Ma soeur par-delà les siècles
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À propos de ce livre électronique
Ce roman raconte la vie de deux jeunes femmes en quête d’identité, qui ont vécu à des époques différentes des histoires qui s’entrecroisent, comme si elles étaient deux sœurs par-delà les siècles. Toutes les deux ont dû lutter pour gagner leur place, trouver l’amour, et surtout pour avoir le droit de choisir leur propre destin. Ce livre est inspiré de l’œuvre de Jérôme Bosch, peintre néerlandais du XVe siècle, dont Marieke sera l’apprentie, et de son célèbre Jardin des délices, qui servira de toile de fond pour tout le récit.
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Avis sur Ma soeur par-delà les siècles
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Aperçu du livre
Ma soeur par-delà les siècles - Madeleine Fortier
Chapitre 1
Marianne
Mes rêves
« Tu as hérité de mes taches de rousseur et de mon intolérance au soleil. Mais tu as surtout reçu en cadeau l’entêtement de ton père ! », m’a dit un jour ma mère. Elle m’a également transmis ses prunelles vertes, semblables à celles d’un chat.
Mon nom est Marianne. La plus grande du clan Laroche, et, à mon avis du moins, la mieux proportionnée, mes longues boucles brunes aux reflets acajou font souvent des envieuses. Heureuse, tout mon visage s’illumine ; mal à l’aise, la gêne me fait rougir jusqu’à la racine des cheveux.
« Un véritable livre ouvert », dit de moi mon amoureux, Éric. Dans sa bouche, cela ne ressemble pas vraiment à un compliment.
Que lirait-on aujourd’hui dans ce livre ? Je peux vous le dire. On y verrait un profond désenchantement.
Laissez-moi vous raconter mon histoire, vous comprendrez mieux pourquoi.
***
Très douée pour les langues, j’aurais pu me diriger facilement vers le métier de traductrice. Mais ma véritable passion, c’était l’histoire, l’art, et en particulier l’art médiéval.
Mon rêve ? Enseigner à l’université. Mais Éric ne m’encoura-geait pas du tout dans cette voie :
— Tu es beaucoup trop timide et réservée pour devenir professeure. Les étudiants vont se moquer de toi, tu ne sauras pas te défendre.
Ses mots résonnaient en moi tel un glas sonnant la fin de mes aspirations. Chaque fois, mon visage brûlait de fièvre alors que mon corps se transformait en un morceau de glace.
— À t’écouter, je ne réussirai jamais à accomplir quoi que ce soit.
Il aimait me faire sentir inutile, incapable.
— Je te dis la vérité, pour que tu ne te fasses pas d’illusions.
Autrement dit, s’il éteignait en moi confiance et estime, s’il m’écrasait de toute sa méchanceté verbale, c’était pure gentillesse de sa part !
Ces scènes se reproduisaient d’ailleurs à propos de tout et de rien, sur des questions importantes autant que pour des broutilles du quotidien.
Malgré tout, passant outre ses commentaires, j’ai entrepris ma scolarité de maîtrise, désireuse d’orienter mon mémoire sur un sujet qui me tenait vraiment à cœur : la comparaison entre l’art et la société des XVe et XXIe siècles.
Mais mon directeur de thèse, monsieur Falconi, a jugé mon idée trop ambitieuse. « À la place, faites plutôt une recherche sur les liens entre la lumière et l’utopie au Moyen Âge, dans l’architecture gothique et les écrits, particulièrement ceux de l’abbé Suger. ¹ »
Hum… ceci m’entraînait très loin de mon sujet initial. Le tout avait une saveur intellectuelle et philosophique qui plaisait surtout à monsieur Falconi. À moi, très peu.
Je me suis acharnée quelque temps sur ce projet, sans enthousiasme, et sans grand succès non plus. Un échec qui, ajouté aux critiques constantes d’Éric, m’a amenée à mettre fin à mon désir de devenir médiéviste.
Quittant l’université avec beaucoup de chagrin et d’amertume, je me suis retrouvée sur le marché du travail, sans trop savoir où aller et quoi faire. J’ai tâté plusieurs métiers : secrétaire sans aucun doigté, réceptionniste alors que je déteste parler au téléphone… J’ai aussi fait une tentative comme serveuse de restaurant. Mais on m’a honteusement mise à la porte au bout de quelques heures. « Vous êtes une vraie catastrophe ambulante ! » a hurlé le restaurateur tout en ramassant les morceaux du plateau de verre qui m’avait échappé des mains.
Me cherchant moi-même, j’essayais de gagner ma vie en empruntant toutes sortes de voies qui ne menaient nulle part. Rien, mais vraiment rien ne semblait fonctionner. Impossible bien sûr de compter sur le soutien d’Éric. Le désespoir me grugeait peu à peu, et mon sentiment d’inutilité ne cessait de croître, entretenu par l’homme que je croyais aimer.
Puis, un jour, je me suis dit : « Pourquoi ne pas me servir de mes passions dans mon travail ? Pourquoi ne pas tirer profit de mon intérêt pour les langues, la culture et l’histoire ? Pourquoi ne pas tenter ma chance comme conseillère en voyages ? »
C’est comme si, jusqu’à maintenant, j’avais essayé de trouver un emploi en faisant abstraction de ma véritable personnalité.
Mon idée a été rapidement mise en application. Cependant, mon manque de formation dans le domaine a compliqué mes démarches.
S’en sont suivis plusieurs refus cuisants. Jusqu’au jour où j’ai eu la chance et le bonheur de rencontrer Monique, propriétaire de l’agence de voyages Lanthier, dans le Vieux-Montréal.
Espoirs et désillusion
Magnifique ! Quelle luxueuse austérité ! me suis-je exclamée, en apercevant le remarquable bâtiment abritant son agence. Cet édifice du XIXe siècle, bien conservé malgré son âge vénérable, exhibait fièrement d’épais murs de pierre grise et des poutres apparentes patinées par le temps. Des têtes sculptées en surplombaient l’entrée.
Wow ! Voilà un cadre de travail parfait pour une historienne d’art telle que moi !
Il faut croire que mon enthousiasme naturel était revenu, malgré tous les aléas de mes démarches à ce jour.
En cette journée très froide de la fin du printemps 2010, la propriétaire elle-même m’a accueillie chaleureusement.
— Heureuse de vous rencontrer, a lancé la distinguée quinqua-génaire, en me serrant la main.
Son visage lisse, peu maquillé, ne trahissait guère son âge. Quelques rides joyeuses formaient des parenthèses autour de sa bouche.
— Vous savez, madame Lanthier, tout ce qui touche la culture et l’histoire me fascine ; je suis désireuse de parfaire mes connaissances afin de me rendre utile.
— S’il vous plaît, appelez-moi Monique, a-t-elle insisté.
Elle m’a offert une tasse de café, et nous avons parlé à cœur ouvert pendant près d’une heure. Heure durant laquelle elle m’a interrogée sur mes expériences, mes intérêts.
Puis, après quelques instants de réflexion, elle m’a regardée en arborant un large sourire :
— Vos réponses me satisfont amplement. Que diriez-vous de débuter tout de suite ? Vous serez en apprentissage sous mon égide.
Tout s’était passé si vite… Quelle joie ! Mes qualités, mes forces, pourront enfin me servir pour gagner ma vie !
Me saisissant vivement par le bras, Monique m’a fait visiter le bureau, dans lequel la lumière entrait à flots. Elle m’a présentée à deux jeunes femmes, blondes aux yeux bleus, semblables à des jumelles. Deux copies conformes.
— Geneviève, Élise, voici Marianne, qui se joint à l’équipe.
— Bonjour Marianne, se sont-elles exclamées en chœur. Bienvenue !
Puis elles sont retournées à leur ordinateur.
Monique m’a ensuite montré mon bureau, un espace austère, sans fenêtre. Mais cela m’importait peu. C’était mon cubicule à moi, que je pourrais, m’a-t-elle assuré, décorer à ma convenance.
***
Femme d’affaires jusqu’au bout des ongles, Monique a su s’ajuster aux attentes changeantes de la clientèle. Elle m’a sans doute choisie parce qu’elle a perçu chez moi cette même capacité d’adaptation.
— Tu rencontreras des gens qui cherchent des voyages simples, faciles, sans trop de dépaysement. Des gens qui désirent seulement se déplacer, sans s’impliquer. Des gens qui ne tiennent pas à s’imprégner de l’atmosphère des lieux.
Bof… pas réellement excitant.
— Mais tu en rencontreras d’autres aussi, plus rares, qui voudront approfondir la culture et l’histoire des pays visités. Et toi, tu seras capable, j’en suis convaincue, d’apporter à tous ces clients des réponses adéquates et professionnelles.
Cette femme énergique a tenu sa promesse en me prenant sous son aile. Elle s’est évertuée, disait-elle avec fierté, « à m’enseigner les rudiments du métier ».
Les premières semaines se sont avérées très chargées : maîtriser le système informatique, m’informer sur les destinations demandées par les clients, apprivoiser mes deux collègues. Celles-ci adoraient discuter des derniers épisodes des téléromans qu’elles avaient écoutés ou encore des films à la mode. Quels échanges inspirants ! Nos différences de goûts et de passe-temps étaient aussi visibles que le nez au milieu de la figure.
Au moins, les conversations avec Monique me réconfortaient. Mais pas trop souvent ni trop longtemps, afin de ne pas attiser la jalousie.
Cependant, au fil des semaines et des mois, mon enthousiasme initial s’est mué de plus en plus en une amère déception. Je croyais que préparer des itinéraires et communiquer des informations sur des lieux de villégiature me permettraient d’explorer des pays par procuration. En effet, prendre l’avion m’était devenu pénible, voire même impossible, des maux de tête intolérables m’assaillant à chaque atterrissage.
Malheureusement, la plupart de mes clients voulaient un périple sans dépaysement. Je les appelais par-devers moi : des voyageurs en fauteuil.
Ces précieuses informations que je brûlais de leur transmettre les laissaient de glace.
Voici quelques échantillons des questions les plus fréquentes :
— Combien pourrait nous coûter un forfait tout inclus pour Cuba ? Nous ne désirons pas explorer les environs, mais plutôt demeurer à l’hôtel pour profiter des commodités.
Ou encore :
— Quels sont les tarifs pour un circuit en Europe ? Nous voulons voir tous les monuments célèbres.
Jeunes mariés préparant un voyage de noces confortable et banal qu’ils souhaitaient inoubliable, nouveaux riches anxieux de jeter de la poudre aux yeux, touristes soucieux de collectionner les endroits visités tels de vulgaires trophées…
Monique m’avait avertie, pourtant. Mais… l’espoir fait vivre !
Quelle désillusion ! Et aussi quelle frustration ! Souvent, un ordinateur aurait pu me remplacer. Ces clients n’avaient-ils pas, contrairement à moi, les moyens, le temps et surtout la santé physique pour se déplacer autant qu’ils le désiraient ? Pourquoi ne voulaient-ils pas en profiter à fond ?
Aucun doute, nous n’avions pas la même conception d’un voyage.
Pour moi, cela a toujours signifié : approfondir la culture d’un endroit, connaître les habitants, comprendre ce qu’ils vivent dans leur quotidien. Mais pour eux…
Pourquoi aller ailleurs si on revient chez soi en tout point semblable à ce qu’on était avant de partir ? me demandais-je souvent.
Fort heureusement, quelques-uns de mes clients attendaient de moi des informations précises, des détails, des conseils, des recommandations. Plaisir rare, d’autant plus apprécié.
***
Cinq longues années se sont ainsi écoulées. Me voici maintenant au seuil de mes trente ans. Une douloureuse sensation de vacuité m’envahit de plus en plus. Mes