Enfants et meurtriers
Par Hermann Ungar
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Hermann Ungar est un écrivain tchécoslovaque (1893-1929) de langue allemande, romancier
Né dans une famille de petits industriels juifs cultivés, il suit à Brno une formation de juriste. Au sortir de la Première Guerre mondiale et parallèlement à une carrière diplomatique décevante menée pour l’essentiel à Berlin, il élabore en allemand, comme ses compatriotes Kafka, Perutz, Rilke et Weiss, une œuvre romanesque et dramatique qui lui vaut une notoriété presque immédiate et l’admiration de nombreux écrivains tels que Thomas Mann, Stefan Zweig, Alfred Döblin, Ernest Weiss ou Bertolt Brecht. En pleine maturité créative, il meurt à l’âge de trente-six ans, d’une crise d’appendicite mal soignée. En publiant après un demi-siècle d’inexplicable oubli, la totalité de ses livres : "Enfants et meurtriers", "La Classe", "Les Mutilés", "Le Voyage de Colbert", "L’Assassinat du capitaine Hanika", "La Tonnelle", les éditions Ombres ont permis, à l’œuvre intense et perturbante de ce singulier écrivain de retrouver la juste place qu’elle mérite.
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Aperçu du livre
Enfants et meurtriers - Hermann Ungar
Hermann UNGAR
Enfants et meurtriers
Histoire d'un meurtre
Je ne sais si mon aversion pour les bossus fut la conséquence de celle, profonde, que m’inspirait le coiffeur bossu de notre ville, ou si, au contraire, mon aversion première pour les êtres difformes se vérifia sur celui-ci. Il me semble que j’ai toujours éprouvé une insurmontable répulsion pour tout ce que Dieu a marqué de gibbosités, ulcères, lèpres, dartres et autres tares, et même, au fond, pour tout ce qui est faible et délicat, y compris les animaux, dès lors que la nature ne leur a pas donné la force et la robustesse.
De cela on pourrait conclure que j’ai toujours été moi-même un être robuste et éclatant de santé. Aussi je tiens à déclarer sans attendre que c’est précisément le contraire qui est vrai.J’étais si frêle et souffreteux que je dus quitter au bout de six mois à peine l’école des cadets où j’avais fini par être admis, après que mon père eut fait jouer toutes ses relations. J’ai toujours été petit, maigre, chétif, mon visage avait une invariable pâleur de cire, mes épaules étaient si hautes que je pouvais donner l’impression d’une légère difformité, des cernes bleu sombre bordaient en permanence mes yeux, mes os et mes articulations étaient et sont aujourd’hui encore délicats. S’étonne-t-on que malgré cela je haïsse toute faiblesse ? N’est-il pas vrai plutôt que, dans le fond de son cœur, on ne saurait rien tant haïr et mépriser que soi-même ou sa propre image ?
Je raconterai l’histoire d’un acte, et c’est l’histoire de ma jeunesse. Mes années d’enfance ne furent pas entourées d’amour, comme celles d’autres gens. Personne ne m’a jamais témoigné de bonté. Une fois seulement, un être humain s’est adressé à moi comme à un être humain. Encore n’était-ce que dans une lettre. Je raconterai comment j’ai agi envers lui. Mes juges furent sans pitié, et même mon avocat parla de moi comme d’un être que des circonstances extérieures marquées par la misère et l’héritage d’un père moralement diminué m'avaient eux-même moralement diminué et endurci. Les juges me condamnèrent à vingt années de réclusion, la plus forte peine qu’ils pouvaient m’infliger étant donné mon âge. J’avais alors dix-sept ans. J’en ai aujourd’hui trente et un.
je ne suis pas malheureux dans cette maison. Pas impatient non plus. Je me réjouis de la sévérité de mes gardiens, je me réjouis de la régularité à laquelle je suis soumis pour le sommeil, le travail, la promenade. J’aime ce genre de vie. Parfois j’ai l’impression que je ne suis pas un détenu, mais un soldat, un simple soldat obéissant, ce que j’aurais souhaité devenir. J’aime obéir.
Dans six ans je quitterai cette maison. On dit qu’en général, les gens qui sortent de prison après des années, des dizaines d’années de détention, ne sont plus utilisables pour la société des hommes. Je crois pourtant que je quitterai la prison sans en avoir été brisé. Je franchirai d’un pas tranquille le seuil de cette maison, et ce ne sera pas pour jouir jusqu’à l’excès d’une liberté dont j’aurai été si longtemps privé. Je prendrai un emploi, un travail. J’ai appris ici le métier de tourneur, et j’y ai fait montre d’une telle adresse que notre directeur lui-même m’a commandé plusieurs objets pour son usage personnel. J’espère que je pourrai vivre de ce talent, quand j’aurai purgé ma peine.
J’ai dit que parfois j’avais l’impression d’être un soldat. Je veux ajouter maintenant que ce mot ne résume pas tout ce que je ressens ici. Souvent, le soir, quand je suis assis dans ma cellule et que je lève les yeux vers la petite fenêtre grillagée, il me semble que je ne suis pas un détenu, mais un moine. Un obscur petit moine, tranquille et ingénu, dont le supérieur n’a que des raisons de se louer. Alors je souris, et il m’arrive de joindre les mains au-dessus de mes genoux. Non, il n’y a pas en moi la moindre nostalgie du monde, rien que de la patience, du calme et du contentement. Si mes juges, mon avocat et les femmes qui assistaient à mon procès me voyaient ainsi, nul doute qu’ils me décriraient à nouveau comme un être dur, insensible et moralement diminué. Je suis assis là et je souris. Un meurtrier ! Je suis là, assis, et je souris comme un moine pieux et content !
Suis-je vraiment un meurtrier ? J’ai tué un être humain, c’est vrai. Pourtant, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui ai commis cet acte. Il m’apparaît si lointain, si étranger ! Comme une flagellation monastique que je me serais infligée un jour, à moi, non à ma victime, et dont mon dos porterait encore les cicatrices. Mais guéries. Je goûte encore le souvenir de cette mortification de ma chair, et j’en jouis, n’ayant dans ma pauvre cellule aucun instrument dont je pourrais à nouveau punir mon corps ravagé par l’ascèse ; le punir non par haine, ni par vengeance, ni pour en chasser le plaisir des sens, mais par un sentiment plutôt qu’à défaut de pouvoir le décrire clairement, je nomme obéissance.
Mais trêve de considérations sur mon existence actuelle, c’est l’histoire de ma vie que je veux raconter, aussi brièvement qu'il m’est possible. Je n’avais que dix-sept ans lorsque la chose arriva, et mon expérience du monde était des plus réduites, si l’on songe qu’en dehors de mon bref passage à l’école des cadets, je n’étais jamais sorti de la petite ville où, quelques années après ma naissance, après sa mise à la retraite et la mort de ma mère, mon père était venu s’établir avec moi. C’est là que j’ai grandi, dans une étroite maison située à côté de l’église, en bas de la place du marché, et dont mon père et moi, nous occupions l’unique étage.
Je garde de mon père un souvenir très net, comme s’il se tenait là, vivant, devant moi.Quand bien même, juste avant l’événement,son extérieur s’était délabré, il n’en conservait pas moins la raideur et le buste droit du soldat, et portait encore, haut fermée, sa longue redingote noire à présent plus très propre. Je sais qu’autrefois, chaque jour, ses premiers pas dehors le menaient à l’échoppe du barbier, où, malgré la pauvreté de nos moyens, qui à coup sûr lui pesait fort, il se faisait soigneusement raser le menton, friser les favoris et retrousser la moustache.
Pour tout le monde en ville, il était « le Gênéral ». Sans doute, au début, l’avait-on affublé de ce nom pour se moquer du vieux monsieur aux allures de soldat. Mais il lui était devenu par la suite si naturel que personne ne s’adressait à lui autrement, comme si ce titre lui revenait en quelque sorte de droit. Il est probable aussi que, dans les premiers temps, mon père l’avait ressenti comme une raillerie, voire une insulte. Puis, remarquant que les gens restaient sérieux - ne fût-ce, peut-être, que pour mieux rire ensuite derrière son dos - il avait dû se sentir flatté, et il se peut qu’il ait fini par croire lui-même à son grade de général. Quoi qu’il en soit, il eût été sincèrement offensé si quelqu’un lui avait refusé ce titre. En réalité, mon père n’avait jamais été général et n’aurait jamais pu le devenir, n’étant même pas officier. Il était médecin militaire et avait quitté le service avec le grade de médecin-major de première classe.Il n’y avait pas été contraint par l’âge ou la maladie, mais à la suite d’irrégularités découvertes dans la gestion des fonds dont il avait la charge en sa qualité de commandant d’un grand hôpital militaire. Certes, il était parvenu, avec l’aide d’un parent de ma mère, à remplacer les sommes manquantes et à maquiller l’affaire de telle sorte qu’il n’y eût pas d’enquête. Il ne lui restait plus néanmoins qu’à demander sa mise à la retraite.
Ma mère, déjà souffrante depuis des années, fut, semble-t-il, si affectée par ces émotions qu’elle mourut. Mon père décida alors de quitter la ville où il avait servi en dernier lieu, pour venir s’installer dans le bourg où il était né d’un père employé. Ce changement de résidence fut motivé sans doute autant par le désir d’échapper au bruit que n’avait pas manqué de faire sa soudaine mise à la retraite, que par la nécessité de restreindre au minimum son train de vie. Sa pension était maigre, et il devait en outre en prélever chaque mois une part considérable pour rembourser le parent qui lui avait permis, grâce à un prêt relativement important, de remettre à son successeur des comptes en ordre.
Nous occupions, dans l’étroite et sombre maison à côté de l’église, un logement composé d’une cuisine et de deux pièces d’habitation. Au début nous avions une bonne qui assurait les tâches indispensables et préparait nos repas. Mais mon père ne supporta bientôt plus de manger et de passer ses journées dans nos deux pièces sombres et pauvrement aménagées, et il commença à prendre ses repas à l’auberge. Par la suite, la bonne fut renvoyée. Une femme de ménage vint désormais chaque matin faire les lits, nettoyer les habits et cirer les chaussures. On me donnait mes repas dans la cuisine de l’auberge, tandis que mon père passait de plus en plus ses journées dans la salle d’hôtes. À la maison, on se sentait seul, la peinture des murs s’écaillait, d’épaisses couches de poussière s’accumulaient sur les armoires et sur les coffres, tout donnait une telle impression d’abandon que je préférais, moi aussi, me réfugier dans l’obscur escalier de bois plutôt que de rester dans l’appartement.
Dès ma prime jeunesse, j’évitai toute relation. Après la classe, je ne rentrais pas à la maison avec
