“JE POURRAIS CONTINUER COMME ÇA ÉTERNELLEMENT, SANS TRAVAILLER.” Si Christian Bale a tourné trois films l’an dernier, il n’a en revanche pas foulé un plateau de cinéma depuis des mois. Du reste, il ne sait pas du tout quand il y retournera, et cette absence de perspective a l’air de le rendre très heureux. Nous sommes dans un restaurant de Santa Monica, l’un de ses préférés à L.A., qu’il fréquente régulièrement avec son ami le réalisateur David O. Russell, pour discuter de scénarios, mais aussi pour observer les habitués du lieu. Des gens qui pour la plupart ignorent qu’il est un acteur célèbre et qui s’en foutraient sûrement s’ils le savaient. Teeshirt et pantalon noirs et défraîchis, longue barbe touffue façon général de la guerre de Sécession: il est de toute façon difficile de reconnaître celui qui a trois fois incarné l’inoubliable Batman de Christopher Nolan, et dont l’un des premiers rôles marquants était le Patrick Bateman d’American Psycho, réalisé par Mary Harron en 2000. Nommé quatre fois pour l’Oscar du meilleur acteur, il a remporté la statuette en 2010 pour son rôle dans Fighter. Bale avait 13 ans lorsqu’il a joué dans Empire of the Sun de Steven Spielberg en 1987. Dès lors, sa vie a été pour le moins mouvementée, même si elle n’avait pas été exactement tranquille jusque-là. Son père, un ancien pilote devenu conseiller financier, a eu plusieurs vies et a traversé le Royaume-Uni au gré de ses pérégrinations, suivi par sa femme, ses filles et son fils. Si Christian est clairement réfractaire à l’introspection, on devine encore en lui le gamin qu’il a été: attiré par les extrêmes, fasciné par la réinvention, animé autant que marqué par les fêlures de l’enfance et les sacrifices qu’il a dû faire pour prendre soin de ceux qu’il aime. De sa voix plus musicale et malicieuse que celle qu’on lui connaît à l’écran, il me questionnera sur à peu près tout ce qui me concerne dans le but assez évident d’éviter de parler de lui. Il estime que si les gens parvenaient vraiment le connaître, cela ruinerait tout ce qu’il essaie de faire en tant qu’acteur; je crois aussi qu’il n’est tout simplement pas intéressé par son moi. Son obsession, ce qu’il veut, ce qu’il cherche à tout prix, c’est l’oubli, le néant, l’effacement total de l’ego.
Christian Bale les accorde au compte-goutte. Mais les films continuent de s’accumuler, et il faut bien jouer le jeu, baisser la garde. Cet été, il était le méchant dans la grosse machine Ce mois-ci, il le nouveau film complètement fou de David O. Russell. En janvier prochain, on le retrouvera dans un polar dont l’action se situe au XIXe siècle, réalisé par Scott Cooper, avec lequel il a déjà collaboré à plusieurs reprises. Au sujet de cette année bien remplie, il lâche, comme pour lui-même: “Personne n’a besoin de ça. Pas même moi. Personne n’a besoin de me voir autant.”