Épis Rouges: Polar en pays breton
Par Serge Guéguen
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À propos de ce livre électronique
C’est pour un banal vol de pommes dans un petit village de Bretagne, qu’Anaïs, jeune fille à peine majeure, est arrêtée par les gendarmes. À l’issue de son contrôle d’identité elle est accusée du meurtre de son père et condamnée à douze ans de prison.
Mais est-elle vraiment coupable ? Son nouvel avocat n’y croit pas. Avec un ami, ancien gendarme comme lui, ils vont essayer de prouver son innocence. Y arriveront-ils ?
Un voyage dans le monde paysan où le meilleur et le pire se côtoient.
EXTRAIT
Une douce lumière filtrait à travers les volets clos aux lamelles disjointes. C’était la pleine lune et une couleur bleutée fantomatique enveloppait la bâtisse en pierre de granit gris si caractéristique de cette Bretagne aux légendes multiples. Les rais de lumière caressaient chaque partie du visage de Marilyne au fur et à mesure que la nuit avançait. Bientôt ils descendraient le long du lit et disparaîtraient au petit matin avec l’arrivée du soleil.
La délicatesse des traits de l’agricultrice contrastait avec le caractère bien trempé de cette passionaria du monde paysan régional. Dans le petit village, Marilyne que l’on appelait communément Line, était une figure respectée de la communauté. Leader d’un syndicat agricole, elle défendait avec ardeur et vaillance l’agriculture naturelle. Pourfendeuse des tarifs pratiqués par les grandes surfaces à l’égard des exploitants agricoles, elle avait participé quelques jours auparavant en compagnie de ses amis aux comptes bancaires écarlates au déversement devant la sous-préfecture de plusieurs tonnes de lisier nauséabond.
Habituellement Line dormait d’un sommeil profond mais cette nuit était peuplée de fantômes où les revenants venaient « lui tirer les pieds » selon l’expression populaire.
Le grondement de Betsy sa chienne, un Colley aux poils multicolores, la sortit de son cauchemar. Assise en tailleur, les cheveux bruns collés sur son front, Line tendit l’oreille.
— Tu as raison ma belle, il se passe quelque chose…
À PROPOS DE L'AUTEUR : Serge Guéguen
Je suis un écrivain français. Ma date de naissance n'a que peu d'importance, mais sachez que les cheveux blancs sont bien présents. Quant à ma carrière professionnelle elle a été riche en rencontres et mes voyages m'ont beaucoup inspiré.
Depuis les années quatre-vingt j'écris des scénarios, des pièces de théâtre, des nouvelles et des romans policiers.
Dans tout ce que j'écris, il y a une part de moi-même qui transpire alors à vous de trouver. Je pense, par ailleurs, que vous pouvez passer un bon moment en compagnie de mes héros.
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Aperçu du livre
Épis Rouges - Serge Guéguen
racines.
Chapitre 1
Une douce lumière filtrait à travers les volets clos aux lamelles disjointes. C’était la pleine lune et une couleur bleutée fantomatique enveloppait la bâtisse en pierre de granit gris si caractéristique de cette Bretagne aux légendes multiples. Les rais de lumière caressaient chaque partie du visage de Marilyne au fur et à mesure que la nuit avançait. Bientôt ils descendraient le long du lit et disparaîtraient au petit matin avec l’arrivée du soleil.
La délicatesse des traits de l’agricultrice contrastait avec le caractère bien trempé de cette passionaria du monde paysan régional. Dans le petit village, Marilyne que l’on appelait communément Line, était une figure respectée de la communauté. Leader d’un syndicat agricole, elle défendait avec ardeur et vaillance l’agriculture naturelle. Pourfendeuse des tarifs pratiqués par les grandes surfaces à l’égard des exploitants agricoles, elle avait participé quelques jours auparavant en compagnie de ses amis aux comptes bancaires écarlates au déversement devant la sous-préfecture de plusieurs tonnes de lisier nauséabond.
Habituellement Line dormait d’un sommeil profond mais cette nuit était peuplée de fantômes où les revenants venaient « lui tirer les pieds » selon l’expression populaire.
Le grondement de Betsy sa chienne, un Colley aux poils multicolores, la sortit de son cauchemar. Assise en tailleur, les cheveux bruns collés sur son front, Line tendit l’oreille.
— Tu as raison ma belle, il se passe quelque chose…
D’un geste rapide, elle découvrit son lit et se leva. Les rayures des volets se dessinaient sur son corps nu aux courbes parfaites. À l’approche de la cinquantaine, ses seins s’étaient très légèrement affaissés et ses hanches un peu plus arrondies. Beaucoup de prétendants l’avaient courtisée, mais aucun n’avait le charme de Loïc, l’homme de sa vie, décédé quelques années auparavant. Elle enfila une culotte en dentelle noire posée sur le fauteuil en osier et se glissa dans sa combinaison de travail verte. Pieds nus et suivie de Betsy, elle descendit jusqu’à la grande salle à manger où elle enfila ses bottes. Près du buffet en chêne massif orné de dorures en laiton, elle ouvrit l’armoire en bois verni et s’empara d’un des fusils de chasse rangés les uns à côté des autres. Tous avaient une histoire, l’un appartenait à son père, l’autre à son mari, un troisième à son frère… Elle prit celui aux canons superposés que lui avait offert son aïeul pour ses quinze ans, ainsi qu’une boîte de munitions. Line sortit dans la cour l’arme cassée sur son bras comme le font tous les chasseurs. Au loin, Betsy avait déjà plusieurs longueurs d’avance.
Tout en marchant à pas feutrés, elle engagea deux cartouches dans l’arme et écouta attentivement dans la nuit claire. Les bruits semblaient venir de la grange où elle entreposait son foin et les pommes de son petit verger. Depuis quelques semaines, en plus des difficultés d’écoulement des marchandises, des incendies criminels avaient ravagé trois hangars dans un rayon de cinquante kilomètres aux alentours du bourg.
Alors que Line n’était plus qu’à une dizaine de mètres du portail coulissant fermant le bâtiment, celui-ci s’ouvrit doucement et une silhouette se faufila le long du mur de pierres.
— Arrête, hurla Line en tirant un coup de fusil en l’air, sinon la prochaine est pour toi.
La chienne s’avança et grogna à l’approche de cette ombre projetée sur les pierres disjointes de la remise.
— Ne tirez pas s’il vous plaît, plaida une jeune voix féminine.
— Qu’est-ce que tu foutais dans ma grange ?
— Je souhaitais juste manger, Madame.
— Mon cul, tu voulais me taxer mes fruits pour les revendre, à genoux et mains derrière la tête, intima Line en oscillant son arme de haut en bas.
La jeune fille s’agenouilla.
Maintenant on va attendre tranquillement les gendarmes, déclara la fermière en composant le numéro de la gendarmerie de Gourin.
Rapidement la lumière bleue du gyrophare éclaira de façon lugubre la cour de la ferme.
— Tiens voila la cavalerie, ironisa Line, vous n’avez pas mis longtemps pour arriver !
— On patrouillait sur la route de Runellou, répondit le maréchal des logis Lagadec en descendant du break.
— Maintenant tu peux baisser ton arme on va emmener ta voleuse, tu souhaites porter plainte ?
— Non, faites lui passer le reste de la soirée en taule, ça lui servira de leçon.
— Comme tu veux, bonne fin de nuit, réagit Lagadec tandis que son collègue poussait la jeune voleuse à l’arrière du véhicule de service.
— Merci, à toi aussi, tu viens Betsy, répondit Line en retournant vers sa maison.
Le maréchal des logis avait grandi dans le village d’à côté avant de s’engager dans la gendarmerie mobile.
— Vous la connaissez bien on dirait, interrogea le gendarme Duclos, nouvellement affecté à la brigade.
— Oui, nous avons grandi ensemble la propriétaire des lieux est une amie d’enfance, on a même brièvement flirté pendant notre adolescence.
Les phares de la voiture éclairèrent la façade du corps de ferme pendant le demi-tour. L’habitation principale était bordée par deux bâtiments, à droite la grange close et à gauche la remise pour le stockage du matériel, ainsi qu’un atelier de réparation de machines agricoles.
— Et alors, insista Duclos, tandis que sur la banquette arrière, les menottes aux poignets la jeune fille sanglotait.
— Jusqu’à l’âge de seize ans elle a vécu ici et puis un jour elle a disparu.
— Disparu ?
— Oui, jusqu’à ce qu’elle revienne cinq ou six années plus tard en compagnie de Loïc.
— Son mari ?
— Oui, c’était un gars d’à côté, ses parents avaient une ferme à la sortie de Rosterc’h.
— Ils n’ont pas eu d’enfants ?
— Si, un garçon mais il est décédé dans un accident de voiture en compagnie de son père du côté de L’Abbaye de Langonnet.
— Il avait bu où il allait trop vite ?
— On ne sait pas, il a loupé un virage et l’auto a pris feu.
— Oh putain, c’était il y a longtemps ?
— Cinq ans, c’est au moment où je suis arrivé à la brigade.
— Et maintenant elle vit seule dans cette grande ferme ?
— Oui, la mort plane sur cette exploitation. Avant qu’elle ne revienne au pays c’est son frère qui a quitté ce bas monde. On l’a retrouvé pendu dans le grenier de la ferme.
— Et ben, elle n’a pas eu de chance !
— Comme tu dis, répondit Lagadec en se garant dans la cour de la gendarmerie.
Le gendarme sortit la jeune femme du véhicule et la conduisit à l’intérieur du petit immeuble officiel abritant à l’étage les logements du personnel et au rez-de-chaussée la partie administrative de la brigade.
Après le départ des militaires, Line avait mis en route la cafetière électrique. La pendule de la cuisine indiquait cinq heures trente-trois. Assise sur le banc de bois patiné par le passage de plusieurs générations des Le Ny, Line se versa un nouveau bol de café noir.
— La journée va être interminable, dit-elle en caressant les longs poils de Betsy.
Comme souvent, son regard s’arrêta sur le portrait de son mari posé sur le buffet en bois massif.
— Tu aurais fait quoi à ma place, demanda Line à la photo en papier glacé. Je sais, tu commencerais par m’imposer de me souvenir, de ne pas oublier d’où je viens et de me rappeler que tout le monde a droit à une seconde chance. Par pur réflexe, j’ai préféré appeler les gendarmes. Tu peux l’imaginer cela !
La chienne posa sa patte sur la cuisse de sa patronne comme si l’animal comprenait la détresse qui gagnait la fermière. Les souvenirs revinrent violemment à sa mémoire. Elle se revit trente ans plus tôt à cette table avec ses parents et son frère.
Le visage de cette mère si proche lui apparut comme un flash-back. Dernière d’une fratrie de cinq, élève brillante et douée en dessin, sa maman avait choisi de s’orienter vers les métiers d’art et c’est tout naturellement qu’elle réussit à entrer à l’école Boule. Elle revenait régulièrement à la ferme des bords de l’Ellé. Au bal du 14 juillet, elle rencontra Joseph, dit Job. Un gaillard rouquin aux yeux verts d’un mètre quatre-vingt-dix aux épaules de déménageur. Deux mois plus tard, la jolie blonde se retrouva enceinte de Julien. Finie la carrière artistique, retour à la traite des vaches pour la frêle étudiante. Trois ans plus tard, naissait Line, qui devint une jeune fille aux cheveux auburn à la taille fine comme l’avait été sa mère au même âge.
Malheureusement le destin frappa tragiquement la famille avec la mort prématurée de celle qui les avait choyés, balayée par un cancer foudroyant du pancréas à l’âge de quarante ans. Ce décès perturba l’équilibre familial et entraîna ses membres dans une spirale infernale.
Le premier à être touché par cette descente aux enfers fut son père, qui, comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, bascula rapidement dans l’alcool. Circonstance qui entraîna la violence et des dépenses inconsidérées au profit de jeunes femmes aux charmes tarifés arpentant nuitamment les trottoirs du port de Lorient en tenue légère.
Pour Julien, l’aîné, le choc fut encore plus rude. En pleine adolescence, ses résultats scolaires s’effondrèrent et les séjours à l’hôpital psychiatrique se multiplièrent. Il dut revenir à la maison pour suppléer le chef de famille de plus en plus défaillant dans la gestion de l’exploitation. Rapidement le père et le fils entrèrent en conflit. La violence physique succéda aux paroles acerbes. Seule Line semblait épargnée par cette mort brutale jusqu’à cette fatale journée de juin qui scella son destin pour quelques années.
La jeune fille venait de passer le bac de français avec succès et rentrait à la maison. Le car de ramassage scolaire l’avait déposée à quelques encablures de la ferme. La chaleur de l’été était déjà très présente dans la campagne morbihannaise. Les épis de blé se tendaient vers le ciel tel des pics de plus en plus acérés. La récolte devrait être bonne aux dires des paysans du village, ce qui n’était pas du luxe après deux années calamiteuses dues à des pluies à répétition.
Line traversa la cour de la ferme et pénétra dans la maison fraîche qui à cette heure de l’après-midi était calme et sans bruit. Les hommes étaient aux champs en ce début d’été aux longues journées et au travail abondant.
— Papa tu es là ? appela Line par acquis de conscience.
Seul le tic-tac de l’horloge à balancier lui répondit. Elle posa son cartable sur la longue table en bois et se dirigea vers la salle de bains, seule entorse à la rusticité de la ferme familiale. La chaleur régnant à l’intérieur du car non climatisé obligea Line à prendre une douche pour évacuer les effluves et la transpiration dont la seule trace visible était ses mèches auburn collées sur son front.
Elle se déshabilla et jeta ses vêtements dans la corbeille à linge sale qu’elle viderait après sa douche pour faire une lessive : charge qu’elle assumait comme beaucoup de jeunes filles dans les fermes. Elle régla le jet pour qu’il soit à la bonne température. L’eau coulait sur son visage et ruisselait sur son corps encore vierge de toutes caresses intrusives. Au bout de longues minutes de bien-être, elle prit sa serviette et se sécha. Son regard se tourna vers la porte qu’elle avait laissée entrouverte. Elle sentit une présence, une sorte d’instinct la mit en alerte. Ceint de sa serviette elle écarta rapidement l’ouverture, personne.
— Tu deviens folle ma vieille, se murmura Line, en continuant de se sécher.
Un craquement vint renforcer son intuition, elle se précipita dans sa chambre et enfila rapidement un jean et un t-shirt blanc. Pieds nus, elle se hâta dans la cuisine et prit un long couteau effilé dans le tiroir à ustensiles. Munie de cette arme, elle commença à inspecter le rez-de-chaussée. Puis elle remonta à l’étage et ouvrit les portes une par une, son cœur battait la chamade. Il ne lui restait plus qu’à contrôler la pièce où l’on entreposait les malles et autres vieilleries, ainsi que les affaires de sa mère que personne ne s’était résolu à jeter. Elle ne pénétrait que rarement dans cette pièce qui lui faisait peur.
Elle tourna lentement la poignée et entrouvrit la porte. Un léger grincement indiqua sa présence à un éventuel cambrioleur. Line serra un peu plus fort le couteau. Par l’entrebâillement elle n’aperçut rien, seulement des ombres ondoyantes sur le sol du parquet sombre mal entretenu où l’on pouvait voir des pas. Comme si quelqu’un avait récemment pénétré dans ce lieu. Il sembla à Line que des choses bougeaient au gré du vent s’engouffrant par la fenêtre béante. Elle s’écarta dans le couloir et donna un violent coup de pied dans la porte pour l’ouvrir complètement. Au milieu de la pièce accrochée à la poutre principale de la charpente, le corps de son frère balançait légèrement. Julien avait la tête penchée sur le côté et les bras ballants. Au sol un tabouret était renversé. Sur la malle où étaient stockés les souvenirs de sa mère, une feuille de papier blanc était punaisée.
Line se précipita en hurlant pour essayer de décrocher son frère, mais il était trop lourd. Elle redressa le tabouret et grimpa dessus pour couper la grosse corde de chanvre qui servait habituellement à attacher les taureaux. La lame très affûtée trancha net le cordage. La jeune fille essaya de retenir son frère. Ce dernier chuta lourdement sur le sol. Line commença à mettre en pratique tout ce qu’elle avait appris en matière de secourisme pour le ranimer. Rien n’y fit. Deux heures plus tard, après le passage des pompiers et des gendarmes, son père arriva, ivre comme à l’accoutumée.
Les obsèques eurent lieu deux jours plus tard dans le petit cimetière de Plouray. Après le décès de son frère, Line n’adressa plus la parole à son père car elle savait que c’était à cause de lui que Julien avait mis fin à ses jours. C’est ce qu’il avait mentionné dans sa dernière lettre. Il y énumérait les vexations et autres coups que son père lui faisait subir, ainsi que le chantage à l’hôpital psychiatrique dans lequel il menaçait de l’enfermer à vie. Line culpabilisait de ne pas avoir vu la détresse de son frère. Elle avait senti les tensions entre les deux hommes, certes elle les avait séparés quelques fois, mais comme dans la journée elle était au lycée…
Au fil des semaines la jeune fille ne supporta plus la présence de son père et un matin à la descente du car scolaire elle ne regagna pas le bahut. Elle en prit un autre pour rejoindre la gare de Lorient et monter dans le premier train en direction de Paris.
Pendant quelques jours, elle put se payer une chambre d’hôtel avec l’argent qu’elle avait subtilisé dans l’armoire de son père. Puis elle traîna dans la