Moto Revue

Une quinqua s’initie à la moto au Ladakh

Une débutante sur la plus haute route carrossable du monde dans la chaîne de l’Himalaya…

es débuts dans Paris, forcément biaisés dans cet environnement saturé, me confortent dans l’idée que les mecs se la pètent un peu, et que finalement, au guidon de ma 125 Rebel, la moto, c’est juste comme un vélo, avec un moteur au lieu des guiboles. Six mois plus tard, en pleine euphorie, j’apprends que des copains projettent d’aller l’été suivant passer 15 jours au Ladakh, dans cette partie de l’Inde que l’on appelle aussi le petit Tibet (enneigée la plupart de l’année, cette région ne se livre que durant les 4 mois d’été, entre juin et septembre, avec encore plus de certitudes en juillet et août). Ni une ni deux, je décide que j’en serai! Et pourquoi ne serais-je pas prête à conduire une 410 cm Royal Enfield Himalayan sur les pistes les plus hautes du monde? Hein, pourquoi? D’ailleurs, mes comparses valident. Ils ont des kilomètres de tout-terrain en Afrique et en Asie sur des Ténéré dans les pattes. Je leur fais confiance. La drôle de Team « Three idiots in Ladakh»* est formée de: Philippe, un motard aguerri de 78 ans qui sera aussi le photographe de ce périple, Jean-Louis, mon compagnon, jeune motard de 65 ans, et moi, quinqua, femme. Reste l’écueil du permis gros cube? Va falloir la jouer façon bricolage… Un coup de tampon de la Préfecture de Paris dans la case appropriée sur mon permis de, le tout acheté d’occasion. L’habit fera le moine. Et si la piste et moi ne faisons pas bon ménage, je revendrai les morceaux d’équipement en rentrant! Pour les préparatifs, deux options s’offrent à nous: le voyage clés en main ou tout organiser nous-mêmes. Avantages du voyage organisé: on ne se prend pas la tête, d’autres se la sont prise pour nous. L’organisation est théoriquement rodée: mise à disposition de motos « vérifiées», voiture d’assistance, sécurité du groupe, règlement des contraintes administratives, hébergement, assurance… Inconvénients: d’autres ont choisi pour nous l’itinéraire, les étapes, les compagnons, et puis on est amputé de la moitié du plaisir: le rêve, les semaines de préparation, les soirées autour des cartes, des guides et des bières… Notre choix est vite fait, on opte pour les soirées bières. Quelques semaines plus tard, le 11 août exactement, nous posons nos pieds en Inde. Premier choc, à New Delhi, la chaleur est insupportable. Nous avons hâte de quitter la capitale pour aller nous réfugier à la fraîche à Manali, sur les hauteurs du Ladakh, au nord du pays. Une adresse griffonnée sur un bout de papier tendu au chauffeur d’un tuk-tuk pétaradant qui part à fond droit devant lui comme s’il savait où il allait, quelques errances et frayeurs plus tard, nous arrivons au guichet de la compagnie Shimla. Nous avons décidé de nous la jouer local en optant pour le bus. Au programme, 16 heures de voyage pour parcourir les 547 km qui nous séparent de Manali, point de départ de notre road trip. Le bus Volvo, catégorie VIP, le plus confortable, n’a de confortable que la peinture fraîche de sa carrosserie. La pause dîner dans un resto glauque, éclairé de néons blafards et saturé d’une musique locale crachée plein tube, l’inévitable crevaison à 3 heures du matin, la terreur à chaque virage au bord des précipices, la route effondrée, le tape-cul d’une nuit passée coincés sur des sièges « couchette» pourtant à peine inclinables… Les « routards » arrivent fatigués… Pas de quoi regretter l’expérience, les voyages forment la jeunesse, non? Arrivés à Manali, nous prenons possession de nos trois Royal Enfield Himalayan 410 cm réservées avant le départ, ainsi que de notre hôtel pour la première nuit. Deux erreurs de débutant. Les loueurs de moto comme les hôtels font du touche-touche. Nous aurions pu économiser les ¾ d’heures d’errance avec le tuk-tuk qui, comme à Delhi, a questionné la moitié de la ville pour trouver son chemin. Et ne rien réserver depuis la France nous aurait également permis de négocier plus facilement les tarifs. Quant au loueur, heureusement que nous avions spécifié 3 motos, car au moment des formalités, il n’y en avait que 2. Bien évidemment, ils n’envisageaient pas un instant que je puisse, simple femme, être le 3 pilote. Dans cette logique, ils essayent de me refourguer une 350 Bullet comme si je ne savais pas qu’elle peinerait trop pour passer les cols à 5000 mètres, puis devant mon refus, une 500 Desert Storm dont je risque d’arracher le pot d’échappement sur la première grosse caillasse. Non monsieur, je veux la même que les garçons! Il obtempère. Mais à peine ai-je parcouru quelques centaines de mètres que je me fais larguer par mes petits camarades. Passer de ma raz-moquette de Rebel, 137 kg, 11 ch, 675 mm de hauteur de selle à l’Himalayan, 185 kg, 25 ch, perchée à 800 mm, n’est pas chose aisée. Dans la première montée un peu raide, entre nids-de-poule et tuk-tuk qui déboulent à toute blinde et dans tous les sens, je cale une fois, deux fois, trois fois… Jean-Louis revient à mon secours. Dégoûtée, je pars à pied après lui avoir jeté ma moto dans les bras. En fait, mon compagnon met bien vite le doigt sur mon problème: l’embrayage de la moto qu’ils m’ont refilé est mort. Ils ont dû se dire que moi, la fille, je ne m’en apercevrais pas. Notre départ est retardé d’une demi-journée le temps que nos loueurs remettent la moto un minimum en état. Nous en profitons pour acheter chacun 2 bidons de 10 litres pour augmenter notre autonomie en essence, des tendeurs, de la graisse pour les chaînes… Un peu mieux équipés, nous nous mettons en route pour les pistes les plus hautes du monde. Notre itinéraire emprunte une première partie classique, celle suivie par les tour-opérateurs qui font Manali/Leh. Nous croiserons d’ailleurs de nombreux groupes de motards encadrés de 4 x 4 d’assistance. Pour notre deuxième partie, nous avons fait le choix de ramener les motos à Manali en effectuant une grande boucle par Pangong Lake, situé à 4200 mètres d’altitude. Un itinéraire hors des sentiers battus. Nous voilà donc partis pour 480 km de routes et de pistes détériorées, des voies défoncées par l’hiver et par d’incessants travaux qui s’étirent sur un grand nombre de tronçons, cette route de Manali/Leh qui compte 2 cols à plus de 4500 mètres et deux autres à plus de 5000 mètres. Première heure, première gamelle. Nous avons bifurqué malgré l’œil désapprobateur des locaux, quittant la route goudronnée pour un chemin de terre rendu boueux par les pluies torrentielles qui s’abattent durant cette saison. Première ornière de terre glaise bien collante, j’ai peur, je ralentis… J’accélère, je patine, l’arrière chasse, l’avant dérape et oups ça y est, je reste debout mais la moto est couchée entre mes pattes. Ça promet. Les locaux avaient raison, nous n’avions rien à faire là, vers la Rohtang Valley, nous aurions dû rester sur la route encore goudronnée. Et après l’avoir rejointe, c’est bien elle qui nous amènera au premier col, le Rohtang Pass, à 3090 mètres d’altitude. Bientôt, une chicane en travers de la route. Avertis de la présence de barrages non officiels exigeant un droit de péage, nous faisons mine de nous arrêter et au dernier moment, remettons tous les trois plein gaz! Un petit coup d’adrénaline qui nous fait économiser notre premier bakchich. Il pleut. Malgré des bagages ultra-light (eh oui, je voyage avec deux mecs), ma moto me semble pourtant bien lourde à l’approche du premier gué. Une énorme cascade descend de la montagne et coupe la route avant de se jeter à gros bouillons dans le précipice. Jean-Louis part à pied pour sonder et décrète que « ça le fait». Il passe le premier. Philippe le suit, plus en force. Je n’ai plus d’autre choix que de les suivre, put’… ça fait peur, je me demande ce que je fais là… Mais bon, ça passe. Quelques kilomètres plus loin, nous décidons de nous arrêter lorsqu’un convoi d’une dizaine de camions militaires arrive face à nous. Nous sommes sur une piste défoncée, boueuse, pleine de caillasses, entre falaise et précipice, on ne joue pas, le plus gros a de toute façon toujours raison. Nous nous rangeons, ils passent. Un peu plus loin, un énorme embouteillage est causé par un camion-citerne bloqué au milieu de la piste, écrasé par un gros rocher. La situation semble inextricable. Tous les véhicules, à la montée comme à la descente, sont immobilisés depuis plusieurs heures déjà. Jean-Louis remonte la file à l’arrêt entre les véhicules et le ravin. Quelques kilomètres plus loin, ça ne passe plus. Juste une étroite et profonde ornière boueuse creusée entre camion et précipice. Je vois Jean-Louis hésiter, avant de s’engager… Des chauffeurs nous font de grands signes pour nous arrêter, Jean-Louis continue, Philippe est coincé derrière moi, pas le choix, faut y aller… J’applique la consigne n° 1 en tout-terrain: regarder loin devant! Bon, vu d’ici, et vu l’enjeu, c’est bien plus compliqué que sur le parking du centre commercial en région parisienne. Mais va savoir pourquoi, les étoiles brillent aussi jusqu’en Inde… Quelques centaines de mètres plus loin, je me retourne et regarde ce qu’on vient de passer. C’est maintenant que je flippe. Les mecs se félicitent, sur ce coup, si on se fie au seul résultat, on peut se dire qu’on a assuré.

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