Plymouth, 26 novembre 1913. Avec anxiété, Winston Churchill fixe l’énorme coque d’acier du Warspite qui refuse de quitter son berceau des chantiers de Devonport – signe de mauvais augure. Nommé Premier Lord de l’Amirauté deux ans plus tôt, le politicien de 39 ans sait qu’il joue en partie sa carrière sur ce bateau, dont il est le père spirituel. Convaincu que la course aux armements navals avec l’Allemagne est loin d’être gagnée, il a décidé de mettre des as dans son jeu: 5 cuirassés – Queen Elizabeth, Warspite, Valiant, Barham et Malaya – capables d’égaler en vitesse et de dépasser en blindage et armement tout ce que la flotte du Kaiser peut leur opposer.
Pour réussir son pari, le ministre, conseillé par l’ex-First Sea Lord Jackie Fisher, a misé sur deux innovations encore non testées. D’abord, il impose une propulsion au mazout (voir encadré p. 80) qui permettra de filer 25 nœuds – de quoi rivaliser avec les croiseurs de bataille, alors les navires de ligne les plus rapides. Ensuite, Churchill réclame 8 canons de 381 mm, calibre inédit qui exige un accroissement de taille. Avec 33800 t à pleine charge, le Warspite déplace 50 % de plus que le Dreadnought, qui a révolutionné la stratégie navale en 1906. Mais ce « super-Dreadnought », comme on l’appelle bientôt, coûte également 30 % plus cher… Aussi Churchill pousse-t-il un soupir de soulagement quand le Wars pite, poussé par des vérins hydrauliques, consent enfin à glisser dans la Manche, sous les vivats de 30000 témoins.
Le Premier Lord de l’Amirauté (First Lord of the Admiralty) est le ministre de la Marine britannique. Le Premier Lord de la Mer (First Sea Lord) est le commandant en chef de la Royal Navy.
Les géants de Mussolini
Près d’un quart de siècle plus tard, le 24 août 1937 à Gênes, la foule est exactement aussi nombreuse, mais l’ambiance est différente pour assister au lancement du . Sous un soleil radieux, le roi et la reine d’Italie, accompagnés de quelques huiles du gouvernement, sont venus présider la cérémonie. Ils n’éprouvent aucune appréhension, juste de la fierté: le cuirassé est le plus moderne, le plus puissant, le plus rapide et aussi le plus beau à être jamais sorti d’un chantier européen. Cette arme a vocation de propagande: signifie licteur, le magistrat romain porteur des faisceaux auquel le parti fasciste doit son nom. Mais il s’agit surtout pour la Regia Marina de surclasser la marine française, sa rivale numéro un. Riposte aux et tout neufs, le et son frère sont aussi véloces (31 nœuds), mais bien mieux armés (9 x 381 mm contre 8 x 330 mm) et protégés (ceinture de 350 mm contre 225 mm).