Sur la route de la prière: Textes d'Isaac le syrien
Par Didier Rance
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Didier Rance, diacre, historien et écrivain, a longtemps été responsable d’un organisme caritatif catholique. Il a publié "La Harpe de l’Esprit, Saint Éphrem, numéro 25" dans la collection « Manne des Pères » (2021).
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Aperçu du livre
Sur la route de la prière - Didier Rance
Conventions
Titres
Les titres, sous-titres et intertitres présents dans la traduction n’appartiennent pas au texte patristique. Ils sont proposés pour faciliter la lecture.
Présentations
Chaque texte du florilège proposé ici est introduit par un ou plusieurs paragraphes en italique. S’ils ne se trouvent pas dans l’un des manuscrits originaux, mais sont rédigés par le traducteur, ils sont mis entre crochets.
Citations
Les citations bibliques sont imprimées en italique, les autres citations « entre guillemets ». Le texte biblique qu’utilisent les Pères est parfois différent du nôtre, d’où des divergences possibles de traduction.
Références bibliques
Les abréviations des livres bibliques sont celles que reprend la Traduction Officielle Liturgique (2013), et qu’on retrouve dans la plupart des Bibles françaises actuelles. Les numéros des chapitres et des versets correspondent à cette traduction. La numérotation des Psaumes, en particulier, reprend celle de la Bible grecque des Septante. Elle est la plupart du temps décalée d’une unité par rapport à la numérotation de la Bible hébraïque, que reprennent d’autres traductions. Par exemple : une citation du Ps 50, 1 selon la numérotation des Septante se trouvera au Ps 51, 1 dans la Bible de Jérusalem.
Références aux textes d’Isaac
Les numéros des textes traduits ici sont indiqués sous la forme T1, T2, etc., suivi du numéro de section imprimé en gras dans le texte : T1, 5 renvoie ainsi au premier texte traduit, au numéro 5. Pour les autres textes, I, II ou III indiquent la Partie des œuvres d’Isaac, et sont suivis du numéro de l’Enseignement : I, 3 renvoie à la Partie I, Enseignement 3. Pour l’important Enseignement II, 3, nous précisons aussi le numéro de la Centurie et le numéro de section : II, 3, 10, 25 renvoie à la Partie II, Enseignement 3, Centurie 10, numéro 25.
Lexique
À leur première apparition dans la traduction, les termes expliqués dans le Lexique sont suivis d’un astérisque (*).
Carte Le monde d’Isaac
Le monde d’Isaac
Citation
Prier, c’est aimer Dieu. Mais s’il est très facile de dire à son frère : « Aime Dieu », ce qui compte, c’est de savoir comment l’aimer.
Isaac le Syrien, Enseignements II, 3, 1, 36
Introduction
Isaac, dit « le Syrien » ou « de Ninive », a vécu au viie siècle, et fut un simple moine de l’Église syrienne orientale, à part quelques mois d’un épiscopat malheureux à Ninive. Ses œuvres ont été traduites dans la plupart des langues parlées au fil des siècles par les chrétiens. Elles ont assuré sa renommée et son influence sur la spiritualité chrétienne, relancée depuis trois décennies par la redécouverte d’une partie importante de son œuvre.
Quand il parle de la prière, Isaac prend son lecteur par la main. Il part des réalités les plus concrètes : les attitudes corporelles, les temps et lieux, les paroles, le silence, les larmes, mais aussi les distractions (qu’il appelle « vagabondages »), les tentations et toutes sortes de difficultés, ainsi que leurs antidotes. Il conduit ensuite son lecteur jusqu’aux sommets de la prière et même au-delà, dans le saisissement par l’Esprit Saint et l’union avec le Dieu d’amour. Marcher avec lui sur la route de la prière, c’est découvrir comment ont prié et continuent de prier les moines de son Église et des Églises orientales en général. C’est aussi être invité à approfondir notre propre prière comme route d’amour à la rencontre de Dieu qui nous aime, que l’on soit ermite comme il le fut, moine ou moniale, religieux ou religieuse, évêque, prêtre, diacre ou fidèle laïc.
Le contexte
Le siècle d’Isaac voit, à ses débuts, la fin du pontificat de Grégoire le Grand à Rome, tandis que Dagobert Ier (le « bon roi Dagobert ») unifie le royaume des Francs, bientôt aux mains des maires du palais. En Afrique, le Maghreb va être conquis par les arabo-musulmans à partir de 670, et des exilés iront fonder sur le fleuve Niger le premier royaume Songhaï. En Chine, ce sont les débuts de la grande dynastie Tang qui va régner trois siècles, alors que les Amériques voient l’apogée de la civilisation Maya.
Au Moyen-Orient, ce siècle connaît une succession rapide d’empires, le Byzantin qui se redresse avec Héraclius puis décline à nouveau, le Perse sassanide dont l’apogée précède de peu la ruine complète, puis l’Arabo-musulman qui va s’étendre en quelques générations de l’Espagne et des Pyrénées à la Chine. Dès 636, les Byzantins sont écrasés par l’armée musulmane ; la Syrie et la Palestine tombent. L’armée des Perses est anéantie la même année et Ctésiphon, la capitale de leur empire, est prise quelques mois plus tard ; en 651, la conquête de l’empire Perse sassanide est achevée. Les populations sont sidérées par cette conquête éclair et on peut lire dans une chronique du Bêt Huzayé (l’actuel Khouzistan), où Isaac vivra ses dernières décennies : « Dieu suscita alors une invasion des fils d’Ismaël, innombrables comme les grains de sable sur le rivage… Ni rempart, ni porte, ni arme, ni bouclier ne pouvaient leur résister. » Mais bientôt les conquérants se déchirent entre eux, pendant des décennies.
Isaac a donc vécu à une époque d’effondrements d’empires, de guerres incessantes et de malheurs des peuples. Cependant, on cherchera en vain dans toute son œuvre des réflexions ou des allusions précises aux troubles de cette époque et à ses changements politiques et sociaux. Il offre mieux : « Il a su discerner dans les plis de cette histoire si précaire et incertaine (comme la nôtre) le reflet d’une espérance certaine » (Sabino Chialà), fondée sur Dieu seul.
On reconnaît facilement sous le vocable de « Bêt Qatrayé », nom de la région où Isaac est né vers 630, l’actuel Qatar¹ ; mais le terme désigne alors toute la côte occidentale du Golfe Persique. La région est très mélangée : tribus arabes, Araméens chrétiens de langue syriaque², Persans. Jusqu’à la naissance d’Isaac, elle fait partie de l’empire Perse, mais Mahomet y envoie un de ses généraux qui conquiert la région et convertit les tribus arabes à l’Islam. Isaac passera sa vie dans des territoires sous domination arabo-musulmane.
Les chrétiens du Bêt Qatrayé sont membres de l’« Église de l’Orient » (appelée aussi syrienne orientale)³ qui rayonne alors au sud jusqu’aux actuels Émirats arabes unis, Oman et Yémen, et qui s’implante depuis la Mésopotamie jusqu’en Asie centrale, Inde et Chine. Dans le nord de l’Irak actuel, les Syriens orientaux doivent cohabiter avec les Syriens occidentaux qui sont à cheval sur les deux empires Byzantin et Sassanide, là où Isaac sera l’éphémère évêque de Ninive.
La conquête arabo-musulmane a été plutôt bien accueillie par les chrétiens du Moyen-Orient, qui y voient leur libération des pouvoirs liés, soit à l’orthodoxie chalcédonienne byzantine (en Égypte, Syrie, Palestine), soit au zoroastrisme perse (en Irak, Iran et dans le Golfe) ; en outre, l’islam apparaît d’abord comme une hérésie chrétienne de plus (ainsi pour Jean Damascène, peu après l’époque d’Isaac). Un des prédécesseurs d’Isaac comme évêque de Ninive, Mar Emmeh, aurait même ravitaillé les conquérants et gagné ainsi leur soutien, quelques années plus tard, pour devenir catholicos (patriarche) de son Église.
La conduite de nombre d’évêques de l’Église de l’Orient apparaît souvent peu reluisante, entre complaisance vis-à-vis des puissants, corruption des mœurs, amour du pouvoir et séduction de l’argent. Les bouleversements politiques jouent aussi un rôle important dans le schisme qui divise cette Église juste après la conquête musulmane et pour quatre décennies, entre un Irak fidèle au patriarche et le sud, dont le Bêt Qatrayé, qui récuse son autorité. Les passages à l’islam ne tardent pas dans les rangs des chrétiens assommés par ce schisme. Celui-ci ne sera résorbé qu’en 676 par le patriarche Gewargis (Georges) Ier. Mais pas plus que les événements politiques, les troubles religieux de son époque n’ont laissé de traces directes dans l’œuvre d’Isaac.
Isaac fut moine de sa jeunesse à sa mort. Le monachisme syrien auquel il appartient était bien vivant, comme en témoigne, dès le ive siècle, un développement original, surtout dans les villes : les « Fils et Filles du Pacte » d’Aphraate et d’Éphrem⁴. Il tombe ensuite en déclin dans l’Église d’Orient, et on voit même au ve siècle le mariage imposé aux moines comme aux prêtres et aux évêques, à l’instigation de Barsauma ! Mais un siècle plus tard, Abraham de Kashkar refonde la vie monastique : surnommé le « Père des moines », il est pour son Église l’équivalent de Pacôme, Basile ou Benoît ailleurs. Il laisse une règle et une cinquantaine de monastères surgis de terre. Ceux-ci sont bâtis loin des villes et comprennent un bâtiment central (église, réfectoire et noviciat) ainsi que des cellules isolées, souvent dans la montagne. Les candidats à la vie monastique séjournent d’abord trois ans dans le noviciat où ils apprennent les fondements de la prière et de la conduite fraternelle, le sens de leur habit et l’humilité comme mode de vie. Ceux qui persévèrent acquièrent ainsi un sens communautaire dont ils auront d’autant plus besoin qu’ils seront ensuite des solitaires, et ne se retrouveront en général que pour l’office, la Liturgie dominicale et les repas.
Une vie peu connue
Nous ne savons quasiment rien de la vie d’Isaac, sinon grâce à deux courts récits de chroniques, l’une qui lui est postérieure d’environ deux siècles, l’autre non datée. Né dans le Bêt Qatrayé, il devient moine jeune et sera chargé d’enseignement. Puis il part dans le Bêt Huzayé. Nous le retrouvons à nouveau dans le Bêt Qatrayé