L' ARCTIQUE ET LE SYSTEME INTERNATIONAL: Sécurité, gouvernance et économie
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À propos de ce livre électronique
Dans cette perspective, cet ouvrage explore les différentes facettes des interactions entre l’Arctique et le reste du système international, regroupé en quatre grandes parties. La première aborde les fondements de la réflexion de cet ouvrage en explorant la place de l’Arctique à l’international et les changements climatiques. La deuxième regroupe les questions liées à la sécurité internationale, telle que la militarisation et les répercussions des guerres. La troisième aborde la gouvernance et les institutions, du point de vue de l’Union européenne, du Conseil de l’Arctique, des nations autochtones et du droit international. Enfin, la dernière partie aborde les secteurs économiques s’intéressant à l’Arctique, que ce soit celui de l’extraction des ressources, des pêcheries, de la navigation ou des communications Web.
Cet ouvrage s’adresse d’abord à la communauté universitaire dont les préoccupations de recherche touchent à cette région, mais également à tout lectorat souhaitant faire un bilan des tendances qui concernent et influencent l’Arctique.
Pauline Pic
Pauline Pic, docteure en géographie et chercheuse postdoctorale à l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval.
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Aperçu du livre
L' ARCTIQUE ET LE SYSTEME INTERNATIONAL - Pauline Pic
Introduction
La région arctique et le système international
Mathieu Landriault, Pauline Pic, Frédéric Lasserre et Stéphane Roussel
Qu’est-ce que l’« Arctique » ? Comment appréhende-t-on cette région et les enjeux qui l’affectent ? Si la présence humaine y est millénaire, les conditions extrêmement dures qui y règnent ont sévèrement limité l’occupation et l’exploitation du territoire. En conséquence, l’Arctique est généralement perçu comme une région isolée du reste du monde, où toute activité est d’abord et avant tout conditionnée par le climat. La présence humaine demeure clairsemée, les ressources difficiles d’accès et encore peu rentables, le commerce inexistant, la guerre aussi impossible que sans objet. Ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle que certaines de ces limites sont franchies, et encore le sont-elles timidement, à une échelle qui n’a rien à voir avec ce qui se déroule sur la plus grande partie du globe.
En conséquence, il tombe sous le sens d’entreprendre l’étude de cette région d’abord à partir des caractéristiques qui lui sont propres et qui lui confèrent un caractère distinctif, voire « exceptionnel ». C’est ainsi que de nombreux et excellents ouvrages collectifs et monographies en français brossent un tableau des enjeux arctiques et des acteurs qui s’y déploient. C’est le cas des ouvrages de Frédéric Lasserre (2010), de Clara Loïzzo et Camille Tiano (2019), de Thierry Garcin (2021) ou, plus récemment, de celui de Camille Escudé (2024), qui signe par ailleurs un chapitre dans cet ouvrage. Ces ouvrages mettent généralement l’accent sur les questions, les enjeux et les acteurs régionaux, ce qui est une approche utile et pertinente, et qui permet aux lecteurs d’avoir un bon aperçu de la région. Cette approche est donc déjà fort bien couverte par la documentation existante.
Toutefois, la plupart des auteurs reconnaissent que la grande majorité des dynamiques et phénomènes observables dans l’Arctique trouvent leurs origines à l’extérieur de cette région. Ainsi, si certains voient un risque de conflits armés dans la zone circumpolaire, celui-ci serait causé par des guerres qui se déroulent bien loin, comme celles en Syrie ou en Ukraine ; si les changements climatiques transforment rapidement l’environnement de l’Arctique, les causes de ce phénomène ne s’en trouvent pas là ; le débat sur l’exploitation des ressources énergétiques, minérales ou halieutiques de la région est largement nourri par la mondialisation et l’offre et la demande des marchés internationaux. La relation inverse peut être observée, puisque des phénomènes particulièrement importants dans l’Arctique affectent le reste du système international. Ainsi, les revendications en matière de gouvernance des peuples autochtones arctiques nourrissent celles de populations ailleurs dans le monde, tandis que la fonte du couvert de glace entourant le pôle Nord fait augmenter le niveau de la mer partout sur la planète.
L’originalité de l’ouvrage proposé réside principalement dans le fait qu’il entend mettre l’accent sur ces interactions entre la région arctique et le reste du système international, soit sur des liens certes reconnus et servant de point de départ à de nombreux travaux, mais rarement placés au centre de l’analyse.
Évidemment, traiter du poids et de l’influence du système international sur la région arctique nous renvoie à des débats bien connus en sciences sociales en général et en relations internationales, comme le débat entre agent et structure. D’un côté, des structures internationales pèsent sur la région et influencent les décisions des acteurs qui y sont présents. Ces structures sont de nature multiples (sociales, économiques, culturelles, politiques) et proviennent de l’extérieur de la région ; nous pouvons penser par exemple aux cours mondiaux des ressources naturelles, à des traités mondiaux en droit international ou aux médias sociaux. Une erreur classique serait de percevoir ces structures comme dictant tout et conditionnant complètement les actions des acteurs internationaux (ou régionaux et locaux, dans notre cas ; Wight, 2006, p. 150). Adopter cette posture génère nécessairement des observations simplistes, et mène à nier la possibilité des agents de s’opposer à ces structures, de les contourner ou d’en faire fi. Ainsi, ces acteurs peuvent faire montre d’autonomie et de créativité pour générer et mettre en pratique des idées innovantes ou des politiques différentes. Tout comme l’idée de structures contraignantes ne brosse qu’un portrait partiel, une focalisation sur les acteurs seule ne peut générer qu’une analyse fragmentaire : cette créativité rencontre des limites et les possibilités offertes par le système international ne sont pas illimitées. À l’instar de Gould (1998, p. 80), nous considérons qu’il faut examiner l’interdépendance entre agents et structures pour bien saisir la complexité du social.
Nous nous efforcerons, dans cet ouvrage collectif, de saisir l’influence de ces deux facteurs sur les différentes dynamiques qui ont cours dans la région arctique. Quelles sont les structures internationales qui influencent la région ? Quels sont leurs impacts sur la navigation, l’exploitation des ressources naturelles, la gouvernance ou la sécurité dans la région arctique ? À quel moment et dans quel contexte ces pressions externes pèsent-elles davantage sur la région circumpolaire ? Quelles sont certaines stratégies, idées ou solutions mises de l’avant par des acteurs arctiques ? Est-ce que les intérêts et les actions de ces acteurs divergent selon qu’ils s’activent au niveau international, national, régional ou local ?
Présentations des chapitres et thématiques du livre
L’ouvrage est divisé en quatre parties, chacune abordant le sujet à travers des changements systémiques affectant l’ensemble du système mondial et ayant une incidence directe sur la région arctique. L’objectif est de documenter l’origine des phénomènes qui se produisent dans l’Arctique.
La première partie place les fondements de la réflexion. Le texte de Pauline Pic (chapitre 1) s’intéresse à l’apparition de l’échelle arctique dans le système international. Il souligne en quoi la réalité politique « arctique », tant dans les discours que dans les pratiques, se situe sur plusieurs niveaux à la fois, l’enjeu étant précisément de pouvoir articuler ces différents niveaux. L’auteure souligne que face aux bouleversements que connaît la région, tant diplomatiques que politiques, maintenir un niveau d’échelle arctique cohérent devient un projet politique aussi ambitieux que nécessaire. Le chapitre 2, sous la plume de Reinhard Pienitz, examine les impacts des changements climatiques sur l’atmosphère, la cryosphère, l’hydrosphère, et la lithosphère et la biosphère. L’auteur explore également les conséquences de ces changements pour les populations autochtones, soulignant l’interconnexion entre ces différents plans. Au travers de ce portrait des changements à l’œuvre, l’auteur met en avant à quel point leurs conséquences ne se limitent ni au seul cadre régional ni aux seules populations autochtones. Il montre ainsi à quel point le réchauffement de l’Arctique menace la survie de la planète – humanité comprise.
La deuxième partie porte sur les questions liées à la guerre, à la sécurité et de géopolitique. Le point de départ des chapitres 3 et 4 est le même, soit l’idée selon laquelle l’Arctique serait une « région d’exception », au sens où « les efforts pour maintenir la coopération dans la région malgré la concurrence interne pour les ressources et le territoire, et pour compartimenter les relations arctiques des tensions géopolitiques extérieures, ont été couronnés de succès » (Exner-Pirot et Murray, 2017, p. 47). Comme le démontrent Balthazar Stengelin, Laurent Borzillo et Stéphane Roussel (chapitre 3), il n’en demeure pas moins que la région n’est pas immunisée contre les répercussions des guerres internationales. Non seulement des activités militaires s’y déroulent depuis au moins le XVIIIe siècle, en premier lieu pour le contrôle des routes maritimes, mais à partir du XXe siècle, des combats terrestres parfois de grande ampleur s’y tiennent et la militarisation de la région s’accélère. S’il y a eu « exception » dans les processus de militarisation, ce n’est que pendant la vingtaine d’années qui ont suivi la fin de la guerre froide. Dans le chapitre 4, Borzillo, Stengelin et Roussel s’intéressent aux effets de la distribution de la puissance dans le système international sur la gouvernance de la région, et explorent l’hypothèse d’une transition de puissance (d’un système unipolaire à un système bipolaire) comme l’une des causes d’une éventuelle fin de l’« exceptionnalisme arctique ». Utilisant une version modifiée de la théorie de la transition de la puissance, prenant notamment en compte le degré de satisfaction des grandes puissances à l’égard du système de gouvernance, ils doutent de voir la coopération régionale sérieusement remise en question. Enfin, les rapports entre les grandes puissances sont également au cœur du texte d’Olga V. Alexeeva et Frédéric Lasserre (chapitre 5), qui explorent les conséquences de la guerre en Ukraine sur les relations sino-russes dans l’Arctique. Si les deux États peuvent paraître être des partenaires naturels pour la mise en valeur économique de l’Arctique russe, la guerre a introduit dans l’équation de nouveaux facteurs de possibilités et de risques. Pour absorber les coûts de la guerre, Moscou doit s’ouvrir davantage aux investissements chinois, malgré ses réserves. Du point de vue de Pékin ces investissements colossaux, tout prometteurs qu’ils soient, sont aussi risqués, puisque faits dans une économie fragilisée par l’effort de guerre.
La troisième partie réunit des textes consacrés à la gouvernance et aux institutions. Ainsi, Camille Escudé se penche sur l’évolution du Conseil de l’Arctique, principal forum de coopération dans la région (chapitre 6). Son chapitre analyse comment l’organisation a été influencée par ses États membres, mais aussi par des acteurs externes à la région et par des acteurs non étatiques (communautés autochtones, organisations non gouvernementales). L’invasion russe de l’Ukraine, en tant qu’événement externe à la région, vient poser un défi important à la capacité d’adaptation de l’organisation.
D’autres structures, coloniales cette fois-ci, ont pesé lourd sur le développement de la région. Ces structures conçues à l’extérieur de la région arctique à proprement parler ont fortement limité l’autonomie des communautés autochtones vivant dans cet espace. Pour Thierry Rodon, l’établissement artificiel des frontières nationales séparant ces peuples a représenté un obstacle supplémentaire pour que ceux-ci jouent un rôle significatif dans la gouvernance de la région (chapitre 7). Ces acteurs ont été dynamiques afin de définir une vision de la région qui les représente davantage. Cette autonomie leur a permis de déployer des campagnes afin que des initiatives ou des industries externes à la région (extraction, navigation, commerce international) adaptent leurs pratiques aux coutumes, traditions et intérêts des peuples autochtones vivant en Arctique.
Ce défi, à coup sûr, émergera entre autres pour l’Union européenne (UE). Dans le chapitre 8, Émilie Canova souligne les défis d’intégration de la région arctique dans les procédures et le fonctionnement d’un ensemble régional distinct. Des zones de chevauchement sont incontournables, ce qui complexifie l’action européenne en Arctique. La structure même de l’UE rend son champ d’action à géométrie variable, elle qui passe de simple potentiel observateur au Conseil de l’Arctique à partie prenante dans les négociations menant à la signature de l’accord (moratoire) sur la pêche commerciale dans l’océan Arctique central.
Kristin Bartenstein décrit, dans le chapitre 9, comment la région arctique est maintenant fortement encadrée par le droit international. Des développements récents quant à la gestion des pêches et de la navigation et quant à la délinéation des plateaux continentaux nous présentent une région ordonnée, basée sur les règles. L’influence de conventions internationales, au premier chef la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, limite le potentiel compétitif qu’aurait pu amener l’ouverture de la région.
La quatrième partie porte sur les questions économiques et la mondialisation. Sur le plan des activités d’extraction, l’Arctique ne s’est pas révélé l’Eldorado minier ou pétrolier que les médias annonçaient, comme le démontre Florian Vidal (chapitre 10). Cependant, l’exploitation des ressources se traduit essentiellement par une mobilisation des ressources minières et en hydrocarbures de la région pour satisfaire l’économie carbonée du Sud, dont les effets sur le climat ont un impact majeur sur la région arctique.
Dans le chapitre 11, Alf Håkon Hoel rappelle que les pêcheries du Grand Nord se trouvent principalement dans les eaux subarctiques. Certaines zones connaissent une forte activité, comme la mer de Barents ou les eaux autour du Groenland. La pêche représente un secteur économique majeur pour certaines régions, comme le Groenland, l’Islande, le nord de la Norvège et la presqu’île de Kola : des acteurs locaux y sont ainsi très impliqués, mais également, de manière croissante, des acteurs externes. La fonte de la banquise dans un contexte d’appétits commerciaux croissants a conduit les États arctiques à engager des négociations qui ont abouti à un accord (moratoire) sur la pêche dans l’océan Arctique central.
Frédéric Lasserre et Alexandra Cyr constatent, dans le chapitre 12, que la navigation, pour sa part, connaît une croissance réelle en Arctique, et que le moteur de ce développement réside dans l’essor du trafic de destination, lequel est essentiellement tiré par l’exploitation des ressources naturelles, la pêche et, surtout, l’extraction des ressources minières et en hydrocarbures. Ce type de navigation traduit une intégration particulière de l’Arctique à l’économie mondiale : la région est essentiellement pourvoyeuse de ressources brutes, non transformées, pour satisfaire les besoins d’économies non arctiques. Le trafic de transit, marginal mais en lente croissance, constitue un enjeu géopolitique – qui contrôle les routes maritimes ? –, mais peu stratégique pour le moment, ce qui ici encore traduit l’utilisation de l’espace arctique pour satisfaire des besoins économiques non arctiques.
Enfin, au chapitre 13, Michael Delaunay, Mathieu Landriault et Jean-François Savard partent du constat que la région arctique souffre d’un fort déficit de connectivité, qui affecte une part importante des régions arctiques nord-américaine et russe. Cette situation résulte largement d’un déficit d’investissements de la part d’acteurs économiques largement insérés dans l’économie mondialisée, et pour qui l’Arctique demeure un marché très marginal. De même, les médias sociaux continuent d’être influencés par des facteurs externes à la région arctique. La discussion arctique est en bonne part monopolisée par des acteurs internationaux, constitués en réseaux d’influence établis, et les communautés locales peinent à produire des discours audibles.
Références
Escudé, C. (2024). Géopolitique de l’Arctique : construction, remise en cause et désintégration d’un objet géopolitique, Paris, Presses universitaires de France.
Exner-Pirot, H. et R. Murray (2017), « Regional order in the Arctic : Negotiated exceptionalism », Politik, 20(3), p. 47-64.
Garcin, T. (2021). Géopolitique de l’Arctique (2e éd.), Paris, Economica.
Gould, H. D. (1998). « What is at stake in the agent-structure debate ? », dans V. ubalkova, N. Onuf et P. Kowert (dir.), International Relations in a Constructed World, Routledge, New York, p. 79-98.
Lasserre, F. (dir.) (2010). Passages et mers arctiques : géopolitique d’une région en mutation, Québec, Presses de l’Université du Québec.
Loïzzo, C. et C. Tiano (2019). L’Arctique : à l’épreuve de la mondialisation et du réchauffement climatique, Paris, Armand Colin.
Wight, C. (2006). Agents, Structures and International Relations – Politics as Ontology, Cambridge, Cambridge University Press.
PARTIE
1
Fondements
Chapitre
1
L’échelle arctique dans le système international
Pauline Pic
1.L’Arctique, une échelle géographique et politique loin d’aller de soi
Comment définir l’Arctique ? La réponse est loin d’aller de soi. Le rapport sur le développement humain en Arctique (Arctic Human Development Report [AHDR]) note dans son introduction que l’« idée de considérer l’Arctique comme une région distincte n’a rien d’intuitivement évident¹ » (Einarsson et al., 2004, p. 17). Cette question vient nécessairement avec une autre, qui est celle de la localisation de l’Arctique, pas plus évidente. Une des premières représentations cartographiques occidentales de l’Arctique nous vient de Gérard Mercator avec la fameuse carte polaire Septentrionalium Terrarum descriptio. Elle représente une région délimitée par le cercle polaire, mais qui s’étend de fait plus au sud puisque l’on peut y voir la baie d’Hudson, par exemple (Mercator, 1595). Dans le texte qui accompagne la carte, on peut notamment lire :
[…] j’ai décidé à l’imitation du premier des cosmographes, Ptolémée, de commencer par le pôle lui-même et les régions sises à son entour, en une géographie de chacune des petites parties successivement, de manière à ce que, en descendant du haut vers le bas et en progressant de la gauche vers la droite, j’amène peu à peu le septentrion et l’auster à se rejoindre, ainsi que l’occident et l’orient […]. (Traduction du latin par Alban Baudou, Université Laval, reprise dans Hamelin et al., 2013, p. 17)
Cette carte et sa description, déjà, font de l’Arctique une région carrefour, qui en relie d’autres. Dans l’histoire des globes terrestres, le pôle avait aussi une importance singulière puisque c’était là qu’était fixée l’attache qui tient le globe fermé, ce qui lui conférait, aussi, cette dimension de lien (Bravo, 2019). Fondamentalement, ces représentations nous disent déjà beaucoup quant à la manière dont l’Arctique est envisagé dans les représentations collectives : un espace aux contours flous, à la croisée de régions qui, elles, sont bien délimitées. Comme le rappelle Christian Grataloup (2020, p. 165-166), en matière de représentation de l’espace, la norme qui domine pendant très longtemps est celle d’une représentation du monde qui ignore les deux océans polaires, tant Arctique qu’Antarctique. La représentation des régions qui convergent vers l’Arctique se précise et s’affine dans la géographie et la cartographie occidentales et orientales depuis les premières cartes grecques. Mais en ce qui concerne l’océan, le découpage en cinq entités distinctes n’a été officialisé qu’en 1928 par l’Organisation hydrographique internationale (OHI ; Grataloup, 2020). Et l’existence politique de la région est plus tardive encore, se consolidant réellement à la fin du XXe siècle (Escudé-Joffres, 2020 ; Keskitalo, 2004).
Dans ce chapitre, comme dans cet ouvrage, l’objectif est précisément de s’intéresser à l’échelle arctique, à sa consolidation, mais surtout à son rapport avec d’autres niveaux d’échelles : comment l’Arctique s’est-il imposé en tant qu’entité distincte dans le système international ? Et quels sont ses liens avec ce système ? En géographie, on considère l’échelle comme la caractéristique de base de la relation entre des réalités géographiques (Lévy, 1999). Elle n’est pas prédéfinie, mais dépend au contraire des caractéristiques de l’espace dans toutes ses dimensions (Marston, 2000). Enfin, elle est bien sûr fondamentalement politique : les échelles doivent être considérées en fonction des relations de pouvoir et d’exclusion qui les caractérisent (Swyngedouw, 1997). Notre réflexion s’articule alors autour de ces trois grands axes. Considérer les échelles, ce n’est pas simplement découper l’espace en aires emboîtées pour en faciliter la compréhension : c’est surtout considérer les relations qu’entretiennent ces aires emboîtées. Jacques Lévy pose la question ainsi : « Où se trouve une réalité géographique dans une hiérarchie du grand et du petit ? À plusieurs niveaux à la fois » (Lévy et Lussault, 2013, p. 310). C’est cette coexistence de la question arctique à différents niveaux que l’on propose ici d’analyser.
Dans ce premier chapitre, la réflexion s’articule en trois temps, d’abord autour de la mise en évidence du processus d’émergence d’une échelle régionale cohérente, où la zone géographique, objet passif, devient un sujet actif, qui met en jeu des intérêts transnationaux (Hettne et Söderbaum, 2000). Ensuite, nous examinons la question de l’échelle arctique à différents niveaux et selon différents acteurs. Nous soulignons, enfin, la nature profondément politique du processus scalaire et son importance en Arctique, dans le contexte de remise en question d’une échelle arctique cohérente par la guerre en Ukraine.
2.La structuration de l’échelle arctique
2.1.Un espace aux contours flous, à la croisée d’ensembles régionaux
Parler d’une échelle arctique ne va pas de soi et de fait, il s’agit d’un objet sinon géographique, au moins géopolitique relativement nouveau. Osherenko et Young (1989) évoquent un nouvel « âge de l’Arctique » au tournant des années 1990, au moment où le monde sort d’une période de romantisation de la région et commence à reconnaître son importance stratégique et politique. Avant, la région restait, au moins conceptuellement, périphérique (Medby, 2014). Pour le comprendre, on peut se pencher rapidement sur la géographie de l’Arctique.
On peut partir de deux premières évidences : l’Arctique se situe au nord du globe, d’une part, et il s’agit d’abord d’un océan, d’autre part. Puisqu’il ne s’agit pas d’une mer fermée, cet océan est aussi connecté à l’océan mondial, et plus précisément au Pacifique via le détroit de Béring, et à l’Atlantique. Cet océan est bordé par trois continents : l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie. Ces trois ensembles sont relativement définis, ils ont une existence propre – même si la limite entre Europe et Asie n’est pas non plus évidente. Au nord de ces trois ensembles se situe donc ce que l’on appelle l’« Arctique » ; le localiser et le délimiter revient à se demander où commence le Nord – vaste question. Différentes approches ont été privilégiées, depuis les très artificiels parallèles jusqu’à des critères sociaux humains. Au-delà du traditionnel cercle arctique, on peut citer le 60e parallèle, notamment utilisé par le Canada comme limite sud des territoires du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Des critères climatiques peuvent aussi être utilisés, qu’il s’agisse de la limite des arbres ou de l’isotherme 10 °C estival, comme sur la carte présentée dans la figure 1.1.
Figure 1.1
Différentes limites de l’Arctique
Source : Reinhard Pienitz.
Mais tout cela ne délimite ni une région ni un niveau d’échelle : au mieux cela circonscrit-il un phénomène particulier, pour un acteur ou un type d’acteur particulier. Pour tenter de voir comment se recoupent plusieurs de ces critères, et en ajoutant une dimension humaine incontournable, le géographe Louis-Edmond Hamelin (1968) propose d’envisager la notion de « gradient de nordicité ». Plus le gradient est élevé, plus les critères se recoupent et l’ensemble est cohérent. Néanmoins, jusqu’à au moins la fin de la guerre froide, il manque une incontournable dimension politique pour faire exister un échelon arctique cohérent sur l’échiquier international.
2.2.L’émergence d’un échelon arctique
Henrikson (1992, p. 107) note que l’idée géopolitique la plus surprenante qui émerge au sortir de la Seconde Guerre mondiale concernant l’Arctique est celle d’une région qui passe d’un espace « vide et sans limites » à un « noyau potentiel d’une future communauté intercontinentale ». De fait, la structuration d’un échelon arctique cohérent s’observe progressivement tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle. La littérature envisage un premier Arctic Boom avec la détente, qui amorce un processus de coopération régionale (Heininen, 2011, p. 31). Puis, un tournant majeur s’opère avec le discours de Mourmansk de 1987, prononcé par le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev et ouvrant la porte à une véritable conception circumpolaire de la région :
L’Arctique n’est pas seulement l’océan Arctique, mais aussi les extrémités septentrionales de trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Amérique. C’est le lieu où se rencontrent les régions euroasiatique, nord-américaine et Asie-Pacifique, où les frontières se rapprochent et où se croisent les intérêts d’États appartenant à des blocs militaires mutuellement opposés et à d’autres non alignés (Gorbachev, 1987, §21 ; italiques ajoutés).
Cette notion d’intérêts convergents est cruciale : c’est la condition nécessaire à l’émergence d’une échelle arctique à proprement parler. Deux questions se posent alors : quels intérêts, d’une part, et les intérêts de qui, d’autre part. L’initiative finlandaise qui lance dès 1989 le processus de Rovaniemi, un cycle de réunions qui aboutit en 1991 à l’adoption de la Stratégie de protection de l’environnement arctique (Arctic Environmental Protection Strategy [AEPS]), apporte deux ébauches de réponses. D’abord, la coopération régionale se structure autour d’enjeux environnementaux. Le fait qu’il s’agisse d’une initiative finlandaise n’est par ailleurs pas anodin : la Finlande n’est pas un État côtier de l’océan Arctique, et en se positionnant ainsi, elle s’inclut dans le débat régional arctique et lui donne une existence qui ne se limite pas au bassin océanique. Cette conception plus circumpolaire de l’échelon arctique s’impose progressivement et c’est un contour élargi qui se dessine, à huit États : le Canada, les États-Unis (par l’Alaska), la Russie, la Finlande, la Suède, la Norvège, l’Islande et le Danemark (par l’intermédiaire du Groenland). En 1996, la signature de la déclaration d’Ottawa qui crée le Conseil de l’Arctique entérine cette définition, qui distingue les États arctiques : « Nous, les représentants des gouvernements du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Islande, de la Norvège, de la Fédération de Russie, de la Suède et des États-Unis d’Amérique (ci-après les États arctiques
) » (Arctic Council, 1996). Point d’importance à souligner : la déclaration d’Ottawa confère aussi le statut de participant permanent à six organisations autochtones. Ainsi, l’Association aléoute internationale (AIA), le Conseil arctique de l’Athabaska (AAC), le Conseil international des Gwich’in (GCI), le Conseil circumpolaire inuit (CCI), l’Association des peuples autochtones du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient de la Fédération de Russie (RAIPON) et le Conseil sami ont une place à la table de discussion – ce qui n’est pas anodin dans la mesure où le Conseil fonctionne sur la base du consensus.
2.3.L’échelle arctique : une cohérence d’abord environnementale
La création du Conseil de l’Arctique définit donc les États qui sont considérés comme étant arctiques, témoignant d’un certain consensus à ce sujet. La place unique conférée aux acteurs autochtones s’inscrit dans ce même mouvement. Pour que l’échelon arctique ait une vraie consistance politique, il reste désormais nécessaire pour ces acteurs arctiques de mettre en commun leurs intérêts. Rapidement, il apparaît que ceux-ci sont, d’abord, environnementaux. En 1989, un numéro spécial de la revue Current Research on Peace and Violence a pour thème les conditions de possibilité d’une coopération à l’échelle de l’Arctique. Sans surprise, ce sont les enjeux environnementaux qui sont notamment mis en avant. Dans sa contribution, Osherenko (1989, p. 144) souligne que l’Union soviétique a un historique substantiel de participation à des accords environnementaux, accords majoritairement multilatéraux. Pour elle, cela laisse penser que la protection de l’environnement représente un axe productif pour une coopération régionale accrue dans l’Arctique. De fait, l’article 1, alinéa a de la déclaration d’Ottawa souligne l’importance de l’axe environnemental de la coopération. Les groupes de travail – qui sont au cœur du fonctionnement du Conseil – se concentrent aussi sur les enjeux environnementaux (Koivurova et Vander Zwaad, 2007). Heather Exner-Pirot (2013) va ainsi jusqu’à dire que l’Arctique constitue un cas de complexe régional de sécurité environnementale.
Dans le numéro spécial mentionné, Roginko (1989) examine les menaces qui pèsent sur l’environnement arctique et souligne que l’Arctique est un grand récepteur de polluants émis ailleurs, ce qui implique que les efforts de protection de l’environnement devront nécessairement inclure des États non arctiques. Et en effet, le Conseil de l’Arctique prévoit dès sa création la possibilité d’intégrer des États non arctiques à son fonctionnement, par l’entremise du statut d’observateur. Cette possibilité devient réalité dès la réunion ministérielle d’Iqaluit en 1998, où quatre États accèdent à ce statut : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et le Royaume-Uni. En 2013, à la réunion ministérielle de Kiruna, six nouveaux États obtiennent le statut d’observateur. Cette intégration progressive de nouveaux acteurs ouvre la porte à d’autres lectures de l’échelon régional tel qu’il était envisagé en 1996 (Steinberg et Dodds, 2015). Cela pose la question de la cohérence d’un échelon arctique construit autour de questions environnementales qui dépassent ses frontières, d’une part, et de la relation avec d’autres échelles, d’autre part. Ce sont ces deux questions qui vont structurer la prochaine section de ce chapitre.
3.Du local au global², une échelle régionale arctique flexible
3.1.L’échelle arctique : perspectives autochtones
Si d’un point de vue de géographie physique, l’Arctique n’est pas une région homogène (voir le chapitre 2 du présent ouvrage, sur les questions climatiques), d’un point de vue humain non plus. On estime que 10 % des 4 millions d’habitants de la région sont des Autochtones provenant de plus de 40 groupes distincts (voir le chapitre 7 du présent ouvrage). Leur emprise territoriale est aussi très variée, puisque le territoire inuit s’étend par exemple sur une vaste étendue de l’Arctique, du bord de l’Asie au nord de la Russie en passant à travers l’Alaska et le Canada jusqu’au Groenland. Pour d’autres groupes, l’emprise est beaucoup plus limitée. Broderstad et Dorough soulignent la grande diversité de contextes dans lesquels évoluent les populations autochtones :
Le développement d’arrangements et de pratiques de gouvernance s’est déroulé au sein de différents systèmes juridiques et politiques reflétant des variations démographiques, géographiques et politiques ainsi que des différences dans les histoires coloniales telles qu’elles s’expriment à travers les processus de colonisation et d’édification de la nation à l’étranger et à l’intérieur du pays (Broderstad et Dorough, 2020, p. 123).
Sans aucun doute, ces spécificités jouent un rôle dans la construction d’une échelle arctique telle qu’elle est envisagée par les groupes autochtones.
Dans leurs représentations du territoire, notamment à destination d’acteurs internationaux, les acteurs autochtones ont tendance à mettre l’accent sur l’échelle sous-régionale en se focalisant notamment sur leur territoire traditionnel (Pic, 2022). Cela n’est pas très étonnant dans la mesure où des documents qui visent un public international cherchent précisément à mettre en avant ce territoire traditionnel. Néanmoins, on y retrouve une vision circumpolaire affirmée du territoire. Dans la politique arctique inuite, on peut ainsi lire que d’un point de vue autochtone, « les zones arctiques et subarctiques du monde circumpolaire septentrional forment une seule région dans laquelle se trouvent de nombreux États et peuples » (Inuit Circumpolar Council, 2010, p. 21). Cela s’explique en partie par une occupation ancienne du territoire : les populations samies rappellent par exemple qu’elles « vivent sur le territoire arctique depuis des millénaires » (Saami Council, 2019, p. 10), et les Inuits rappellent que leur présence sur le territoire est antérieure à la création des États et frontières modernes (Inuit Circumpolar Council, 2010, p. 21).
La perspective globale n’est pas non plus étrangère aux populations autochtones : dans une entrevue publiée sur le site Le Grand Continent avec la présidente du Parlement sami de Norvège, Aili Keskitalo, la réponse de cette dernière ne manque pas d’intérêt quand est abordée la question de l’échelle de l’Arctique : « Je suis très au fait du nord circumpolaire. Depuis plus de 40 ans, les Samis coopèrent avec les peuples inuits du Groenland, du nord du Canada et d’Alaska […]. On croit que la mondialisation est un phénomène récent en Arctique, mais des échanges existent depuis bien longtemps » (Canova et Pic, 2019).
La dernière phrase est particulièrement révélatrice. Elle souligne l’importance des liens entre les communautés autochtones, évoquant ainsi l’existence d’une échelle régionale au sens géographique du terme, en tant qu’« espace vécu » (Frémont, 1976), soutien d’interactions régionales. La réponse d’Aili Keskitalo témoigne ainsi de la manière dont l’échelle arctique est envisagée : l’Arctique est imaginé comme un territoire cohérent, joignant territoire traditionnel et circumpolaire, et l’échelle arctique est construite par ces interactions entre des peuples qui échangent expériences et connaissances.
3.2.Les acteurs arctiques et la construction d’une échelle arctique
Pour les États arctiques tels que définis par la déclaration d’Ottawa, sans surprise, la question de l’échelle régionale est importante. Dans les politiques arctiques publiées par ces États, la perspective qui domine est une perspective régionale, circumpolaire – généralement utilisée par défaut (Pic, 2022). Plusieurs tendances peuvent être soulignées. À mesure que l’importance géopolitique de l’Arctique s’accroît sur la scène internationale, il devient essentiel de se positionner en tant qu’acteur régional. Le défi réside notamment dans l’affirmation d’un statut arctique légitime, alors que de nouveaux acteurs manifestent un intérêt croissant pour cette région stratégique. On peut par exemple lire dans la stratégie arctique du United States Department of Defense (2019, p. 3) que les États-Unis « ne reconnaissent aucune revendication de statut arctique formulée par un autre État » que ceux mentionnés dans la déclaration d’Ottawa. Le cadrage régional est intéressant, et l’on devine aisément que la Chine et sa prétention d’État « quasi arctique », comme elle le formule dans sa politique arctique de 2018, sont visées directement.
Un deuxième élément, absolument lié au premier, se lit dans la volonté manifeste de certains acteurs de s’asseoir en tant qu’acteurs régionaux légitimes. Après la réunion d’Ilulissat (2008), à laquelle les seuls États côtiers de l’Arctique avaient participé, ce qui avait exclu alors de facto la Suède et la Finlande, mais aussi l’Islande, cette dernière a multiplié les discours visant à s’affirmer en tant qu’État arctique à part entière. Le faible succès des tentatives ultérieures d’organiser des réunions limitées aux pays côtiers montre qu’une telle conception de l’échelle arctique ne correspondait pas aux pratiques politiques régionales. Cela souligne alors, en creux, la consolidation de cette échelle arctique circumpolaire.
Enfin, un dernier point semble nécessaire à souligner pour comprendre le positionnement de ces acteurs vis-à-vis de l’échelle arctique. Il réside dans la distinction qui est faite entre l’usage des termes nord et arctique. Si initialement la Norvège utilisait le premier pour faire référence à son territoire septentrional, le terme arctique s’est progressivement imposé, notamment dans les documents
