Sept

Danser huit secondes avec le diable

La nuit a été courte pour Yvan et Tray, son frère d’armes texan. Hier, le pick-up a montré de sérieux signes de fatigue au niveau de Denver, et Castle Rock n’a été atteint qu’au lever du jour. Traînant ses éperons sur le circuit professionnel depuis 2009, le véhicule de Tray a eu le temps de s’abîmer. Il se repose depuis quelques heures chez Vogel Garage, dans la moiteur de l’été. En plus des drôles d’autocollants qui le décorent, l’engin possède un style particulier, avec sa cellule aménagée pour dormir et se laver. Le générateur brinquebalant, posé sur une grille rouillée à l’arrière, menace de tomber à tout moment. Mais «c’est le parfait outil de travail», affirme l’Américain avec fierté. Le garagiste, lui, a l’air un peu embarrassé. Il s’affaire, une casquette vintage pleine de cambouis posée sur son crâne ruisselant. Yvan en profite pour se laver les dents à l’arrière, puis charge des affaires dans sa Dodge noire.

Le verdict tombe: une semaine d’arrêt et 4’000 dollars pour réparer la courroie, entre autres. Les deux compères ne savent pas quand ils reviendront dans le coin pour récupérer le véhicule. «Les gens ne comprennent pas qu’on fait parfois trois villes, et donc trois rodéos et trois chevaux dans la même journée, précise Tray. Ma femme me demande constamment où je serai dans les jours qui viennent. Mais j’en sais rien moi!» Plus que ce souci d’ordre géographique, c’est le devis qui l’inquiète: «Il va falloir gagner demain à Greeley (Colorado) si on veut continuer à rouler.» Les éventuelles récompenses empochées lors de ce rodéo, dont le prize money pour le gagnant s’élève à 8’000 dollars, serviront plutôt à… rejoindre le suivant. Le jeune cowboy accuse un peu le coup. Il ne se mettra pas la pression. Selon lui, «c’est le meilleur moyen de se planter».

Dans la petite crêperie bretonne qu’a dégotée Yvan ce matin, les portions sont américaines. Cela n’empêche pas le Marseillais d’avaler deux immenses frenchs toasts briochés et une crêpe accompagnée de crème anglaise. Entre deux bouchées, il prend connaissance des chevaux qu’il montera prochainement. «Il y a de tout, du bon comme du mauvais», concède-t-il. En général, les cavaliers découvrent le nom des montures deux ou trois jours avant un rodéo. Ils analysent les statistiques du cheval, les notes qu’il a obtenues et quel cowboy l’a monté dernièrement. Mais aujourd’hui, pas besoin d’appeler qui que ce soit. Il connaît son cheval du soir. Il a monté Showbiz un mois auparavant, à Vernon dans le Texas, et a obtenu un joli 80 sur 100. Le type de note encourageante qui peut rapporter gros. Showbiz appartient à Benny Butler, le plus grand éleveur des Etats-Unis. Tray aussi a pioché un bon numéro, mais les nombreux whiskys ingurgités hier soir et le Bloody Mary du jour ne vont pas l’aider. Ce fougueux Texan au sourire aussi blanc que ravageur paraît détaché et joueur. Un peu le cliché qu’on se fait du jeune cowboy: «branleur au cœur tendre», charmeur et bagarreur. Yvan le conseille comme il peut.

Les deux amis arrivent sur place deux heures avant le show. Un peu de stretching, d’étirement, de rafistolage aussi. Dans le Sport Medicine Truck, la kinésithérapeute pose une poche de glace sur la main douloureuse d’Yvan. Une blessure qu’il traîne depuis quelques jours. En , la monte de chevaux à cru, les tensions sont immenses sur la main,

Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.

Plus de Sept

Sept8 min de lectureWorld
Le Bloc-notes D'Olivier Weber
Ce retour aux sources ne fut guère aisé. Avoir des racines balinaises vous convie à une pérégrination sur des terres paradisiaques, mais aussi à subir un purgatoire. D'origine indonésienne par sa mère et plus précisément de Bali, Linda Bortoletto a c
Sept1 min de lecture
Acheter Son Dieu
«Peut-on s'acheter un dieu?» C'est la question initiatrice d'une troisième quête pour Juan Pablo Meneses, inventeur du «journalisme cash», méthode par laquelle l'acte d'acheter sert de tremplin à l'exploration de thèmes plus larges. Dans son premier
Sept33 min de lecture
Alexandra David-Néel
Alexandra David-Néel est sans doute parmi les exploratrices du XXe siècle les plus connues. Sans doute en raison de la longévité et de l'exceptionnel legs intellectuel qui ont été les siens depuis sa naissance en 1868 et sa mort cent ans plus tard. C

Associés