de Niele :

    Grimmr (page →)

    Le banni d’Asgard (page →)

    Mer colère (page →)

    Tribale naissance (page →)

    Tisseuses de Destin (page →)

    Pensée des esprits maîtres (page →)

    Sommaire

    Introduction

    Harald, le trois-fois-né

    Gretta, la spákona

    Ragnar

    Leif l’égaré

    Le dépossédé

    Les deux rencontres d’Olaf

    Snorri, le marcheur de rêves

    Leif le lagmann

    Yvonic et les trois sœurs

    Håkon et la danse de l’homme mort

    Épilogue

    Arbre généalogique

    Petit lexique final

    À propos de l’auteur

    Ce symbole indique une suggestion d’ambiance musicale !

    Si vous désirez lire l’histoire qui suit avec une musique qui l’accompagne bien...

    Il fait noir.

    J’ai mal.

    J’ai mal partout.

    Je veux bouger ma jambe droite mais quelque chose de lourd la bloque.

    Dans ces cas là, toujours la même question : « Mais où suis-je ? »

    Je crie ! J’appelle à l’aide... Ma voix résonne. Je suis donc dans un lieu clos ! J’entends le bruit de gouttes d’eau... Le froid environnant me glace.

    En remuant ma tête, je me cogne. J’ai un casque ! Comment ne me suis-je pas rendu compte que j’avais un casque ? J’essaye de me redresser, ma tête se met à tourner. Je m’évanouis.

    Il fait toujours aussi noir.

    J’ai toujours aussi mal, et j’ai encore plus froid. Toujours ce bruit de gouttes d’eau ! Une torture quand on a aussi soif que moi ! Il faut que je boive...

    J’arrive à me redresser en position assise, malgré la douleur et les étourdissements. Ma jambe droite est toujours immobilisée et me fait mal.

    En tâtonnant sur mon casque j’arrive à trouver un petit boîtier Avec un interrupteur. J’appuie !

    Assez stupidement, la petite voix qui murmure souvent dans ma tête me susurre « et si c’était le détonateur d’un tas d’explosifs ? BOUM ! » C’est tellement idiot que j’en souris.

    Pas d’explosion, non. Mais un fin rayon de lumière qui m’éblouit et me force à fermer les yeux.

    Des blocs de roche. Des stalactites et stalagmites. Des gouttes qui tombent des stalactites en «plic plic» agaçants. Je suis manifestement dans une grotte. Et je suis tout aussi manifestement dans les ennuis jusqu’au cou ! Ma jambe droite est emprisonnée sous de gros rochers et un filet de sang séché maculela jambe de mon pantalon. Corde, pioche... L’attirail du parfait spéléologue !

    Bjarni. Je m’appelle Bjarni !

    Bjarni Rolfson.

    Et j’habite Reykjavík. Enfin, en général parce que là je suis dans une fichue grotte que, manifestement, j’explorais. Il y a un tas de plastique écrasé à côté de moi... Que je sois damné si ça ne ressemble pas à une balise de positionnement souterrain broyée. Cela ne va pas être simple pour me repérer et alerter les secours !

    Je me souviens maintenant ce que je fais dans cette caverne. J’ai voulu profiter de mes vacances pour explorer un groupe de grottes naturelles proches du Snæfellsjökull (le fameux Sneffels, le volcan dont l’auteur français Jules Verne parle dans son livre « Voyage au centre de la terre »). Mon ami Norri devait m’accompagner mais sa femme a fait une mauvaise chute et il a dû annuler. J’ai choisi d’y aller seul... Quel imbécile ! À part lui, qui doit veiller sa femme en ce moment et donc ne se soucie pas de moi, personne ne sait que je suis ici !

    Ici !

    Dans une grotte.

    Une grotte qui s’est éboulée, sur moi.

    J’utilise mon piolet pour faire levier et j’arrive enfin à dégager ma jambe droite ! Je hurle quand j’arrive à l’extraire, de douleur et de joie. Puis je hurle de nouveau, mais d’horreur : aucune jambe ne devrait faire un angle comme celui-là ! Fracture ouverte...

    Je perds connaissance.

    Je suis réveillé. Je suis dans le noir pour économiser ma lampe. J’ai rampé jusqu’à une flaque d’eau de ruissellement et j’ai bu. J’ai huit barres de céréale, j’en mange une. Je rallume ma lampe et j’improvise une attelle avec des bandes de tissu et un bâton de marche que je coupe en deux. J’explore en rampant cette grotte.

    Des rochers. De la pierre. Des rocs. Des cailloux... Un squelette.

    Un... SQUELETTE ?

    «Tu ne devrais rien avoir à craindre, car il te sourit ! », murmure la petite voix dans ma tête. Évidemment qu’il me sourit ! Un crâne humain ne peut rien faire d’autre à part sourire, de toutes ses dents.

    Celui-ci en a plusieurs qui manquent, et celles qui restent sont en mauvais état. Il devait être âgé ou mal nourri...

    Je me traîne, moitié à quatre pattes et moitié rampant, jusqu’à mon voisin de misère qui, s’il est souriant, n’en est pas moins désespérément silencieux. « Mortellement ennuyeux ! », ricane la petite voix.

    Des lambeaux de vieille laine enroulent encore ses jambes et son torse. Ce qui devait être une lame finit de rouiller dans la flaque où repose encore sa main droite décharnée. Des débris de cuir (les restes d’un sac ou d’une outre ?) sont calcifiés à côté. Traces de charbon ? Il a dû faire du feu... Peut-être même est il mort asphyxié par les fumées ?

    J’abandonne ces pensées morbides quand mes yeux tombent sur le trésor !

    Devant un bloc de roc assez lisse où des signes ont été gravés, un petit tas d’objets en argent et de pièces d’or et d’argent reposent sous un petit pendentif en forme de marteau, encore suspendu par le cordon de cuir qui le maintient au rocher. Un marteau de Thor ! Je connais un peu l’ancienne religion de mon pays, comme tous les vrais Islandais. Et je reconnais sans peine un trésor historique, sinon archéologique, en voyant ces belles choses scintiller à la lumière de ma lampe frontale. D’abord obnubilé par les richesses, je finis par m’intéresser aux signes gravés dans la roche. Du futhark ¹ ! Mon souriant compagnon d’infortune doit attendre ici depuis quelques siècles, alors ! J’espère que Norri s’inquiétera de moi assez tôt pour que je ne reste pas, moi aussi, quelques siècles à sourire dans cette grotte...

    Le texte s’enroule sur lui-même comme un serpent. Gravé avec des coups maladroits, vu les impacts désordonnés... J’effleure, avec une crainte superstitieuse, les premiers signes du bout de mes doigts.

    Une voix résonne dans ma tête et je hurle de terreur !

    - Bonjour visiteur !

    - Qui est là ? Qui ?

    - C’est moi, visiteur. Ton voisin... », gronde la voix avec un accent moqueur.

    « Ça y est, cette fois tu es vraiment tombé fou, mon vieux Bjarni !

    », rigole la petite voix dans ma tête.

    - Ne t’occupe pas de ta petite voix, visiteur.Moi ça fait plus de deux cents ans que je n’ai pas discuté, alors elle attendra un peu !

    - Mais c’est impossible. Je parle à un mort ?

    - On dirait bien, visiteur.

    - Mais alors... C’est que je suis mort ?

    - Non, non. Je ne crois pas ! Mais permets moi de me présenter.

    Je me nommais autrefois Håkon de Loftsfjord, marchand et navigateur originaire de Svartenfjord, près de Bjørgvin² dans le royaume de Norvège. »

    Je ne réponds rien. C’est déjà bien assez dur d’être enterré vivant dans une grotte avec un squelette, alors entamer une petite causerie avec ledit squelette... Non !

    - Ne fais pas ton timide, visiteur ! Je suis mort, alors quel mal veux-tu que je te fasse ?

    - C’est que... Je n’ai pas l’habitude de parler avec les morts, moi !

    - Oh... On finit par s’y habituer.

    - Bon. Tu es mort. Tu me parles (ahahaha) et tout est normal.

    Bien ! Alors dis-moi, Håkon : comment es-tu arrivé ici ? Bjørgvin est plutôt loin de l’Islande !

    - Oh, c’est une longue histoire. Dans mon pays, j’étais connu pour mes talents de guérisseur et de maître de runes. On venait me voir de loin pour résoudre les petits problèmes du quotidien : disputes entre voisins, mari volage, mauvais esprit...

    J’éclate de rire ! Un sorcier...

    - Cesse de te moquer de moi, Håkon ! Les mauvais esprits et la magie, c’est bon pour les bonnes femmes au coin du feu !

    - Permets-moi de te rappeler, visiteur, qu’en ce moment tu parles à un mort. Alors pourquoi pas aux esprits ?

    - Mais moi je tombe fou, c’est tout.

    - Ah, dans ce cas pourquoi te poses-tu des questions ? Si tu es fou, accepte aussi ma folie !

    Je m’incline, baisse la tête et écoute.

    - C’est bien, visiteur. Dans mon pays, te disais-je, j’étais réputé. Si réputé que ça a fini par arriver aux oreilles des autorités. Tu les connais, celles-là ! Avec leurs principes et leurs certitudes religieuses... C’est une voisine qui m’a prévenu et je n’ai eu que le temps de fuir en pleine nuit pour échapper à leur bêtise. Je me suis embarqué avec les quelques richesses que j’ai pu emporter sur un de mes navires, avec quelques hommes loyaux et nous avons navigué jusqu’en Islande où j’avais des amis.

    - Bon, très bien ! Mais cela ne m’explique pas ce que tu fais dans cette grotte...

    - Attends, visiteur ! J’y arrive. Au bout de quelques mois seulement, des hommes ont débarqué dans le petit village côtier où je m’étais installé. Des hommes de mon pays. Ils me cherchaient ! Alors je me suis enfui. C’était l’hiver et j’ai cherché un refuge dans les grottes volcaniques. J’ai exploré cette caverne et je me suis perdu ! J’ai tourné en rond plusieurs jours jusqu’à ce que je tombe ici. Il faut que tu saches, visiteur, que je suis le dernier de ma lignée. Je n’ai pas eu d’enfant... Et dans ma famille, on se transmet de parent à enfant des histoires vraies ! Des histoires des anciens dieux du nord que mes ancêtres ont rencontrés.

    - De quoi me parles-tu ?Quels dieux ? Pas ce genre de trucs, là !», dis-je en pointant le petit marteau d’argent d’un doigt accusateur.

    - Si, visiteur ! De ces « trucs » là, comme tu dis ! Ma famille a toujours aimé et servi les anciens dieux du nord. Et chacun d’entre nous a rencontré l’un d’entre eux, d’une façon ou d’une autre.

    - Mais ce sont des superstitions ! Des contes de bonne femme !

    - Tais-toi, ignorant ! » La voix grondante était devenue menaçante.

    Je me tasse dans mon coin et cogne ma jambe fracturée. Je hurle.

    Håkon continue...

    - Tu ne connais rien. Tu ne sais rien. Tu parles et ta bouche fait du bruit, mais elle ne dit rien de compréhensible. Tais-toi ! »

    J’ai trop mal pour riposter, je sanglote en serrant ma jambe.

    - Odin, le Père des Pères, t’a mis sur ma route. J’étais le scalde autrefois, celui qui transmet le savoir. Et puisque tu as croisé ma route, tu seras le nouveau scalde.

    - Non mais, ça ne va pas ? J’ai une tête de baladin, moi ? Tu crois que je vais m’amuser à pousser la chansonnette sur les routes ?

    - Silence, imbécile ! » Il n’y a plus aucune douceur dans la voix, qui ressemble plus au grognement d’un loup qu’à une voix humaine.

    Et effectivement, je me tais. D’abord, j’ai trop mal pour discuter.

    Ensuite... Quelque chose dans cette voix rauque qui gronde dans ma tête me donne la chair de poule !

    - C’est mieux... Maintenant, écoute. Je vais te montrer ma première histoire, celui qui fut le premier de ma lignée à recevoir la visite des dieux. Le premier scalde, le premier de mes ancêtres à recevoir la marque des dieux ! Écoute, visiteur... Écoute l’histoire du bel Harald, le-trois-fois-né !


    1 : Futhark : ancien alphabet employé par les scandinaves. L’alphabet comporte vingt-quatre signes, appelés « runes », qui forment un alphabet à la fois vernaculaire et sacré.

    2 : Bjørgvin : Ancien nom de la ville de Bergen. .

    HARALD

    LE-TROIS-FOIS-NÉ

    Runaljod - gap var ginnunga

    Groupe : Wardruna

    Label : Phd

    Je suis né pour la première fois le jour du printemps de l’année 995 selon le nouveau calendrier que les chrétiens nous ont amené. La même année que le jeune prince Olaf, nouveau né du roi Harald Grenske du Vestfold. C’est en l’honneur du roi Harald que mon père, Jorn Sigurdson dit « le velu », m’a nommé Harald. Ma famille aimait et respectait les dieux anciens, comme on les appelait alors depuis que le jeune dieu, Joshua le crucifié, était prié dans le royaume.

    Parmi les dieux anciens, mon père aimait tout particulièrement Odin le Puissant et Thor le batailleur. Ma mère, elle, préférait Freya la généreuse et surtout Sif la belle. Nous vivions une vie simple dans la ferme de père. Il lui arrivait de s’absenter de longues saisons, car il servait comme húskarl³ auprès de notre roi.

    Le roi Harald avait reçu le baptême chez les chrétiens, mais il ne s’en souciait pas vraiment. Il continuait à aimer et respecter les dieux anciens, criant ses appels à Thor ou Odin quand il chargeait, tout en gardant une croix en argent du nouveau dieu sur son torse.

    Comme il aimait le dire, « avec les dieux, mieux vaut en avoir plusieurs en même temps que de manquer du bon au mauvais moment ! » Quand le roi Harald a été lâchement assassiné, ma famille a quitté le royaume pour suivre l’héritier et servir Sigurd Syr Halfdansson, le nouvel époux de notre reine.

    C’est lors d’une guerre menée par notre nouveau roi Sigurd contre les Danois que mon père est tombé. Son esnecke⁴ a coulé dans un fjord après avoir été éperonné par l’eskeið⁵ du chef ennemi. Mon oncle Fjarn l’a vu tomber dans l’eau du fjord, le crâne fendu par une hache... Et on raconte que même mourant il tentait encore de donner des coups avec son épée sur le navire ennemi ! J’avais treize ans tout juste, et c’est ce jour là que je suis devenu un homme, le maître de mon domaine. J’ai prêté serment au roi Sigurd...

    Il y avait presque trente hommes d’armes autour de lui, tous lourdement armés. Je le revois encore boire dans sa longue corne décorée d’or et d’argent, de longues gorgées de mjøld⁶ doré. Il m’a tendu sa corne et j’ai bu... Mon oncle m’avait expliqué la règle : « crève s’il le faut, gamin ! Mais ne bois pas moins longtemps que le roi... Sinon on te prendra pour une femmelette et tu passeras ta vie à surveiller des troupeaux de moutons ! Bois, par Thor ! Bois jusqu’à éclater comme une panse de truie ! Mais bois ! »

    Et j’ai bu.

    J’ai bu, avalé, dégluti. Et j’ai bien cru en crever ! Le mjøld était fort et ma langue me brûlait, mes larmes ont coulé mais j’ai bu et j’ai vidé la corne.

    Les hommes ont beuglé de joie et je me souviens qu’on m’a empoigné, embrassé, frappé de bourrades à tuer un bœuf... J’étais ivre mort et je ne sentais plus rien.

    On m’a offert une belle hache de guerre avec un large tranchant, à la mode des esclaves Anglais qu’on ramenait des campagnes contre les Danois. Et le roi m’a mis sur les épaules un lourd haubert d’écailles de fer, pris dans ses arsenaux personnels. J’ai failli tomber, tant c’était lourd ! Et pour finir, un des hommes m’a offert un casque conique à nasal de cuivre doré et un autre (mon oncle je crois, mais j’étais si saoul que je n’en suis pas sûr !) m’a donné un large bouclier de bois cerclé de fer.

    On m’a fait manger des viandes, du gibier, du poisson... Du pain et du miel... Du beurre... Je ne sais plus. J’ai bu. J’ai mangé. J’ai vomi.

    J’ai dormi. J’ai bu. Et encore, encore...

    Au bout de quelques jours, le roi m’a convoqué.

    - Alors, mon fils ? Maintenant que tu es un homme, Harald Jornson, il va falloir que je te confie une mission.

    - J’aimerais devenir votre húskarl, seigneur.

    - Comme beaucoup d’hommes ici, fils. Mais tu es trop jeune !

    D’autres ont la barbe plus longue et des cicatrices gagnées au combat qui te feraient blanchir comme une femme si tu les voyais.

    Le rouge de la honte me montait aux joues ! Finalement, j’allais quand même me retrouver à garder des moutons ! Le roi vit mon humiliation et éclata de rire.

    - Ne t’en fais pas, tu auras bien assez tôt l’occasion de mourir pour moi, fils ! Non, j’ai pensé à une autre mission, toute aussi importante pour moi. Peut être même plus importante que d’être mon garde personnel.

    Je me suis redressé, le cœur battant. Une mission ? Plus prestigieuse que de garder mon roi et de mourir pour lui ! Il pose sa main sur ma joue et redresse mes yeux à la hauteur des siens...

    - Je te confie la vie de mon fils adoptif, le fils du roi que servait ton père, le jeune prince Olaf. Il a le même âge que toi et va partir chez les Francs étudier leur façon de vivre. Accompagne-le !

    Sers-le ! Protège-le ! Il est ton futur roi, par tous les dieux... Alors tu seras son garde personnel.

    J’étais heureux ! Si heureux ! Les jours qui ont suivi ont été de miel pour moi... Et de vinaigre pour ma pauvre mère ! On lui avait pris son homme, et maintenant on lui prenait son fils. Elle avait toujours Fritt et Greta, mes deux sœurs, et bien sûr le petit Svein, mon jeune frère, mais elle pleura tous les jours jusqu’au départ.

    Le jeune Olaf, mon prince, était assez jovial. Grand et bien fait, il avait les cheveux blonds de son père et les yeux d’eau pure de sa mère. Une petite barbe blonde lui courait au menton et ses poignets étaient déjà forts et larges. Il portait au cou la croix des chrétiens car sa mère l’avait fait baptiser dans sa troisième année en même temps qu’elle, mais il n’y accordait pas d’importance.

    Je me souviens combien il soupirait quand il devait aller écouter les moines raconter la vie de leur seigneur. L’un d’entre eux tenta de m’arracher le petit marteau de Thor que je portais au cou, en me criant que j’allais brûler en enfer si je ne servais pas le jeune dieu ! Il garda la marque de mon poing sur sa joue durant neuf jours, et son nez ne fut plus jamais droit. Il s’en est plaint au roi Sigurd, bien sûr, mais celui-ci le renvoya en riant : « les jeunes hommes ont le sang chaud, prêtre ! Garde le tien bien froid pour ne pas avoir envie des femmes, puisqu’on te l’interdit ! »

    Le neuvième jour du printemps de l’année 1008, alors que les glaces quittaient enfin le fjord où le roi Sigurd tenait sa grande maison forte, j’ai embarqué avec mon prince et vingt solides guerriers à bord du Sockeye, le « saumon rouge », un esnecke que le roi avait offert à son fils pour ses voyages. Soixante pas de long, neuf de large, un mât central qui faisait cinquante pas du sommet à l’emplanture, une large voile carrée aux rayures blanches et rouges et une proue en forme de monstre aux crocs pointus pour effrayer les mauvais esprits de la tempête.

    Les hommes ont commencé à ramer, le vent était bon, et j’ai fixé ma mère du regard autant que j’ai pu. Elle pleurait et, Thor me pardonne, je pleurais aussi. Mon prince faisait le fier et avait un petit sourire supérieur en me regardant verser mes larmes, pourtant je jure devant Odin que je le vis pleurer à son tour quand nous doublâmes le bout du fjord pour nous engager dans la mer grise.

    Le voyage a duré vingt-deux jours. Quand le vent était bon, nous ouvrions la voile en grand et notre navire était ardent. J’aidais à étarquer les bouts quand il le fallait, et tout le monde se mettait à la rame quand le vent tombait. J’y ai gagné de rudes courbatures et une largeur d’épaule... Les hommes parlaient peu, et c’est là qu’on m’enseigna à toujours garder mes ongles très courts quand je monte sur un bateau. C’est Bragi l’ancien qui me raconta la tradition, un soir que nous avions dressé le camp sur une plage de sable gris au large des côtes flamandes.

    Je me revois, assis autour du feu aux flammes bleues du bois flotté avec les autres hommes. Knutt et Grugni ont maraudé un porc dans une ferme des environs, et nous dévorons la chair grasse et goûteuse, heureux du changement après cinq jours de poisson séché. L’outre de bière passe d’homme en homme et j’en bois ma part comme les autres. Mes ongles commencent à être longs au bout de dix jours de navigation, et soudain Bragi l’ancien me tape sèchement sur les doigts avec le manche de son couteau !

    - Tes mains, Harald Jornson !

    - Quoi, mes mains ! », grognais-je en me massant mes doigts douloureux.

    - Tu portes les ongles longs ! Es-tu donc fou ?

    - Eh bien, quoi ? Ce n’est pas si grave !

    - Si, pauvre idiot. C’est grave !

    Je me dis que l’ancien a trop forcé sur l’outre de bière et je me prépare à le moquer un peu quand je vois les autres hommes approuver.

    - Explique-moi, Bragi l’ancien ! En quoi mes ongles peuvent-ils poser problème ?

    - Au fond des enfers règne la sinistre Hel. Tu en as entendu parler ?

    - Oui bien sûr ! La reine des morts... Son cœur est de glace et elle n’aime rien.

    - En effet ! Eh bien vois-tu, Harald Jornson-aux-grands-ongles-sales... Hel fait construire un bateau par ses esclaves. Le Naglfar !

    Et ce bateau est construit... avec les ongles des morts ! Quand le bateau sera fini, ce sera le Ragnarök ! La fin des temps ! Les morts au cœur mauvais embarqueront sur ce bateau maudit et viendront tuer les vivants. Es-tu donc pressé de déclencher la fin du monde, Harald Jornson-aux-grands-ongles-sales ?

    - Bien sur que non !

    - Alors coupe tes ongles ! Sur un navire, la mort n’est jamais loin :

    tempête, maladie, mauvais vent, ennemi... Les Nornes au cœur changeant peuvent couper ton fil facilement. Alors, tiens-toi toujours prêt : la lame au côté et les ongles courts !

    Depuis ce jour, j’ai toujours coupé mes ongles au plus court...

    Nous sommes arrivés chez les Francs sous une pluie glaciale. Nous avons remonté un grand cours d’eau qu’ils nomment la Seine, jusqu’à la ville de Rouen. C’est là que nous avons été accueillis par Reidar, l’envoyé du roi Sigurd chez les Francs. C’était un bel homme et sa femme, Ragnhild, lui avait donné six belles filles. Ils avaient une servante, Jannike, que j’ai vite appris à respecter comme la seconde femme de Reidar. Il s’était plié aux coutumes des Francs et n’avait officiellement qu’une seule épouse. Il portait d’ailleurs au cou une croix de bois, en signe de son allégeance à la foi du jeune dieu. Mais il avait gardé la tradition des concubines, et la belle Jannike aux cheveux de feu partageait sa couche aussi souvent que la blonde Ragnhild.

    Mon séjour chez les Francs s’est bien passé, et j’ai même découvert Paris, leur grande ville, que mon ancêtre Ulrik-le-cheval-brun avait rançonnée et dont il avait mis ses faubourgs à sac, aux côtés du grand Ragnar Lodbrok... C’était le bon temps ! Les esclaves et l’argent avaient coulé à flot pendant de nombreuses années grâce à ce pillage, ma famille avait même eu deux anciens hommes d’armes pour travailler dans les champs, et l’un de mes oncles avait pris comme concubine une femme religieuse vouée au célibat, qui lui avait donné neuf enfants tous bien gaillards !

    Six générations plus tard, c’est par la grande porte et sans combat que j’y rentre. Les églises sont riches, mais les rues sont repoussantes. Contrairement à chez nous, on n’y marche pas sur des passerelles de planches bien sèches mais dans le bourbier des déchets du peuple. Un mauvais caniveau court au milieu des rues et on y trouve de tout : excréments, déchets, cadavres d’animaux...

    Et les porcs et les poules mangent tout ça au milieu des camelots et des passants. Encore aujourd’hui, cette ville m’a laissé un étrange souvenir, de majesté et de répugnance.

    C’est là que j’ai rencontré Jacques Rouget, un jeune Franc qui servait comme moine à Rouen. Il rendait visite à Reidar chaque semaine pour s’assurer du « bien-être de son âme », comme il disait. Il y avait quelque chose dans son regard, une flamme ! Je parlais mal le Franc, mais lui avait appris notre langue de Reidar et nous avons commencé à discuter. Je lui ai appris le hnefatafl⁷ sur mon petit jeu en bois de rennes, et lui me montra le jeu d’échecs. Nous partagions le vin et le pain tout en jouant, et lui me parlait de sa foi et moi de la mienne.

    Mon mépris pour le jeune dieu, ce faible qui s’était laissé crucifier, a diminué progressivement. Il s’était offert en sacrifice pour apitoyer son père, un dieu colérique et jaloux. La ressemblance avec Balder, notre dieu Blanc au cœur pur, m’a touché et j’ai accepté d’écouter les histoires sur ce jeune dieu. Au printemps de l’année suivante, à la fête que les chrétiens nomment Pâques, j’ai reçu le baptême en même temps que mon prince ! Car le jeune Olaf, mon seigneur bagarreur, était lui aussi convaincu par la foi en ce jeune dieu généreux. Nous avons été baignés, presque nus, dans une grande vasque de pierre creusée dans le sol, on nous a offert de nouveaux vêtements, totalement blancs et du pain frais que l’archevêque Robert de Rouen nous donna lui même.

    C’est ce jour là que je suis né pour la deuxième fois.

    J’ai fait fondre mon marteau d’argent pour en faire une petite croix, et je l’ai porté pendant bien des années. À la fin de l’hiver suivant, la veille de mes seize ans, un messager est arrivé du royaume.

    Neuf bateaux naviguent pour mener des expéditions, et le roi Sigurd veut qu’Olaf en prenne le commandement pour piller les provinces Anglaises des Danois. Je crois qu’il a peur que les histoires des moines lui retournent la tête et qu’il ne se fasse lui-même moine !

    Nous avons mené la vie de viking pendant trois longues années, pillant et rançonnant les Anglais durant les saisons d’été, faisant commerce de peaux et de fourrures quand l’automne arrivait.

    Chaque été nous a trouvé riches d’or, d’argent et d’esclaves, il n’y avait que les moines pour s’inquiéter de nous voir ramener des esclaves chrétiens, nous qui portions la croix... Mais le commerce, c’est le commerce ! Toute proie est bonne à prendre, quand la marmite doit chauffer.

    A l’aube de ma vingtième année, ma mère m’a annoncé que j’allais me marier avec Ebba, la fille du Jarl⁸ de Lofvirk. Elle avait ses quinze printemps et portait le front haut. Brune et les yeux gris, comme sa mère d’origine bretonne, elle avait la peau sombre et les bras forts. On la redoutait pour sa langue acérée qui avait maté plus d’un jeune coq tentant de la séduire...

    J’avais connu l’amour avec des filles de joie, quelques esclaves et des femmes forcées lors de nos attaques, mais la perspective d’avoir une épouse dotée d’un caractère aussi redoutable ne me réjouissait guère ! Il a bien fallu que je me taise, mon père n’étant plus de ce monde c’est ma mère qui décidait pour moi en matière de mariage...

    On échangea les cadeaux durant l’été, des fourrures, des bijoux et des armes ramenées de mes pillages que j’offrais au Jarl de Lofvirk.

    À Ebba, j’offrais une aumônière brodée d’argent et des torons de cuivre dorés que portaient les belles femmes d’Angleterre dans leur chevelure (avant que je ne leur vole, bien entendu...)

    Le Jarl, quant à lui, offrit le banquet de mariage comme c’était la tradition. Presque deux cent convives, dont le roi Sigurd et le prince Olaf, participèrent à mon mariage, et je crois que je fus le seul à ne pas m’y réjouir... Durant trois jours on but au jeune dieu, aux anciens dieux, au roi, à la reine, au royaume, aux mariés... On dévora porcs et moutons, volailles et poissons, gâteaux de miel et pains sombres. Au soir du troisième jour de noces, on apporta (je dirais « conduisit ») Ebba dans la chambre que j’occupais dans la ferme fortifiée du Jarl et nous y avons fait l’amour. Ebba la sombre, Ebba à la langue de vinaigre, comme on l’appelait ! Ce soir, elle devint pour

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