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Mes pieds, mon sac à dos et moi: Rencontres et expériences lors d'un pèlerinage
Mes pieds, mon sac à dos et moi: Rencontres et expériences lors d'un pèlerinage
Mes pieds, mon sac à dos et moi: Rencontres et expériences lors d'un pèlerinage
Livre électronique350 pages4 heures

Mes pieds, mon sac à dos et moi: Rencontres et expériences lors d'un pèlerinage

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À propos de ce livre électronique

Avec humour et parfois même autodérision, mais aussi avec profondeur, Marion Moser relate son pèlerinage qui l'a conduite du nord de l'Allemagne à la Suisse. Convaincue qu'elle n'a rien de particulier à raconter, elle n'a pas la prétention de partager de grandes connaissances. Mais dans le quotidien et l'anodin se cache souvent l'extraordinaire.

Marion parle avec précaution de ses propres expériences religieuses. Elle évoque les défis et la beauté de la marche; elle aborde aussi des questions plus existentielles auxquelles il n'y a généralement pas de réponse simple. Elle n'est pas en route sur un chemin de pèlerinage classique, mais son chemin devient une expérience avec elle-même, avec Dieu et avec le monde.
LangueFrançais
ÉditeurErlanger Verlag
Date de sortie15 mai 2025
ISBN9783872146397
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    Aperçu du livre

    Mes pieds, mon sac à dos et moi - Marion Moser

    Partie 1

    Avant le voyage

    Qu’écrire ?

    Je me sens appelé à commencer un journal, une sorte de cahier de bord spirituel pour l´édification des générations futures.

    Des intuitions et des connaissances élevées jailliront de ces lignes comme un phare dans la nuit.

    Je ne sais pas ce que je vais écrire aujourd´hui.

    ADRIAN PLASS

    Je déballe un nouveau stylo, je respire profondément et jesouris. Une tasse de thé chaud est posée sur le pupitre. Le monde est donc parfaitement en ordre. Je me réjouis du nouveau défi que je me lance : écrire un livre. C’est une manière de rester en route : maintenant mot par mot, comme auparavant étape par étape. Continuer à avancer pas à pas, comme ces quatre derniers mois où j’étais en pèlerinage.

    On attend d’un tel voyage des expériences qui marquent la vie. Cela devrait être une aventure incroyable qui mène à une sagesse profonde, impossible à atteindre autrement. La randonnée donne le temps de réfléchir et de mûrir intérieurement. Mais tout cela ne semble être vrai malheureusement qu’en théorie, car je dois l’avouer, je n’ai aucune grande découverte à raconter. Pourtant, je devrais quand même avoir quelque chose d’intéressant à dire.

    Qu’écrire ? J’espère que les notes prises pendant le voyage me sauveront. Chaque jour, je prenais en effet le temps de résumer les faits essentiels dans un petit carnet. J’y trouverai certainement l’inspiration. Malheureusement, mes gribouillis témoignent d’une pauvreté sans pareille. Les jours se suivent et se ressemblent : je marche, je mange, je dors. Le tout se réduit à une série d’indications d’hôtels, d’itinéraires et de menus mais comme j’ai simplifié mon texte, car je ne voulais pas, lorsque j’écrivais en route, m’attarder sur des détails inutiles, cela lasserait les lectrices¹ même les plus persévérantes : (3.8. Bon repas et bon hôtel, 5.8. Bon repas et mauvais hôtel, 10.8. Mauvais repas mais bon hôtel...)

    Fascinée, je poursuis néanmoins ma lecture. Ces quelques maigres mots ravivent des souvenirs : je sais exactement ce que j’ai mangé où, à quoi ressemblait l’entrée de l’hôtel, des bribes de conversation me reviennent, l’ambiance, les rencontres, le chemin, la vue... Jamais dans ma vie je ne me suis souvenue de quelque chose avec autant de détails. C’est comme si j’avais vécu cette période avec une intensité différente. Je peux passer en revue toutes les journées et tout est très présent : les pensées, l’odeur, le sol humide, les sentiments, le panneau indicateur, la météo, le banc pour la pause... Mes notes ouvrent la porte à une richesse insoupçonnée. Mais avec elle s’invite la triste pensée qu’un jour peut-être les souvenirs s’estomperont, ainsi que ledésir de tout saisir avec précision. Mais les souvenirs sont comme des bulles de savon qui éclatent lorsqu’on veut les retenir. Ils refusent d’être couchés sur le papier, ils ne veulent pas être cloués au mur, ils ne se laissent pas enfermer dans un album photos.

    Je bois quelques gorgées et laisse mon regard se promener par la fenêtre. Je me sens si riche et pourtant je n’ai toujours rien à écrire. D’une manière ou d’une autre, je devrais commencer par le début. Tout raconter dans l’ordre serait la meilleure solution.

    Je fixe la page blanche. Je ne trouve pas le début. Mon thé est maintenant froid. Quand le pèlerinage a-t-il débuté ? Le jour où j’ai commencé à marcher ? Ou la veille, quand je n’arrivais pas à m’endormir ? Devrais-je aussi mentionner les mois précédents, pendant lesquels j’ai tout préparé ? Dans ce cas, je choisirais comme début la date à laquelle la décision de partir a été prise. Cela correspondrait à plus d’un an avant mon départ. Ou alors, j’opte pour une date encore plus ancienne, comme la première fois où l’idée me traversa l’esprit ?

    Peu importe où je commence, j’ai l’impression de débuter en plein milieu. Un concours de circonstances et des pensées qui fermentaient en moi depuis longtemps m’ont conduite à quitter Flensburg le 29 juin 2020 avec l’intention de rejoindre la Suisse à pied.

    Je regarde par la fenêtre. La nuit est tombée. « Demain, c’est promis… Demain, je commencerai par le début. »

    Une profonde soif

    Tout commence par une envie profonde, une soif de quelque chose de plus grand.

    NELLY SACHS

    J’avais maintenant 37 ans. La vie, avec ses choix multiples plus ou moins inconscients et ses riches nombreuses, m’avait amenée à un point où, sans être insatisfaite, je ressentais une incertitude croissante quant à savoir si j’avais atterri au bon endroit. J’étais là, mais j’aurais tout aussi bien pu être ailleurs. J’avais eu plusieurs chemins de vie devant moi et j’en avais choisi un. Celui-ci présentait certains avantages, certains inconvénients. Tout aurait pu être différent; ni meilleur, ni pire, mais différent. Ma situation actuelle me semblait si quelconque. J’aimais mon travail, mon appartement. Ma situation personnelle me plaisait aussi... Et pourtant, quelque chose germait...

    Tout commence par une envie profonde,

    une soif de quelque chose de plus grand,

    Toujours dans le cœur,

    il y a de la place pour

    plus pour quelque chose de plus beau, de plus grand.²

    Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été à la recherche de quelque chose. J’aspirais à plus. Je cherchais des réponses à des questions que je n’osais même pas me poser. D’une certaine manière, j’avais grandi entre deux pages de Bible, mes parents étant très engagés dans l’Église réformée. Ils étaient néanmoins très ouverts quant aux questions religieuses. Plus tard, je suis toujours restée fidèle à mes racines chrétiennes. Mais c’est plutôt en marge de cette tradition, dans le silence, que je trouvais un sentiment d’appartenance et un profond réconfort. Les grands mots comme Dieu, Liberté ou Amour me semblaient souvent usés, vidés de leur sens. Mais quand tout se tait, quand je ne réfléchis plus sur Dieu et qui il est, quand la prière trop pleine de moi et de ma vie perd ses mots, alors... Mes explications ne peuvent au fond que trahir la tendresse du silence... Mais quand tout se tait, alors… dans la force fragile de l’instant, je suis.

    Et quand la soif est assouvie,

    elle renaît de plus belle.³

    J’aimais le silence et je le considérais comme le centre de ma foi, mais un désir indéfini restait malgré tout inassouvi. Le yoga, qui m’aidait à être plus présente, plus ancrée dans le moment présent, m’avait ouvert de nouvelles perspectives à cet égard grâce à des mouvements simples et la prise de conscience de mon corps. Je trouvais là un bon complément à mon expérience chrétienne de la prière.

    Cependant, il me manquait un je ne sais quoi ainsi que l’autodiscipline pour méditer régulièrement. J’observais des temps de silence avec un grand zèle pendant quelques semaines. Puis ma bonne résolution se noyait dans mon quotidien, avant que je ne fasse un nouvel essai. Et pourtant, quelque chose germait...

    Hier, je me suis promis de commencer par le début. J’ai cherché un événement, une date, un éventuel tournant ou une conversation marquante. Et je n’ai rien trouvé. Et ce pour une bonne raison : tout a commencé par une soif profonde.

    Puissante colère

    N´ avoir aucune raison de rester est une bonne raison de partir.

    INCONNU

    On a une réunion. On redistribue le travail. Je rends mes collègues attentifs au problème. On soupire. On a trop de séances. On discute du problème. On a une réunion. On parle de réorganisation. On a un nouveau formulaire. On planifie dans les moindres détails. Ça se passe autrement que prévu. On évalue soigneusement la situation. On rédige un PV. On fait preuve de souplesse. On a une réunion. Je demande le sens de tout ça. On en discute.

    « Si tu cours comme un hamster dans sa roue et que tu n’avances pas, descends ! Courir plus vite ne t’aidera pas. » Une pensée éclair qui m’amuse et me réconforte. Les séances sont certes usantes, mais j’aime mon travail.

    On a une réunion. Le chef part à la retraite. On a un nouveau formulaire. On planifie dans les moindres détails. Que ferons-nous si...? On a une réunion. Le projet risque d’échouer. On crée un groupe de travail. Je rends mes collègues attentifs au problème. On a une réunion. Le collègue a démissionné. On en discute. On introduit le nouveau collaborateur. On se répartit les tâches. On a une réunion. Je rends mes collègues attentifs au problème. On gérera ça spontanément. Je demande le sens de tout ça. On rédige un PV.

    « Si tu cours comme un hamster dans sa roue et que tu n’avances pas, descends ! Courir plus vite ne t’aidera pas. » Cette phrase ne me lâche plus. Je commence à être lasse. Je croyais que j’allais faire un métier social ! Mais me restait-il encore du temps pour les relations humaines entre toutes ces séances ? Est-ce que j’aimais encore mon travail ?

    On a une réunion. On organise tout très soigneusement Le projet pourrait échouer. On le réorganise. Ça se passe différemment. On fait preuve de flexibilité. On a une réunion. On réagit spontanément.Jerendsmescollèguesattentifsauproblème.On soupire. On se répartit les tâches. On a trop de séances. Le personnel change. On rédige un PV. Le projet pourrait réussir. Je ne pose plus la question du sens.

    « Si tu cours comme un hamster dans sa roue et que tu n’avances pas, descends ! Courir plus vite ne t’aidera pas. » La colère mord et crie. Je ne sais pas quand elle s’est emparée de moi, mais depuis, elle bouillonne et me ronge. Elle prend de l’espace et ne me quitte plus. Il n’y a que la colère qui ait assez de force pour mettre toute une vie sens dessus dessous : je démissionnerai – ou pas.

    Sur un banc

    Tu poses mes pieds dans un vaste espace.

    PSAUME 31,9

    Ça avait le goût d’une orange sur les pistes de ski.

    Pourquoi ce souvenir d’enfance me revenait-il à l’esprit à ce moment-là ? Probablement à cause de la neige. C’était une journée d’hiver comme dans un livre d’images. Je me trouvais dans un paysage ensoleillé avec des arbres saupoudrés de sucre. Le chemin m’avait conduit autour d’un lac gelé, recouvert partiellement de neige, laissant çà et là entrevoir sa noire profondeur. J’aurais pu deviner l’eau, sous la fine couche de glace, si j’avais pris le temps de regarder ce qui m’entourait. Mais perdue dans mes pensées, j’avançais d’un pas vif et décidé, ne prêtant guère attention aux alentours. Je mâchouillais mon problème. Le temps passait, les kilomètres aussi. Je réfléchissais et marchais, marchais. Je me perdais dans le monde souterrain des « peut-être », des « si seulement... » et des « qu’est-ce que je dois faire ? ». J’en devenais aveugle.

    Le banc surgit de nulle part. Ce n’est qu’en le voyant que je réalisai que je serais heureuse de faire une pause. L’invitation inscrite dessus perça le brouillard de mes pensées :

    Lieu pour rêver

    S’asseoir

    Balancer les jambes

    Rêver, simplement.

    M’asseoir. Je sentais l’humidité au travers de mon pantalon de ski, mais savais que ce n’était qu’une impression. J’hésitai à sortir du pain de mon sac à dos. L’air sentait le froid. J’aurais aimé manger une orange, comme sur les pistes de ski. Malheureusement, je n’en avais pas prise avec moi. Mais le souvenir était si présent que je pouvais sentir le jus rafraîchissant dans ma bouche. La lumière semblait féerique.

    J’appréciais mes vacances de randonnée. Je voulais prendre le temps de me calmer, éviter de partir en claquant la porte sous le coup de la colère. Mon envie de démissionner n’avait d’abord été qu’une impulsion, et j’espérais qu’elle passerait. Lors de ma marche hivernale, je cherchais, pas après pas, une paix intérieure qui me fuyait. J’avais réfléchi à ma situation professionnelle, réchauffé mes frustrations, évalué différentes possibilités.

    Balancer les jambes. La structure cristalline et fragile d’un flocon de neige attira mon regard. Un jour, un professeur avait rappelé à l’ordre un élève qui regardait en rêvant par la fenêtre en lui disant : « Regarde ta feuille; ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’il neige. » Celui-ci avait répondu : « Mais il neige toujours autrement ! ». Autour de moi, une multitude de flocons différents donnaient rétrospectivement raison à mon camarade de classe. Je souris intérieurement et, m’appuyant sur le dossier du banc, je sentis la neige comprimée par mon poids marmonner silencieusement dans mon dos. Trois arbres dans leur manteau de poudre scintillante hibernaient. La vue était vaste, infinie, libre. Et quand la soif est assouvie, elle renaît de plus belle.

    Je ne savais pas ce que j’attendais de la vie, mais une insatisfaction muette me rongeait de plus en plus. Peut-être avais-je besoin de temps pour découvrir ce que je voulais vraiment ? Et si je prenais le temps ? Et si je faisais un break ?

    Je respirai plus grand. Le petit cercle autour de ma potentielle démission, dans lequel mes pensées tournaient, éclata. Il y avait de la place. Le cadre de mes réflexions explosa, et avec lui les conséquences étriquées de toutes les considérations pratiques qui m’avaient obsédée. Il y avait de l’espace. Mais les questions concrètes me rattrapèrent aussitôt. Je pensai à mon compte épargne. Il fallait que je vérifie, mais cela semblait faisable. Je pouvais m’offrir une année. Une année sabbatique. Si je le voulais, je pouvais prendre le temps de m’asseoir sur un banc. Rêver.

    Il y avait quelque chose de fou, d’irréel. Maintenant, je ne pouvais plus rester tranquille. Mon corps explosait d’énergie et de joie. Je me levai d’un bond et je continuai à courir à travers le paysage enneigé. De toute ma vie, je ne m’étais jamais précipitée. Un collègue m’avait dit un jour : « Tu es tellement raisonnable que ça fait mal. » Je me connaissais : j’y réfléchirais encore, j’examinerais tout soigneusement, je pèserais le pour et le contre. Mais au fond, je le savais déjà : je démissionnerais et prendrais un congé sabbatique.

    Rêves et projets

    Est vraiment riche celui qui a plus de rêves dans son âme que ce que la réalité peut détruire.

    HANS KRUPPA

    Si j’avais le temps, je...

    Ma liste de souhaits était longue : apprendre le chinois, écrire un livre, voyager, bricoler, passer du temps avec des amis et, il ne faut pas l’oublier, m’asseoir sur un banc pour admirer un paysage enneigé…

    Si j'avais le temps... Soudainement, je n'utilisai plus le conditionnel. C'était fermement décidé : j'aurais du temps. Je démissionnerais et prendrais un congé sabbatique. J'avais clarifié ma situation financière et pouvais me le permettre : je m'offrirais une année, un espace de tous les possibles. J'aurais du temps libre. J'en avais un peu le vertige.

    Je ne quitterais pas mon travail pour poursuivre un projet ou un rêve d’enfant. Je n’avais aucun plan concret. Cela ne me semblait pas tout à fait juste. Un sentiment marécageux et indéfinissable serpentait en arrière-fond. Ma décision n’était-elle pas moralement discutable ? La question avait surgi comme une publicité sur un site Internet. Elle m’houspillait, comme lorsque j’envisageais d’acheter une robe coûteuse que je craignais de ne jamais porter. Effrayée par moi-même, je trouvais l’idée folle. Mais la colère me donnait la détermination nécessaire – j’en avais assez de ma situation professionnelle. Et ma « soif de plus » me donnait une sorte de certitude absolue.

    J’aurais du temps... Je n’arrivais toujours pas à le croire. Moi, j’allais faire une chose pareille ! Une joie indescriptible de liberté ruisselait en moi. J’aurais pu sauter de bonheur, embrasser le monde entier.

    J’aurais du temps... Je déballai tous mes rêves. Cela commença de manière anodine. Une destination enfouie depuis longtemps au plus profond de moi s’imposa : le pôle Nord. Paysages enneigés, ours polaires, froid, aventure… Des images intérieures s’éveillaient. J’avais à chaque fois rejeté l’idée avant même d’y avoir réfléchi. Rétrospectivement, je me demandais pourquoi. Était-ce trop cher ? trop loin ? En fait, j’avais renoncé avant même d’avoir formulé un seul argument concret. Cela n’avait rien à voir avec le pôle Nord. C’était une attitude paralysante face à la vie : j’avais peur d’oser. Cette fois, je voulais poursuivre ce rêve. J’en avais assez de m’interdire des choses sans vraiment savoir pourquoi.

    Je parcourus des sites Internet, rassemblai des brochures et des offres de voyage sur mon bureau, et finalement, des livres s'empilaient sur ma table de chevet. J'avais commencé par des possibilités concrètes de voyage, puis, mue par ma curiosité naturelle, une chose en avait entraîné une autre : j'étais tombée sur la soi-disant conquête du pôle Nord avec les aventures de Peary et Cook et avais été immédiatement fascinée. Logiquement, le pôle Sud suivit avec la course acharnée de Scott et Amundsen, et c'est ainsi que je découvris Nansen, Charcot et Shackleton, d'autres explorateurs polaires. Je dévorai tous leurs récits de voyage : des pages et des pages de neige et de froid de succédaient. Au milieu d'un désert de glace impitoyable, des hommes poursuivaient leur rêve, entre détresse et espoir, entre amitié indéfectible et lutte amère... D'autres livres remplis d'hivers cruels m'attendaient encore, notamment les récits des scientifiques qui vivent actuellement dans l'Antarctique.

    Je n'oubliai pas de faire des projets concrets. Je passai les destinations possibles au crible : Islande, Groenland, Spitzberg, Pôle Nord... Je comparais avec plaisir les différents prestataires et les types de voyages les plus divers : des aventures époustouflantes avec des chiens de traîneau aux excursions en canoë ou à pied, en passant par les croisières. Mais il était encore trop tôt pour réserver définitivement quelque chose. Je pris néanmoins conscience d'une chose. Un voyage me prendrait entre 15 et 30 jours; il me resterait donc du temps pour d'autres projets.

    J'aurais du temps... J'avais déjà fait plusieurs randonnées de plusieurs jours et je les avais vraiment appréciées. Un plus long trek m'attirait. J'avais fait fi de ma première impulsion, qui qualifiait la chose de déraisonnable, et je rêvais devant « Les plus beaux endroits pour marcher »⁴. Le livre prenait la poussière depuis des années sur une étagère chez mes parents et je profitai d'une visite chez eux pour le feuilleter attentivement. Je me demandais ce que je cherchais. Je n'avais jamais été une sportive passionnée et j'avais peur de l'aventure. J'appartenais définitivement à la catégorie des rats de bibliothèque. Mais le Saar-Hunsrücksteig me sauta aux yeux : les photos étaient magnifiques. Et avec ses 410 kilomètres en 27 étapes, il me semblait être un bon choix. Tout ce que je lus ensuite à son sujet sur Internet confirma cette première impression : l'itinéraire n'était pas situé en dehors de l'Europe, il était bien balisé, sa longueur était raisonnable, il y avait suffisamment d'hôtels en chemin... Pour chaque question angoissante comme « Peux-tu y arriver ? », « Que feras-tu si...? », « Est-ce que tu ne vas pas t'ennuyer ? », je pouvais facilement trouver un contre-argument adéquat.

    « Pourquoi pas ? » : c'est ainsi que Jean-Baptiste Charcot avait baptisé le bateau avec lequel il avait entrepris son voyage en Antarctique. C'était aussi la réponse qu'il donnait déjà enfant à tous ceux qui doutaient de son désir de devenir marin. Selon la légende, lorsqu'il était encore un petit garçon, il avait même fait flotter sur un petit lac un baquet en bois portant le même nom. L'embarcation avait coulé net, mais cette expérience n'avait pas découragé le futur explorateur des grands froids. Je ne sais pas quelle est la part de vérité dans tout cela, mais « pourquoi pas ? » est une attitude inspirante pour la vie. Pourquoi pas ? Je surmontai ainsi les dernières résistances intérieures. Je fixai ainsi le deuxième projet de l'année et, avec lui, l'idée « 12 mois, 12 projets » fut lancée...

    Petit à petit, tout devint plus concret. Je me renseignai sur Interrail et j’empruntai à la bibliothèque des guides de voyage sur plusieurs grandes villes d’Europe : Rome, Florence et Oslo me faisaient de l’œil.

    C’est ainsi que je commençai à planifier mon congé sabbatique. Et rapidement, j’eus le sentiment qu’il ne me faudrait pas que une année, mais plusieurs vies !

    Tout pareil et tout différent

    Il suffit de changer de regard pour donner un nouveau sens à de vieilles évidences.

    JACQUES SALOMÉ

    Rien n’avait encore changé, mais déjà plus rien n’était pareil. Mon quotidien restait exactement le même, et ma vie aurait pu continuer comme avant. Mais ma décision de démissionner faisait bouger les choses, et je percevais clairement des différences invisibles.

    Cela toucha en premier ma vie professionnelle. Je n’avais pas l’intention de quitter mon poste avant 15 mois – car je voulais terminer proprement certains projets et planifier mon congé en toute tranquillité – mais j’informai très tôt mon chef et mes collègues. Rien que de savoir que j’allais partir donna immédiatement une nouvelle couleur à mon travail : tout le monde était conscient que les planifications à long terme ne me concernaient plus, mais qu’elles seraient le problème de mon successeur; je pouvais mieux me déconnecter après les séances, car le sentiment de non-sens que je ressentais souvent allait bientôt prendre fin. Et je profitais pleinement de ce que j’aimais dans mon travail. J’appréciais davantage ce que j’allais bientôt perdre.

    Il y eut également des changements dans mes loisirs. Mes projets et mes rêves

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