L'adversité d'un homme: Roman
Par Lyne Quiin
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À propos de ce livre électronique
Ce roman perçoit bien l'adversité d'un homme dans la traque de la vie.
Lyne Quiin
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Aperçu du livre
L'adversité d'un homme - Lyne Quiin
Enlèvement
À l’arrière d’une berline sombre, devant l’immeuble du 37, avenue de Ségur, l’homme se penche pour regarder la fenêtre du troisième étage qui vient de s’éclairer.
–Vous pensez qu’il va ressortir ?
–Oui Monsieur.
–Mais quand ? Bientôt ?
–Les trois dernières fois où il est monté le soir, il n’est pas ressorti avant le matin. Nous supposons qu’il a des habits sur place, car il ne portait pas le même costume.
Vernon Manfred se renfonce dans l’ombre de la banquette arrière. Les deux agents restent immobiles à l’avant de la voiture. Il prend soudain sa décision.
–Vous seriez en mesure d’intervenir sous quel délai ?
–Tout est prêt depuis trois jours, nous n’attendons plus que votre feu vert.
–Faites-le.
–Bien Monsieur. Quand ?
–Dès qu’il aura quitté l’appartement. Nous n’avons plus de raisons de repousser plus longtemps. Prévenez-moi quand tout sera terminé.
La portière claque et les deux hommes se retrouvent seuls dans le noir.
Le conducteur se penche en avant pour regarder la fenêtre éclairée.
–Je me demande ce qu’elle peut bien avoir fait pour justifier d’un tel intérêt…
–Ne te demande pas trop, tu as vu qui était assis dans la voiture il y a quelques secondes ? Alors, tu exécutes, et puis tu oublies, c’est beaucoup mieux.
Le lendemain matin, à huit heures, quelques instants après le départ de Pierre Nord, trois agents forcent la serrure de l’appartement, s’avancent avec prudence jusqu’à la porte de la chambre entrebâillée. La jeune femme s’était rendormie. Deux agents entrent dans la chambre et se placent de chaque côté du lit. Le troisième sort une seringue hypodermique, s’approche sans bruit et la plante dans le cou de la jeune femme. Elle ouvre les yeux un bref instant, regarde avec surprise la silhouette debout devant elle. L’homme sourit pour la rassurer, elle ferme les yeux, elle ne dit qu’un mot, à voix basse, au bout de son souffle.
–Pierre…
L’homme vérifie son pouls, puis fait un geste aux deux autres. Ils l’habillent, pendant qu’un quatrième technicien, qui avait attendu sur le palier, fait méthodiquement le tour de l’appartement. Il prépare un petit-déjeuner, allume les lumières dans la salle de bains, remplit la baignoire, un ensemble de mesures qui ont pour but de montrer que l’occupante de l’appartement était, ce matin-là, en train de se préparer comme à l’accoutumée.
Une heure plus tard, un avion décolle d’un terrain privé et prend la direction de l’ouest. Le plan de vol indique un port sur la côte Islandaise. Au milieu de l’Atlantique, l’appareil descend en dessous du plafond de contrôle et change de direction pour atterrir quelques heures plus tard sur un terrain désaffecté en Virginie-Occidentale.
Après douze heures de voyage, toujours sous l’emprise des drogues administrées dans son appartement, la jeune femme est admise, en toute illégalité et dans le plus grand secret, sous le nom de Patricia Richardson, à l’institut psychiatrique de Gettysburg, en Virginie-Occidentale. Jouant de sa position, Vernon Manfred a fait pression sur l’établissement pour qu’il accepte une patiente non déclarée.
Devant la salle d’examens où deux infirmières procèdent à une série de tests, le directeur s’agite nerveusement.
–Qu’est-ce que je fais si la direction de la santé fait une visite d’inspection et passe en revue le registre ?
–Vous improvisez, Docteur, vous improvisez…
–Mais soyons sérieux, il y a des règles dans cet établissement, le personnel parle, je ne peux pas accueillir une nouvelle patiente, surtout une femme aussi belle, sans qu’elle soit remarquée.
–Débrouillez-vous. Vernon Manfred a été très clair, elle doit descendre dans une spirale chimique dont elle ne devra jamais pouvoir revenir.
Il n’y aura alors aucune chance que Pierre Nord puisse la retrouver. Il n’existe aucune trace du voyage jusqu’à Gettysburg de celle qui s’appelle désormais Patricia Richardson.
Enfin presque aucune trace…
Avant
Le recrutement
Le lendemain de la remise des diplômes du Doctorat, une matinée fraîche de juin 1973, il est sept heures, Pierre Nord lit le journal dans l’arrière-salle de l’épicerie italienne sur Bleeker Street. De la sciure par terre, des caisses de bois avec des inscriptions en italien, une table et trois chaises. Un endroit calme, il y vient souvent pour travailler. Sur la table en formica rouge, une tasse de café fumant et une assiette de beignets. On entend le bruit de la circulation, étouffé par les murs épais du bâtiment qui datait de la fin du XIXe siècle, un léger rayon de soleil éclaire la pièce.
La porte sur la rue s’ouvre en grinçant, ce qui n’a rien d’anormal en soi, la porte d’une épicerie étant censée s’ouvrir fréquemment et celle-ci grinçait toujours, car personne ne s’était préoccupé d’huiler les gonds. Il ne lève pas les yeux du journal, il en est à la page vingt-sept et c’est la première fois depuis un an qu’il a le temps de lire le journal jusqu’à la page vingt-sept et il ne va pas s’interrompre pour une porte qui s’ouvre. Deux hommes entrent, traversent la boutique dans toute sa longueur, sans hâte, sans hésitation, sans regarder quoi que ce soit autour d’eux. Ils ne quittent pas des yeux l’entrée de l’arrière-boutique. Ils écartent le rideau de perles multicolores et, toujours sans marquer la moindre hésitation, entrent dans la pièce. Ils attrapent les deux chaises qui avaient été poussées contre le mur et s’asseyent en face de Pierre Nord.
À ce moment seulement, il lève les yeux.
Les deux hommes pourraient être absolument n’importe qui. Des policiers, des agents du fisc, des assureurs. Rien dans leur attitude ou leur tenue ne peut laisser penser qu’ils étaient autre chose que des personnes banales. Leurs costumes étaient ordinaires, leurs cravates presque assorties avaient dû être achetées il y a dix ans dans une boutique en faillite du Middle West. Enfin, c’est ce que Pierre imagine en observant leur largeur inhabituelle et le choix des couleurs pour les rayures. Ils lui sourient tous les deux, avec une grande courtoisie, disent « Bonjour Monsieur Nord », à tour de rôle. Celui de droite, le plus jeune, avait un accent nordique, une pâleur livide et flottait dans son costume. Son compagnon étant originaire des états du sud, devait approcher les cent cinquante kilos sur la balance et commençait à transpirer en dépit de la fraîcheur ambiante. Malgré la similitude de leurs habillements, Pierre se demande quel hasard de la vie avait rassemblé ces deux êtres aussi dissemblables. Celui de gauche sort un dossier de sa serviette, place avec soin la serviette contre le pied de la chaise et le dossier devant lui, bien droit sur la table, dans l’arrière-boutique d’une épicerie italienne sur Bleeker Street, un matin de juin.
Il serait presque envisageable de dire que c’est au cours des instants qui vont suivre que l’histoire a véritablement commencé. Mais cela serait prendre un raccourci. Il suffira de dire que la chaîne d’événements qui vont se produire dans les années qui suivirent et qui changèrent dramatiquement certains équilibres de notre planète aura indiscutablement été forgée dans cette arrière-boutique, par une belle matinée de juin.
C’est l’homme de droite qui prend la parole. Il parle une heure et douze minutes, sans arrêt, sans même boire un verre d’eau ou se moucher, d’un ton calme et monocorde, sans que Pierre l’interrompe. L’homme au costume gris et à la cravate un peu large lui raconte une histoire, une longue histoire en fait, faite de naissances, d’enfants, d’adolescents, de parents, de morts, de femmes, d’amis, et puis d’une jeune femme en particulier, de la mort à nouveau, de l’université, de diplôme, de beaucoup de diplômes, d’un jeune homme qui a ces diplômes, de la vie de ce jeune homme.
L’histoire de la vie de Pierre Nord, résumée en soixante-douze minutes.
Il l’écoute. Il n’y a aucune erreur, aucune omission, l’homme connaît des détails que lui-même a oubliés, a des réponses à des questions qu’il n’a jamais posées et pour lesquelles il attend toujours des réponses. L’homme peut citer des lieux, des personnes, des faits avec une précision parfaite, c’était comme si Pierre voyait le film de sa vie passer à grande vitesse devant lui. Lorsque l’histoire se termine, l’homme de gauche qui n’a rien dit et a suivi toute l’histoire sur les feuilles imprimées posées devant lui demande très poliment :
–Est-ce que vous avez des questions, Monsieur Nord ?
Pierre peut imaginer que beaucoup de questions pourraient être posées à cet instant, mais il y en a une tellement évidente qu’il choisit de ne pas la poser. Parce qu’il sait parfaitement qu’ils n’auraient de toute façon pas répondu. On ne demande pas à un homme qui vous raconte toute votre vie en soixante-douze minutes qui il est. Surtout, lorsque l’homme sait des choses sur vous que vous-même ne savez pas. Alors il se contente de regarder fixement la porte de l’épicerie, de prendre un air imperturbable et d’attendre la suite. Après quelques instants de silence, l’homme de droite dit :
–Bien, très bien.
Comme s’il attendait ce signal, l’homme de gauche se penche, ouvre la mallette qu’il avait posée contre le pied de la table, en sort une enveloppe en papier kraft marron et la fait glisser sur la table vers Pierre.
–Voici notre offre, Monsieur Nord. Vous trouverez tout dans cette enveloppe. Nous reviendrons tous les matins, à la même heure, jusqu’à ce que vous nous donniez une réponse. Cette offre est exclusive pour six mois. Elle n’est faite qu’à vous et à personne d’autre. Est-ce que vous me comprenez ?
–John ?
–Oui, Jack ?
–Je pense que Monsieur Nord comprend parfaitement la notion d’offre exclusive.
–Oui, Jack, tu as raison. Veuillez me pardonner, Monsieur Nord. Cela ne se reproduira plus, je vous donne ma parole.
Ils se sont levés en même temps, ont replacé soigneusement les deux chaises à leur place originelle et se sont arrêtés devant le rideau de perles. L’homme à la mallette observait la boutique à travers le rideau pendant que son homologue se tournait vers Pierre. Il avait le même sourire poli et déférent.
–Nous sommes patients Monsieur Nord, très patients.
Ils ouvrent la porte de la rue sans un regard pour le propriétaire de l’épicerie. Celui-ci n’avait pas bougé de derrière son comptoir. Quand ils sont sortis, il s’approche de la fenêtre et les regarde monter dans leur voiture et disparaître au bout de la rue. Il fait passer l’allumette qu’il mâchonnait de la joue droite à la joue gauche. Il tourne la tête pour regarder Pierre, dans l’arrière-salle, à demi caché par le rideau de perle qui sépare les deux pièces. Il le hèle :
–Eh ! Pierre, c’est qui ces deux types ?
–Des amis, Manolo. Des amis, ne t’inquiète pas.
Le propriétaire marmonne quelques mots et repart ranger ses boîtes de sauce tomate. Dans l’arrière-boutique, Pierre finit de lire le journal, l’enveloppe marron au milieu de la table devant lui. Quand il a lu la dernière page, il plie le journal, le pose délicatement sur la partie gauche de la table et attrape l’enveloppe. Il déchire le rabat avec soin et sans la soulever de la table, il regarde à l’intérieur. Il y a deux liasses de papier qui semblent avoir la même épaisseur. Chaque liasse est agrafée et semble tout à fait normale.
À un détail prêt.
La couleur du papier.
Du papier pelure bleu, d’un bleu qu’il n’a jamais vu avant.
Vingt-quatre feuilles exactement. Un contrat. Un contrat de travail, en deux exemplaires.
Pierre lit les vingt-quatre pages, trois fois. La première fois rapidement, puis plus lentement la deuxième fois. À la troisième lecture, il ralentit encore le rythme, une de ses techniques pour prendre la pleine mesure d’un texte, un peu comme un plongeur en apnée qui ralentit son pouls pour descendre encore plus profond. L’offre est très précise, il ne peut y avoir aucun doute sur la nature de ce qui lui est offert. Il y a le nom de la société, des conditions, des obligations, des engagements, des réserves. Les avantages, les rémunérations, les compensations, tout est décrit. Le rédacteur avait clairement cherché à communiquer le plus grand nombre d’informations dans un espace le plus réduit possible. Mais il avait oublié une information essentielle.
Une information qu’on n’oublie jamais dans un contrat de travail. Et pourtant, après trois lectures, Pierre est absolument certain que cette information n’est pas précisée dans le contrat.
La nature exacte du poste.
Un contrat de travail de vingt-quatre pages qui ne précise pas la nature du travail à accomplir.
Il quitte l’épicerie et rentre chez lui. Dans le petit appartement, il s’allonge sur le lit, croise les mains derrière la nuque et se met à réfléchir en fixant un point imaginaire au milieu du plafond. La situation qui se présente à lui n’a absolument aucun sens, et pourtant deux hommes se sont assis en face de lui, lui ont raconté l’histoire de sa vie dans les moindres détails avant de lui offrir un emploi indéterminé qui était rémunéré une fortune. Derrière cette apparente absence de sens, il doit y avoir quelque part une forme de logique. Il suffit qu’il imagine une forme de logique pour pouvoir alors prendre une décision.
Trois heures plus tard, il se lève soudainement. Il a pris sa décision. La seule manière qu’il envisageait pour aborder cette situation était de considérer la logique dans l’illogisme. Ainsi, il s’affranchit des idées préconçues et peut s’asseoir en face de quelqu’un qui prend le temps de lui raconter ce qui s’était passé six ans plus tôt pendant une soirée dans un chalet des Alpes suisses où, à sa connaissance, la seule personne présente n’avait pas nécessairement envie que quiconque connaisse les détails de ce moment intime.
***
Le lendemain matin, il entre dans l’épicerie à l’heure précise du rendez-vous, l’enveloppe en papier kraft à la main. Derrière le rideau de perles multicolores, il distingue les deux silhouettes immobiles qui lui tournent le dos. Manolo, réfugié derrière son comptoir, interroge Pierre du regard. Pierre le rassure.
–Des amis, Manolo, ce ne sont que des amis.
Pierre s’assied en face d’eux, leur sourit, sort les deux exemplaires du contrat, ôte le bouchon de son stylo plume et en signe un. Il le remet dans l’enveloppe et le fait glisser vers l’homme de gauche.
–Je crois que vous êtes venu chercher ceci.
Après un temps d’arrêt, l’homme avance la main, prend l’enveloppe avec une délicatesse réservée aux documents importants, la remet dans la mallette et porte son poignet à sa bouche et dit :
–Monsieur Nord a accepté.
Il baisse les yeux pendant qu’il écoute une réponse que Pierre ne peut pas entendre, puis répond :
–Je lui dis, Monsieur.
Il relève les yeux, fronce imperceptiblement les sourcils, comme pour se donner du courage.
–Monsieur Nord, vous n’êtes pas sans savoir que la proposition comporte une prise de fonction immédiate ?
Pierre, sans le quitter du regard, sans faire le moindre mouvement, ne répond pas. L’homme de droite pose sa main sur le bras de son collaborateur.
–John…
–Oui, Jack ?
–Est-ce que tu crois vraiment que Monsieur Nord ne sait pas lire un contrat de vingt-quatre pages ?
–Non, je ne pense pas.
–Alors pourquoi est-ce que tu déranges Monsieur Nord avec des questions aussi stupides ?
L’homme de gauche contemple ses doigts quelques instants avant de relever les yeux.
–Je suis désolé, Monsieur Nord.
L’homme de droite soupire.
–Il faut lui pardonner, Monsieur Nord, cela a été une très longue mission, et comment dire…
Il jette un coup d’œil à son collègue qui s’est replongé dans la contemplation de ses doigts.
–… nous sommes submergés par une certaine émotion de la voir arriver à son terme.
Pierre fait un geste, un geste anodin, qui coupe l’homme dans son explication. Pierre lève le poignet à hauteur de son visage, regarde le cadran de sa montre pendant trois secondes, ce qui doit être au moins deux secondes et demie de trop, repose sa main sur la table. L’homme de droite se mord la lèvre inférieure, fronce les sourcils, puis dit sans quitter Pierre du regard :
–John ?
–Oui, Jack ?
–Je crois que Monsieur Nord vient de nous dire qu’il est temps de se mettre au travail. Va chercher la voiture.
–On avait dit qu’aujourd’hui c’est toi qui conduisais !
–John ?
–Quoi encore ?
–Va chercher la putain de voiture !
John soupire profondément et parle dans son poignet.
–Obélix en mouvement. Terminé.
Sans un regard pour son acolyte, il replace la chaise avec soin et sort du restaurant. Pierre reste face à Jack. Il lui sourit à nouveau, et l’homme hésite quelques secondes avant d’ébaucher un sourire en réponse. Pierre penche la tête et dit :
–Obélix ?
–Euh… oui…, en fait c’est parce qu’un jour vous avez acheté l’intégrale de la collection. C’était dans son rapport et les collègues pour se moquer de lui ont décidé de l’appeler Obélix. Après, nous avons trouvé plus simple de garder ce nom comme indicatif.
–Et vous, vous êtes Astérix ?
L’homme a soudain l’air d’un enfant perdu dans un costume gris austère, sur une chaise inconfortable, dans l’arrière-boutique d’une épicerie italienne.
–Oui…
–Et moi, qui suis-je dans le village ?
–Excusez-moi ?
–Je suis quel personnage dans votre monde imaginaire ?
–Oh, Monsieur Nord ! Nous ne nous serions pas permis !
–C’est qui, alors ?
Jack semble presque décontracté lorsqu’il répond, avec une certaine fierté.
–Plein Soleil.
–Plein Soleil ?
–Plein Soleil, absolument.
–C’est bien choisi…
–Merci.
–Et si j’ai d’autres questions ?
–Page 3, article 27.
–Oui, bien sûr l’article 27.
Il ouvre son exemplaire du contrat et lit à mi-voix l’article 27. Il referme le contrat.
–Donc, pas de question, Monsieur Nord ?
–Non, Jack, je n’ai pas de question. Nous pouvons y aller.
La Programmation
Pierre Nord monte à l’arrière d’une Chrysler New-Yorker jaune sale, totalement anonyme. John s’engage dans la circulation, et remonte la 3e avenue jusqu’à Central Park, continue sur Central Park West et tourne à gauche dans la 99e rue. Il trouve un espace libre et se gare. L’immeuble est massif, huit étages de blocs de pierre, l’ascenseur les emmène bruyamment jusqu’au dernier étage.
L’appartement est vide, dans le salon, il n’y a qu’une chaise, une table et un tabouret, un homme en tenue verte d’hôpital debout à côté de la table et une femme assise à la table. Pierre Nord ne marque aucun temps d’arrêt, il se dirige tout naturellement vers la chaise, ôte sa veste qu’il pose sur le dossier et s’assied. Jack et John sont un peu surpris, ils avaient anticipé une hésitation, des questions embarrassantes. Chaque soir, pendant une semaine, ils avaient revu le programme préparé par le Directorat S qui prévoyait les deux cents questions les plus probables.
Rien.
Pierre Nord ne dit rien, ne pose aucune question embarrassante. Il est comme cela, quand les faits paraissent improbables, il les ignore simplement. Par pure logique, puisque ce qui est improbable n’est pas probable, donc ne doit pas survenir. C’est simple. Et très compliqué en même temps.
L’homme en vert regarde John et Jack avec interrogation, John et Jack ne laissent rien paraître de leur perplexité, John hausse les épaules et hoche la tête pour lui dire d’avancer.
Pierre Nord est assis le dos droit sur la chaise métallique, il attend sans chercher à aller contre le cours des événements, il regarde l’objet posé sur la table. Il n’en a jamais vu auparavant, il y a un clavier de machine à écrire, mais sans le mécanisme de frappe et un écran de télévision, les deux sont reliés à une boîte posée sur le sol.
Sur l’écran de la télévision, il n’y a pas d’image, mais des petits dessins avec des noms inscrits en dessous. À côté du clavier, il y a un boîtier oblong en plastique relié par un fil à la boîte principale. Pierre Nord regarde l’équipement avec intérêt. Il n’y a aucune inscription sur les différents éléments, juste un logo bleu. Il se penche en avant pour regarder le logo. Il pense reconnaître une poire stylisée, bleu
Tupperware. Il n’a jamais rien vu qui porte ce logo.
L’homme en vert déroule des câbles qui sont branchés à l’arrière de la boîte. Au bout de ces câbles, il y a deux pinces larges qu’il fixe sur les deux index de Pierre. Sur l’écran, une succession de lignes commencent à défiler, la jeune femme déplace le boîtier oblong et commence à taper sur le clavier de la machine à écrire tout en lisant les lignes qui défilent sur la télévision. Deux minutes passent, la jeune femme relève la tête et se tourne vers Pierre.
–Monsieur Nord ?
Pierre Nord la regarde comme si elle était transparente.
–Quelle est la capitale de la Grande-Bretagne ?
–Londres.
–Bien. Où sommes-nous actuellement Monsieur Nord ?
Pierre ne répond pas.
–Qui avez-vous rencontré ce matin ?
Pierre ne répond pas.
–Avez-vous signé un contrat ce matin ?
Pierre ne répond pas.
–Qui a inventé la théorie de la relativité
–Albert Einstein.
–Qu’y a-t-il sur la table devant vous ?
Pierre ne répond pas.
La jeune femme poursuit jusqu’au bout du protocole, bien qu’elle sache que tout est en ordre. Quand elle a terminé, elle dit à l’homme en vert qu’elle a achevé la première phase de vérification et que s’il veut bien procéder au contrôle des éléments vitaux, leurs collègues pourront emmener Pierre Nord.
L’homme la remplace derrière le clavier de machine à écrire et fait apparaître des dessins sur l’écran de télévision. Il y a des courbes, des chiffres qui clignotent et des images en noir et blanc, des formes qui bougent quand il déplace le boîtier. Il prend tout son temps, scrutant soigneusement les images. Quand il a terminé, il retire les pinces du bout des doigts de Pierre et appuie sur un bouton sur la boîte grise. L’écran de télévision s’éteint.
–L’ensemble des éléments vitaux est opérationnel. Il n’y a rien à craindre.
La jeune femme s’adresse à John :
–Monsieur Nord est désormais dans un coma présentiel léger. Il a toutes ses facultés de mémoire et de réflexion, mais nous avons éteint la perception et la mémoire de la réalité. Vous pouvez procéder au déménagement sans risque.
Elle signe un document administratif et le remet à John.
–Voici le protocole complet, ils en auront besoin tout au long de la reprogrammation. Conformément aux instructions, il n’existe aucun double de ce protocole, aucune trace même de cette intervention.
Elle tape quelques commandes sur le clavier et John voit les lignes de commande réapparaître et se diriger vers le coin de l’écran et disparaître dans une poubelle stylisée. Lorsque tout a disparu dans la poubelle, elle se penche sous la table et retire un boîtier rectangulaire de la boîte grise qu’elle tend à John avec une liasse de formulaires administratifs.
–La mémoire Flash. Vous devez la mettre au compacteur pour éliminer toutes les traces.
John vérifie que tout est en ordre sur le document, lève la tête, sourit à la jeune femme et se tourne vers Pierre.
–Monsieur Nord, si vous voulez bien vous donner la peine…
La Chrysler New-Yorker sort de la ville par le nord et roule dans la banlieue pendant une demi-heure. Une barrière se lève à l’entrée d’une zone industrielle désaffectée, la voiture rentre dans un hangar, s’arrête à côté d’une navette. Lorsque Pierre Nord est confortablement installé, John donne l’ordre de décoller.
Deux heures plus tard, la navette se pose sur la plateforme 257 A. La visibilité est mauvaise, un banc de cumulo-nimbus particulièrement épais entoure la section 257 A. Cela n’a pas vraiment d’importance, Pierre Nord n’a eu aucune réaction apparente depuis l’appartement de la 99e rue.
Pierre Nord vient d’arriver au ciel. Nous sommes le 6 juin.
***
Les trois hommes empruntent un ascenseur express et descendent au 23e sous-sol. John guide Pierre par le coude, à travers plusieurs portes jusqu’à un vestiaire où il est accueilli par un homme en tenue verte qui l’aide à se changer pour enfiler une combinaison blanche. Il le conduit dans une pièce où règne une pénombre trouée par les clignotements bleus de dizaines de machines empilées. Il l’installe dans un fauteuil incliné et connecte les fils qui sortent de la combinaison à un panneau de contrôle situé sous l’accoudoir. Il se retire, les lumières baissent encore, Pierre Nord reste seul. Il ne bouge pas.
Dans la pièce adjacente, une dizaine de techniciens sont au travail derrière leurs écrans. Un homme en tenue civile semble surveiller l’opération qui est pilotée par un médecin-chef. Il s’active sur le clavier de machine à écrire et échange des commentaires techniques avec ses différents collaborateurs. Un par un, ceux-ci confirment qu’ils ont terminé leurs contrôles. Le médecin-chef prend le temps de lire plusieurs pages qui défilent sur sa télévision puis il se tourne vers l’homme en blanc.
–Nous sommes prêts, il faudrait maintenant que vous me disiez ce que vous voulez faire. Je ne peux pas garder une équipe hors rotation pendant une durée indéterminée sans que cela se remarque. Je le fais vraiment pour vous rendre service.
–Que pensez-vous de lui ?
L’homme en vert se retourne vers sa télévision.
–C’est visiblement une structure extrêmement complexe, avec un développement phénoménal de certaines parties du cerveau. Nous avons détecté des zones de névroses cachées qu’il faudrait isoler avant de le reprogrammer. Cela éviterait des surprises désagréables. Il y a plusieurs sections dépressives latentes que nous pouvons effacer. À part cela nous n’avons rien détecté d’inquiétant. L’homme en blanc sort de sa poche un disque brillant et le tend.
–Voici le protocole préparé par mon équipe.
L’homme en vert insert le disque dans une boîte à fentes et commence à lire le texte qui s’affiche sur la télévision. Il parcourt chaque page lentement. Quand il a terminé, il tape sur son clavier, vérifie le résultat sur l’écran et se tourne vers l’homme en blanc.
–Tout m’a l’air en ordre. Votre protocole est parfait. Pourriez-vous me donner le contexte général, dans la mesure de ce que je dois savoir, bien sûr ?
–Il va gérer des avoirs financiers et va subir des pressions et des luttes d’influence auxquelles il ne devra pas réagir. Il ne devra poser aucune question sur l’appartenance des fonds ni sur l’autorité des administrateurs qui contrôleront son travail. Il prendra toutes ses décisions en fonction de son propre système référentiel interne que vous allez lui construire. Les médias, les terroristes, les enlèvements, les chantages, rien absolument rien ne devra modifier son système doctrinal qui est compris dans le protocole que je vous ai remis. Vous me nettoyez le passé, me le préparez pour vivre à Paris et non à New York, vous lui insérez la documentation complète, les triggers et tous vos petits outils habituels.
La machine émet deux brèves sonneries. L’homme en Vert consulte l’écran.
–C’est bien ce que je pensais, nous avons deux zones de résistance. La première concerne les femmes, en relation directe avec sa position vis-à-vis de sa mère. Vous avez des informations sur elle ?
–Oui, il ne lui parle plus. Il considère qu’elle l’a toujours abandonné. Nous pensons que ses succès sont une revanche qu’il prend sur son passé.
–Ah… Cela va demander un peu de travail. Et qu’est-ce que ce problème il y a quatre ans ? La zone est floue, comme s’il avait cherché à l’effacer par lui-même. Il n’y a qu’un nom de code, « Sonia ».
–C’est une histoire qui a mal tourné, il a failli y rester, on avait déjà deux agents en surveillance alors on a rétabli la situation discrètement. Il faut nous nettoyer cela. Je ne veux pas qu’il garde quoi que ce soit de néfaste à ce sujet.
–C’est bon, on vous l’enlève. Mais on va en profiter pour faire un vrai nettoyage en profondeur. Deux ou trois événements nuisibles de l’adolescence, la liste des aliments qu’il déteste, mon dieu, oui, il faut faire quelque chose là, ce n’est pas possible de le laisser comme cela.
–À ce point ?
–Tenez, regardez !
L’homme en blanc parcourt la liste des yeux.
–Effectivement, il ne peut pas sortir de chez lui s’il ne mange rien de tout cela.
–On va s’en occuper. La deuxième zone concerne l’autorité. Il a visiblement une capacité limitée à accepter l’autorité en général.
–Ah bon ? Ce n’est pas ressorti des rapports. Cela risque d’âtre gênant, tout au moins les premières années.
–Non, c’est enfoui et cela ne ressort que lorsqu’une domination inacceptable lui est opposée. Si son supérieur est jugé trop inférieur, il refuse toute autorité. C’est un cas classique chez les fortes personnalités. Pour l’instant, dans le monde de l’Université, tout s’est bien passé parce qu’il avait du respect pour le corps enseignant, mais dès qu’il va avoir un patron, la zone va se réchauffer et il risque de mal réagir.
–Il faut qu’il tienne dans son poste sans faire de vagues alors vous nous réglez cela pour qu’il accepte l’autorité hiérarchique. C’est indispensable pour la suite de sa mission.
–C’est difficile sans toucher à son échelle de valeurs. Nous avons bien un programme, « Octopus » qui fonctionne pour ce genre de situation. Nous l’avons récemment amélioré et il donne toute satisfaction.
–C’est celui que vous avez utilisé sur le Général Blanchot ?
–Comment…
–C’est mon rôle de savoir cela.
–On m’a demandé de le préparer pour garantir sa carrière.
–Vous avez réussi, il y a trois ans, on ne donnait pas cher de ses chances d’arriver là où il est maintenant.
–C’est clair. Mais à partir du jour où nous avons installé « Octopus », il s’est calmé. Dans la nouvelle version, vous pouvez même régler à distance le niveau de tolérance.
L’homme consulte son écran.
–Vous avez donc prévu des triggers ?
–Oui, ils sont dans le subvolume B. Il y en a toute une liste, mais les principaux sont : « Silver Pact », « skirt #ER45J-5 », « Euphoria 657 », et « Le clocher d’Alexandrie ».
–Vous pouvez m’en dire deux mots ?
–« Silver Pact » lance le sous-programme affilié qui lui donne des instructions de transferts financiers spécifiques. Il a une durée de vie de deux mois et doit être renouvelé avec une clef. Je suis le seul à connaître les clefs de renouvellement. « skirt #ER45J-5 » permet de piloter son intérêt pour les femmes, « Euphoria 657 » est un peu plus délicat, il est à double combinaison. Il nous permet d’effacer sa mémoire et de le rebooter.
–Totalement ?
–Oui, totalement. On ne conserve que le cognitif et on enlève l’historique.
–Ce n’est pas dangereux d’avoir un trigger aussi intrusif ?
–Si, mais nous n’avons pas le choix. Il va avoir de grosses responsabilités et il ne faut prendre aucun risque.
L’homme en vert regarde à travers la vitre fumée la silhouette qui attend patiemment, allongée dans le fauteuil. Il se demande ce qui peut justifier qu’on lui affecte une telle sécurité.
–Et le quatrième ? Je vois qu’il n’y a pas le code dans le subvolume.
–Non, nous n’avons pas encore pris une décision finale. Mon équipe travaille sur le protocole actuellement. Je vous tiens au courant dès qu’il est prêt.
–Il est de quelle nature ?
–Viral.
–Ah… une bombe à retardement…
–Exactement. C’est pour cela que nous hésitons.
–Je comprends que vous hésitiez. Bon, et bien nous allons commencer.
–Je vous laisse, faites-moi signe si vous avez le moindre problème.
Les lumières s’éteignent, un bourdonnement s’intensifie. Les quatre hommes derrière les écrans de télévision commencent à prononcer des mots courts, des instructions, des validations de processus. Les minutes passent, les séquences se succèdent
