Carnets d'éternité: 30 ans sur les chemins du monde
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Aperçu du livre
Carnets d'éternité - Philippe Montillier
I
LA PHOTOGRAPHIE DANS MA VIE
« La photographie ne s’apprend pas, elle se ressent.
Les règles élémentaires peuvent être comprises en quelques instants, ensuite c’est une question de regard »
Raymond Cauchetier
« Ce que la photographie reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois »
Roland Barthes
« La photographie peut fixer l’éternité dans un instant »
Robert Bresson
« I walk, I look, I see, I stop and I photograph »
Leon Levinstein
Tout a commencé à l’âge de 8 ans, lors d’une sortie d’école en montagne visant à découvrir forêts et alpages. Ce jour de printemps, j’ai eu le privilège de me voir confier par mon père – qui fut un amateur averti et un vrai passionné d’images – un authentique appareil Kodak Eastman à soufflet dans son étui de cuir. Ma mission était de capturer lumières, paysages, ambiances et cadrer juste avec cet étrange boîtier qui fit rire mes camarades. La visée et le cadrage se faisaient par le dessus, au travers d’un œilleton de verre qui renversait l’image. Sur le moment, j’eus presque honte de devoir utiliser un pareil matériel, obsolète à mes yeux, qui déclenchait bien des moqueries autour de moi. Avec le temps, j’ai saisi non seulement l’intérêt de comprendre le fonctionnement de ce boîtier mais aussi la demande implicite de mon père à maîtriser avec son concours ce bel objet de collection en pleine nature ; bien plus tard encore, j’ai compris aussi que la photographie était bien un moyen d’exprimer ma sensibilité et cette belle expérience en avait été, si je puis dire, le déclencheur.
Ainsi le jour J, mon père avait religieusement préparé le boîtier ancien, coupé la pellicule noir et blanc – vendue alors au mètre – puis inséré celle-ci, sous mon regard incrédule, à l’intérieur du capot de métal noir numéroté ! Il avait pris le temps de m’expliquer le maniement de base, insistant sur l’ouverture à réduire manuellement en cas de soleil trop vif. Puis il m’avait remis ce bel étui, me faisant confiance sur les précautions à prendre et m’avait conduit au départ de la randonnée, face au Mont-Blanc, sur les hauteurs de Passy. C’est avec cet appareil que j’ai fait mes premières photos, des photos qui avaient la prétention de raconter une histoire car tout est là : l’essentiel est de narrer en images un lieu, un déplacement, une rencontre. Quelle découverte incroyable de développer ensuite les clichés de la journée avec lui dans la chambre noire d’un labo improvisé et d’écouter ses commentaires sur tel cadrage plus réussi, sur telle lumière mieux capturée ! Aujourd’hui, j’ai la certitude d’avoir vécu là un moment d’exception ! Et je conserve depuis ce précieux boîtier de collection comme une mémoire de plus…
Plus tard, j’ai eu la chance de participer à mon premier voyage lointain – et donc ma première découverte du monde – à l’âge de 12 ans, en 1975, fort d’une autorisation de sortie de territoire signée de mes parents et glissée entre les deux volets de ma carte d’identité. Ce premier « grand voyage » fut mon initiation à la photographie itinérante, au jour le jour, jusqu’en Grèce, en passant par l’Italie, l’ex-Yougoslavie et l’Albanie. C’était ma première vraie sortie dans le monde. Nous étions bien avant la fin du communisme. Cette traversée de la Yougoslavie de Tito au printemps fut marquée par un trajet en bus très chamboulé, suite à des pluies diluviennes. Il nous a fallu nous éloigner des routes principales, des ponts ayant été emportés, et traverser des campagnes par des chemins de terre. Sur des dizaines de kilomètres, la piste était à la limite du carrossable, dans un décor désolant de tristesse et de grande pauvreté. Depuis les champs, des gens au travail nous regardaient franchir les nids-de-poule et les ornières de boue de la piste défoncée d’un air mi-détaché, mi-stupéfait. Le car dans lequel je me trouvai avec des grands adolescents et des adultes – j’étais la mascotte du voyage – s’est embourbé à plusieurs reprises dans le chaos des chemins défigurés ; il a fallu détacher la « roulante », remorque-cuisine qui nous suivait, pour se dégager ; des paysans sont venus nous prêter main-forte à plusieurs reprises et ce nouvel itinéraire imposé par la météo défaillante nous a conduits à traverser l’Albanie, pays plutôt hostile à cette époque. Un arrêt dans une bourgade au milieu de nulle part, sous un ciel de plomb, a même failli mal tourner, je m’en souviens bien : ce soir-là, au sortir d’une auberge aux allures de blockhaus, une foule compacte avait fait une haie – loin d’être d’honneur – entre la porte d’entrée du bâtiment et celle du véhicule. Certains avaient des cailloux dans les mains ou des bâtons. Une fois repartis, nous nous sommes fait littéralement caillasser et deux vitres ont volé en éclats. Nous avons filé, la peur au ventre, et le réservoir d’essence, percé par des habitants peu avenants, fut colmaté à la sortie du village avec un chewing-gum qui a joué son rôle jusqu’à Athènes.
Ainsi, même en voyage, surviennent des moments de peur et j’en appris la réalité à cette occasion ; il faut savoir prendre ses jambes à son cou quelquefois pour se sortir d’une embuscade : nous avons littéralement déguerpi de l’Albanie avant de rallier la Grèce, sous la bonne étoile du chauffeur qui n’était autre qu’un prêtre et dont la mémoire est toujours très marquée en Haute-Savoie, le père Albert Faletti !
Après ces problèmes, ce fut la douceur des campagnes grecques de l’intérieur, les monastères des Météores, un passage à Delphes et un séjour à Athènes.
Les Météores – en grec, « monastères suspendus au ciel » –, situés au nord, en bordure de la plaine de Thessalie furent une étape marquante du voyage. Ce sont des monastères « chrétiens-orthodoxes » perchés au sommet d’impressionnantes masses rocheuses grises, sculptées par l’érosion. Ces rochers sont, d’après les écrits d’Anciens, des roches envoyées sur la terre par le ciel, d’où leur nom de Météores, pour permettre aux ascètes de se retirer et de prier. La montée au monastère Aghia Triada, le plus ancien des Météores, reste inoubliable pour moi. Lors de son séjour grec de 1950 et son passage ici, Jacques Lacarrière a noté : « D’ici, on saisit mieux tout à l’entour le travail inouï des siècles et des eaux. Rochers arrondis, bosselés, craquelés par endroits de gerçures comme de gros pachydermes broutant les abysses de la terre. Il émane de ce paysage une sorte de douceur tranquille, ce grand calme qui suit les cataclysmes apaisés ». C’est ici précisément que, totalement saisi par les lieux et la lumière verticale, j’ai véritablement pensé mes premières photographies de voyage, soulignant l’ambiance d’un haut lieu historique (je me sentais si investi dans mon rôle de reporter en herbe !), composant le mieux possible cet ensemble époustouflant, ses lignes abruptes coupant les ondulations du paysage avoisinant, ses pans ombragés contrastant nettement avec les mers d’oliviers adossées aux pinèdes et écrasées de soleil. Quelle belle première immersion dans l’aventure des voyages que ce passage ici et, surtout, cette montée au sommet du piton rocheux embarqué dans une corbeille en osier tractée au bout d’une corde depuis le haut, préférée aux marches éprouvantes taillées dans la falaise !
Delphes aussi fut une étape marquante. La cité est l’un des sites archéologiques les plus importants de Grèce. Sanctuaire commun à toutes les cités de la Grèce antique, Delphes eut un rayonnement religieux considérable. Niché sur l’un des flancs du mont Parnasse, ce sanctuaire, dédié à Apollon, eut sur moi l’impact d’une véritable découverte du monde ; je pensai benoîtement réaliser là des clichés peu communs : je n’avais que 12 ans et les livres d’histoire se trouvaient ouverts devant moi ! À chaque image, mon sentiment était celui de quelqu’un qui sent qu’il va rapporter un trésor iconographique auprès des siens, je m’appliquai donc, me remémorant sans cesse les conseils de mon père. Je ne voulais pas le décevoir et je prenais de plus en plus de plaisir à glaner des images.
Puis ce fut Athènes et sa magnificence. Émerveillé devant l’Acropole et les colonnes du Parthénon que j’ai eu la chance de voir avant les très longues restaurations qui ont suivi cette période, j’ai arpenté les allées dallées, détaillé les volumes, été subjugué par ce lieu unique, j’ai suivi les courbes helléniques des statues, lignes et traits des colonnades. De ce plateau, qui s’élève à 150 mètres au-dessus de la capitale grecque, j’ai accumulé de très nombreux clichés, réalisant dans cette toute jeune période de ma vie, mon premier vrai stock d’images de voyages lointains en quelque sorte, avec un Pocket et des antiques – eux aussi – chargeurs 110.
La photographie prit ensuite différentes formes pour moi. En parallèle de très nombreuses captures d’images de montagne, autour de chez moi en Haute-Savoie – massif du Mont-Blanc, alpages, lacs, glaciers, parois, cascades, neige, forêts, vie paysanne – il m’a été donné l’occasion, alors que j’étais étudiant, de prendre en photo les convives de restaurants huppés à Megève, Saint-Gervais, Chamonix, Argentière, lors des fêtes de fin d’année. Curieusement, j’ai trouvé beaucoup de plaisir à œuvrer en ces occasions-là avec un copain d’enfance car nous étions « attendus » partout pour immortaliser la fête, de salons feutrés en club privés, et accueillis dans le faste de nos aînés les plus aisés ; portes ouvertes sur la bourgeoisie joyeuse qui fêtait en famille Noël et le Nouvel An et que nous photographions avec la plus grande décontraction, en prenant bien souvent part gratuitement aux agapes ! Dans la deuxième partie de la nuit, par contre, nous nous retrouvions dans une cave glacée, improvisée en labo noir et blanc, à développer en grand format les épreuves qui nous seraient achetées au prix fort par les touristes le matin même au petit-déjeuner, dans les différents hôtels. Nous avions aussi, je l’avoue ici, l’impression de bien mieux nous amuser que nos sujets en passant d’une soirée à l’autre, mélangeant les ambiances, sans dépenser l’argent que nous n’avions pas ! Moyen inconscient sans doute pour moi d’oublier, pour quelques heures et dans les paillettes, la disparition de mon père entre Noël et Nouvel An de l’année 1978.
Plus tard encore, par le truchement d’une rencontre sur la Croisette avec un célèbre journaliste de télévision, et qui m’a en quelque sorte parrainé, j’ai eu le privilège immense d’intégrer les rangs très convoités des photographes officiels du Festival de Cannes de 1988 à 1996. Grand amateur de cinéma (fasciné depuis l’enfance par les salles obscures, le grand écran, les fauteuils rouges et les ouvreuses à la lampe de poche), j’ai plongé allègrement dans cet univers si particulier et si éclectique du festival le plus célèbre du monde en photographiant pour le compte d’une agence de presse les stars du grand écran lors des fastueuses « montées des marches », soirées privées et autres conférences de presse ! L’heure n’était pas encore au numérique et il fallait jouer des coudes pour présenter en des temps record le fruit de nos prises de vues. Tous les coups étaient permis entre « collègues » et la course durait du matin au soir dans une effervescence rare autour du palais des festivals. Des motos assuraient le transport express des pellicules entre Cannes et l’aéroport de Nice où des pilotes prenaient possession de nos précieux trésors afin de les livrer à un autre coursier le soir même, à Paris, pour une parution dès le lendemain sur différents supports de presse. Ainsi j’ai pu approcher Philippe Noiret, Catherine Deneuve, Bertrand Blier, Gérard Depardieu, Luc Besson, Jean Reno, Carole Bouquet mais aussi Jane Fonda, Milos Radovic, Anthony Quinn, Meryl Steep, Clint Eastwood, Robert Redford, Martin Scorsese, Gregory Peck, Robert de Niro, Jane Campion, Woody Allen, Paul Newman, Federico Fellini, Marcello Mastroianni, Bruce Willis, Jean-Jacques Beineix, Wim Wenders… et je conserve de bon nombre d’entre eux un excellent souvenir. Ma palme personnelle revient à Philippe Noiret, Monsieur Philippe Noiret, lors de sa venue pour présenter le magnifique Cinéma Paradiso, flanqué du petit garçon qui jouait avec lui dans ce film si touchant.
La suite de tout ça fit qu’en 1997, j’ai eu la chance de publier le livre anniversaire Cannes 50e, Mémento Anniversaire, ayant eu l’accord exclusif pour l’accès à toutes les archives de ce rendez-vous cinématographique incontournable !
Nonobstant la superposition compliquée à gérer de multiples activités, j’étais déjà photographe de reportages depuis plusieurs années, en marge de mon métier d’infirmier en services spécialisés ! Ne me demandez pas les points communs entre la photographie et le milieu médical, il n’y en a pas ; par contre, il m’est aisé d’affirmer que l’un m’a beaucoup aidé à exercer l’autre, et inversement ! Curieux, original et incompréhensible pour beaucoup, cet équilibre entre deux vies est pourtant le présent le plus précieux de mon existence : naviguer entre des périodes de voyage-reportage-expédition et une activité au sein des services d’urgence, d’anesthésiologie ou d’hémodialyse entraîne un rythme unique qui m’a permis, qui me permet encore, de jongler entre la vie et la mort en quelque sorte, entre le réel palpitant d’un monde à découvrir qui m’ouvre les bras et d’un autre qui requiert soins et relation d’aide auprès de ceux qui en ont besoin, les malades. Il m’est même arrivé de relier les deux mondes en présentant des expositions photos au sein des hôpitaux où j’exerce : un membre du personnel médical qui parle d’autre chose que des maladies ou de la douleur aux patients fut pour ces derniers plutôt original et revigorant je vous l’assure !
La photographie, à laquelle j’ai été initié dans l’enfance par un père adepte du noir et blanc, me sert de carnet de notes, complète mes écrits et me permet d’ajouter des détails à l’essentiel, de mettre en exergue ce que je remarque sur le moment. L’image et l’écrit sont autant de mémoires des itinéraires, sinon ils s’effacent peu à peu avec le temps, laissant le regret de n’avoir rien noté. Pour ma part, l’usage de la photographie reste le principal moyen de relater lieux, instants, rencontres et reflète bien, je le crois, ma profonde sensibilité du monde. Comment transcrire le plus justement possible l’infinie pureté d’une ligne de crête sommitale, le regard noir et profond d’une femme d’Asie centrale, l’éclairage crépusculaire glissant sur le torchis craquelé d’une maison basse de Chinguetti, l’intérieur bleuté d’une tente touarègue, la ferveur colorée des pèlerins indiens, le détail des polygones de sel d’Atacama rougis par le crépuscule, l’extrême dureté de certaines scènes afghanes ou le dépouillement austère d’une maison sherpa sans la photographie ? L’image est là pour dire davantage, pour prolonger les mots.
Pour mon travail de terrain, j’aime passer inaperçu pour justement mieux percevoir ; avec les années, j’ai appris à jouer entre ombre et lumière, à me transformer en caméléon, à ne plus être visible, à rester dans un coin, à me fondre dans le décor et à regarder intensément autour de moi avant de me saisir de mon appareil. Pendant des heures parfois ! Il m’est même arrivé de patienter plusieurs jours pour un seul cliché, pour une image, pour un portrait que je ne voulais absolument pas « voler » mais plutôt obtenir d’une femme tibétaine en prenant le temps de lui faire comprendre pourquoi je désirais tant détacher son expression sur le fond charbonneux de sa sombre cuisine himalayenne.
Que de moments suspendus dans le silence à observer un village, le rythme de la vie, un paysage, des groupes humains, des lumières, pour n’en saisir qu’une bribe ! Je regarde une scène et, dans cette scène, je vois dix détails : la photo, elle, en voit le quadruple ; lorsque je la regarde ensuite, tout me revient. Je dirais que l’image en elle-même est une mémoire concentrée à mes yeux dans le sens où, à sa seule vue, je peux très facilement resituer le contexte, le lieu, la période… L’esprit du lieu que j’ai photographié, et sur lequel j’écris par la suite, est influencé par les précieuses images réalisées. Comme la musique peut le faire, la photo me ramène à l’atmosphère du moment, lien indissociable. Savoir voir est une faculté qui se développe et la photographie est le meilleur support qui soit pour ce travail. J’ai utilisé pendant très longtemps le reflex Canon FTB venu de mon père, vieux boîtier en métal assez lourd, qui jamais ne m’a fait défaut même dans les pires conditions de froid, de poussière ou d’altitude jusqu’à ce que la bakélite ne se brise sur un rocher lors d’une ascension en Himalaya. Là se trouve bien la supériorité de l’argentique vis-à-vis du numérique : pas d’électronique inutile, pas de soucis de batterie à recharger… J’ai vécu l’époque épique où il fallait faire attention aux films qui cassent parfois dans le froid, qui se rayent avec le sable des déserts, où les réglages, appris de façon auto-didacte, se faisaient véritablement de façon manuelle ! Mais je n’entrerai pas ici dans le débat de l’incidence de cette technologie moderne dans le monde de la photo que j’estime desservi, car plus facile désormais : l’art de la photographie est devenu associé au consumérisme en quelque sorte ! Je me souviens pourtant de la délicieuse attente du développement des diapositives au retour d’un lointain périple et, surtout, du choix opéré sur place avec parcimonie en fonction de la lumière, du sujet, des couleurs, des contrastes, des ambiances… Tout était réfléchi, pensé, composé. Nous ne gaspillions alors pas et étions très économes, donc très exigeants, sur les prises de vues. J’ai été « guidé » dans ma vie par de grands noms de la photographie dont j’admire le travail et je salue ici tout particulièrement mon grand ami Alain Sèbe, spécialiste incontestable du Sahara qui, sans le savoir, m’a beaucoup apporté sur ce sens de l’image, sur cette économie du choix. Que de discussions animées et émues nous avons eu ! Merci Alain !
Passionné de voyages, de photo et de littérature au sens large, j’ai voulu dans les années quatre-vingt-dix devenir éditeur spécialisé dans la publication d’ouvrages de voyage ; non pas des guides dont il y
