LE TRÉPAS DE MARK LANEGAN LAISSE UN VIDE IMMENSE. Revenu des enfers à plusieurs reprises, on croyait l’homme invulnérable, insubmersible. Lanegan, c’était un colosse intimidant à l’aura surnaturelle, une présence intense, et surtout une voix, reconnaissable entre mille: ultra-grave, profonde, pleine d’aspérités, forgée par une vie d’excès. Un personnage plus grand que nature, poète réaliste à la carrière riche, labyrinthique, toujours passionnante.
Prendre la tangente
La rude destinée de Mark Lanegan commence dans une famille dysfonctionnelle. L’unique disquaire de la ville branche le juvénile rouquin sur Iggy Pop, les Damned ou le Velvet Underground. C’est la proverbiale épiphanie. Ecorché vif, davantage porté sur la bouteille et le sport que les études, Mark tombe ensuite dans la came. De petit boulot en petit boulot, il fait la connaissance des frères Conner. Les deux corpulents gaillards répètent dans l’arrière-boutique du vidéo-club familial avec le batteur Mark Pickerel. Lorsque Lanegan découvre le talent de l’asocial Gary Lee Conner — qui a enregistré seul la bagatelle de soixante-dix démos —, il décide de les rejoindre: voilà, pense-t-il, une bonne manière de prendre la tangente, subvenir à ses besoins grandissants en dope, et accessoirement draguer. C’est la naissance des Screaming Trees. La petite troupe usine un premier album, “Clairvoyance”, avant de passer sur le label SST monté par Greg Gill (Black Flag) pour trois autres disques au style encore fruste, entre garage rock fauché et hard rock psychédélique. C’est à cette époque que Mark croise le chemin d’un Kurt Cobain encore totalement inconnu mais déjà à la tête de Nirvana, et dont le talent l’éblouit immédiatement. Il deviendra bien vite une sorte de petit frère, en proie aux mêmes démons. L’explosion de la scène de Seattle, où Mark a fini par déménager, envoie les Screaming Trees sur l’orbite de la major Epic Records. Après “Uncle Anesthesia”, le chevronné batteur Barett Martin rejoint le gang qui arrive enfin à maturité avec l’excellent “Sweet Oblivion” qui, porté par les singles “Nearly Lost You” et “Dollar Bill”, s’écoule à plus de trois cent mille exemplaires en 1992.