J’Étais Esclave Chez Les Mormons: Un Témoignage d’Époque sur la Polygamie Mormone et la Conquête de la Liberté
Par Ann-Eliza Young
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À propos de ce livre électronique
Dans ce témoignage bouleversant, Ann-Eliza Young, l’une des épouses du chef mormon Brigham Young, dévoile de l’intérieur les pratiques les plus controversées de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours au XIXᵉ siècle. Elle raconte son quotidien dans un univers régi par la polygamie, la soumission des femmes et un pouvoir religieux absolu, où chaque geste était surveillé et chaque révolte réprimée.
À travers ses mémoires, elle dresse un réquisitoire implacable contre les dérives du mormonisme de son époque, tout en livrant le récit poignant de son combat pour briser ses chaînes. Entre confessions intimes et dénonciation courageuse, son texte éclaire l’envers du décor d’une communauté souvent idéalisée, mais dont les pratiques ont marqué de profondes blessures.
"J’étais esclave chez les Mormons : Un témoignage d’époque sur la polygamie mormone et la conquête de la liberté" est un document unique, à la fois récit de survie et cri d’émancipation. Un livre essentiel pour comprendre la condition féminine dans l’Amérique du XIXᵉ siècle, et la force de celles qui ont osé dire non.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Ann Eliza Young, née le 13 septembre 1844 et morte en 1925, également connue sous le nom d'Ann Eliza Webb Dee Young Denning, fut l'une des cinquante-cinq épouses de Brigham Young. Née de parents mormons, elle épousa d'abord un soldat de la guerre de Sécession à l'âge de dix-neuf ans, dont elle eut deux fils.
À l'âge de 24 ans, Ann Eliza devint la 19e épouse du dirigeant mormon Brigham Young, alors âgé de 67 ans. Après sept années de mariage polygame, elle quitta son époux et l'attaqua en justice pour négligence, cruauté et abandon, réclamant une pension alimentaire considérable.
Dans les années 1870, les journaux du monde entier relatèrent cette affaire retentissante qui traîna le nom de Brigham Young devant les tribunaux. En 1876, après avoir réussi à s'échapper de la secte mormone, Ann Eliza publia son autobiographie intitulée "Wife n° 19". Elle devint par la suite une critique de la polygamie et une militante pour les droits des femmes au XIXe siècle."
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Aperçu du livre
J’Étais Esclave Chez Les Mormons - Ann-Eliza Young
Avant-Propos
Un mot sur l’auteur,
Ann Eliza Young (1844-1917)
Fille de Chauncey Griswold Webb et de Eliza Jane Churchill Webb.
Ses parents font partie des tout premiers convertis à l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, plus communément appelée mormonisme.
Alors qu’Ann Eliza est encore très jeune, sa famille voyage beaucoup, dans des conditions souvent précaires, pour suivre les déplacements des Mormons, ou des Saints comme ils se dénommaient eux-mêmes. Finalement, ils s’installent à Salt Lake City, dans l’Utah.
Après un premier mariage qui tourne court, Ann Eliza devient la dix-neuvième femme de Brigham Young. Cependant, selon de nombreuses sources, Brigham a déjà bien plus de 19 femmes lorsqu’il épouse Ann Eliza ; il était en effet difficile de recenser les mariages à l’époque étant donné qu’ils étaient célébrés dans le plus grand secret.
Elle finit par rejeter le mormonisme en 1874, elle entame alors une tournée de conférences à travers les États-Unis pour lutter contre l’endoctrinement de son ancienne religion.
Elle défend avec ferveur le Poland Act (1874), du nom de son auteur Luke P. Poland, notamment lors de son intervention au Congrès américain en 1975. Cette loi avait pour but d’empêcher l’Église mormone d’avoir le pouvoir absolu dans le système juridique de l’Utah, elle réformait le système des cours de successions en Utah, limitant le pouvoir des marshals mormons en faveur de ceux des États-Unis. Ainsi, le gouvernement américain avait plus de poids et pouvait mieux lutter contre la polygamie.
Une rumeur existait concernant la possible disparition d’Ann Eliza peu après la publication de cet ouvrage. Sa trace a depuis été retrouvée : elle est morte en 1917 d’une pneumonie.
Les principaux acteurs
du mormonisme au 19e siècle
Joseph Smith (1805-1844)
Fils de Joseph Smith et de Lucy Mack, tous deux presbytériens.
Il est le père de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, une religion dont il proclame l’existence en 1820 à New York.
Il traduit le Livre de Mormon vers l’anglais entre 1827 et 1829. Si l’on en croit les écrits mormons, Joseph trouve des tablettes dans une grotte de la colline de Cumorah, dans l’État de New York. Cet emplacement lui aurait été révélé par l’ange Moroni. Grâce à l’« urim et thummim », un instrument sacré semblable à des lunettes, il aurait pu traduire les tablettes depuis l’« égyptien réformé » alors même qu’il était illettré. Ce récit fait néanmoins polémique, car l’égyptien réformé est une langue dont l’existence est encore aujourd’hui contestée. En effet, certains linguistes ont étudié le Livre de Mormon et affirment que le texte original devait être écrit en hébreu ; d’autres pensent que les tablettes n’ont même jamais existé et que le Livre de Mormon a été inventé de toutes pièces.
Après la publication de l’ouvrage, Joseph conduit ses fidèles dans le Missouri, puis en Illinois où ils fondent la ville de Nauvoo en 1839.
L’année suivante, Joseph Smith affirme avoir eu une révélation concernant « l’alliance éternelle » : apparaît alors la polygamie, la pratique mormone la plus controversée, autorisée, voire encouragée, par l’Église à l’époque.
Joseph Smith meurt en 1844 alors qu’il n’a que 38 ans.
Brigham Young (1801-1877)
Fils de John Hayden Young et Abigail « Nabby » Howe Young.
Il se convertit au mormonisme en 1832. Il se fit rapidement indispensable dans la communauté mormone et, à la mort de Joseph Smith, il s’imposa comme une évidence en tant que nouveau « Prophète ».
Ce nouveau titre acquis, c’est lui qui guida les Mormons vers l’Utah et décida d’y faire construire son « Sion », Salt Lake City. Il dirige l’Église d’une main de fer et entreprend de nombreuses réformes. Pendant sa présidence, Salt Lake City s’agrandit et prospère.
Concernant sa famille, il aurait eu entre 44 et 55 femmes et serait le père d’au moins 57 enfants.
Il meurt en 1877 à 71 ans.
Le mormonisme aujourd’hui
« Pendant des décennies, l’image des fidèles de l’Église des Saints des Derniers Jours se résumait à celle des jeunes missionnaires à vélo bien peignés et affublés d’un costume sombre.[…] Aujourd’hui, leur image a bien changé. »
« États-Unis. Des mormons si branchés », par Bérangère Cagnat, publié le 21/11/2011 [consulté en avril 2016]
Le mormonisme se définit comme une religion révélée et un courant chrétien restaurationniste. Il prône un retour aux Écritures originelles et à la plus pure tradition chrétienne. Cela lui a d’ailleurs valu de nombreuses critiques : d’après certains, le fait que le Livre de Mormon – son œuvre canonique – ait subi des modifications est incompatible avec le principe même d’une religion révélée.
Les Mormons ont pour principale icône l’Ange Moroni, fils de Mormon. Contrairement aux autres chrétiens, ils n’utilisent pas le symbole de la croix ni l’effigie de Jésus-Christ, puisqu’ils considèrent que le Christ est ressuscité et vivant parmi les hommes : Jésus-Christ est dissocié du Seigneur puisque ce premier n’est considéré que comme un prophète et non un être divin par essence. Ils défendent, notamment, les valeurs de la famille et du mariage. Selon eux, l’homme ne peut gagner son salut que par le mariage, pour sa vie terrestre comme dans l’éternité.
La femme, quant à elle, doit d’abord remplir son rôle d’épouse et de mère. Notez que la polygamie était de mise dans la communauté mormone jusqu’en 1890 (grâce aux efforts de Wilford Woodruff). À notre époque, certaines familles continuent de pratiquer la polygamie, mais ce n’est plus la tendance générale et elle n’est plus reconnue officiellement.
Le Président actuel de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours est Thomas Spencer Monson. Il est le représentant des 14 millions de Mormons à travers le monde (dont
6 millions aux États-Unis, où ils représentent 2 % de la population). La hiérarchie de l’Église n’a pratiquement pas changé depuis ses premiers jours. Et, aujourd’hui encore, elle dirige un vaste réseau de missionnaires : ils ne sont pas moins de 50 000, toutes nationalités confondues, à partir en « mission » de par le monde pour pratiquer le prosélytisme.
L’Église, outre son rôle religieux, est devenue un véritable empire financier et promeut de nombreux projets commerciaux. Nombreux sont les Mormons qui ont une influence sur la vie politique et économique aux États-Unis et dans le reste du monde. Saviez-vous, par exemple, que les mormons détiennent de nombreuses chaînes de radio et de télévision aux États-Unis ? Que la Brigham Young University est une des universités les mieux cotées aux États-Unis et qu’elle a formé des hommes politiques tels que Mitt Romney – candidat à la présidentielle américaine en 2002 ? Que de grands hommes d’affaires mormons sont à la tête de grandes sociétés telles que le Beneficial Financial Group, une compagnie d’assurance et de services financiers dont le capital est estimé à pas moins de
3 milliards de dollars ? Leur influence économique leur a souvent été reprochée, mais ce n’est pas leur seule caractéristique à faire polémique : leur manque de transparence concernant leurs cérémonies et leurs rites, et leur opposition au mariage homosexuel, légalisé aux États-Unis en 2015, en sont d’autres.
Le mormonisme, de manière générale, est souvent critiqué pour ses tendances conservatrices et traditionnelles.
Par contre, on reconnaît aux Mormons leurs actions positives sur l’éducation et le développement, au niveau local comme international. Par exemple, les Mormons sont à l’origine de nombreuses œuvres caritatives et redistribuent des fonds aux populations en difficulté dans le monde entier. Ils mettent un point d’honneur à défendre les valeurs chrétiennes de charité et d’entraide, à travers des projets comme le Fonds Perpétuel d’Éducation (qui octroie des prêts aux étudiants), ou encore les LDS Charities – organisations majoritairement tenues par des femmes, d’ailleurs. Les Mormons financent en outre des programmes de recherche scientifique et technologique.
Chapitre 1
Née parmi les Mormons
Depuis mon apostasie*¹ de l’Église mormone, tous me demandent pourquoi je suis devenue mormone en premier lieu. De fait, c’est la première question que me posent les journalistes. Même les hommes d’Église sont impatients d’en connaître la réponse, eux qui ont fait fi de mes croyances et de ma secte et m’ont accueillie dans la lumière de la foi chrétienne. Ils m’ont ainsi sortie du fanatisme et de la bigoterie qui me tenaient prisonnière.
Si la curiosité, l’intérêt et le désir de satisfaire un public avide d’informations à mon sujet sont les différents motifs qui poussent mes interlocuteurs à me poser cette question, c’est toujours avec la même incrédulité qu’ils apprennent que je suis née dans la foi. Il me semble parfois que les Gentils* considèrent impossible qu’une personne naisse mormone. À leurs yeux, tout Mormon est prosélyte² d’une fausse religion.
Si j’entreprends la rédaction de cet ouvrage, c’est pour montrer au monde le véritable visage du mormonisme et dénoncer les pitoyables conditions de vie de ses femmes, réduites au pire esclavage qui soit. Ce n’est pas seulement leur corps qui leur est ravi, mais également leur âme. J’espère pouvoir éveiller de la compassion pour les enfants et les jeunes nés et élevés dans cette atmosphère d’impureté sociale et, par-dessus tout, susciter l’intérêt, puis l’indignation, des citoyens américains. Si je me suis lancée dans cette entreprise, ce n’est pas seulement pour moi-même, mais également pour toutes ces femmes malheureuses en Utah qui, contrairement à moi, sont trop faibles ou trop timides pour se libérer de leurs entraves.
Sachez que j’ai l’intention de dresser un portrait fidèle de la vie que mènent les Mormons. Je ne dissimulerai rien, même si, par moments, ce récit pourra s’avérer douloureux pour moi, puisqu’il réveillera des souvenirs que je voudrais oublier et rouvrira de vieilles blessures que j’ai tant espéré voir guérir. Je veillerai à ne pas tomber dans l’exagération ; croyez-moi, la vérité est si frappante et incroyable que je n’aurai nul besoin de faire appel à mon imagination.
Sachez aussi que tous les événements repris dans cet ouvrage sont issus de mon expérience personnelle ou de celle de personnes de confiance.
Il convient de commencer cette histoire au tout début de mon existence, puisque j’ai toujours été si liée à cette communauté. Il me serait presque impossible de la commencer ailleurs. Je suis née le 13 septembre 1844, à Nauvoo dans l’Illinois. Cadette d’une famille de cinq enfants, je suis la seule fille à avoir survécu.
Mon père et ma mère étaient tous deux des Mormons dévoués et furent parmi les premiers à se convertir à l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. En effet, ils rejoignirent l’Église de Joseph Smith très peu de temps après sa création.
Ils la suivirent dans toutes ses errances, connurent chacun de ses mouvements, et leur prospérité fut fonction de celle de l’Église. Ils étaient de fervents admirateurs de Joseph Smith et des amis très proches de Brigham Young, jusqu’à ce que ce dernier ne les trahisse et brise tous les liens qui les unissaient, y compris celui de la compassion religieuse, pourtant si tenace dans le monde mormon.
Mon père, Chauncey G. Webb, est né en 1812, à Hanover (comté de Chautauqua dans l’État de New York). C’est en 1833 qu’il entendit parler de la doctrine mormone pour la première fois, soit très peu après que Joseph Smith ait présenté au monde le Livre de Mormon*. Joseph prétendait avoir été choisi par le Seigneur comme nouveau messie pour rétablir la vraie religion sur terre. Le Seigneur lui avait révélé toutes les gloires de ce royaume* encore inexistant et sur lequel il devait régner en leader spirituel et temporel*.
Les parents de mon père embrassèrent cette nouvelle religion immédiatement et se préparèrent à partir pour Kirtland, dans l’Ohio. Cette ville devait devenir le noyau de cette nouvelle religion, le « Sion »* révélé à Joseph Smith comme le lieu où les Saints* devaient se rassembler. Tout naturellement, ils voulaient à tout prix que leurs enfants les y accompagnent, et mon père se sentit obligé de les suivre jusqu’au refuge promis au Prophète, Joseph Smith, et à ses fidèles.
Comme tant d’autres jeunes, il éprouvait à l’époque peu d’engouement à l’égard de la religion. Il n’avait guère pris le temps de considérer les croyances des différentes Églises. Le monde le fascinait tellement qu’il songeait très peu à ses mystères ou à l’avenir. Il avait l’esprit pratique et tendait même quelque peu vers le scepticisme. Par conséquent, il avait tendance à prendre les choses comme elles venaient et ne se laissait pas facilement influencer par le merveilleux ou le surnaturel. S’il avait pu choisir, il n’aurait probablement jamais embrassé la religion mormone, mais il céda aux supplications de ses parents et adopta le mormonisme, davantage par égard pour eux que par réelle conviction religieuse. À cette époque, les Saints étaient un peuple humble et spirituel qui vivait dans le respect de la loi et la crainte de Dieu. Ils chérissaient sincèrement et avec enthousiasme cette nouvelle foi et se servaient de la Bible pour la défendre, ou du moins se convaincre de sa valeur.
Ils n’avaient pas encore développé l’intolérance qui les caractérise aujourd’hui et, bien qu’ils fussent mûs par un certain fanatisme religieux, ils restaient honnêtes malgré tout. Il ne serait pas juste de fonder un jugement sur l’Église mormone telle qu’elle était à ses débuts à partir de ce qu’elle est aujourd’hui³, car cette dernière a perdu sa simplicité d’antan et s’est éloignée des principes fondamentaux qui lui servaient de pilier.
À l’époque, mon père ne pouvait lui reprocher le manque de sincérité qu’il pensait avoir décelé dans les autres religions et il comptait, par conséquent, se tenir à cette foi qu’il avait choisie, pour le meilleur comme pour le pire. En 1834, il se rendit donc à Kirtland avec ses parents, où il fit la connaissance de son premier amour en la personne d’Eliza Churchill, ma mère, qui était alors une charmante jeune femme d’à peine dix-sept ans.
Jamais deux personnes n’avaient été aussi mentalement et spirituellement opposées. En effet, ma mère était très croyante, à tel point qu’elle en était presque mystique. Elle croyait aux révélations et, pour elle, il ne faisait aucun doute que la religion mormone venait directement du « Seigneur ». Elle avait « des visions et des songes » et se sentait presque investie d’une mission divine. Religieuse, rêveuse, dévouée et mystique, elle avait tout le potentiel pour devenir une Jeanne d’Arc américaine. Je suppose que ce sont leurs différences qui poussèrent mes parents l’un vers l’autre. Ainsi, mon père avait une femme dont il pouvait
s’occuper et ma mère un homme pour la protéger.
L’enfance de ma mère n’avait pas été aussi douce que celle de mon père et l’idée d’être l’objet de ses tendres attentions pour le reste de ses jours lui procurait un incroyable sentiment de paix et de bonheur. Si seulement ce souhait avait pu se réaliser ! Mais la polygamie, cette malédiction jetée sur toutes les femmes mormones, détruisit ses espoirs avant même qu’elle ait pu réellement goûter au bonheur.
Née à Union Springs (comté de Cayuga, dans l’État de New York) le 4 mai 1817, elle n’y vécut que deux ans. Ses parents s’installèrent ensuite dans le comté de Livingston, dans le même État. Sa mère mourut alors qu’elle n’avait que quatre ans, laissant derrière elle trois enfants en bas âge, dont un nourrisson. Son père, ne parvenant pas à trouver quelqu’un pour s’occuper convenablement des trois enfants, prit, à contrecœur, la décision de les séparer et de les confier à différentes personnes en attendant. Cependant, le destin voulut que les trois enfants ne soient jamais réunis, bien qu’ils gardèrent contact les uns avec les autres. Encore aujourd’hui, les sœurs mormones et leur frère gentil restent très proches.
Ma mère fut confiée aux soins d’une famille du nom de Brown, dans laquelle elle vécut pendant douze ans. Elle y fut très malheureuse : on la traitait avec peu de tendresse et sans la moindre compassion. Bien qu’elle fût ambitieuse et avide de connaissances, on lui refusa une éducation digne de ce nom et elle fut réduite à la fonction de bête de somme. Cependant, vive d’esprit et dotée d’une solide mémoire, elle parvint à se construire une base de connaissances qui lui servirent de gagne-pain après l’arrivée des Saints en Utah. Elle dévorait toutes les lectures sur lesquelles elle parvenait à mettre la main, qu’il s’agisse d’un morceau de journal déchiré, de l’incontournable Farmer’s Almanac⁴ ou des quelques rares ouvrages historiques, biographiques ou de fiction qui avaient mystérieusement trouvé leur chemin jusqu’à la ferme⁵ de New York. Ses livres préférés restaient la Bible et les livres de cantiques méthodiques. Elle les avait lus et relus et pouvait ainsi en réciter d’importants passages de mémoire. Elle aimait par-dessus tout la passion et la dévotion que dégageaient les magnifiques hymnes de Wesley. Son âme d’enfant s’émerveillait des inspirations poétiques d’Isaïe et autres prophéties, auxquelles elle croyait sans pourtant les comprendre.
Lorsqu’elle eut quinze ans, elle adhéra à l’Église méthodiste, et, alors qu’elle n’en était qu’aux prémices de son éducation religieuse, des missionnaires mormons vinrent prêcher à Avon, la ville où elle vivait. Ma mère était tout naturellement très curieuse à l’égard de cette religion naissante – que l’on qualifiait d’illusion – et de son Prophète et fondateur, Joseph Smith – que l’on couvrait d’opprobres, le traitant, par exemple, d’hypocrite, d’imposteur ou de blasphémateur, avec toute l’amertume propre à la persécution religieuse. Mais elle fut défendue d’assister à leurs assemblées, et plusieurs mois passèrent avant qu’elle ne parvienne à écouter un de leurs sermons. Pendant ce temps, ce peuple suscita en elle un profond intérêt. Sa curiosité fut d’autant plus piquée qu’elle rencontra une si ferme – et, lui semblait-il, injuste – opposition dès qu’elle exprimait le désir d’écouter ce que les Mormons avaient à dire et de juger par elle-même de leur sincérité. Lors de ce sermon, auquel elle assista dans le plus grand secret, Joseph Smith prêcha sa nouvelle doctrine, s’étendant largement sur les gloires du « royaume » que les Saints bâtiraient sur terre, et ma mère but chacune de ses paroles. Comme elle éprouvait une certaine compassion pour cette religion naissante, si injustement accueillie, elle se laissa facilement convaincre de son origine divine et l’accepta immédiatement comme la religion véritable. Elle n’attendit pas la fin des deux jours que durait l’assemblée pour se convertir à l’Église mormone, et ce fut Brigham lui-même qui la baptisa.
Lorsque la nouvelle de sa conversion se répandit, elle devint l’objet d’une persécution acharnée. Sa famille d’accueil, notamment, tenta de la faire renoncer de force à cette nouvelle foi. Entre autres châtiments, ses parents adoptifs l’enfermèrent dans une cave pendant plusieurs jours, ne lui offrant que du pain et de l’eau. Malgré tout, ma mère ne se laissa pas influencer ; elle se tint à la foi qu’elle avait choisie. Elle en vint même à se délecter de la sévérité avec laquelle elle était traitée. Après tout, n’était-il pas salutaire d’endurer mépris et persécutions pour l’Église choisie par le Seigneur pour « bâtir Sion » ? Sa récompense n’en serait-elle pas plus grande ? Elle était si enthousiaste que rien n’avait le pouvoir de l’atteindre. Comme elle le dit elle-même : la persécution ne faisait qu’ajouter à son triomphe. Quand ses oppresseurs se rendirent compte que ni leurs arguments ni leurs menaces n’avaient d’effet sur elle, ils jugèrent de leur devoir d’apaiser leur conscience et de la mettre à la porte, puisqu’héberger une Mormone aurait constitué un péché. Ils ne remirent absolument pas en cause leur décision d’abandonner à elle-même une enfant si jeune ; ils lui fermèrent leur porte, comme ils lui avaient toujours fermé leur cœur. Elle se tourna donc vers le peuple pour lequel elle venait de tout abandonner. Ils l’accueillirent à bras ouverts et elle les suivit à Kirtland, où elle rencontra mon père quelques mois plus tard, quand celui-ci vint s’y installer.
C’est à ce moment-là que ma mère se lia d’amitié avec Brigham Young. Si elle lui était fidèle, ce dernier ne lui répondait que par de la méchanceté et de la perfidie. À l’époque, c’était un jeune homme zélé d’apparence sincère. Il faisait partie des missionnaires mormons les plus efficaces dans leur mission. Ami proche de Joseph Smith, celui-ci l’avait nommé à la fonction illustre d’apôtre* de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. D’aucuns estiment que seule la perspective d’une position élevée dans la communauté mormone le poussait à en faire partie. Nombreux sont les premiers Mormons qui pensent aujourd’hui qu’il nourrissait depuis le début l’espoir de marcher sur les pas de Joseph Smith et devenir Président de l’Église. En effet, rien dans son comportement ne laisse présager qu’il ait vraiment la foi ; il s’avère même parfois des plus sceptiques. Il s’est servi de l’Église comme tremplin vers une prospérité temporelle, et les Mormons, ses instruments dociles, l’y ont aidé.
À cette époque, il tentait de se sortir de la pauvreté et effectuait ses missions « sans bourse ni salaire », comme les apôtres chrétiens étaient tenus de les effectuer et comme tous les nouveaux apôtres le faisaient au début. Ma mère voyait en l’« Apôtre » Brigham tous les attributs d’un homme honnête, ainsi qu’une foi religieuse profonde. L’image que ma mère se faisait de lui n’était donc rien de plus que le fruit de son imagination et seul le temps lui permit de découvrir sa véritable personnalité.
Mes parents se marièrent un an après l’arrivée de mon père à Kirtland. Les premiers mois de leur mariage furent très heureux et l’argent ne manquait pas. Mon père, charron de profession, entreprit, dès son arrivée, de construire son propre atelier de construction de charrettes. Son entreprise rencontra un succès immédiat et l’argent qu’il gagnait dépassait ses plus grandes espérances. Il construisit une confortable petite maison et y installa ma mère et c’est là, pour la première fois depuis son enfance, qu’elle se sentit enfin chez elle ! Elle n’était plus une intruse de passage, mais bien la maîtresse d’une maison où l’amour régnait en maître absolu et incontesté.
C’est pendant cette période heureuse, la seule de sa vie, qu’elle put profiter de son temps libre pour étudier sans relâche. Sa soif intense de connaissance n’était jamais étanchée et elle considérait l’étude comme une plaisante récréation, ne pensant pas un seul instant qu’elle devrait un jour mettre ces connaissances en pratique. Elle ignorait encore tout de la doctrine des « femmes plurales »* et de la « gloire », ou plutôt la misère et la torture, qui en découlerait. Croyez-moi tant que la gent féminine sera ce qu’elle est, la polygamie restera pour elle une peine profonde.
Comme je l’ai mentionné précédemment, les affaires de mon père prospéraient, et lorsque Dieu « révéla » à Joseph Smith qu’il n’était pas seulement investi de la mission de prophète, mais également de celle de « banquier », mon père contribua à la création de la Kirtland Safety Society Bank en promettant d’y investir tout son argent. Pour faire simple, il donna à Smith tout ce qu’il possédait, excepté sa maison et son atelier, pour lui permettre de rassembler le capital nécessaire au lancement de sa banque. Mais celle-ci fit faillite très peu de temps après sa création et mon père perdit donc toute sa fortune. Cette affaire le dégoûta au plus haut point, surtout en sachant que Joseph ne dut essuyer que quelques piètres insultes de la part des Mormons. De leur côté, nombre de Gentils, qui avaient également été affectés par cette faillite, ne furent pas aussi complaisants et exigèrent que le Prophète comparaisse pour escroquerie devant la Cour des États-Unis. Cependant, comme toujours, Joseph parvint à échapper à la justice.
Alors que nombre d’entre eux avaient perdu toutes leurs économies, les Saints restèrent fidèles à leur leader et lui pardonnèrent, prétextant qu’il « n’était pas en phase avec le Saint-Esprit » pour le moment, et que la révélation qui lui était apparue n’était pas d’origine divine. Ils croyaient dur comme fer en la bonne foi de leur Prophète. Mon père, cependant, n’était pas aussi enclin à pardonner cet acte qu’il pensait prémédité et, comme il croyait déjà peu au bien-fondé des « révélations », il s’acharna dans ses dénonciations. Seule l’influence de ma mère, qui s’accrochait encore fermement à sa foi, le convainquit de ne pas quitter l’Église. Bien qu’elle ne l’ait jamais reconnu, je pense que, depuis, ma mère a beaucoup regretté sa fidélité religieuse de l’époque. C’est, en effet, cette loyauté et son acharnement qui la condamnèrent à une vie de souffrance. Sa religion, alors si chère à son cœur, ne lui apporta pas le moindre réconfort et la força à porter une croix bien trop lourde pour ses épaules. Je dois cependant être juste envers elle et admettre qu’elle a supporté toutes ses souffrances sans jamais s’apitoyer sur son sort.
Cette regrettable révélation s’ajoutant à quelques transactions commerciales des plus douteuses, la méfiance des habitants de l’Ohio à l’égard des Mormons allait en s’intensifiant. Les Saints n’eurent d’autre choix que de chercher un nouveau lieu où bâtir leur « Sion ». Il semblait évident que le Seigneur ne portait pas un regard favorable sur l’Ohio, et Il « révéla » à Joseph qu’il devait fonder Son royaume temporel dans le Missouri. Ce serait le Canaan mormon, la terre sur laquelle le peuple élu régnerait. Comme c’est étrange… Joseph avait déjà eu cette même révélation pour Kirtland.
Pour expliquer cette contradiction, le Prophète affirma plus tard que Satan œuvrait à la destruction du royaume de Dieu. Les émeutiers obligèrent Joseph et son conseiller, Sidney Rigdon, à « fuir leur influence mortelle, comme le firent de tout temps apôtres et prophètes ». Jésus n’avait-il pas ordonné à ses disciples de fuir les villes où ils se trouvaient persécutés ? Poursuivis par les autorités, c’est sans cérémonie que les deux hommes quittèrent « la ville choisie par le Seigneur », sous couvert de la nuit, pour ne jamais revenir. Depuis le Missouri, Joseph incita les Saints qui lui étaient restés fidèles à « rejoindre Sion promptement ».
En ce temps-là, les apostasies se faisaient nombreuses et le nombre d’« élus » diminua considérablement. Toujours aussi dévouée au Prophète, ma mère n’abandonna pas. Mon père, quant à lui, resta par affection pour elle. Ce fut donc uniquement pour la satisfaire qu’il daigna émigrer au Missouri avec le reste de l’Église.
Il venait de s’installer dans le comté de Daviess, à une cinquantaine de kilomètres de Far West où les Saints s’étaient rassemblés, et goûtait à peine aux joies de la prospérité et du réconfort familial quand la guerre du Missouri* éclata. Il dut se retirer en toute hâte avec sa famille à Far West pour se mettre à l’abri, laissant derrière lui sa maison et ses biens, qui tombèrent immédiatement aux mains des émeutiers.
Depuis son intégration à l’Église mormone, c’était la deuxième fois que mon père se retrouvait ainsi destitué de la totalité de ses biens. Il en aurait été terriblement découragé s’il n’avait pas été aussi outré de l’injustice avec laquelle les Gentils s’en prenaient aux Mormons. Il aida donc à protéger les membres de la communauté, ainsi que ce qui restait de leurs biens en attendant des jours meilleurs.
En ce temps-là, ma mère souffrait énormément. Les émeutiers avaient brûlé de nombreuses maisons et, comme tant d’autres femmes, elle se voyait contrainte à supporter les intempéries de l’hiver, sans pouvoir prétendre à un refuge digne de ce nom. Pour ajouter à sa détresse, elle avait alors deux enfants en bas âge. L’aîné n’avait alors que deux ans. Mais l’inconfort était loin d’être son seul souci : elle vivait dans la peur des émeutiers qui se livraient à une véritable guerre d’extermination avec les Saints.
Comme pour toute guerre religieuse, l’animosité régnait. Les Gentils n’avaient nullement l’intention de tolérer les Mormons et toute charité avait disparu. Les Mormons le leur rendaient bien. Ils étaient, après tout, le peuple élu par le Seigneur et, par conséquent, dans leur plein droit.
Bien que le monde les regardait toujours avec méfiance, les véritables hostilités ne commencèrent qu’après le célèbre discours incendiaire de Sidney Rigdon, à l’occasion de la pose de la pierre angulaire du nouveau temple de Far West, le 4 juillet 1838.
C’est en 1830 que Rigdon, un des Saints les plus dévoués, avait embrassé la religion mormone. Prêtre campbellite⁶ dans l’Ohio, il se convertit suite aux enseignements de Parley P. Pratt, un homme important aux débuts du mormonisme. Rigdon était un grand orateur et son éloquence, qui n’était en réalité qu’un ramassis de sottises, lui permit de gagner l’admiration des Saints. Ami et Premier Conseiller* de Joseph Smith pendant longtemps, il prit part à l’escroquerie de la banque de Kirtland avant de fuir avec lui au Missouri.
Joseph avait eu une révélation qui lui intimait d’élever un temple en l’honneur du Seigneur dans le nouveau Sion, puisque celui de Kirtland avait été profané par les Gentils, et c’est Rigdon qui fut choisi pour prononcer un discours à cette occasion.
Ce « champion de la liberté », comme l’appelaient ses admirateurs, prononça un discours plus ampoulé et accusateur que jamais. Il se laissa aller à des menaces et des injures si infamantes que les Missouriens, alors à l’affût du moindre prétexte pour se quereller avec leurs indésirables voisins, s’en indignèrent immédiatement. Il déclara, entre autres absurdités :
Que Dieu et ses anges me soient témoins. Vous voilà prévenus, vous qui voulez vous en prendre à nous ; tout homme, ou groupe d’hommes, qui se risque à nous persécuter, le fait au péril de sa vie. Nous pourchasserons tous les émeutiers qui viennent perturber notre paix et feront couler leur sang jusqu’à la dernière goutte, sans quoi ce seraient eux qui nous extermineraient. Nous leur ferons la guerre jusque dans leur maison. Tout homme qui nous menacera de revenir en nombre pour s’en prendre à nous, expiera son péché avant même d’avoir pu quitter les lieux. Aujourd’hui, nous nous proclamons libres et investis d’une mission que rien ne pourra faire échouer. Jamais ! Jamais ! Jamais !
Les Saints, déjà faciles à échauffer, répondirent à ce discours par des cris guerriers. Ils se voyaient conquérir le Missouri et y régner en maîtres. L’issue de l’affrontement ne laissait pas le moindre doute ; n’étaient-ils pas guidés sur cette Terre promise par la main du Seigneur ?
D’un naturel superstitieux, ils voyaient tout incident comme un signe divin et l’interprétaient toujours comme une promesse de succès. Pour marquer ce jour de célébration, ils érigèrent une hampe en signe de liberté qui, frappée par la foudre, s’effondra ce même après-midi. Les Mormons jubilèrent ; c’était nécessairement un présage de la défaite que connaîtraient leurs ennemis. Au vu de la rapidité avec laquelle ils se virent chassés du Missouri après cet incident, il semblerait plutôt qu’il s’agissait d’une mise en garde.
Jour après jour, l’animosité allait en s’intensifiant, et les adversaires attendaient impatiemment que l’un ou l’autre commette une exaction quelconque. La guerre commença réellement le mois suivant, lors des élections. Un homme du nom de William Peniston s’était présenté, mais les Mormons ne voyaient pas sa candidature d’un bon œil, car il avait mené une attaque contre eux dans le comté de Clay. Les Missouriens, conscients de la position de leurs ennemis, tentèrent de les empêcher de voter et une confrontation s’ensuivit, de laquelle les Mormons sortirent vainqueurs. Gallatin, la ville qui accueillait le tribunal du comté de Daviess, fut réduite en cendres par les Mormons. Les deux parties se livrèrent ensuite à une série de vols, de pillages et d’exactions en tous genres. La confusion et la haine avaient balayé, et la raison, et la charité chrétienne. Maisons, granges et meules de foin partaient en fumée.
Je ne sais pas vraiment sur qui placer le blâme ; chaque camp avait ses torts, mais il semblerait que Joseph enseignait à ses fidèles que « le Seigneur ordonnait » de se venger en arrachant à l’ennemi ses biens les plus précieux. Un enseignement tout à fait probable puisque l’esprit de l’Église mormone a toujours été celui de la vengeance. Encore aujourd’hui, ils s’en tiennent à la loi mosaïque « œil pour œil, dent pour dent » et leurs leaders ne se contentent pas de la conseiller, ils veillent aussi à ce qu’elle soit appliquée.
Ils ont même ajouté à la sévérité de ce précepte : « Une vie pour une offense, avérée ou suspectée, quelle qu’elle soit. »
Pour justifier leurs méfaits, ils mentionnent les israélites qui « empruntèrent » des bijoux égyptiens avant de fuir l’Égypte et scandent « la terre et tout ce qu’elle renferme sont au Seigneur » et leur revient donc, par extension, à eux, le peuple élu. Ils ne font, après tout, que récupérer leur héritage.
En tout état de cause, on ne peut pas dire que les Mormons se soient fait prier pour obéir aux commandements du Seigneur et de Joseph. C’est donc en bons sujets obéissants qu’ils prenaient tout ce qui leur passait sous la main.
Joseph se rendit dans une ville du comté de Daviess du nom de « Adam-ondi-Ahman », soit « la vallée de Dieu en laquelle Adam a béni ses enfants ». Elle avait reçu ce nom, bien entendu, suite à une révélation. Cette ville serait l’endroit exact où Adam et Ève auraient trouvé refuge après avoir été chassés hors du jardin d’Éden. À son arrivée, Joseph rassembla ses fidèles et leur adressa ce discours : « Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour persécuter nos ennemis. Je ne me suis jamais senti autant en phase avec le Saint-Esprit que depuis que nous avons commencé à voler et à brûler leurs maisons. » Mes parents vivaient à Adam-ondi-Ahman à l’époque et assistèrent à cette « sainte » déclaration.
Pendant ce temps, les bandes des Danites*, qui avaient prêté serment, commençaient à s’organiser dans le but de piller et de persécuter le peuple des environs. Ils avaient pour ordre de dépouiller les « Gentils impies » qui vivaient aux abords de la colonie. N’était-il pas écrit : « Les richesses des Gentils appartiendront au peuple de la maison d’Israël » ?
Joseph Smith nia avoir autorisé de quelque façon que ce soit la formation des bandes des Danites et il répétait d’ailleurs en public qu’il condamnait leurs agissements.
Malheureusement pour lui, Thomas B. Marsh, alors Président du Collège des douze apôtres*, et Orson Hyde, qui occupe aujourd’hui ce même poste, apostasièrent tous deux à ce moment-là et tinrent des discours qui engagèrent la responsabilité du Prophète dans les agissements des Danites. Tous deux réintégrèrent l’Église plus tard et déclarèrent avoir fait ces déclarations sous le coup de la peur, une raison ma foi bien probable. Écrasé sous l’opprobre, Marsh mourut peu de temps après ; Hyde, quant à lui, est encore parmi nous aujourd’hui, mais Brigham ne lui pardonnera jamais d’avoir apostasié.
Les crimes commis par les Danites et leurs semblables entraînèrent l’expulsion des Saints hors du Missouri et l’arrestation de Joseph et d’une cinquantaine de ses fidèles. Le sort semblait s’acharner sur le peuple mormon.
Chapitre 2
À la recherche de Sion
Les crimes se succédaient et la situation empirait de jour en jour. Les Mormons étaient sans nul doute les moins bien lotis dans cette guerre. Leurs adversaires ne leur montraient aucune pitié ; pendant le massacre de Haun’s Mills, par exemple, une compagnie de la milice missourienne abattit hommes, femmes et enfants de sang-froid, pilla et brûla leurs maisons et alla même jusqu’à dépouiller les cadavres de leurs vêtements.
Ce ne fut pas le seul lieu à devenir le théâtre de crimes inhumains. Les émeutiers s’en prirent aux hommes comme aux femmes, sans discrimination. À Crooked River, notamment, Mormons et Missouriens s’affrontèrent à maintes reprises. Des récits exagérés des différents incidents se propagèrent comme une traînée de poudre ; l’État tout entier se dressait contre les Mormons. Le gouverneur, qui sentait qu’il perdait le contrôle de la situation, ordonna leur expulsion, pensant ainsi mettre un terme au chaos, et leur donna trois mois pour quitter le Missouri. Bien entendu, cette injonction ne concernait pas ceux qui y étaient incarcérés et, selon les mots du gouverneur, « leur sort est fixé – leurs dés sont jetés – leur condamnation est scellée ».
Une fois encore, les apostasies se firent nombreuses. En quittant l’Ohio pour le Missouri, Joseph les avait tous mis en danger. Ils avaient souffert pauvreté et persécutions et étaient maintenant contraints de quitter leurs maisons pour chercher refuge dans un endroit plus accueillant. Ils s’étaient peu à peu lassés de cette guerre perpétuelle avec les Gentils. Si Dieu les avait un jour appelés, ils étaient à présent livrés à eux-mêmes et il était inutile de se soumettre à davantage d’épreuves et de souffrances.
Ceux qui restèrent n’en étaient que plus dévoués ; Joseph était leur prophète et ils lui vouaient, à lui et à ses révélations, une confiance aveugle. « Bénis sont ceux qui sont persécutés pour l’amour de la vertu » récitaient les Mormons de l’époque pour se donner du réconfort. De fréquentes lettres de Joseph, envoyées depuis sa geôle, leur donnaient du baume au cœur durant leur voyage pour atteindre leur nouvelle destination, l’Illinois, où, déjà las de tant d’errance, ils se rendaient. Dès qu’ils eurent vent de l’ordre d’expulsion, ils jurèrent de s’assurer que tous leurs Frères puissent quitter le Missouri sains et saufs. Pour y parvenir dans le temps qui leur était imparti, ils s’affairèrent sans relâche. Peu leur importaient la maladie, la pauvreté et les privations.
Ma mère m’a souvent décrit ce départ forcé. Elle en était toujours émue aux larmes et sa voix tremblait d’indignation. Les Saints prirent la route en plein hiver. Les femmes et les enfants, que les intempéries avaient rendus malades, furent contraints de quitter le Missouri avec les autres. Tous les moyens déployés pour assurer leur confort furent vains. Destitués de leurs chevaux, ils n’eurent d’autre choix que de fuir sur des charrettes tirées par des bœufs et de braver le froid et le vent hivernaux pour traverser la trentaine de kilomètres de prairies qui les séparaient de leur destination, et ce, sans même profiter du couvert d’une bâche.
Pour les protéger du froid, ma mère serra ses deux nourrissons dans ses bras pendant tout ce fastidieux trajet. Comme elle avait quitté le comté de Daviess en toute hâte, elle n’avait pu emporter que la robe qu’elle portait. À son arrivée dans l’Illinois, elle était complètement démunie, ses vêtements en lambeaux. Au printemps 1839, ils débarquèrent de l’autre côté du Mississippi, où, peu après leur arrivée, Joseph et les autres Mormons emprisonnés les rejoignirent. D’après Joseph, ils avaient « miraculeusement » échappé aux griffes de leurs ennemis.
Réunis avec leur Prophète, les Saints étaient comblés. Leur foi ainsi restaurée, ils étaient prêts à suivre aveuglément les commandements de la prochaine « révélation » du Prophète.
À ce jour, le peuple mormon n’a pas oublié sa rancœur à l’égard des Missouriens et les Saints ne manquent jamais une opportunité de les injurier. Même ma mère, en dépit de son apostasie et de son indifférence à la foi de l’Église mormone, ne leur pardonnera jamais. Elle dit souvent : « Quand bien même les Mormons étaient les pires fanatiques de la terre, les Missouriens n’avaient aucun droit d’agir comme ils l’ont fait. Certes, les agissements des Mormons et des bandes des Danites leur ont causé des pertes aussi bien matérielles qu’humaines, mais ils n’avaient aucun droit de punir des femmes et des enfants innocents pour assouvir leur vengeance. Ce fut là leur pire offense, car ce sont ces derniers, qui ne prirent pourtant aucune part à la confrontation, qui souffrirent le plus. »
Malgré les événements qui prirent place dans le Missouri, certains Saints le considèrent toujours comme la Terre promise et espèrent qu’un jour, ils seront amenés à y régner en maître. En tout cas, jusqu’à très récemment, nombre d’entre eux en étaient encore intimement persuadés. Brigham l’a prêché et promis, mais aujourd’hui il en parle très peu et lorsqu’il le fait, il a la présence d’esprit d’ajouter « si le Seigneur le veut ». Pour le moment, les signes tendent à indiquer que le Seigneur ne « le veut » pas, et tous les Saints ont volontiers accepté l’Utah en tant que nouveau Sion.
Ce bref résumé de la guerre du Missouri m’a été conté par mes parents. Bien que je n’ai entendu que la version mormone de l’histoire, je dois admettre qu’ils n’ont jamais essayé d’atténuer la part de responsabilité des Saints dans l’affaire et ils tiennent aujourd’hui Joseph pour responsable du manque de sagesse, et le mot est faible, de ses enseignements.
Il y a quelque temps, je parlais à un Mormon qui a connu le Missouri et l’Illinois. Il m’a raconté que, non seulement Joseph conseillait publiquement à son peuple de dépouiller les Gentils, mais qu’il allait même jusqu’à le leur ordonner en privé. Un jour, le Prophète l’avait envoyé voler du bois pour en faire des cercueils. Flanqué de quelques hommes, il longea la rivière et chargea un radeau du bois d’une scierie appartenant à un Gentil, avant de le ramener à la « Cité des Saints ». Un autre homme, aujourd’hui évêque* de l’Église, raconta à ma mère que Joseph l’avait chargé d’aller voler du bétail et de le ramener en ville. Son méfait accompli, il venait d’arriver en ville quand on le fit chercher ; il devait se joindre à un autre missionnaire pour oindre et bénir des personnes malades. Lorsqu’il croisa ce même missionnaire quelque temps plus tard, il lui fit cette remarque : « Je me demande souvent si le Seigneur écoute réellement nos prières dans de telles circonstances. » Le missionnaire lui répondit calmement ceci : « Je n’avais rien volé, moi. » Si les Gentils s’étaient vu donner tels enseignements, ils les auraient immédiatement qualifiés de péchés. Mais les Mormons n’entendaient que « la
