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Les jeux dangereux de Patrick Drahi

PORTRAIT

Les autorités portugaises ont parlé d’une « opération Picoas », en référence au quartier chic de Lisbonne où siège le groupe Altice. « Opération déflagration » aurait sans doute mieux convenu. Les 13 et 14 juillet 2023, une centaine d’agents de la police judiciaire et du fisc ont mené de front 90 perquisitions dans tout le pays. Au siège lisboète de l’opérateur télécoms, donc. Dans le district de Braga, chez Armando Pereira, le numéro deux du groupe cueilli en short dans la villa où il séjournait en vacances. Chez divers complices, avocats et sous-traitants aussi. Très vite, l’affaire s’est avérée tentaculaire. Trois ans que la justice portugaise préparait ce coup de filet. Armando Pereira et ses acolytes sont accusés, entre autres, d’avoir détourné près de 200 millions d’euros sur les contrats d’achat du groupe Altice. Une quinzaine de personnes impliquées, souvent des hauts gradés, aux États-Unis et en France également, ont été assignées à résidence jusqu’à nouvel ordre.

Il faudra attendre trois semaines avant que Patrick Drahi réagisse, le temps de suspendre de leurs fonctions les mis en cause. Le 7 août, il s’exprime devant les analystes financiers : « Si ces allégations sont vraies, je me sens trahi et trompé. » Aucune caméra n’est là pour saisir l’instant. En revanche, une photo revient alors sans cesse à la « Une » des journaux et à la télévision, une image que l’intéressé voudrait sans doute faire oublier, ou « photoshoper ». Elle date du 22 juin 2017, le jour de l’introduction en Bourse d’Altice USA. On y voit Patrick Drahi poser fièrement devant les colonnes néoclassiques de Wall Street, le logo de son entreprise au-dessus des drapeaux américains. À sa gauche se tient un petit homme au front dégarni, tout sourire : Armando Pereira, le suspect numéro un de l’opération Picoas.

Quel pacte unit les deux hommes ? Comment expliquer leur complicité de trente ans alors que tout les oppose ? Ces questions, le petit monde des télécoms se les posait depuis longtemps. Elles ressurgissent au cœur de l’été 2023, comme un boomerang. D’un côté, il y a le polytechnicien originaire du Maroc, devenu le chouchou des milieux financiers, un magicien à qui l’on prête des milliards les yeux fermés. De l’autre, l’autodidacte venu d’une région pauvre du Portugal, arrivé en France à l’âge de 14 ans, entrepreneur à force de ténacité – le « milliardaire aux pieds nus » comme sa fille l’a présenté. Entre eux, on devine quelques points communs, un goût immodéré du risque (les montagnes de dettes pour l’un, la course automobile pour l’autre), une aversion pour l’establishment français et son entre-soi, la volonté farouche de s’enrichir. Sans doute ont-ils aussi compris très vite ce que l’un pouvait apporter à l’autre. À Patrick Drahi les deals spectaculaires ; à Armando Pereira l’intendance, le travail de l’ombre.

Le PDG n’est à ce jour soupçonné d’aucune malversation. A-t-il été rattrapé par son tempérament d’homme pressé, au point de ne rien voir de ce qui se tramait ? Patrick Drahi fait figure d’électron libre dans le monde des affaires. Toujours entre deux continents, deux jets, il donne le tournis. Résidant tantôt en Suisse, tantôt à Tel-Aviv ou à New York, parfois en villégiature aux Antilles, il a quatre passeports en poche. S’il fut un moment propriétaire d’un hôtel particulier rue d’Andigné, dans le 16e arrondissement de Paris, il Et le fait qu’il soit devenu propriétaire de BFMTV et de RMC n’y a rien changé. Quant à ses actuels ou anciens collaborateurs, souvent tenus par des clauses de confidentialité (et des chèques de départ), ils se tiennent le plus loin possible de tout ce brouhaha. Ou alors, s’ils font quelques confidences, c’est sous le sceau du

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