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De retour: Roman
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Livre électronique207 pages2 heures

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À propos de ce livre électronique

Paul, de retour dans sa région natale, redécouvre les terres de son enfance à la recherche des êtres et des lieux qui ont peuplé sa mémoire.

Après une trentaine d’années à l’étranger, Paul devance sa retraite, quitte l’Uruguay et revient dans sa région natale vers un héritage des plus inattendus. Il avance à pas comptés sur les terres de son enfance. S’est produite ici la rencontre décisive d’une femme, qui a bouleversé à jamais l’adolescent qu’il était. Mais, près d’un demi-siècle plus tard, que sont devenus les êtres et les lieux qui ont peuplé sa mémoire ? Le désir de s’en rapprocher à nouveau est aussi nécessaire que redoutable. Peu à peu, le passé se révèle et altère images et souvenirs que l’éloignement avait entretenus. Des rencontres, des espoirs, des trahisons, des soupçons, des idylles surgissent à l’improviste. Et des baisers se posent là où on ne les attend pas.
Avec une précision horlogère, l’auteur tente de remonter l’implacable mécanique du temps. Un parcours au fil duquel on peut tout autant se perdre que se retrouver. Mais est-il possible de rebrousser chemin sans s’égarer ?

Au travers d'une immersion dans les souvenirs de Paul, laissez-vous porter par ce roman poignant en compagnie d'un homme qui se laisse gagner par les rencontres et les espoirs surgis de nulle part.

EXTRAIT

Ma première vraie promenade à pied, je l’ai accomplie le long des rives de l’Arfeuillette. Gosse, je passais des heures au bord de l’eau. La mère d’Henri préférait me voir gambader là qu’autour de la retenue « où tu pourrais tomber et te noyer ». J’avais beau expliquer que je savais barboter et me tirer d’un mauvais pas, elle n’en démordait pas. « Ce sera le ruisseau ou rien! »
Ainsi l’ai-je connu avec une précision de géomètre. J’en dessinais les contours sur un gros cahier où, page après page, je notais aussi le détail de mes visites et donnais un titre à chacun des emplacements: Le courant des goujons, Le dormant des libellules…
La voilà cette filiation ignorée avec l’oncle et son goût personnel pour fournir des commentaires à ses observations. Qu’est devenu mon volumineux calepin? J’y songe en progressant sur les berges. Surpris par l’étiage, j’éprouve une grande difficulté à identifier, réactualiser mes fiches anciennes. L’eau est claire, mais je l’avais connue plus transparente encore. Ma vue, moins bonne sans doute, me prive-t-elle de ce repérage éclair du poisson que je contemplais naguère sans provoquer sa fuite?
Une maigre compagnie de vairons, voilà tout, en bordure d’un herbier avec lequel ils se confondent en ondulations. À l’entrée du bosquet, là où le ruisseau prend de la pente et zigzague entre les rochers, j’ai lâché les quelques sauterelles dénichées dans le pacage. Leur dérive n’a pas été engloutie par des truites dont c’était le territoire favorable. J’ai trouvé des cèpes sous les chênes et n’ai cueilli que les champignons que je pouvais emporter dans mes mains. En octobre, enfant, j’avais déjà quitté le moulin, retrouvé l’école. Bien plus tard, je suis sur des traces sans mémoire et vers des saisons qu’ici je n’ai jamais vécues.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Daniel Taboury a fait le choix à la fin des années 70 de s’installer à la campagne. Sans doute pour vivre près des eaux et des poissons, - une passion déterminante - et prendre son temps pour concilier son métier d’enseignant avec l’écriture.
Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur la pêche et les poissons (nouvelles, essais). Tout récemment, il a signé Le Dico insolent de la Pêche (2015).
Plusieurs romans ont été publiés aux éditions Lucien Souny, dont Silence de plomb (2017), Le Triton du diable (2000, poche 2017) Les Noces de copeau, et À contre-courant.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie18 janv. 2019
ISBN9782848867595
De retour: Roman

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    Aperçu du livre

    De retour - Daniel Taboury

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    À Nanée

    « La vue de Jeanne Gontaud sautant et descendant d’un camion, ravi muet, restant sur place à la regarder, incapable d’un mot. Malheureux enfant et si émotif, il se survit en moi toute ma vie. »

    Paul Léautaud

    Juillet, aéroport international de Carrasco. Déambulation d’un couple anonyme dans la zone commerciale duty free. Cette femme et cet homme n’ont rien à acheter. Sinon du temps, denrée qu’ils épuisent dans des allers-retours comptés. L’avion en direction de Paris-Charles-de-Gaulle ne décollera pas avant quinze heures. La procédure d’embarquement leur laisse environ une heure devant eux. Intervalle impossible à meubler quand il peut s’agir d’une séparation dont le terme est peut-être définitif. Ni l’un ni l’autre ne le sait.

    L’explication de leur dernière nuit dans un hôtel de Ciudad de la Costa réside bien dans ce doute qu’ils n’ont pas levé. Pour des raisons différentes, en partie. Lui – Paul – vient d’en terminer avec ses engagements professionnels qui l’auront retenu à l’étranger. Elle – Sepha –, plus jeune, vit et travaille ici, en Uruguay. Leur liaison se compte plutôt en mois qu’en années. Lui est sur le départ et il n’a pas demandé qu’elle le suive. Elle ne l’aurait pas fait, d’ailleurs. Avec sa fin de carrière, il aurait pu rester là. Ils en ont parlé. Très peu. Voilà déjà des semaines en arrière. Un échange condamné à la stérilité puisque envisager d’autres solutions n’était pas d’actualité. Trop tôt. L’un ou l’autre l’a fait remarquer et ils étaient tombés d’accord.

    Alors, cette dernière nuit fut souvent silencieuse. Ils s’étaient allongés afin que le contact de leur peau ne s’altère pas. Dans une sorte de frôlement permanent qui avait banni tout corps à corps dont ils redoutaient l’extrême vacuité qui s’ensuivrait. Simplement, plusieurs fois, ils s’étaient pris dans les bras en évitant de trop se serrer. Ils se relâchaient, se reprenaient en un mode de douceur fragile. Et ils ne dormirent pas.

    Dans les galeries marchandes, ils se tiennent par la main désormais. Lui s’est senti assez vite mal à l’aise dans cette étreinte juvénile. Il s’en est excusé et la température lui a permis de se justifier sans peine. Elle a pris son bras. Les horloges les lorgnent partout dans ce lieu où les affichages multiples tiennent sur le qui-vive. Ils vont finir par s’intéresser à ces gens en partance ou à ces autres qui ont atterri, qui s’enlacent encore ou qui portent des enfants au cou. Certains leur arrachent des sourires spontanés et, ainsi, le temps se trompe. Ils ne devraient plus échanger jusqu’au moment de s’écarter l’un de l’autre. Ils s’en sont fait la promesse en un bref baiser. Elle a obtenu d’un ami l’autorisation d’accéder au tarmac. Ils en approchent maintenant. Le bagage est en soute.

    À l’air libre, ils éprouvent une peur étrange, inexorable, et sont incapables de l’expulser. Il leur faut fuir chacun de leur côté, sinon le moment redoutable les ensevelira…

    Un point lumineux s’efface dans le ciel. Elle a tourné le dos.

    ***

    En fait, je n’ai plus d’idée précise de l’automne. À bientôt soixante ans, ma mémoire vive avait dû pourtant enregistrer la chute de feuillages rouillés, fripés puis craquants; d’indéracinables brouillards, leur mainmise tenace sur des passants pressés. Un cocktail de clichés. Ne surnagent que de rares images de rentrées scolaires, d’éclairages publics falots… Émergent parfois des traques de gibier en forêt, de brochets dans les grands lacs. Images brouillées: les automnes sont tellement différents sous les très nombreuses latitudes où je me suis retrouvé. Images de bout du monde, images de citadin. Images d’enfance. Je suis passé en aveugle sur cette succession d’automnes. Je n’étais pas un contemplatif; un homme d’affaires pressé, un coureur de sous-bois et de rives, plutôt. Efficacité oblige, au travail comme dans le loisir. Aujourd’hui, je ne suis ni en reconstruction ni en fuite. Je tourne la page. J’entame sur un coup de tête ou par lassitude – la motivation exacte m’échappe – une autre tranche de vie et je sais qu’elle sera la moins longue. C’est la seule évidence que je cerne sans inquiétude. Mon désir devra se limiter à l’instant. J’aurais dû m’interroger sur ma capacité à vivre au jour le jour.

    Je roule sur une route inconnue. Je viens d’acheter une petite voiture: une occasion, deux portes et quatre places. Si peu de bagages sur la banquette arrière. Un fatras dans le coffre. Pêle-mêle: un ordinateur, un fusil dans sa housse, des étuis de cannes à pêche, des bouquins en vrac. Entre autres… Comme si je partais pour un long week-end.

    J’ai tout mon temps pour arriver à destination. La hâte n’habite que ceux qui connaissent le terme de leur parcours. Celui qui se sait attendu accélère; les derniers kilomètres, surtout. À moins qu’il ne flâne volontairement pour jouir par anticipation de retrouvailles. Ni femme ni enfants ne consultent une montre, n’échangent des regards et ne présument de l’heure de mon arrivée. Je peux m’attarder. Appréhender peut-être cette singularité d’automne que de maigres clichés épars ont nourrie. Le ciel est bleu. Règne une douceur étonnante. Ma vitre est abaissée sur des paysages changeants.

    J’ai abandonné sans regret la quatre voies pour traverser le chef-lieu, une ville vite engloutie en un tournis de ronds-points. La route grimpe ensuite dans une forêt, dessert des villages balisés par des circuits touristiques. Un bocage leur succède. Des troupeaux de bovins le peuplent. L’impression de vie au ralenti me gagne. Il est quinze heures. L’autoradio me parle d’été indien. Il distille en sourdine sur cette départementale où je circule maintenant.

    Alternance: pans de résineux, verticalité hérissée des collines; landes et lacs accouplés. Je ne vois qu’un décor que la route impose et je m’en satisfais. La faculté d’étonnement pénalise l’action. Je regarde. Je suis vide de tout commentaire. Je ne suis pas homme à trop bavarder avec lui-même. Du moins, je le crois.

    Je constate. L’automne ne rime pas avec tourbillons de feuilles, blizzard et brumes. L’automne se dessine en azur, en vert glacial des sapinières, en incrustations d’or, de cuivre, de grenat. Je ne parviens pas à vaincre les poncifs. L’imagination s’appauvrit-elle avec l’âge? Elle paresse aussi, sans doute… Une sérénité béate, sinon sotte, me guide. Je connais le terme du parcours. Plus exactement, le nom du village: Arfeuille. Je vais y remettre les pieds après tant d’années d’éloignement. Une histoire assez rocambolesque d’héritage a tout déclenché.

    Plus je me rapproche de ma destination, plus j’éprouve le sentiment encore confus du choc prévisible qui m’attend. Je me suis concentré sur les paysages avec une espèce d’indifférence feinte, une carapace plus dérisoire que je l’aurais souhaité. Tout sera difficile. Je me suis menti sans doute. Depuis mon retour en France – je le ressens –, mes incertitudes ont repris le dessus. À l’étranger, dans le feu de l’action, saoulé parfois par le travail, je ne tergiversais pas. Mes fragilités anciennes s’insinuent et je dois réapprendre à les apprivoiser.

    L’habitacle est propice à mes questionnements. La voiture, à petite vitesse, ronronne… Que de confusions! Tourner la page, toutes les pages, ne peut s’envisager avec détachement. À moins d’être un imbécile. Je sais bien que le passé proche est accroché à moi-même. J’emporte avec moi tout ce qui a construit comme défait mon existence. Je refoule. Je veux croire possible de biffer un si long chemin. Vanité encore, illusoire et stupide. On verra à l’usage.

    Ma démarche est en elle-même contradictoire. Fait-on table rase sur les lieux mêmes de son enfance? Certes, je ne suis venu ici que gamin, adolescent, et jamais depuis ces séjours de vacances je n’ai eu le désir d’y remettre les pieds. Osé le faire, non plus. Le destin. À défaut d’autres mots. Je finirai par y croire! Le destin sous la forme de la lettre d’un notaire m’avisant que je devenais propriétaire d’une bâtisse du bord de l’eau, du moulin de cet oncle que je n’avais jamais revu depuis la fin de mes étés à la campagne.

    Pourquoi moi? N’était-il donc pas parvenu – cet homme dont je me souviens, la quarantaine solide et solitaire – à trouver l’âme sœur, un bâton de vieillesse? Cet oncle dont ma mère ne parlait pas ou plus et que j’avais zappé de ma vie… Cet oncle dont la réalité me rattrape au moment de sa disparition et fait de moi son légataire. Ce tonton – je l’ai appelé ainsi durant tout ce temps – qui, en réalité, m’avait fait héritier sans aucun lien de sang. Je ne l’ai su que bien plus tard.

    Sa disparition aura précipité ma décision. Elle m’offrait une porte de sortie inattendue à cet instant où je cherchais une issue possible. J’hésitais à franchir le pas de mon plein gré. Sinon, tôt ou tard, je serai sur la touche, exclu, recraché par un système qui ne supporte pas ses futurs vieux.

    J’ai arrêté la voiture un peu avant Arfeuille. J’ai posé mon cul sur le promontoire du fossé et j’ai fumé une cigarette. Si je ne parviens pas à saisir l’intensité de l’instant, je suis bon pour faire demi-tour. Il faut que j’avance pas à pas, que je devienne ce maçon patient de sa propre reconstruction. Au jour le jour. Moi qui n’ai vécu que dans la prospective, les plans, les projets à long terme!

    Sur ce dôme miniature entre fougères cramoisies et bruyères, j’aperçois au lointain le village. Je suis installé au sommet d’une bosse franchie naguère combien de fois sur mon vélo! La perspective ne me semble pas considérablement modifiée. Je ne cherche pourtant pas à retrouver des lieux à l’identique. Je ne suis pas naïf au point d’imaginer que je débarquerai à Arfeuille tel que je l’ai laissé voilà un demi-siècle! J’évite un flux d’images; je ne veux pas m’embarquer dans un périple rétro que la nostalgie condescendante jugerait. Pas à pas. Je ne sais rien de ce qui m’attend ici. Je suis au terme d’un parcours où j’arrive sur mes traces anciennes que je ne pensais plus croiser. Le trousseau de clefs du moulin attend dans la boîte à gants de l’auto.

    ***

    On parvient à la bâtisse sans avoir à traverser le village si on arrive par cette route et j’avais toujours débarqué ici par ce même chemin. J’ai soudain éprouvé le besoin d’arrêter le véhicule sur cet axe principal, d’en descendre et de marcher ensuite sur cette allée conduisant au moulin distant d’une centaine de mètres. D’abord, je n’ai pas pu vraiment avancer. Sur le coup de l’émotion. Elle m’a envahi alors même que je la pensais à l’écart de mon déplacement.

    Depuis mon retour en France, j’avais tenté de contrôler toutes les palpitations sensibles qui auraient dû se manifester chez un individu normal. J’avais mis à l’écart de pensées trop invasives ma vie professionnelle achevée, Sepha. Peut-on vraiment revenir blindé dans son pays, là où on est né? Déambuler indifférent dans le quartier d’une ville qui vous a élevé jusqu’à plus de vingt ans? J’y étais parvenu et, en me promenant pas à pas dans les rues, j’avais senti que je cheminais comme l’aurait fait un touriste ordinaire. Ou un curieux qu’un vague intérêt guide dans un lieu où il sait qu’il ne s’attardera pas.

    Cette ville avait été biffée de ma mémoire. La disparition de ma maigre famille – déjà disloquée par des affectations extérieures – avait provoqué cet effacement. Pourtant, j’avais fréquenté les parcours qui auraient dû me mettre à vif: le chemin de la communale ou celui, plus long, du lycée. À pied, bien entendu, sinon l’observation est trop fugace, aléatoire. Rien n’avait surgi pourtant. Je m’attendais – sans l’anticiper clairement – à être cueilli par des rafales de souvenirs, à claudiquer sous le télescopage de mes courses anciennes, de mes enjambées joyeuses et de ces retrouvailles. Rien de tout cela. Sans aigreur ni désabusement, je n’identifiais plus la ville de mon enfance, pas plus que celle où j’avais eu vingt ans. Et pourtant, les voies de circulation n’avaient pas réellement changé et je les avais empruntées les yeux un peu fermés. Ces pistes connues m’étaient devenues désormais étrangères. Je l’ai pensé…

    Chez le notaire, à aucun moment je n’avais éprouvé une quelconque émotion. La lecture de l’acte de propriété ne procède pas de ce registre sensible, et le jargon, les paraphes, les signatures y contribuent. Au moment de la remise des clefs, peut-être bien, j’ai ressenti une brève faiblesse. La passation sans doute.

    Et me voilà à cent pas de cette transmission, à l’arrêt sur le gravillon du bas-côté, incapable d’avancer tant la vue du moulin m’a assailli. Me serais-je inconsciemment protégé auparavant dans cette pérégrination en apparence désinvolte ou froide? Je comprends assez vite pourquoi ici je ressens ce qui là-bas ne pouvait m’atteindre. Ici, c’est brutal et évident. Rien n’a changé. À cent pas, cela crève les yeux. Je vois la retenue d’eau figée sous un soleil impassible. À cette distance, le barrage alimentant le moulin affirme sa pérennité aveuglante. En aval, les toits gris des bâtiments, les façades sombres; le soleil a franchi le faîte et donne sur l’arrière, s’étale sur des prés où le gros ruisseau serpente, se perd à la limite d’un bosquet au terme de cet horizon.

    Rien n’a changé. J’ai tout revu…

    Les mots de Verlaine surgissent. De ce poste d’observation où je peux guider mon regard, la permanence du lieu est flagrante, plutôt bouleversante d’autant que mon corps s’est figé à l’entrée du chemin. En réalité – je l’éprouve assez vite –, mon émotion est moins liée à ce paysage semblable à celui de mon souvenir qu’à cet espace sous mes yeux d’où toute vie semble avoir disparu. Pas de canards sur l’étang; pas plus de basse-cour, de volées de moineaux, de jappements d’un chien tirant sur sa chaîne; pas de vaches, pointillés roux disséminés sur l’herbage… Pas d’oncle sur le seuil du moulin, bien calé et droit contre l’arête de l’ouverture et qui, vigie, toujours semblait attendre. « L’avenir est toujours au bout du chemin… » Je n’ai pas oublié ses mots qui n’avaient pourtant aucun sens pour moi et faisaient hausser les épaules de sa mère lorsqu’elle l’entendait les murmurer.

    En vrac, tout surgit, se bouscule, s’entrechoque. Je perçois dans mes jambes un tremblement diffus. Un signal. J’ai fait un pas et je m’esquive. Avec lenteur d’abord, un peu comme un blessé retrouvant la coordination du marcheur, hésitant sur les premiers mètres, se rassurant au-delà en comprenant qu’il n’aura pas à fournir un

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