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Mourir d'Afrique
Mourir d'Afrique
Mourir d'Afrique
Livre électronique267 pages3 heures

Mourir d'Afrique

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À propos de ce livre électronique

Un accident au Cameroun en 2019 et un suicide au Sénégal en 1931…Ou comment ces deux évènements sur un même continent sont reliés par les fils invisibles d’une imprécation familiale. "Mourir d’Afrique" est un roman inspiré de faits réels. Réalité et fiction, passé et présent s’imbriquent et se chevauchent. De toute façon, la vérité n’est qu’une boule à facettes, elle est partout et nulle part à la fois. C’est juste une traduction des faits que nous nous approprions et qui nous conforte quand nous y croyons. A chaque réalité, correspondent plusieurs vérités : tout est une question d’interprétation. Inutile de chercher à démêler le vrai du faux. Abandonnons tous nos à priori et nos idées reçues. Voyageons d’un continent à un autre, à travers le temps et laissons-nous envoûter par ce récit empreint de magie.

À PROPOS DE L'AUTRICE 


Originaire du Sud-Ouest, passionnée de généalogie Anne Londaitz a pour habitude de retracer les destins oubliés. Elle rédige ponctuellement des articles pour la revue de l’association bayonnaise GHF , "Mourir d’Afrique" est son premier roman où fiction et réalité s’entremêlent. Outre cette curiosité pour les histoires du passé, elle œuvre bénévolement dans le milieu associatif local après une carrière paramédicale.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie27 mars 2025
ISBN9782386257865
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    Aperçu du livre

    Mourir d'Afrique - Anne Londaitz

    Mourir d’Afrique

    D’Anne Londaitz

    Le temps d’un roman

    Editeur

    Collection «Roman»

    « Le hasard n’existe pas, tout est pré-établi, pré-conçu, minutieusement élaboré »

    « Le hasard nous entraine vers un destin qui nous attend »

    Mazouz Hacene

    « Même les rencontres dues au hasard sont dues à des liens noués dans des vies antérieures »

    Haruki Murakami

    « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous qu’on ne sait pas lire »

    Jérôme Touzalin

    POUR THOMAS

    PROLOGUE

    2019

    La vie devant soi

    L’Afrique, mosaïque de paysages et de cultures, une terre qui attirait Thomas comme un aimant. Ses voyages l’avaient conduit sur tous les continents, Amérique, Canada, Nicaragua, Inde, Nouvelle Zélande, Polynésie …

    Il y avait passé d’agréables moments en vacances ou pour ses études, en famille ou avec des amis, mais l’Afrique le fascinait depuis toujours.

    Il aimait les couleurs des paysages, les ciels sans nuages, les vêtements des femmes, les odeurs des marchés de fruits et de légumes, la poussière des villes, le bruit des enfants qui jouent pieds nus dans la rue, la nonchalance des habitants. Pourquoi cette fascination ? Il ne pouvait pas l’expliquer…

    Burkina Faso, Côte d’Ivoire, seront ses premières rencontres avec ce continent d’exception.

    Pour valider le dernier stage de son école d’ingénieur agronome, c’est tout naturellement qu’il va choisir le Ghana. Il supervise une production de miel, domaine qu’il affectionne tout particulièrement. A l’issue de ces quelques mois de formation et son diplôme en poche, il continue l’aventure dans cette petite start up où on lui propose son premier job. Il va y rester quelques mois, commercialisant le miel et les arachides au miel.

    Quand un ami lui parle d’une offre alléchante, un poste de V.I.E. (volontariat international en entreprise), il n’hésite pas une seconde. C’est le sésame de tous les jeunes diplômés voulant s’expatrier : une opportunité de travailler dans une entreprise française à l’étranger, en l’occurrence Bonduelle, avec un statut de privilégié. Bon salaire, voyages payés, logement et voiture de fonction…

    Le poste en question se trouve sur les hauts plateaux du Cameroun, à Bafoussam, il s’agit de contrôler la production de haricots verts, fleuron de la marque Cassegrain Bonduelle. Et oui, tous les haricots verts de cette firme que l’on trouve dans nos supermarchés viennent du Cameroun ou du Kenya.

    L’organisation de cette usine est bien particulière. Le principal client, Bonduelle, sous-traite avec une usine locale Proleg. Tout le personnel est local, les employés, les ouvriers, ainsi que le responsable, Brice, et sa secrétaire Solange.

    Bonduelle chapeaute l’unité avec un directeur général, David, basé à Lille. Sur place, deux ingénieurs, Baptiste et en l’occurrence Thomas, sont en charge de la bonne marche de la production. David ne se rend au Cameroun que deux ou trois fois par an pour évaluer les besoins, Baptiste et Thomas lui rendant des comptes très régulièrement.

    Il postule donc pour cette offre, et passe avec succès et brio tous les entretiens d’embauche au siège de Lille.

    Adieu le Ghana, le miel et les abeilles…

    Le premier mars 2019, il embarque pour le Cameroun où il rejoint son ami Baptiste qui y travaille depuis plus d’un an. Il sera logé dans une petite maison à Bandjoun avec du personnel local à côté de chez son ami : c’est un semblant de vie coloniale qui commence.

    Bafoussam… Situé sur les hauts plateaux à près de 1000 mètres en pays Bamiléké, ce qui lui confère un climat très tempéré, à la fois ville et village. Encore dirigé par un chef comme autrefois, avec ses coutumes ancestrales : les jours de fêtes, les hommes dansent, traditionnellement revêtus de peaux de panthères, de façon mystique et symbolique. On y pratique toujours des sacrifices pour verser du sang animal sur les racines de l’arbre de pendaison qui est situé au centre de la cour où trois tortues vieilles de près d’un demi-siècle continuent de dire la justice traditionnelle au tribunal coutumier. La chefferie de Bafoussam, située au cœur de la ville, est composée d’un palais en bambou au milieu d’une petite forêt, où retentissent les tambours. Le chef ou le roi, comme on l’appelle, reçoit les requêtes du peuple, et les hommes politiques le sollicitent régulièrement.

    Puis il y a les instances gouvernementales avec les infrastructures pseudo modernes, les écoles, l’hôpital…

    La ville moderne et poussiéreuse…

    L’économie est surtout agricole, c’est le fief des cultures maraîchères, les usines sont à vocation agro-alimentaire.

    Le tout surplombé bizarrement par une cathédrale qui paraît anachronique dans ce décor.

    C’est au milieu de rien et loin de toute distraction touristique. La plage et Douala, ville cosmopolite, sont à quatre heures de route mal carrossée où il faut montrer « patte blanche  »  et surtout « petit billet de francs CFA » aux policiers corrompus qui jalonnent la piste.

    Mais Thomas vit « son Afrique », il a vingt-trois ans et l’avenir devant lui…

    Cameroun 2019

    et …

    La vie en suspens

    Lundi 13 mai 2019

    Bafoussam

    Le réveil sonne avec insistance depuis près de cinq minutes. J’ai mal à la tête, la soirée a été longue et la nuit trop courte. Mes draps sont chiffonnés et humides, l’air est déjà moite et mon ventilateur brasse une atmosphère lourde. Ma bouche est pâteuse, je pense que j’ai bu plus que de raison.

    On a bringué et champicoté beaucoup trop tard. Mes souvenirs sont flous. Est-ce que je me tropicalise, en bon petit blanc que je suis ?

    Ma nuit a été peuplée de cauchemars, hantée par le sourire carnassier de Larissa. Elle me fait penser à un vampire ou à une créature maléfique sortie d’un conte. Sa silhouette de liane pourrait être attirante si elle ne s’habillait pas comme la « bordelle » qu’elle doit être. Talons vertigineux, mini-robe moulante et décolletée, une rutilante cylindrée version décapotable, « les bobis » en guise de parechocs, avec toutes les options…

    Je déteste ce genre de fille factice, vulgaire à souhait, maquillée comme une voiture volée.

    Hier soir, elle était encore là dans ce circuit où nous avons fini la soirée. Son visage ressemble à un masque de cire, figé et inexpressif. Elle distribuait son sourire de façade, ourlé de rouge, aux rares blancs de l’assemblée, et me distillait des regards aguichants. Ce n’est pas la première fois que je la croise, on dirait qu’elle sait d’avance où je vais me trouver…

    Plusieurs fois, elle s’est collée à moi, ses regards ne laissant aucun doute sur ses intentions.

    « Petit Blanc, laisse-toi faire, je saurai donner de la couleur à ta nuit », disaient ses yeux de braise qui m’attirent et me fascinent à la fois, tout en me mettant mal à l’aise.

    Il faut que je me méfie, si je baisse un tant soit peu la garde, elle va m’attaquer. Comme une panthère noire qui chasse dans la savane, elle traque ses proies dans les bars.

    C’est évident, elle cherche un pigeon, ça sent la brouteuse professionnelle à plusieurs kilomètres. Championne du monde dans sa catégorie, cette « yoyette ».

    Il me faut me lever, aujourd’hui nous recevons les premiers haricots verts des hauts plateaux et j’ai un travail de dingue qui m’attend à l’usine.

    La douche tiède me fait du bien et me remet les idées en place. Le café préparé par Thérèse, ma cuisinière, fait le reste.

    Je saute dans ma Susuki pour rejoindre l’usine Proleg, et ma mauvaise nuit est vite oubliée tant le quotidien m’assaille dès mon arrivée.

    Il me faut contrôler la qualité des haricots prêts à être mis en boîte par les sertisseuses, vérifier que les ouvrières respectent les normes de qualité que nous avons mises en place suivant un protocole rigoureux.

    J’envoie vers huit heures à mon père une photo de ces légumes fraîchement ramassés, via WhatsApp. Bizarrement cette photo mettra la journée à traverser les continents et il ne la recevra qu’en fin d’après-midi. Comme si ce message était resté suspendu par le destin…

    Baptiste est parti depuis l’aube sur les lieux de production avec des spécialistes de l’irrigation et je suis le seul responsable de cette ruche qui bourdonne.

    Alors que je vérifie les petits fagots verts dans les boîtes qui roulent sur les tapis roulants, mon contremaître vient m’avertir que le couvreur est arrivé. La toiture d’un des hangars de l’usine prend l’eau, il y a des microfissures et il est grand temps d’y remédier avant d’être exposé à des dégâts plus contraignants. C’est un grand Noir à l’allure nonchalante, il ressemble au peintre qui est venu la semaine dernière et qui a essayé de me rouler dans la farine.

    C’est le plus fatigant sous les tropiques, se faire respecter et éviter le sport national qui consiste à arnaquer l’homme blanc. Tout est permis et leur créativité en la matière atteint parfois des sommets vertigineux.

    Ce peintre avait poussé le vice à transvaser sa peinture de pacotille dans de magnifiques pots estampillés « La Seigneurie ».

    – C’est de la bonne peinture française, m’avait-il dit, la meilleure.

    Mauvaise pioche, mon père a été directeur commercial de cette entreprise de peinture, effectivement de grande qualité. Alors je n’allais pas me faire enfler par ce roublard, sa peinture n’était pas celle annoncée et le travail était bâclé de surcroît. J’avais dû lui faire recommencer son travail malgré son indignation et ses protestations.

    En revanche, je n’ai aucune qualification pour vérifier si ce couvreur est du même acabit.

    Quand il vient m’annoncer :

    – J’ai fini le toit, il est réparé, comme neuf.

    J’ai juste l’impression qu’il n’est pas resté bien longtemps sur ce toit. Vite fait mal fait, est la première chose qui me vient à l’esprit.

    Je le suis dans la cour, longe le hangar blanc et vert de l’usine, et je grimpe à l’échelle encore adossée au mur pour vérifier son travail.

    Je l’entends qui monte derrière moi en maugréant.

    Le toit est composé de plaques de plexiglass qui brillent au soleil, m’éblouissant au passage, et de poutres métalliques. J’ai l’impression d’être sur un miroir translucide. Il me semble qu’il n’a pas fait grand-chose, je m’avance pour m’assurer que la toiture est réparée et étanche. Avec précaution, je place mes pieds sur la charpente en métal.

    Est-ce que je glisse ? Est-ce que je trébuche ?

    Le ciel se renverse, j’entends le bruit du plexiglass qui se brise sous mon poids, j’entends les cris d’effroi et les hurlements des ouvrières de l’usine…

    Je n’entends plus rien, c’est un silence glacé qui m’envahit et m’enveloppe comme si j’étais tombé dans le fond d’une crevasse montagneuse.

    A l’intérieur du hangar, c’est la panique, les hommes s’agitent, les femmes crient et s’affolent.

    « Missié Thomas, il est tombé. Missié Thomas, il est die c’est sûr. Missié Thomas il a cassé son cou. »

    Les hurlements font sortir de son bureau, Brice, le directeur. Il découvre son jeune ingénieur inerte sur le sol en béton de l’usine. Dix mètres plus haut, le toit laisse filtrer par une échancrure béante les rayons du soleil. Thomas gît sans connaissance entre les machines et les sertisseuses. Son visage est face au sol et une auréole de sang s’étire inexorablement.

    Les minutes semblent interminables avant que Brice prenne la décision d’évacuer lui-même le blessé vers une unité de soins. Les cris ont fait place à un silence de plomb rythmé par les sanglots étouffés d’une vieille ouvrière.

    Il a rapidement évalué la gravité de la situation. Inutile d’appeler des secours qui n’arriveront jamais, ou alors bien trop tard. Il est camerounais et il sait que, dans les cas d’extrême urgence, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

    Il intime à Augustin, son chauffeur, d’avancer le gros Proace Toyota qui lui sert de voiture de fonction. Avec l’aide de quelques employés, il retourne maladroitement Thomas qui saigne abondamment du nez et d’une arcade. Il est pâle et livide.

    Point de matelas coquille, point de collier cervical, on est en Afrique et on ramasse les blessés comme on peut. Advienne que pourra…

    Ils le soulèvent et le portent vers l’extérieur du hangar.

    L’infirmière de l’usine, habituellement habilitée à distribuer quelques cachets ou à faire un petit pansement par-ci par-là, est complètement dépassée par les événements. Sur les ordres de Brice, son directeur, elle a converti le siège passager en une couchette improvisée.

    Les hommes chargent le jeune blessé dans cette ambulance de fortune sans plus de précaution.

    Brice et l’infirmière s’installent à l’arrière. Direction l’hôpital de Bafoussam.

    Augustin devient ambulancier et démarre, warnings allumés, la main bloquée sur le klaxon pour dégager la route. Les voitures se rangent, les mobylettes s’écartent devant l’utilitaire qui roule à vive allure. Beaucoup d’employés ont décidé de suivre cette évacuation, et c’est un véritable convoi qui se dirige vers le centre de soins.

    Le directeur s’active sur son téléphone portable, jamais un tel accident ne lui est arrivé. Il tente de joindre Baptiste, qui est toujours à l’extérieur, et qui ne répond pas. Il laisse plusieurs messages, affolé.

    Baptiste finit par décrocher devant l’insistance des appels de l’usine. Avec sa direction, c’est toujours urgent, même les détails les plus insignifiants, aussi n’a-t-il pas tenu compte des messages lui demandant de rentrer au siège. Il est sur les lieux de production, en ce début de matinée, sur les hauts plateaux où les plantations maraîchères s’étirent à l’infini en rangées verdoyantes. Les femmes, aux silhouettes enveloppées de wax coloré, sont éparpillées dans ces champs aux terres fertiles.

    Machinalement Baptiste a pris l’appel, et écoute la voix de son directeur affolé qui hurle dans le combiné.

    – Baptiste, il faut que tu rentres, Thomas a eu un accident, je suis en train de le conduire à l’hôpital régional de Bafoussam, c’est grave, très grave, il est tombé du toit et a perdu connaissance, je pars là-bas, rejoins moi.

    Il ne réalise pas tout de suite l’urgence de cet appel. Brice a tendance à exagérer et à dramatiser les faits. Il décide tout de même de le rejoindre à l’hôpital après avoir déposé chez lui, sur le trajet, ses amis venus superviser l’irrigation des plantations.

    Sur le chemin, il croise un pick-up où se sont entassés une petite dizaine d’employés de l’usine. Ils lui font des grands signes afin de lui demander de s’arrêter. Il se range sur le bas-côté et quatre d’entre eux grimpent dans sa voiture en lui disant :

    – Baptiste, mets les warnings et fonce à l’hôpital, c’est grave. Ils répètent en boucle : « C’est grave, il est tombé ». Certains disent : « Il est tombé du toit, il a roulé », d’autres ont même d’autres versions. En fait, ils n’ont rien vu.

    Au même moment, David, le directeur de Bonduelle appelle le jeune homme de Lille.

    – Que s’est-il passé ? Je viens d’avoir Solange hystérique au téléphone qui pleurait en disant : il est mort, il est mort.

    – Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’étais à l’extérieur, je vais à l’hôpital et je vous tiens au courant dès que possible.

    Le jeune homme avale la vingtaine de kilomètres qui le sépare de cet hôpital, pied au plancher. Il a pris conscience de la gravité des faits. C’est comme un électrochoc pour lui. Son copain Thomas qu’il a fait venir du Ghana pour poursuivre cette aventure au Cameroun… Son copain du rugby avec qui il partage une belle amitié depuis leurs études à l’ISTOM…

    Sans plus réfléchir, dans un état second, il a lui aussi allumé les warnings. Il double tout ce qui roule, klaxonne la moindre moto, prenant des risques inconsidérés. Il manque même d’en renverser une à l’entrée de l’hôpital, et reçoit de plein fouet les insultes de son pilote.

    L’hôpital de Bafoussam est un ensemble de bâtiments bas qui ressemblent plus à des hangars qu’à un centre de soins à vocation régionale. Les urgences sont dans le bloc C situé sur le côté. C’est un petit édifice peint en jaune et ocre, avec des fenêtres à barreaux. Devant l’entrée s’amoncellent des sacs poubelles. Sans la pancarte où est écrit « Service des urgences », on pourrait se croire devant les cuisines.

    On est bien loin des images des séries américaines où les urgences sont des services aseptisés, à la pointe de la technologie, regorgeant de personnel affairé et efficace.

    Ici cela ressemble à un dispensaire de fortune.

    Devant la porte, l’ensemble du personnel de l’usine est présent, agglutiné, et attend des nouvelles. Ils ont fait le déplacement, à la fois inquiets pour leur jeune ingénieur, et profitant de l’occasion pour déserter leur poste.

    Ce sont eux qui ont déchargé le blessé de la voiture de leur patron et qui l’ont transporté jusqu’au lit du service d’accueil.

    Baptiste pousse tout le monde pour pénétrer dans la salle d’accueil. Un gardien tente de l’en dissuader :

    – Qui tu es, toi ?

    – C’est mon frère, réplique Baptiste pour couper court à ces questions.

    Cette expression commune en Afrique semble lui suffire, il laisse entrer le jeune homme.

    Le hall est meublé de fauteuils éventrés où quelques femmes sont avachies. Un homme sans âge tient son bras retourné et attend dans l’indifférence. Au fond de la pièce, un guichet vide complète l’ensemble.

    Brice est assis, abasourdi, se tenant la tête entre les mains. Il est décomposé.

    – Où est Thomas ? Que s’est-il passé ?

    – Il est par là, répond-il en désignant de la tête un couloir.

    Comme un fou, Baptiste s’engouffre dans ce couloir aux portes peintes en bleu : Thomas est allongé là, dans un lit, pâle et inconscient, entouré d’infirmières désorganisées qui s’affairent à lui prodiguer les premiers soins. Un énorme cocard sur son arcade, du sang glisse sur sa joue et macule son tee-shirt. De sa bouche sort un son rauque, c’est le bruit de son sang qui s’écoule dans sa gorge. Ce son horrible hantera longtemps Baptiste, il mettra des semaines à essayer de l’oublier.

    Le jeune homme se sentant inutile et importun, rebrousse aussitôt chemin.

    Voir Thomas allongé, sans connaissance, sur ce lit de fortune a réveillé chez lui de mauvais souvenirs qu’il s’efforce d’oublier. Le traumatisme crânien, il connaît. Un méchant placage au rugby l’a fait basculer dans ce mauvais trip il y a déjà trois ans. Trois jours « hors-jeu » et six mois pour retrouver ses esprits. Ses études interrompues et avortées pour un match amical… Lui aussi a payé un lourd tribut au destin.

    Il a besoin de prendre l’air pour retrouver ses esprits. Il franchit la porte vers le parking. La foule des employés l’assaille de questions. Il a l’impression d’être devant une conférence de presse… Mais il n’a aucune réponse concrète à leur donner.

    Très vite il retrouve sa lucidité : il faut agir. Il envoie un message à des amis pour obtenir le numéro des responsables des VIE au Cameroun. La chaîne de solidarité s’active et, très vite, il est en possession

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