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Travailler fatigue
Travailler fatigue
Travailler fatigue
Livre électronique162 pages1 heure

Travailler fatigue

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À propos de ce livre électronique

Ces poèmes du recueil, uniques et atypiques dans le répertoire poétique contemporaine, débouchent sur un nouveau mode narratif, celui de la poésie-récit, constituant le début d’une nouvelle expérimentation, tant du point de vue technique que du point de vue métrique. L’idée d'utiliser un vers très cadencé de treize ou seize syllabes lui vient en partie du vers familier des crépuscules et du vers libre whitmanien, dans une résolution toutefois très personnelle et innovante.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Cesare Pavese (1908-1950) est un écrivain, poète et traducteur italien. Passionné par la littérature américaine, il traduit Melville, Faulkner et Joyce, et fait connaître ces auteurs en Italie. Arrêté pour activités anti-fascistes, il est exilé en Calabre, où il amorce son Journal "Le Métier de vivre".

Après la guerre, membre du Parti communiste, il travaille aux éditions Einaudi et publie ses œuvres majeures : "Le bel été", "Dialogues avec Leuco" et "La lune et les feux". Marqué par la solitude, il se suicide à Turin en 1950, laissant un poème posthume, "La mort viendra et elle aura tes yeux".
LangueFrançais
ÉditeurA verba futuroruM
Date de sortie26 oct. 2025
ISBN9782369554349
Travailler fatigue

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    Aperçu du livre

    Travailler fatigue - Cesare Pavese

    TravaillerFatigueCouv.jpg

    CESARE PAVESE

    Travailler fatigue

    ANCÊTRES

    LES MERS DU SUD

    à Monti

    Un soir nous marchons le long d’une colline,

    en silence. Dans l’ombre du crépuscule qui s’achève,

    mon cousin est un géant habillé tout de blanc,

    qui marche d’un pas calme, le visage bronzé,

    taciturne. Le silence c’est là notre force.

    Un de nos ancêtres a dû être bien seul

    - un grand homme entouré d’imbéciles ou un malheureux fou -

    pour enseigner aux siens un silence si grand.

    Ce soir mon cousin a parlé. Il m’a demandé

    de monter avec lui : du sommet on distingue,

    au loin, quand la nuit est sereine, le reflet

    du phare de Turin. « Toi qui habites à Turin... »

    m’a-t-il dit, « tu as raison. Il faut vivre sa vie

    loin de chez soi: profiter, jouir de tout

    et puis, quand on revient comme moi à quarante ans,

    plus rien n’est pareil. On n’oublie pas les Langhe. »

    Il m’a dit tout cela et il ne sait pas l’italien,

    mais il parle lentement le dialecte qui, comme les pierres

    de cette même colline, est tellement rugueux

    que vingt ans de langages et d’océans divers

    ne l’ont pas entamé. Et il gravit la côte

    avec ce regard recueilli qu’enfant j’ai souvent vu

    dans les yeux des paysans un peu las.

    Pendant vingt ans il s’est baladé par le monde.

    Il partit quand j’étais un enfant que les femmes portaient

    et on dit qu’il était mort. Puis j’entendis parfois

    les femmes en parler sur un ton de légende ;

    mais les hommes, plus graves, l’oublièrent.

    Un hiver, pour mon père déjà mort arriva une carte

    nous souhaitant une bonne vendange, avec un grand timbre verdâtre

    qui montrait des bateaux dans un port. La surprise fut grande

    mais l’enfant qui avait grandi expliqua avidement

    que le mot provenait d’une île appelée Tasmanie

    qu’entoure une mer plus bleue, aux féroces requins,

    dans le Pacifique, au sud de l’Australie. Il ajouta que le cousin

    pêchait certainement des perles. Puis il ôta le timbre.

    Tous donnèrent leur avis, mais tous, ils conclurent

    que s’il n’était pas mort, il mourrait.

    Puis tous ils oublièrent et bien du temps passa.

    Oh ! Depuis que j ‘ai joué aux pirates malais,

    que de temps est passé. Et depuis celte fois

    où je suis descendu me baigner dans des eaux périlleuses

    et où j’ai poursuivi un camarade de jeux sur un arbre,

    brisant ses belles branches, où j’ai cassé la gueule

    d’un rival, où j’ai été roué de coups,

    que de vie est passée. D’autres jours, d’autres jeux,

    d’autres séismes du sang devant des rivaux

    plus fuyants : les pensées et les rêves.

    La ville m’a appris des terreurs infinies :

    une foule, une rue, m’ont donné le frisson,

    parfois une pensée, épiée sur un visage.

    J’ai encore dans les yeux la lumière railleuse

    des milliers de réverbères sur la cohue des pas.

    Mon cousin est rentré, gigantesque, à la fin de la guerre,

    un des rares survivants. Et il avait de l’argent.

    Les parents murmuraient à voix basse : « Dans un an

    tout au plus, il aura tout claqué et il repartira.

    C’est comme ça que les têtes brûlées meurent toujours. »

    Mon cousin a un air énergique. Il acheta un rez-de-chaussée

    au village et y fit prospérer un garage en ciment

    et devant, flamboyante, une pompe à essence,

    et bien en évidence, sur le pont, au tournant, un grand panneau-réclame.

    Il installa un gars pour encaisser l’argent

    et lui, se balada dans les Langhe en fumant.

    Entre-temps, il s’était marié au village. Il choisit une fille

    blonde et mince comme les étrangères

    qu’il avait dû sans doute rencontrer par le monde.

    Mais il continua à sortir toujours seul. Habillé tout de blanc,

    les mains derrière le dos, le visage bronzé,

    il explorait les foires le matin et d'un air sournois

    marchandait les chevaux. Plus tard il m’expliqua,

    quand son plan échoua, qu’il avait projeté

    de faire disparaître toutes les bêtes de la vallée,

    et d’obliger les gens à lui acheter des moteurs.

    « Mais la plus grosse bête, disait-il, c’était moi,

    qui ai eu cette idée. J’aurais dû m’en douter

    qu’ici gens et bœufs sont une même race. »

    Nous marchons depuis bientôt une heure. Le sommet est tout près ;

    Autour de nous, toujours plus fort, le vent siffle et murmure.

    Mon cousin s’arrête tout à coup et se tourne « Cette année,

    je mettrai sur l’affiche : - Santo Stefano

    a toujours triomphé dans les fêtes

    de la vallée du Belbo - que ceux de Canelli

    se le tiennent pour dit. » Puis, il reprend sa marche.

    Un parfum de terre et de vent nous enveloppe dans le noir,

    au loin, quelques lumières : des fermes, des autos

    que l’on entend à peine ; et je pense à la force

    qui m’a rendu cet homme, l’arrachant à la mer

    et aux terres lointaines, au silence qui dure.

    Mon cousin ne parle pas des voyages qu’il a faits.

    Il dit, tout juste, qu’il a été dans tel ou tel endroit et pense à ses moteurs.

    Seul un rêve

    lui est resté dans le sang : une fois, comme chauffeur,

    il a croisé sur un bateau hollandais, le Cétacé ,

    et il a vu les lourds harpons voler sous le soleil,

    les baleines s’enfuir au milieu d’une écume de sang,

    il a vu la poursuite, les queues se dresser, la lutte en baleinière.

    Quelquefois, il m’en parle.

    Mais lorsque je lui dis qu’il est de ces heureux à avoir vu l’aurore

    sur les plus belles îles de la terre,

    au souvenir il sourit et répond que le soleil

    se levait sur un jour qui pour eux était vieux.

    ANCÊTRES

    Stupéfié par le monde, il m’arriva un âge

    où mes poings frappaient l’air et où je pleurais seul.

    Écouter les discours des hommes et des femmes

    sans savoir quoi répondre, ce n’est pas réjouissant.

    Mais cet âge a passé lui aussi : je ne suis plus tout seul,

    si je ne sais répondre, je m’en passe très bien.

    J’ai trouvé des compagnons en me trouvant moi-même.

    J’ai découvert qu’avant de naître, j’avais toujours vécu

    dans des hommes solides, maîtres d’eux,

    dont aucun ne savait que répondre et qui tous restaient calmes.

    Deux beaux-frères ont ouvert un commerce - le premier

    coup de chance en famille - l’étranger était sérieux,

    calculant sans arrêt, mesquin et sans pitié : une femme.

    Quant au nôtre, au magasin, il lisait des romans

    - au village c’était quelque chose - et les clients qui entraient

    s’entendaient déclarer par quelques rares mots

    qu’il n’y avait pas de sucre et pas plus de sulfate,

    que tout était fini. Et c’est lui qui plus tard

    a donné un coup de main au beau-frère en faillite.

    Quand je pense à ces gens, je me sens bien plus fort

    que si devant la glace je roule les épaules

    et forme sur mes lèvres un sourire solennel.

    J’eus, dans la nuit des temps, un grand-père

    qui, s’étant fait rouler par un de ses fermiers,

    se mit alors lui-même à bêcher les vignobles - en été -

    pour avoir un travail bien fait. C’est ainsi

    que toujours j’ai vécu et toujours j’ai gardé

    un visage intrépide et j’ai payé comptant.

    Et dans notre famille, les femmes ne comptent pas.

    C’est-à-dire que chez nous elles restent à la maison

    et nous mettent au monde et ne disent pas un mot

    et ne comptent pour rien et nous les oublions.

    Chaque femme répand dans notre sang quelque chose de nouveau

    mais elle s’anéantit entièrement dans cette œuvre

    et nous seuls subsistons, ainsi

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