Des arabesques dans la vacuité

Par Lama Jampa Thaye

Lama Jampa Thayé (né en Angleterre en 1952) est un maître de méditation et un érudit formé dans les traditions Sakya et Kagyü du bouddhisme par Sa Sainteté Sakya Trizin, Karma Thinley Rinpoché et d'autres éminents maîtres tibétains. Il détient un Doctorat de l'Université de Manchester pour ses recherches en histoire religieuse tibétaine. Il vit à Londres avec sa famille et anime un programme annuel intensif d'enseignements pour Dechen et d'autres organisations bouddhistes internationales.

• Langue: Français
• Éditeur: Rabsel Editions
• Date de sortie: 15 mai 2020
• ISBN: 9791093883427

Aperçu du livre

Introduction

Ce travail s’inscrit dans une collection envisageant d’offrir de courts textes d’introduction à des thèmes majeurs de la philosophie bouddhique. Il est basé sur des enseignements que j’ai donnés à Dhagpo Kagyu Ling, en France, pendant l’été 2017. À la suite de cela, Audrey Desserrières a réalisé une transcription légèrement mise en forme de ces enseignements sur laquelle j’ai travaillé à Londres, parmi d’autres activités.

De manière assez inévitable du fait du thème abordé, ce livre constitue, d’une certaine façon, une courte introduction au bouddhisme lui-même tout autant qu’une analyse de la manifestation en dépendance. Cela semble approprié, parce que les enseignements du Bouddha sont, par leur nature interconnectée, une manifestation de la dépendance qui caractérise notre monde.

On ne saurait trop insister sur l’importance de la compréhension de la manifestation en dépendance pour ceux qui souhaitent pratiquer le bouddhisme. Il n’est pas exagéré non plus de la décrire comme un antidote au désordre qui règne dans notre pensée au sujet du monde – désordre qui nous aliène ce monde et nous laisse sous l’emprise des émotions affligeantes et des projections. Sans la claire compréhension issue de l’attention à cet enseignement, la tentative d’utilisation des techniques de méditation, qui incluent les méthodes du vajrayana, ne sera guère plus qu’un exercice de l’imagination et notre «compassion» ne sera qu’une génuflexion devant les dernières tendances sentimentalistes ou idéologiques en vogue.

Naturellement, cette présentation de la manifestation en dépendance reflète les enseignements de mes propres maîtres. J’ai eu la chance de recevoir la transmission de travaux de penseurs exceptionnels des traditions sakya, kagyü et nyingma, dont j’ai cité les paroles dans cet ouvrage pour éclairer l’enseignement. Toute erreur reste cependant mienne.

Enfin, je souhaiterais remercier ma femme, Albena, ma traductrice, Audrey, et mon relecteur, Benjamin Lister, pour leur assistance au cours de ce travail.

Lama Jampa Thayé

Chapitre 1 – Le sens de la manifestation en dépendance

Chaque culture – chaque système de pensée – offre des réponses aux questions profondes touchant à notre existence : «Quelle est la source du mal-être et quelle est celle du bonheur? Pourquoi les choses sont-elles comme elles sont? Comment utiliser au mieux notre vie? »

Certains trouvent leur réponse en Dieu ou en plusieurs dieux. Certains disent qu’il y a un plan; d’autres que tout est apparu simplement de l’évolution physique ou du hasard; d’autres encore soutiennent qu’il n’y a aucune réponse. Dans l’enseignement du Bouddha cependant, la réponse réside dans la manifestation en dépendance.

La manifestation en dépendance (pratitya samutpada en sanskrit) constitue l’un des enseignements les plus importants transmis par le Bouddha. Nous pourrions même dire qu’il s’agit du cœur de son enseignement, parce qu’elle touche à de nombreux aspects de sa doctrine comme le karma, la renaissance, la souffrance, la libération et la compassion. En fait, il n’est pas vraiment possible d’appréhender les autres enseignements sans comprendre la manifestation en dépendance. Qui plus est, l’accent mis par le Bouddha sur la manifestation en dépendance est ce qui rend cette tradition tout à fait distincte de tous les autres systèmes de pensée. Par conséquent, alors que le bouddhisme est encore relativement nouveau en Occident, il est vital que cet enseignement occupe une place centrale dans la diffusion du Dharma.

Le grand philosophe Jamgön Ju Mipham explique la signification de la manifestation en dépendance comme il suit :

La manifestation en dépendance signifie que rien de ce qui est compris dans la catégorie des phénomènes intérieurs ou extérieurs ne s’est manifesté sans cause. Les phénomènes ne proviennent pas non plus d’une cause indépendante, d’un créateur inconditionné et permanent comme le soi, du temps ou de Dieu. Le fait que les phénomènes se produisent sur la base de l’interdépendance de leurs causes et conditions respectives est appelé la manifestation en dépendance. Proclamer ceci est l’approche unique de l’enseignement du Bouddha.¹

Même si ce résumé peut sembler quelque peu technique, ce serait une erreur de penser que l’enseignement sur la manifestation en dépendance est simplement une forme d’idée philosophique à propos du monde, une théorie fascinante qui est un jouet intellectuel, sans conséquence sur notre vie et notre culture. Nous ne pouvons pas nier qu’il s’agit bien sûr d’une forme de pensée philosophique. Cependant, l’unique objectif de tous les enseignements du Bouddha, et donc de celui sur la manifestation en dépendance, est l’élimination de la souffrance et l’actualisation du bonheur.

Nous pouvons commencer à comprendre le rôle spécifique de cet enseignement sur la manifestation en dépendance lorsque nous considérons le lien entre la manifestation en dépendance et les enseignements contenus dans le premier discours donné par le Bouddha après son éveil. Dans un parc proche de Varanasi, les anciens compagnons du Bouddha, à l’époque où il cherchait l’éveil en pratiquant les anciennes traditions indiennes de yoga, lui ont demandé de leur exposer le chemin vers la libération. En réponse à cette requête, il transmit l’enseignement connu sous le nom des «quatre nobles vérités» à ses précédents condisciples devenus ses cinq premiers disciples :

1.  la vérité de la souffrance;

2.  la vérité des causes