L'Univers Israélite en France: Première partie : Une vision du judaïsme français Seconde partie : Une vision sur l'antisémitisme en Allemagne 1932-1938
Par Claude Tencer
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À propos de ce livre électronique
Parce que la France a offert la liberté et la citoyenneté aux Juifs, il en va de leur honneur de s'instituer comme les champions de sa cause nationale, les défenseurs de son génie.
Pour les dirigeants du consistoire et les rédacteurs du journal, le judaïsme français doit rester discret et les Juifs doivent s'abstenir de faire de la politique ou de porter un jugement sur la politique du gouvernement français. Le message est simple, les Juifs Français ne peuvent être sioniste, leur patrie est la France. Toute leur activité intellectuelle, tout leur amour, la dernière goûte de leur sang, appartiennent à la France et à elle seule.
Bien que l'antisémitisme trône encore après l'Affaire Dreyfuse, le mot d'ordre des leaders de la communauté juive autochtone reste l'esprit profond du patriotisme et l'honneur d'appartenir à la France que les Juifs doivent hisser bien haut. Il faut que pour les Israélites le nom de Juif devienne l'accélératoire et le nom de Français devient principal.
Les Juifs de France et les Juifs d'Allemagne ce sont fait bernés durant les années 1930... Naïveté ou illusion ?
Cette société émancipée, patriote, française avant d'être Juive n'a pas compris pourquoi la France, leur patrie, ne les a pas protégé durant la seconde guerre, les a raflé pour les envoyer aux camps de la mort.
Claude TENCER est historien du monde juif et l'histoire d'Israël.
Il est ingénieur et docteur en Civilisations, Communication et Médias.
Claude Tencer
Claude TENCER est historien du monde juif et l'histoire d'Israël. Il est ingénieur et docteur en Civilisations, Communication et Médias.
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Aperçu du livre
L'Univers Israélite en France - Claude Tencer
« Le plus grand ennemi de la connaissance n'est pas l'ignorance, c'est l'illusion de la connaissance. » (Stephen Hawking).
A mes amis qui m’ont témoigné leur amitié depuis plus de 4 décennies, qui m’ont aidé dès mes débuts en France et grâce à qui, je peux publier cette histoire de nos ancêtres en France, qui ont hissé l’honneur et leur patriotisme avant leur appartenance religieuse…
« Lorsque la carriole sera cassée, beaucoup vous diront par où il ne fallait pas passer. »
TABLE DE MATIERES
INTRODUCTION
AVANT-PROPOS
LE CADRE DE VIE DES ISRAELITES DE FRANCE DE 1932 A 1938
Tournant de l’année 1932
La France en crise
La crise économique
Généralisation de la crise sociétale
La montée des ligues, une crise de civilisation
L’affaire Stavisky
Le 6 février 1934
Le Front Populaire
Origines et formation
Les débuts du front populaire
L’année 1936 s’achève sur beaucoup d’interrogations
L’UNIVERS DE L’UNIVERS ISRAELITE
L’U.I. un pilier de la presse française juive
Présentation et composition du journal
Localisation et tarifs
2.1 Datation des parutions
2.2 Format et présentation
2.3 Les dédicaces du nouveau format
2.4 Constantes et variantes dans la composition du journal
L’Univers Israélite, organe officiel du Consistoire
Le profil de L’Univers Israélite
Les rédacteurs et les collaborateurs de l’U.I
L’A.C.I.P. et le financement de L’U.I
L’U.I, journal d’un judaïsme français, israélite, conservateur et patriote
3.1 Qui sont les lecteurs de l’univers israélite ?
3.2 Présentation des thèmes traités par L’U.I
Les grandes figures honorées par l’U.I.
Les grands commis de l’État
Les grands noms de la médecine et du barreau
Les intellectuels au sommet de leurs carrières des honneurs
Les grandes figures du judaïsme
Un héros bien à nous Alfred Dreyfus
IDENTITÉ JUIVE ET ENTITÉ FRANÇAISE
Portrait de la population juive en France
Les Israélites de France sont en majorité des Parisiens
1.1 Composition et évolution de la population juive de Paris
1.2 Les quartiers juifs à Paris
Les communautés juives en province
2.1 Les Juifs en Alsace et Lorraine
2.3 Les israélites du Nord
2.4 Les autres communautés de province.
Les sépharades : les oubliés du judaïsme français
Le microcosme de la société de L’U.I.
4.1 Les aspects sociologiques généraux
4.2 La réussite, l’aspiration de la société française.
4.3 Les mariages, indicateurs du niveau social.
4.4.La place des femmes
4.5 Les loisirs
Israélites français ou français israélites ?
Quelle identité juive ?
Un déclin du judaïsme en France
Le malaise du Consistoire
L’évolution nécessaire du judaïsme
4.1 Quelle place pour le judaïsme ?
4.2 Le judaïsme français face au sionisme
Une société française, ultra française.
Le patriotisme : la fierté d’être Français
Aux grands Hommes de la République, les Israélites reconnaissants
Les commémorations de la guerre
Les manifestations et associations d’anciens combattants
IV. Recherche d’une solidarité juive
Immigrés et autochtones des relations sous tension
les israélites de France face aux juifs étrangers
1.1 La France ouvre ses frontières, les conditions de l’accueil
1.2 L’étranger enlève au Français le travail.
Immigrants autochtones la solidarité juive
2.1 Les réticences françaises face aux immigrés
2.2 L’attitude des instances dirigeantes du judaïsme français
2.3 La place de Juifs étrangers et réfugiés dans le judaïsme français ?
Comités et associations d’aide et de secours aux réfugiés
3.1 L’impérative coordination des organismes d’aide et de secours
3.2 Le Comité de Bienfaisance Israélite de Paris
3.3 Le Comité d’Assistance aux Émigrants
3.4 La Fédération des Sociétés Juives de France
La réaction nationaliste
La fascination pour les ligues
1.1 La sympathie de L’U.I envers les Croix de Feu
1.2 La fascination pour les ligues
1.3 Une ligue juive : l’Union Patriotique des Français Israélites
Un apolitisme de bon ton, au nom du judaïsme et de la défense de la patrie
2.1 La neutralité politique
2.2 L’U.I. face aux partis et la vie politiques en France
2.3 Un appel à l’unicité du judaïsme français
Réveil de l’antisémitisme en France
Un antisémitisme propagé habilement
1.1 Un antisémitisme de plume et de mots
1.2 Les actes de violence antisémites
1.3 Les Israélites sont-ils responsables de l’antisémitisme en France ?
Quelle défense contre l’antisémitisme ?
2.1 L’union nécessaire
2.2 L’U.I. - L.I.C.A. des rapports tendus
L’Union Patriotique des Français Israélites (U.P.F.I.)
CONCLUSION
BIOGRAPHIES
BIBLIOGRAPHIE
DOCUMENTS
SECONDE PARTIE
L’UNIVERS ISRAELITE
UNE VISION SUR L’ANTISEMITISME EN ALLEMAGNE1932 - 1939
INTRODUCTION
la chronique de l’Antisémitisme en Allemagne
L’agitation hitlérienne
L’antisémitisme légitimé par les nazis au pouvoir
Le déchainement antisémite
L’Idéologie et les moyens de l’antisémitisme allemand
Les intellectuels s’y mettent
Une obsession irrationnelle imprévisible
Entre optimisme et scepticisme
Lois de Nuremberg – la mort civile
La propagande allemande
Une organisation musclée
Une tromperie populaire
Rassurer les Juifs
Les petites phrases assassines
L’Opinion française
Nous sommes des patriotes
Discretion et moderation
Jusqu’a quand ce silence
La presse en parle
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Première Partie
CLAUDE TENCER
L’Univers israélite
en France
Une vision du judaïsme français
1932 - 1938
INTRODUCTION
L’Univers Israélite (l’U.I.) se présente lui-même, dans son sous-titre, comme Le journal des principes conservateurs du judaïsme. Journal français et francophone, créé en 1844 par Simon Bloch (1844-1879), à l’issue d’une scission avec Les Archives Israélites. L’U.I. est l’un des plus anciens journaux communautaires, souvent considéré comme l’organe officiel du Consistoire de France. Il présente la vision d’une société bourgeoise¹, encadrée par le Consistoire, représentant officiel du judaïsme français. Il reflète les préoccupations et les opinions de la bourgeoisie juive de France, et plus particulièrement de la bourgeoisie Juives parisiennes, dont il se fait l’écho. Pourtant, au sein d’une population juive de France comptant près de deux cent mille âmes, au début des années trente, cette société bourgeoise ne constitue qu’une petite minorité de la communauté juive. Cependant, elle se dit représentative du judaïsme français, et se plaît à l’orienter. L’U.I. parait au sein d’une presse juive riche de plus d’une centaine de titres. L’existence de ces nombreuses publications juives témoigne de la grande diversité d’opinions qui règne au sein de la communauté juive en France. Cette diversité et cette vitalité du judaïsme ont pu s’épanouir en France depuis la Révolution Française.
Pays modèle pour l’Occident en matière de liberté et de droits de l’Homme, la France change le cours de l’histoire des Juifs en 1791. Par la volonté de l’Assemblée constituante et sous l’impulsion de Clermont-Tonnerre, de l’abbé Grégoire, la France devient le premier pays d’Europe à émanciper les Juifs, qui vivaient jusque-là tolérés en marge de la société. Les Juifs français éprouvent, sans réticence, une vive reconnaissance à l'égard d'une patrie généreuse qui leur a donné l'égalité des droits. Ils se préoccupent de l’honorer et de la servir loyalement. Quatre-vingt-dix ans plus tard, la revue juive, les Archives Israélites se fait l’écho de ce sentiment de reconnaissance : « La Révolution de 1789, voilà notre seconde loi du Sinaï, voilà le seul étendard autour duquel nous, israélites, nous devons nous grouper². »
Après l’heureuse conclusion de l'Affaire Dreyfus en 1906, la communauté juive connaît un calme relatif jusqu'à l'épreuve de la Grande Guerre. C'est sans doute cette dernière qui contribue à la réconciliation, peut-être superficielle, entre les Juifs français ou Français juifs et les Français non-juifs. Dans l'euphorie née de la victoire sur l'Allemagne, les Israélites français recueillent les fruits de leur patriotisme et de leur participation active aux combats, même l’Action Française³ parle avec chaleur du rôle des rabbins, aumôniers aux armées. Toute manifestation d'hostilité envers les Juifs n'a pas disparu, mais les expressions antisémites demeurent plus modérées jusqu'aux années 1930. Comme l’écrit André Vervroort, on ne dit plus « c’est un juif » mais « il est un juif » « comme on dit d’un Breton qu’il est catholique, protestant ou juif », rapporte Pierre Pierrard⁴. Les Juifs semblent être davantage admis dans la communauté nationale, l’antisémitisme se fait plus discret bien qu’il constitue une « réalité permanente »⁵. Pour beaucoup, la période héroïque
de l’antisémitisme est terminée sinon en voie d’extinction.
Les années 1930 semblent contraster avec la décennie précédente. Une partie de l'opinion française, ébranlée par la crise économique mondiale et par les affrontements politiques à l'époque du Front Populaire, se retourne à nouveau contre les Juifs et se laisse emporter par des flambées de haine. L’accession au pouvoir d’Hitler, le 30 janvier 1933, ne fait que renforcer l’imagination des anti-Juifs. Une nouvelle génération d’antisémites forge de nouvelles idées et des arguments, inspirés par la conjoncture. « Le goy n’est plus que le somnambule des volontés juives » constate Céline⁶. Cependant, on ne peut confondre les thèses de l’antisémitisme français
et la réalité de l’antisémitisme allemand des années trente. L’antisémitisme français ne s’accompagne pas de plans de destruction du judaïsme, ni de volonté de mise à mort des Juifs. Il s’agirait plutôt d’un antisémitisme verbal, de mots, de plume, doublé par la xénophobie.
La dépression économique, au début des années trente, accélère l’afflux des immigrés vers une France qui apparaît comme un îlot de prospérité jusqu’en 1931. Dans les années 1930, on est frappé plus encore par l’attitude d’une certaine bourgeoisie conservatrice juive qui s’oppose aux étrangers juifs arrivant en France, pour trouver une terre d’asile, fuyant un régime hostile en Allemagne. Le clivage entre les deux communautés résulte du double problème d’une économie en perte de vitesse où sévit le chômage et de la poussée de la xénophobie en France. Il existe, aussi, au sein de la communauté juive, une volonté de préserver l’image des Juifs autochtones patriotes, nationalistes qui ont construit la France et sont morts pour la nation. La communauté, présentée par l’U.I., a le sentiment d’appartenir à une classe privilégiée voire supérieure, qui n’a rien de commun avec les Juifs étrangers, ou émigrés. Ce qui agace les Juifs de l’U.I. c’est de voir les immigrés se grouper, vivre entre eux et s’organiser dans des organisations d’aide et défense multiples, certaines rattachées à une fédération nationale ne faisant pas partie du Consistoire. « Le Français demeure individualiste et il suffit que des immigrés prétendent se grouper et agir suivant des méthodes importées pour que des résistances bien légitimes se fassent sentir » nous explique Raymond-Raoul Lambert⁷, rédacteur en chef de l’U.I. à partir de 1934.
Ce profond clivage qui apparaît entre les Juifs autochtones et les Juifs étrangers constitue l’un des thèmes favoris de l’U.I. Pour les Juifs autochtones, les immigrés juifs manquent souvent de sociabilité, dépourvus de tact, ils sont difficilement assimilables. L’afflux permanent d’immigrés juifs en France ne permet pas leur intégration rapide et semble déterminer deux familles juives de classes sociales, de cultures et de mentalités différentes. Les autochtones assez bien intégrés et imprégnés par la culture et la vie françaises, n’acceptent les immigrés qu’au prix de leur francisation et de l’abandon de leur mode de vie antérieur. Les immigrés issus de la première génération, éprouvent beaucoup de difficultés à adopter les pratiques religieuses, la culture et les mentalités des autochtones qui leur paraissent trop laïcs et trop conservateurs dans leurs opinions politiques. Les autochtones considèrent que les étrangers sont trop attachés à leurs racines, à leurs pays d’origine, à leurs mentalités, à leur langue – le yiddish considéré comme un jargon grossier. Leurs idéologies socialistes, peut donner à leur sens une mauvaise image du judaïsme français et alimenter la critique antisémite. « Ce sentiment s’explique, s’il ne se justifie pas », affirme l’U.I., « les premiers juifs polonais qui sont venus en France ne représentaient pas la crème du judaïsme. Ce ne sont jamais les meilleurs qui émigrent et notre pays ne recevait pas le plus beau contingent de l’émigration juive. On comprend que dans l’esprit de la plupart de nos coreligionnaires, le nom de Polaque
se soit superposé à celui de Schnorrer
»⁸.
Jusqu’en 1933, les arrivants sont principalement des Polonais ou des Roumains qui parlent le yiddisch. Ils sont si différents dans leur mode de vie face à la communauté française qu’elle ne sait les comprend.
A partir de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, en 1933, ce sont majoritairement des Allemands qui se dirigent vers la France. La défiance de la communauté française est alors une réaction plus nationaliste, qu’ils n’acceptent pas les Juifs Allemands, considérés comme les ennemis de la France. Les Juifs de France reprochent leur arrogance, bien que leur mode de vie soit très proche de celui des Français.
Malgré les reproches des Juifs autochtones envers les immigrés, dont l’U.I. se fait le porte-parole, un élan de solidarité se développe pour aider et assister les immigrés. Des dizaines de comités et d’associations d’assistance voient le jour aussi bien parmi la communauté juive autochtone qu’au sein de la communauté juive étrangère. L’U.I. publie essentiellement des articles sur les œuvres de charité proches du Consistoire. Seule la Fédération des Sociétés Juives de France, dirigée par des personnalités de la communauté étrangère, bénéficie du soutien du journal. En effet, son président, Israël Jeffroykin, sait ménager les susceptibilités des dirigeants du Consistoire, en exprimant souvent une volonté de rapprochement avec l’organe représentatif du judaïsme français.
Pour les dirigeants du Consistoire, qui s’expriment régulièrement dans les colonnes de l’U.I., le judaïsme doit rester discret et les Juifs doivent s’abstenir de faire de la politique ou de porter un jugement sur la politique du gouvernement français. L’U.I. est tout aussi discret sur les événements politiques en France, comme à l’étranger. Lorsqu’il cite les événements ou publie des articles parus dans d’autres journaux, c’est généralement sans commentaire. Cependant, en 1935, confronté aux lois de Nuremberg qui excluent les Juifs de la société allemande, L’Univers Israélite s’inquiète du régime anti-juif en Allemagne, décide de réagir et de prendre position comme cri d’alarme.
En revanche, l’U.I. ne manque pas de citer l’identité juive des hommes politiques, parce qu’elle témoigne de l’inscription des Juifs dans la communauté française et de leur participation à la vie du pays. Ce type d’informations semble séduire les lecteurs, puisque c’est l’un d’entre eux par exemple, qui avise le journal que deux députés juifs, élus en 1932, ont échappé à la perspicacité de l’U.I. « Un lecteur obligeant, nous signale que nous avons oublié un israélite parmi les nouveaux députés : M. Pierre Mortier, député de Coulommiers (Seine-et-Marne). M. Mortier est si bien notre coreligionnaire qu’il est locataire d’une stalle au temple de la rue Buffault. Si nous ne nous trompons, son nom s’écrivait Mortje, forme hollandaise de Mardochée. Celui qui le porte est une personnalité connue de la société parisienne. Nous sommes d’autant moins excusables de ne l’avoir pas reconnu sous le nom de Mortier »⁹.
A l’image de ses compatriotes français, la bourgeoisie juive adore les cérémonies commémoratives, les décorations et les éloges. Cette bourgeoisie juive, plutôt conservatrice, est patriote. Son nationalisme va même jusqu’à s’apparenter à l’extrême droite. Cependant, pour ces patriotes, le judaïsme doit rester discret, c’est leur devoir envers la France qui doit être sincère et visible. On est Français israélite et non le contraire.
Il est, donc, logique que le journal, comme les dirigeants du judaïsme français, ne soutienne pas non plus le sionisme. Pour eux, le sionisme se préoccupe d’établir un foyer et une patrie pour les Juifs, cette cause ne peut pas concerner les Français juifs, puisqu’ils ont une patrie, la France. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’U.I. ne s’alarme pas non plus du fascisme italien. Le journal ne voit le mal nulle part, au contraire, il couvre d’éloges Mussolini en qui il identifie un fervent patriote, un Mussolini qui se fait bénir par le grand-rabbin d’Italie.
La communauté juive autochtone est imprégnée par la société française jusque dans sa vie religieuse. La majorité des Juifs ne pratique plus régulièrement, ils ne se rendent à la synagogue que pour les grands événements. Les consistoires créés en 1808, chargés de la direction spirituelle du judaïsme et de l'administration générale du culte ne regroupent qu’une minorité des Juifs¹⁰. Toutes les associations appartenant au Consistoire trouvent, obligatoirement, leur autonomie avec la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État.
Certains Juifs sont si intégrés à la société française, qu’ils choisissent de se convertir au christianisme. Les conversions sont peu nombreuses mais très remarquées, comme celles de Max Jacob (1876-1944), écrivain, philosophe et peintre, cousin de J.R. Bloch, converti en 1915, arrêté et déporté à Drancy le 24 février 1944 ; celle de René Schwob, qui découvre Dieu dans le christianisme mais continue à s’affirmer juif ; celle de Georges Cattaui, discret sur les raisons de sa conversion ; celle de Jean de Menasce qui collabore à la Revue juive, ou celle de Raïssa Oumançoff l’épouse du philosophe Jacques Maritain (protestant) qu’elle épouse en 1904. Influencés par Bloy, Raïssa et son époux se convertissent en 1906 à la foi catholique. Cependant, Bergson, philosophe et écrivain, résiste à la conversion malgré les sollicitations de ses amis. Dans son testament¹¹ il écrit : « J’ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés. »
Peut-on affirmer que les Juifs choisissent les conversions comme moyens d’intégration obligatoire dans une société française généreuse à leurs yeux ? Pour la grande majorité des Juifs de France, l’assimilation n’est pas une entière réalité, mais plutôt, une recomposition de mentalités, une nouvelle manière de se revendiquer Juif français, et souvent plus Français que juif. L’assimilation ou les conversions ne sont nullement indispensables pour que les Juifs pénètrent l’espace social ou public français ou pour accéder à des fonctions importantes, alors que certains pensent à tort, que l’assimilation par la conversion leur fournira, probablement, un billet d’entrée
dans la bonne société française. L’expérience montre, que leur déception fut à la hauteur de leurs espérances et de leurs illusions. Désormais, le Juif de France des années trente, est un Français israélite qui se lance dans la surenchère patriotique, pour, semble-t-il, payer sa dette à la France républicaine. Si le patriotisme est une valeur partagée par tous les Français, les Juifs font preuve, souvent, d’un ultra patriotisme
, tout particulièrement les Juifs alsaciens qui ont récemment réintégré la mère-patrie, après la défaite de l’Allemagne et le retour de l’Alsace-Lorraine à la France. Pour illustrer ce sentiment, dans le feuilleton Ma classe et moi publié par Le Temps¹², le jeune Lévy, invité par son professeur à expliquer pourquoi ses auteurs préférés sont Erckmann et Chatrian, déclare : « Mes auteurs sont patriotes […] Pour défendre le sol français, tous leurs héros sont prêts à faire le sacrifice de leur vie », belle leçon de patriotisme de la part de ces écrivains, qui ont souvent déformé l’aspect du judaïsme.
La lecture de L’Univers Israélite, de 1932 à 1938, époque de troubles et de difficultés pour la France se révèle du plus grand intérêt pour comprendre la vie, les préoccupations, les attentes au quotidien d’une bourgeoisie israélite française occupant souvent de hautes fonctions dans la société française. Cette époque des années trente est souvent passée sous silence dans les ouvrages majeurs qui abordent l’histoire des Juifs de France. La connaissance des réalités des Israélites français est pourtant fondamentale pour comprendre les réactions juives lors de l’établissement du régime de Vichy, comment et pourquoi les Juifs français n’ont pu éviter le piège de la Shoah. Bien que l’U.I. ne présente qu’une vision partielle de la communauté juive de France, celle d’une bourgeoisie plutôt conservatrice et traditionaliste, au sein du judaïsme et de la société française, c’est une vision essentielle pour comprendre les réalités et la pluralité du judaïsme français de l’entre-deux-guerres.
¹ A travers cette analyse, le terme fera référence à une approche sociologique (sans connotation péjorative). Par bourgeoisie, il conviendra d’entendre un milieu social regroupant des personnes issues de la classe moyenne et de la classe dirigeante qui partagent des conditions d’existence, un style de vie caractérisé par le non-assujettissement au travail manuel, la propriété de valeurs mobilières ou immobilières, une aisance de moyens, un confort, un certain train de vie. Ainsi, la bourgeoisie se distingue par l’honorabilité, le prestige, un certain conformisme intellectuel, l’attachement à des valeurs morales souvent traditionnelles et conservatrices.
² Archives Israélites, 24 avril 1879, Chronique de la semaine, (mentionné aussi par R. Millman, in La question juive entre les deux guerres, A. Colin, Paris, 1992, p. 18).
³ Le Comité d’Action française créé en mars 1899 regroupe des antidreyfusards et des nationalistes, la plupart républicains, qui se rallie au monarchisme sous l’influence de Charles Maurras ; il est constitué en ligue en 1905, sa revue L’Action Française devient un quotidien en 1908.
⁴ Pierre Pierrard, Juifs et catholiques français d’Edouard Drumont à Jacob Kaplan 1886-1994, Cerf, Paris, 1997, p. 230.
⁵ Ralph Schor, L’Opinion française et les étrangers : 1919-1939, Publications de la Sorbonne, Paris,1985, p. 182.
⁶ Dans L’Ecole des cadavres, Denoël, Paris, 1937.
⁷ L’U.I., 12 octobre 1934, L’avenir de l’émigration allemande et l’opinion française, p.1
⁸ L’U.I., 21 août 1931, Les étrangers dans le Consistoire, p. 645.
⁹ L’U.I., 17 juin 1932, Nos Échos, Les Juifs et la politique, p. 264.
¹⁰ Selon les procès-verbaux des Assemblées Générales du Consistoire Central ou celui de Paris : ils sont 6662 membres en 1931, 6 604 membres en 1935. Voir aussi l’U.I. 13 décembre 1931, p. 502.
¹¹ 8 février 1937.
¹² Reproduit par l’U.I, Nos échos, 12 février 1932, p. 711.
AVANT-PROPOS
Dans les années 1930, la communauté juive compte environ 200 000 personnes, quelle est la situation du pays où, depuis 1791, les Juifs anciennement installés vivent émancipés et sont devenus des citoyens comme les autres, où des vagues apportant de nouveaux immigrants juifs se sont accélérées, depuis la fin du XIXème siècle et l’élections législatives allemandes du 31 juillet 1932 ou le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) confirme sa percée des élections et devient pour la première fois le premier parti allemand avec 37,3 % des suffrages.
La compréhension des mutations de la France de 1932 à 1938 est essentielle pour appréhender le regard que portent les lecteurs de L’Univers Israélite sur la société dans laquelle ils vivent. Ces six années couvrent une législature au cours de laquelle la crise économique et sociale a remis en cause le fragile équilibre de la France d’après-guerre. Les certitudes de bourgeoisie française est à la fois hantée par le spectre de la décadence sociale issue de la crise et effrayée par les réformes socialistes du Front Populaire. Même si l’U.I. donne peu d’articles de fond sur la vie politique, économique et sociale française, voire même se l’interdit, c’est sur cette toile de fond que s’inscrivent les prises de position de ses lecteurs.
Le journal sous la plume de son rédacteur en chef, Raymond-Raoul Lambert, s’efforce de démontrer l’absence des relations qui doivent exister entre religion et la politique, alors que, pour la première fois, un Israélite pourrait devenir président du Conseil. Pour appuyer cet argument, le 24 avril 1936, avant les élections le journal publie une interview de Julien Weill, grand rabbin de Paris, qui donne le ton : « À la veille des élections législatives, nous avons pensé qu’il serait utile de demander au grand rabbin de Paris de confirmer, avec toute son autorité, combien il est dangereux de mêler le judaïsme aux luttes politiques de la rue et aux compétitions passionnées des partis. » […] « N’est-il pas vrai que le judaïsme ne doit jamais être mêlé aux luttes des partis ? » – le grand rabbin de Paris répond alors sans aucune réticence : « Je vous approuve pleinement. Le rabbinat, vous le savez, ne se mêle jamais des compétitions électorales. » Le ton est alors donné par les instances consistoriales afin de marquer la discrétion de la communauté israélite face à la politique de la société dans laquelle ils ont choisi de vivre.
Les antisémites avancent leur théorie que les Juifs ne votent en fonction de leurs intérêts et non pas en fonction de l’intérêt de la patrie. Les Juifs octroieraient donc leurs suffrages au candidat de leur communauté, Léon Blum, qui au sens des anti juifs il est accusé d’avoir des projets contraires aux intérêts de la France. L’U.I. tente de minimiser ces théories antisémites en soulignant que les Israélites ne ciblent aucun « bloc politique juif » en particulier, mais, votent pour l’ensemble des partis politiques français, chacun selon sa sensibilité et la classe sociale à laquelle ils appartiennent.
« La patrie française que la révolution a donné aux Juifs, dit Joseph Reinach, les antisémites ne la leur arracheront pas et les sionistes de Bâle ne détermineront aucun Juif français à y renoncer. Nous sommes Français, nous resterons Français. Tous nos efforts, toute notre activité intellectuelle, tout notre amour, la dernière goute de notre sang, appartiennent à la France, à elle seule. » Bien que l’antisémitisme trône toujours en France dans les années 1930 et après un passage difficile durant l’Affaire Dreyfus, le mot d’ordre des leaders de la communauté juive de France reste l’esprit profond du patriotisme et l’honneur d’appartenir à la France que les Français juifs doivent hisser bien haut. Les Juifs ne doivent guère oublier que la révolution les a libéré, les a émancipé et leur a attribué les même droits que les Français de souche. Ils sont donc redevables à la France. Il faut que pour les Israélites le nom de Juif devienne l’accessoire et le nom de Français devienne principal.
I. LE CADRE DE VIE DES ISRAELITES DE FRANCE DE 1932 A 1938
A. Tournant de l’année 1932
L’année 1932 constitue un tournant dans la France de l’entre-deux guerres. L’illusion est forte d’une France miraculeusement préservée de la grande dépression qui s’est étendue au monde, depuis le krach de Wall Street, en octobre 1929.
La France est encore dans l’illusion de la prospérité et de la stabilité retrouvée depuis 1926, malgré un certain désenchantement. Les Français conservent le souvenir des échecs successifs du Bloc National (1919-1924) et du Cartel des Gauches (1924-1926) et ont compris que la France qui a pourtant gagné la guerre ne reviendra pas à l’âge d’or de la Belle Epoque. On dresse de la guerre un bilan amer, la France a gagné, a récupéré l’Alsace-Lorraine, mais elle a perdu définitivement son rang de grande puissance, elle a payé un prix humain très lourd (1,4 million de morts¹³, 2,8 millions de blessés auxquels il faut ajouter près de 1,5 million de veuves et orphelins de guerre qu’il faut soutenir financièrement), la guerre a transformé durablement le fonctionnement et la stabilité de la société. Mais plus que tout l’Allemagne, qui devait payer
¹⁴, n’a pas payé son dû. Les moratoires se succèdent, malgré la pression de l’occupation de la Ruhr en 1923, la France ne peut empêcher que les Alliés mettent en place la réduction et le rééchelonnement des réparations allemandes¹⁵.
Ainsi la guerre, la Grande guerre patriotique dont les Français sont si fiers, n’a pas été une simple parenthèse, elle a entraîné dans tous les domaines des mutations irréversibles. On est bien loin de l’enthousiasme de l’Union Sacrée qui avait confondu et réuni tous les Français, en 1914, contre l’ennemi commun : l’Allemagne, au-delà des querelles politiques et des clivages sociaux. L’attachement à la république parlementaire fait les frais du désenchantement qui frappe nombre de Français. Elle est, alors, souvent tenue comme un régime d’impuissance. La révélation de scandales, qui montrent les liens qu’entretiennent certains hommes politiques avec les milieux d’affaires, la font accuser d’être un régime corrompu. Même le symbole de la toute-puissance économique de la France, le Franc, a été dévalué en juin 1928 de 80% par rapport à sa valeur d’août 1914. Le rapport légal en vigueur depuis 1803 (le Franc germinal) est abandonné. Le redressement financier orchestré par Raymond Poincaré, qui rend une stabilité au Franc, n’a qu’une portée illusoire. La crise mondiale remet en question le fragile équilibre.
Ce n’est encore qu’un malaise qui pèse sur la France au début de 1932. Mais il suffit à ébranler la confiance quasi-généralisée en la politique de prospérité des droites au pouvoir, depuis 1926. En 1932, on commence à ressentir fortement un malaise qu’on a cru passager et qui se mue en crise. Cette crise se double d’une impasse politique, aucune majorité n’étant disposée à prendre la responsabilité de mesures énergiques. Le libéralisme atteint ses limites et montre ses fragilités, son inefficacité au moment où la menace du nazisme se précise en Allemagne. En 1932, l’après-guerre est terminé et l’avant-guerre commence. De 1932 à 1934, le régime est en crise et incapable de se réformer, 1934 à 1936 est la phase de rassemblement des partis de gauche en vue des législatives qui porteront le Front Populaire au pouvoir, alors que le danger hitlérien se matérialise (installation et élargissement de la dictature, remilitarisation de la Rhénanie).
¹³ Pour la communauté juive, on établit le chiffre dans une fourchette de 5 500 à 6 000 morts français et engagés volontaires étrangers confondus.
¹⁴ En 1918, le ministre français des Finances Klotz déclare « l’Allemagne paiera ».
¹⁵ Plan Dawes 1924-1928, suivi du plan Young 1929.
B. La France en crise
La crise économique qui a éclaté aux États-Unis en octobre 1929, se mondialise. La France moins touchée que d'autres pays européens comme l'Allemagne, connaît néanmoins des difficultés économiques et sociales qui se répercutent sur la vie politique des années 1930. La crise fait, insidieusement son apparition dès 1931. L'économie française n'est plus compétitive, surtout après la dévaluation du livre sterling en 1931, année de la faillite du Credit Anstalt.
C’est une France en proie au doute, ébranlée par la récession et le chômage, que voient évoluer les Israélites français.
1. La crise économique
Le 27 janvier 1931 Laval forme son ministère. La Bourse s’effondre, les scandales¹⁶ se multiplient. La bataille politique se cristallise autour de l’élection du président de la République : Paul Doumer¹⁷, président du Sénat, est élu par les voix du centre et de la droite. Les difficultés extérieures, particulièrement en Allemagne, aggravent le climat général. Le 30 juin 1930, la dernière zone d’occupation est évacuée. Des violences ont lieu en Rhénanie contre les anciens séparatistes que la France avait encouragés. La crise économique s’accentue et les nazis obtiennent 6 millions de voix aux élections de septembre 1930. En Autriche, la crise économique est sévère et la majorité de l’opinion souhaite le rattachement à l’Allemagne (Anschluss) que le Traité de Versailles avait interdit. Les capitaux fuient l’Autriche, provoquant la faillite de la Kreditanstalt le 11 mai 1931, ce qui accentue la crise en Autriche et en Allemagne qui cherchent des capitaux que seule la France encore riche en devises et en or, peut apporter. Mais cette dernière impose des conditions que l’Allemagne ne peut accepter sans exaspérer les nazis.
Subis avec retard par la France, les effets de la crise mondiale pèsent d’abord sur les produits agricoles et n’affectent l’industrie que fin 1930. En 1931, tous les indicateurs économiques s’effondrent, les réparations allemandes sont interrompues. En septembre 1931, la conjoncture se retourne : ce qui fait réellement entrer la France dans la crise, c’est la dévaluation de la Livre sterling. La surévaluation des prix français apparaît comme le moteur principal de la crise économique. Néanmoins, comme partout, on croit à une crise passagère et les solutions prises sont des solutions de facilité.
La crise s’installe tardivement à l’automne 1931. Elle est pernicieuse, elle se manifeste par une chute de la production. Le caractère tardif de la crise s’explique par les spécificités du capitalisme français marqué par un certain archaïsme de ses structures économiques. La crise est le révélateur d’une cause plus profonde. En effet, lorsqu’à partir de 1935, la plupart des pays en crise redressent leur situation économique, la France s’enfonce dans les difficultés. On s’aperçoit que l’archaïsme des structures qui, dans un premier temps, avait protégé la France est désormais un obstacle à la reprise, car les entreprises françaises sont incapables de concurrencer celles des grands pays industriels. La crise apparaît donc comme un révélateur de l’inadaptation de l’économie française au capitalisme mondial.
Face à un mal dont ils ne perçoivent pas la nature, les gouvernements s’attaquent aux conséquences de la crise et non à ses causes. Aucun effort n’est fait pour rajeunir les structures vieillies de l’économie et on rejette l’idée d’une dévaluation qui permettrait de ramener les prix français au niveau des prix mondiaux. La déflation est la recette des gouvernements mais elle ne résout rien en 1933-1935. La crise s’aggrave, les mécontentements s’amplifient. Les gouvernements qui se succèdent doivent se débattre contre les manifestations mais aussi les scandales et faire face à l’émotion soulevée par la catastrophe ferroviaire de Lagny (23 décembre 1933) de laquelle on retire 219 morts et 300 blessés de vieux wagons en bois. L’U.I. cite le drame, lors d’avis de décès des victimes, le 5 janvier 1934.
Pierre Laval porte la politique de la déflation à son comble. Il décide des décrets-lois de juillet 1935 qui consiste à réduire de 10% les dépenses de l’État, des salaires (y compris ceux des fonctionnaires), et des loyers. Cette politique n’a d’autre effet que d’aggraver la crise en comprimant encore le marché intérieur et en étendant le chômage. Appliquée par des majorités de droite ou de gauche, la déflation aboutit à un échec complet. La crise économique, l’apparition d’un nouvel antiparlementarisme, les périls extérieurs, la montée de l’extrême gauche aggravent et généralisent le malaise de la société.
¹⁶ En mars 1931, le scandale de la faillite de l’Aéropostale (compagnie aérienne qui avait créé la ligne Toulouse-Dakar et qui tente d’obtenir la ligne de l’Amérique du Sud avec Mermoz) met à nouveau en cause des parlementaires.
¹⁷ Ancien gouverneur d’Indochine, homme froid, austère, assombri par la perte de ses quatre fils à la guerre, déjà candidat contre Fallières, il impose le respect et représente la noblesse de la magistrature.
2. Généralisation de la crise sociétale
En crise politique, économique et morale, entre 1932 et 1934, la France ne domine plus les événements. Les élections législatives du 1er et 8 mai 1932 sont arbitrées par les radicaux qui, au deuxième tour, s’allient aux socialistes. Entre les deux tours, le 5 mai, le président Paul Doumer est assassiné par Gorgulov, il est remplacé par Albert Lebrun. Cet assassinat, dont on discerne mal les raisons laisse dans l’opinion un malaise durable. La droite a subi l’usure du pouvoir et paie son impuissance à présenter un programme de réformes économiques et sociales : elle obtient 250 sièges sur 615, au lieu de 310 aux élections précédentes et elle perd les élections. La majorité est constituée des radicaux vainqueurs des élections, des socialistes. Les communistes conservent 11 sièges. Comme en 1924 les socialistes soutiennent le gouvernement sans y participer. Ce manque d’unité de la gauche est aggravé par les dissensions internes des partis et des syndicats.
La crise affecte profondément la société et remet en cause le consensus républicain. Le revenu des Français diminue de 30%, les plus touchées sont les classes moyennes (à l’exception des fonctionnaires). Une fraction de la bourgeoisie, professions libérales, propriétaires et actionnaires voient cependant, leur situation s’améliorer. La crise exacerbe les antagonismes entre groupes sociaux. Les victimes de la crise accusent les fonctionnaires budgétivores
. Tous incriminent l’incompétence des dirigeants qui se montrent incapables de résoudre la crise.
Ce glissement de la crise sociale vers la crise politique touche directement les partis du gouvernement, radicaux et modérés, et au-delà le régime parlementaire. Une partie des mécontents se tourne vers les partis d’extrême gauche, socialiste ou communiste, qui proposent des réformes fondamentales voire révolutionnaires. Mais une grande partie de la classe moyenne redoute la solution socialiste qui risquerait de la prolétariser, ce qui serait pour elle un remède pire que le mal. Attachée aux formes extérieures de sa distinction sociale, elle rêve d’un pouvoir fort qui balaierait les incapables et les bavards du Parlement
, rétablirait l’ordre et lui rendrait la sécurité. L’attrait du fascisme s’affirme de manière diffuse, dans certains secteurs de l’opinion. Goût de l’autorité d’une population lasse du désordre chez les uns, prestige du caractère paramilitaire des organisations fascistes chez d’autres, exaltation des mouvements de masse et des cérémonies collectives chez certains intellectuels, on est moins en présence d’un mouvement réfléchi et cohérent que d’un témoignage du désarroi d’une population devant la crise des valeurs politiques traditionnelles de la société française.
Le pouvoir politique est progressivement paralysé. De 1932 à 1934, le gouvernement des radicaux se trouve pris dans une double contradiction. Il pratique la politique de déflation souhaitée par les milieux financiers mais politiquement rejetée par les socialistes. Cette opposition entre la majorité d’union des gauches sur laquelle s’appuie le gouvernement à la Chambre et ses choix économiques, est à l’origine de la chute de la plupart des gouvernements. Les contradictions du parti radical aboutissent ainsi à une paralysie du régime qui exaspère l’opinion.
En outre, la crise extérieure grandit avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler (30 janvier 1933), muni des pleins pouvoirs en mars 1933. Il annonce en septembre la naissance du IIIème Reich et quitte en octobre la SDN. En novembre 1933, Hitler propose à la France une entente directe sur la Sarre et un réarmement partiel, la France refuse toute discussion hors du cadre de la SDN.
Les élections de 1932 semblent avoir consolidé le régime par le semi-échec du s parti communiste qui le condamnait jusque-là. Pourtant, progressivement de 1932 à 1934, le régime est en crise. Pourquoi cette remise en cause du régime ? Pour André Tardieu¹⁸, qui en fait, après la crise, la critique¹⁹, le régime d’assemblée est décomposé par l’étouffement de l’exécutif et par la démagogie du Parlement, incapable de résister aux sollicitations des électeurs. Ce sont des causes anciennes qui ne suffisent pas. Il faut ajouter la crise économique, la crise extérieure créée par la menace allemande, le modèle italien et la crise morale résultant des scandales politiques qui achèvent de déconsidérer un Parlement impuissant.
La société apparaît sclérosée, marquée par de nombreux freins. La gravité de la situation démographique est préoccupante. La Grande Guerre a globalement amputé la population française de près de 3 millions de personnes (y compris le déficit des naissances et la surmortalité des civils pendant la guerre). De 1921 à 1931 la population n’est passée que de 39.2 millions d’habitants à 41.9 millions, soit 2.7 millions d’habitants en plus, dont plus de la moitié est due à l’immigration puisque le nombre des étrangers passe pour la même période de 1.5 million à 2.7 millions. Le vieillissement de la population, le renouvellement insuffisant des classes dirigeantes ne favorisent pas l’adaptation aux changements. La France vit une crise démographique. La stabilité du nombre des adultes entraîne la stagnation de la population active ce qui détermine l’appel à la main d’œuvre étrangère. On prend conscience des problèmes démographiques : la loi du 11 mars 1932 étend les allocations familiales à l’ensemble des salariés, on prépare un Code de la Famille.
La société est en proie au doute. La guerre a ébranlé les assises morales traditionnelles de la société française. Les horreurs de la guerre de tranchée se sont inscrites durablement dans la mémoire des anciens combattants dont le nombre et l’esprit de camaraderie appris au front constituent un phénomène social sans précédent. Les associations d’anciens combattants prolifèrent, couvrant tout l’éventail des options politiques, attachées au pacifisme mais exigeantes envers l’Allemagne et critiques à l’égard des faiblesses du parlementarisme.
¹⁸ Un des chefs de file de l’opposition de droite, député, ancien ministre.
¹⁹ In Le Souverain captif, 1936.
3. La montée des ligues, une crise de civilisation
Groupes de pression situés majoritairement à droite voire à l’extrême droite, les ligues mobilisent contre le régime tous ceux qui sont déçus par l’évolution de la situation : anciens combattants, membres des classes moyennes, victimes de l’inflation. Par des actions de rue, elles s’efforcent de provoquer une crise qui permettra l’avènement d’un pouvoir fort. Nationalistes à des degrés divers, les ligues font passer le redressement français par la constitution d’un État fort avec de nombreuses nuances depuis la République jacobine jusqu’au modèle italien. La plupart des ligues qui se sont constituées n’envisagent pas une rupture totale avec le régime mais seulement sa transformation, peu d’entre elles se réclament ouvertement du fascisme et plusieurs ont déjà entamé un lent déclin. Leurs objectifs sont multiples.
Certains groupes rêvent de déstabiliser le régime pour mettre fin à la République parlementaire et la remplacer par un pouvoir fort aux contours mal définis. C’est le cas de l’Action Française, ligue monarchiste inspirée par Charles Maurras. C’est une des ligues majeures avec les Croix de Feu. Elle s’est faite plus violente depuis sa condamnation par le Pape en 1926 qui lui a fait perdre 45% de ses adhérents et 80% de ses ressources financières. Elle devient violemment anticléricale, elle attaque la hiérarchie et l’Eglise.
La Solidarité Française a été fondée par le parfumeur François Coty, elle est soutenue
