Sans toit (71)
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À propos de ce livre électronique
Je suis habitué à ce que ma mère se dégage de ses responsabilités. Résultat : le loyer est rarement payé et on se fait expulser. D’habitude, elle se débrouille pour nous reloger.
Mais cette fois-ci, elle m’a plutôt abandonné à mon sort à quelques mois de mon dix-huitième anniversaire. Alors que je me consacrais entièrement à mes études et à mon championnat de course, me voilà préoccupé par un sérieux problème : survivre sans avoir de toit au-dessus de la tête.
Je dois rapidement trouver une solution pour dormir, manger et me laver, le tout sans éveiller les soupçons de mon entourage ni ceux de l’école. Hors de question que quelqu’un appelle la DPJ.
Je n’ai pas le choix d’avancer, un pas après l’autre, vers la ligne d’arrivée : celle qui me sortira de la rue.
Au Canada, les jeunes entre 13 et 24 ans représentent environ 20 % des personnes en situation d’itinérance. Plusieurs facteurs peuvent les mener à vivre ainsi : violence, négligence, conflits familiaux, pauvreté, troubles de santé mentale, consommation, etc. Volontaire ou non, cette condition précaire augmente les risques d’exploitation humaine et de criminalité. Dans tous les cas, aucun adolescent ne devrait avoir à affronter cette réalité.
Jessica Di Salvio
Surnommée « le rat de bibliothèque » durant toute son adolescence, Jessica Di Salvio n’a jamais laissé les commentaires négatifs amoindrir son amour de la lecture. Après avoir écrit plus de cinquante (oui, oui !) fanfictions de Harry Potter, elle se lance dans l’écriture de ses propres histoires en 2015. Diplômée en Histoire et civilisation du Collège Lionel-Groulx et détenant un certificat en Création littéraire de l’Université Laval, elle tente avec ses livres d’apporter un changement autour d’elle. Poète amateur, elle autopublie ses recueils sur Amazon. Son premier roman-feuilleton numérique, intitulé Les vagues de Tallahassee, paraît aux éditions Luzerne Rousse à l’automne 2020. C’est en 2017 qu’elle se penche sur un nouveau projet qui la motive énormément : écrire pour la collection « Tabou ». L’ayant découverte à l’âge de quinze ans, Jessica souhaitait plus que tout en être une des autrices. Seul contre elle est son premier roman et elle réalise avec lui un rêve de jeunesse. Elle est également critique littéraire pour son blogue, Le monde imaginaire de Mione.
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Aperçu du livre
Sans toit (71) - Jessica Di Salvio
Chapitre 1
— Fais tes bagages ! Et rapidement, on s’en va ! s’écrie ma mère dans l’embrasure de ma porte.
Assis sur mon lit, je la fixe, interdit. Mon vieux lecteur MP3, dont je ne me sépare jamais, balance une musique dramatique dans mes écouteurs. Le regard qu’elle me jette m’inquiète, mais je n’ose pas poser de questions. Ce n’est pas la première fois qu’elle me fait le coup. Je soupire et m’empare de mon sac de sport, cadeau de mon ami Simon après ma première victoire en course à pied. L’espace restreint me permet d’y fourrer quelques vêtements et des produits d’hygiène.
J’empoigne maintenant mon sac à dos et y rassemble mes cahiers de cours, avant de passer une main sur ma minuscule collection de livres que je n’ai pas le choix de laisser derrière. J’en glisse tout de même deux dans la pochette avant : un roman que j’ai commencé il y a quelques jours et celui nécessaire à mon cours de français. J’ai toujours aimé lire. Ça me permet de m’évader, un moment du moins, de mon quotidien. En plus, j’apprends un tas de choses qui ne seraient certainement pas venues de ma mère. Dommage que cela n’ait jamais aidé mes notes en français, par exemple… Rien à faire, les règles de grammaire ne m’entrent pas dans la tête !
Je me précipite ensuite dans la cuisine, décidé à affronter ma mère. Je me demande quelle excuse elle va me sortir, cette fois-ci, et l’explication qu’elle donnera à la personne chez qui elle va me déposer, « juste le temps de remplir les boîtes ». Mais c’est toujours plus long que ça. Lorsqu’elle se souvient de mon existence, elle transfère nos effets dans un autre appartement où on ne restera pas plus de trois mois.
— M’man ?
Je la cherche un moment, le silence plane dans le logement. La cuisine est un bordel. C’est comme ça chaque fois que je ne m’en occupe pas. Le salon ? Vide, à part pour le sofa. Même la vieille télé a disparu, probablement emportée au pawnshop du coin de la rue. Je file vers la chambre de ma mère, mais la seule chose que j’arrive à voir, c’est le fouillis qui s’y trouve. Ses tiroirs jonchent le sol, leur contenu répandu partout.
Je grimace de dégoût en apercevant ses petites culottes qui traînent près du lit. « Culottes » est un bien grand mot, j’appellerais plutôt ça de la ficelle phosphorescente.
Je crie à nouveau son nom. Même si j’ai l’habitude de ses excuses, je reste curieux de les entendre. Qu’est-ce que ce sera aujourd’hui ? Me racontera-t-elle que son patron l’a mise à la porte après qu’elle lui a refusé des avances sexuelles ? Ou que son propriétaire colérique est incapable d’accepter qu’une mère monoparentale de trente-trois ans doive s’occuper d’un adolescent de dix-sept ans ? Peut-être que ce sera tout simplement parce que je suis né et l’ai consignée à une misère noire pour le reste de son existence.
Je secoue la tête. Je sais que je n’y suis pour rien si nous déménageons sans cesse. Ma mère, supposément l’adulte de la maison, se déresponsabilise continuellement parce qu’elle a eu un enfant dans le creux de son adolescence. Depuis, elle se plaint de sa vie merdique. Je n’ai jamais demandé à naître. Je n’ai jamais eu ce choix. J’ai appris à vivre avec.
Quand on grandit dans ce genre d’environnement, on a deux options : devenir comme son parent ou complètement l’inverse. J’ai choisi la seconde. La drogue me répugne, l’alcool ne me fait pas envie et le sexe… eh bien, disons que j’ai beaucoup à apprendre, car ma mère n’est pas le modèle exemplaire pour m’offrir « the talk ». Ainsi, en vieillissant, je me suis appliqué à faire tout le contraire d’elle. Quand elle se fâchait, je m’excusais à sa place. Son impolitesse m’a rendu poli. J’ai appris des autres à dire « merci », « s’il vous plaît », et « pardon ». Sa fermeture d’esprit m’a ouvert les yeux sur les cultures autour de moi. Son ignorance m’a poussé à m’instruire. Sa dépendance m’a rendu responsable.
Je sors de sa chambre et me dirige vers la salle de bain. Lorsque j’ouvre la porte, je lâche un soupir de découragement. Affalée sur le plancher, un sourire béat sur les lèvres, ma mère est partie depuis quelques minutes déjà. Dans ses rêves, dans son monde. Un monde que certains comparent à celui d’Alice au pays des merveilles. Moi, j’appelle ça l’enfer.
Je l’attrape par le bras, ce qui la fait gémir un faible « hé ! », et la conduis dans le salon, où elle se laisse tomber sur le sofa. Je regarde ma montre qui me permet de chronométrer mes courses, mais également le retour à la réalité de ma mère. C’est le seul bien de valeur que j’ai, payé avec mon argent empoché l’été passé en tant que moniteur de camp sportif. Je démarre le minuteur. Vingt-cinq minutes. Elle est tellement habituée à son héroïne que c’est tout le temps que j’ai.
Je regagne la salle de bain et empoigne un linge pour attraper la seringue laissée sur le comptoir, puis jette le nécessaire qui lui permet de s’injecter sa drogue, ainsi que ce qu’il en reste. Je sais qu’elle va m’en vouloir. Si je suis chanceux, elle ne s’en souviendra pas et croira l’avoir entièrement consommée.
L’héroïne. L’élément perturbateur de mon foyer. Celui qui entraîne ma mère dans les tréfonds de l’enfer chaque fois qu’elle entre en contact avec son dealer. Celui qui fait disparaître mes maigres possessions. Celui qui nous pousse à devoir quitter chacun de nos logements impayés, car l’argent a été sniffé, fumé ou injecté. Au début c’était du pot, ensuite elle s’est tournée vers les pilules, peu importe lesquelles, avant de tomber dans la coke et maintenant l’héroïne. Il n’y a pas de fin à sa consommation.
J’entends mon nom résonner dans le salon. Je lance le linge dans la laveuse, sachant que ma mère ne l’y trouvera pas, car je suis le seul à m’occuper des tâches ménagères.
Je la rejoins au moment où ma montre sonne à mon poignet. Pile à l’heure. Assise, elle me regarde avec ses yeux rougis, la tête penchée. On dirait qu’elle a pleuré pendant des heures, mais je sais que ce n’est pas le cas. Ma mère ne pleure pas. Elle a des regrets, dont celui de m’avoir donné naissance, mais s’en vouloir de consommer ? Jamais.
— T’as fait ton sac ?
J’acquiesce. En s’exprimant à voix haute, elle souhaite que je comprenne qu’elle a un pied dans la réalité. Elle semble encore en train de planer, mais j’évite de lui parler de sa consommation. La seule fois où j’ai osé le faire, elle me l’a fait payer cher. J’ai toujours la cicatrice de sa bague sur ma joue.
Elle se lève en titubant, change de pièce et prend une feuille sur la table de la cuisine. Ma mère me la plaque sur le torse avec une telle brutalité que je recule d’un pas. Je sais déjà que c’est l’avis d’expulsion. J’y jette tout de même un coup d’œil et fronce les sourcils. On doit partir aujourd’hui, sinon c’est la police qui nous y forcera. Ma mère a tellement attendu à la dernière minute qu’on ne pourra même pas venir chercher nos effets personnels ! J’en ai plein mon casque de ses conneries !
Je vais avoir dix-huit ans dans cinq mois, et mon diplôme dans trois. Je n’aurai plus à endurer les déménagements. Je deviendrai libre de prendre mes décisions et de vivre par mes propres moyens. C’est pour cela que je dois dégoter un emploi au plus vite, mais aussi réussir la course en mai pour mériter la bourse qui me permettrait d’entrer au cégep. Cette pensée m’angoisse. C’est essentiel que je gagne cette compétition. Autrement, je n’aurai pas les moyens de poursuivre mes études.
Je n’ai aucune épargne. Le peu d’argent qu’il me reste de ma job d’été, je dois l’utiliser pour vivre. Cela n’empêche pas ma mère de piger dans mes économies lorsque j’ai le dos tourné en affirmant que je suis mineur et qu’elle en a le droit, même si je sais que ce n’est pas le cas.
Son salaire lui sert à payer sa drogue. Généralement, je réussis à trouver une solution à la précarité dans laquelle elle nous plonge jour après jour.
— Si seulement j’avais…
Oui, oui, je connais la rengaine. « Si seulement j’avais avorté ! » « Si seulement j’avais pas rencontré ton père ! » « Heureusement que mes parents sont morts, ils peuvent pas voir ça aujourd’hui. »
Je secoue la tête, découragé. Je déteste particulièrement qu’elle parle de cette façon de mes grands-parents Couture, disparus bien avant ma naissance. S’ils voyaient leur fille maintenant, ils se retourneraient dans leur tombe.
Ma mère, Julie Couture, avait quatorze ans quand ses parents sont décédés dans un accident de voiture. Lorsque les services sociaux sont venus la chercher, elle s’est enfuie en ayant en tête de partir loin. Elle a pris son sac, ses faibles économies et s’est mise en route vers Québec, laissant les paysages du Nouveau-Brunswick derrière elle en même temps que le souvenir de mes grands-parents.
Elle s’est rapidement retrouvée à la rue, dans les griffes de gens peu recommandables. Puis, il y a eu la drogue à l’aube de ses quinze ans. L’année suivante, elle rencontrait mon père, un homme beaucoup plus vieux qui l’a engrossée.
Lorsque je lui ai posé des questions sur mon géniteur, son regard s’est assombri. Ma mère m’a expliqué que c’était un client qui n’avait pas fait attention, mais je devine que c’est faux. Pour ne pas la blesser, je n’ai pas insisté. Je ne connais ni son nom, ni son âge, ni ses origines. Il a existé, mais pas dans ma vie.
Comme elle demeurait constamment gelée et malade, elle a atteint le sixième mois de sa grossesse sans s’en rendre compte. Elle a été prise en charge par une association qui vient en aide aux jeunes mères. Avec ce soutien, elle a cessé de consommer durant ma première année de vie, mais elle a rechuté lorsqu’un certain Mickaël l’a quittée soi-disant par ma faute.
Depuis, elle ment et sauve les apparences pour ne pas me perdre. C’est totalement ironique qu’elle m’en veuille autant pour son existence pourrie tout en étant incapable de me laisser partir.
— On s’en va, Elliott. Ramasse tes affaires. On s’en va.
— Oui, j’suis pas sourd, pas besoin de répéter.
Elle me lance un regard noir. Je n’ose pas dire autre chose. Elle attrape son grand sac à main fabriqué en Chine. Le logo de la marque de couture comprend une faute. Je me demande si elle réalise qu’elle ne dupe personne…
Elle vacille à travers le couloir. Je soupire. Chez qui allons-nous, cette fois ?
Chez Martin ? Son ancien chum encore éperdument amoureux d’elle ? Ça sent la marijuana à plein nez dans son appartement. J’ai l’impression d’en être affecté chaque fois que j’y mets les pieds.
Peut-être chez Sandra. C’est la seule amie de ma mère. Ou du moins, c’était sa seule amie. D’aussi loin que je me souvienne, elle a toujours été gentille avec nous. Elle me trouvait des vêtements, nous apportait à manger, me gâtait pour mon anniversaire. Elle m’a appris qu’on dessert systématiquement la table après le repas, qu’on garde une bonne hygiène, même quand ça va mal. Elle m’a montré comment être un garçon bien élevé. Mais elle n’a jamais rien fait pour me sortir de ce foyer. Elle avait ses raisons, donc je ne lui en ai jamais voulu pour ça.
Sinon, il reste la pire option de toutes.
Vais-je me ramasser sur le sofa dans le sous-sol du bar miteux de Limoilou où ma mère danse six jours par semaine ?
Avant de quitter le logement pour de bon, je retourne à ma chambre et attrape mes deux sacs. Mon regard se pose sur ma bibliothèque dégarnie, ma couverture inconfortable et le restant de mes vêtements qui n’entre pas dans mes bagages de fortune. J’ai un pincement au cœur lorsque je sors de la pièce.
J’ai essayé d’être un bon fils, un ami décent, un élève exemplaire et pourtant la vie s’acharne à me faire vivre des épreuves difficiles. Bien que la situation soit catastrophique, je préfère ce foyer au centre jeunesse. J’ai entendu tellement d’histoires de jeunes qui finissent en centre de réadaptation : un simple synonyme qui ne berne personne. D’autres les appellent « prisons pour ados ». J’ai des frissons d’horreur rien qu’à imaginer d’y être enfermé. Je peux presque toucher la liberté du bout des doigts, alors il est hors de question qu’on me l’enlève.
À l’extérieur, l’air frais sur mon visage me rappelle que nous sommes à la fin du mois de mars. Mes pas laissent des traces sur la neige qui chute par gros flocons. Ma mère me rejoint avec sa sacoche et son manteau dans le creux de son coude. Elle risque de tomber malade. Qu’elle s’arrange si ça lui arrive.
— On va où, m’man ?
Elle soupire et promène une main dans ses cheveux sales. Malgré son emploi qui lui demande un physique attirant, elle paraît toujours négligée.
— J’m’en vais chez une amie. Elle a juste une place, faque tu peux pas v’nir avec moi, va falloir tu t’trouves un endroit où aller en attendant.
Je fronce les sourcils, incrédule. Quoi ? J’hallucine ! Qu’en est-il de Martin ? Ou de Sandra ? Ou encore du bar miteux ?
— Regarde-moi pas comme ça, crisse ! s’écrie-t-elle, un doigt levé dans ma direction. J’fais mon possible ! T’as des amis, ils peuvent ben servir à quelque chose ! J’t’à boutte ! J’peux pas tout faire pis t’es assez grand pour te débrouiller tout seul !
Je reste bouche bée. Elle me tapote la joue avec un semblant de délicatesse. J’ai mal. Mal en dedans. Elle m’abandonne à mon sort, alors que c’est sa faute si on se retrouve dans cette situation.
— J’vais t’appeler dans quelques jours. J’vais trouver une place, j’sais juste pas où et comment encore. J’fais de mon mieux, Eli.
Elle me parle, mais je n’entends pas de remords dans sa voix ni la moindre compassion. Elle me lance un « J’t’aime, mon gars », avant de partir vers un endroit qu’elle seule connaît.
Je reste pantois, mes sacs sur les épaules, ignorant vers qui me tourner pour me sortir de ce pétrin sans alerter les services sociaux. Je ne tente pas de la suivre, ça ne servirait à rien, outre vivre un énième rejet.
Mes mains tremblent. Des larmes se nichent dans mes yeux. J’ai l’air fou sur le trottoir, mais ça demeure le dernier de mes soucis. En un clin d’œil, cette femme que j’ai appelée maman toute ma vie disparaît au coin de la rue. Je deviens une âme délaissée qui doit se rendre à l’évidence.
J’ai dix-sept ans et je suis itinérant.
Chapitre 2
Je m’étire et quelques craquements se font entendre. Toutes mes articulations m’élancent. Je grimace en ressentant le fourmillement dans mes pieds, qui dépassent du sofa. Le problème, quand on mesure six pieds un, c’est que tout devient inconfortable dès qu’on sort d’un lit à deux places.
Je replace mon oreiller sous mon cou, bien que ça ne change rien à ma douleur. Une première nuit dans cette position et je crains déjà un début de torticolis. Je n’ai pas à me plaindre, j’ai un toit sur la tête, et ça me protège de la pluie qui tombe depuis hier soir. J’aurais pu mourir de froid sans la bienveillance de mon ami Simon.
Certains croient que seuls les fugueurs, les drogués ou les alcooliques finissent sans domicile fixe. Eh bien, c’est faux. Je n’appartiens à aucune de ces catégories et j’en suis rendu là. Un gars ordinaire qui doit maintenant se démerder seul. Et mes occupations, ce n’est plus une simple question de tâches ménagères ou d’argent, mais bien une épreuve de survie.
Hier, après l’abandon de ma mère, trois choix s’offraient à moi. Je pouvais me trouver un coin tranquille dans une ruelle du Vieux-Québec, mais les nuages noirs au-dessus de ma tête m’en ont dissuadé. Ma deuxième option était d’appeler la DPJ pour aller dans un centre jeunesse. Sinon, il me restait la possibilité de m’incruster chez mon meilleur ami quelques nuits. Disons que la décision n’a pas été trop difficile.
J’ai rencontré Simon au début de ma troisième année de secondaire. Natif de Gatineau, il venait d’emménager dans le coin, après la mutation de Philippe, son père, à l’Université Laval en tant qu’enseignant de géographie. Quant à sa mère, elle écrit des romans jeunesse depuis plusieurs années. Malgré le fait que nous ayons peu de points en commun, Simon et moi sommes rapidement devenus ultraproches. Bien qu’il préfère gamer à venir courir à mes côtés, cela ne nous a jamais empêchés de passer de bons moments, de rire et d’échanger sur nos passions.
Malheureusement, je n’ai jamais pu inviter mon ami à la maison. J’ai toujours eu trop honte des logements dans lesquels j’ai vécu. Et je ne voulais surtout pas qu’il m’interroge sur mes fréquents déménagements. Il ne sait pas que ma mère consomme. Il croit qu’elle travaille comme agente de bord, ce qui explique ses absences. C’est d’ailleurs la principale excuse que je donne à tous ceux qui me posent des questions.
J’ai honte de ma mère, mais surtout de ma vie. J’ai dû changer d’école primaire si souvent que j’en ai redoublé ma sixième année. Incapable de suivre le rythme, j’avais fini par couler mon examen du ministère. Étudier tout mon secondaire au même endroit relève du miracle. Dès les débuts de mon amitié avec Simon, j’ai obligé ma mère à déménager dans des logements du district scolaire de la polyvalente. Une stabilité devenait nécessaire à cette période de mon adolescence.
Simon se plaint sans arrêt de ses parents « stricts » et ignore le cadeau qui lui a été offert d’avoir une mère et un père qui l’aiment assez pour se
