L’Accusateur public de Strasbourg
Par Max Ring
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Avis sur L’Accusateur public de Strasbourg
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Aperçu du livre
L’Accusateur public de Strasbourg - Max Ring
I.
Le maître et son valet.
Par une belle journée d’automne de l’année 1793, dans le vestibule d’une imposante maison de campagne, comme on en trouve encore aujourd’hui dans les régions bénies de l’Alsace, en particulier dans les environs de Strasbourg, le riche propriétaire Walther Grüner, presque quinquagénaire, se tenait assis et regardait d’un œil satisfait les granges bien remplies et les chariots de la moisson qui entraient en se balançant, très chargés, par le grand portail de la vaste cour.
Il avait toutes les raisons de se réjouir de son sort, car jusqu’à présent il n’avait pas connu de soucis terrestres et tout se passait comme il le souhaitait. D’année en année, sa fortune s’était accrue, ses biens s’étaient multipliés ; ses champs étaient réputés loin à la ronde pour leur fertilité, son bétail était si magnifique que c’était un plaisir de le voir. Ces bénédictions de Dieu étaient stockées dans les greniers tandis que la paix, le bonheur et la sérénité régnaient dans sa maison.
Lui-même était encore un homme robuste, respecté dans tout le voisinage non seulement pour sa richesse, mais aussi pour ses bonnes dispositions et son honnêteté ; sa femme était la plus efficace des maîtresses de maison, travailleuse et économe, mais généreuse à pleines mains et à plein cœur lorsqu’il s’agissait de soulager la pauvreté, d’essuyer des larmes ou d’apaiser des plaintes.
Mais son plus grand trésor, c’était ses enfants, et surtout sa fille Marie, qui passait pour la plus belle fille et le meilleur parti à dix lieues à la ronde, raison pour laquelle elle ne manquait pas des plus acceptables prétendants.
Il n’était pas étonnant que le riche Walther fût content et se vantât d’être heureux, bien que le ciel de la politique ne manquât pas de nuages menaçants et que tout le pays tremblât sous le règne de terreur de la grande Révolution française, dont les biens et les vies des plus riches et des plus chanceux avaient le plus à craindre.
Mais Grüner n’avait pas d’ennemis et ne se souciait guère, voire pas du tout, de l’agitation des partis, ne s’exprimant que dans le cercle le plus intime, devant ses meilleurs amis, et encore avec la plus grande prudence. Dans son cœur, il était le plus sincère partisan de la nouvelle liberté, bien qu’il n’approuvât nullement les excès des sansculottes et des jacobins,¹ qui étaient justement à cette époque à la tête du gouvernement et qui exerçaient également une tyrannie sanglante à Strasbourg, après la chute des modérés, sous la direction de l’infâme tribun du peuple Euloge Schneider.
Tandis qu’en ville, les hommes les plus respectés étaient presque quotidiennement poursuivis, emprisonnés et livrés au bourreau en raison de leurs opinions, le plus souvent sous les prétextes les plus futiles, il régnait encore dans la plaine une tranquillité enviable, tout au plus troublée par la levée de jeunes recrues chargées de protéger les frontières menacées.
Ici et là, l’influence des principes et des doctrines révolutionnaires se faisait sentir parmi les gens de la campagne, en particulier parmi les ouvriers et les domestiques, mais il n’y avait pas encore eu de véritables attroupements ni de soulèvements menaçants, bien qu’il ne manquât pas dans les villages de malveillants isolés et d’esprits étourdis par la fièvre de la soi-disant Liberté.
En revanche, il se trouva peu de temps auparavant dans les campagnes de nombreux espions et fanfarons qui, séduits par l’envie, la vengeance ou l’appât du gain, portèrent de fausses accusations devant le tribunal révolutionnaire de Strasbourg, à la tête duquel se trouvait cet Euloge Schneider, accusateur public, afin de nuire à leurs ennemis et de s’assurer une récompense pour leurs vils services.
Bien que Walther, qui était universellement respecté, fût honoré et aimé comme un père par les gens qui travaillaient pour lui, et qu’il fût pour eux un maître aussi bienveillant que généreux, il était difficile d’éviter les frictions et les querelles dans une entreprise aussi vaste et une maison aussi riche, car, malgré son amabilité et son indulgence, il maintenait un ordre strict et ne tolérait aucune négligence ni même aucune rébellion de la part des domestiques.
« Mathes ! » cria-t-il donc à l’un des valets chargés d’engranger le grain. « Mathes ! Je t’ai déjà dit de ne pas charger si lourdement et de ne pas surcharger le bétail. Si tu ne veux pas m’écouter, tu ne seras plus très longtemps à mon service ».
« Allons donc ! » répliqua l’homme réprimandé avec défi. « Les bourrins sont tellement paresseux qu’ils ne veulent pas tirer, mais je vais leur donner des jambes ».
En même temps, le rustre compagnon brandit son long fouet et le fit retomber impitoyablement sur le dos des animaux épuisés par leur trop lourde charge, si bien qu’ils tressaillirent de douleur et se cabrèrent.
« Bourreau de bétail ! » s’écria Walther en sautant de son siège et se trouva d’un bond auprès du valet, le secouant de ses bras puissants à lui en faire presque perdre le souffle.
« Hoho ! » gémit l’homme empoigné. « Je ne vais pas me laisser faire. Je suis un homme libre, Dieu merci, et je vaux tout autant que vous ».
« Tu es une canaille, » répondit le propriétaire après avoir arraché le fouet des mains du valet. « Tu mériterais que je te maltraite comme tu as maltraité ces pauvres bêtes, ce que j’aurais bien plus le droit de faire que toi. Mais je ne veux pas me salir les mains ».
« Vous me le paierez cher, » menaça le valet. « Je saurai vous retrouver. Plus d’une tête est tombée qui se tenait encore plus haut que la vôtre, et de plus grands seigneurs que vous ont dû s’incliner devant le peuple souverain ».
« Je n’ai pas peur de cela, » répondit Walther d’un ton calme. « On me connaît et toute la commune sait que je suis un bon citoyen qui aime sa patrie et la liberté. Mais on te connaît aussi comme un garçon dépravé et bon à rien que je n’ai recueilli que par pitié et miséricorde et qui, sans moi, serait mort de faim. Fais ce que tu veux, mais voilà ce que je te dis : à partir d’aujourd’hui, tu n’as plus rien à faire chez moi et tu peux chercher un autre service ».
« Vous oubliez que je suis embauché jusqu’à Noël, c’est pourquoi vous n’avez pas le droit de me chasser comme ça aussi subitement ».
« Je ne te tolérerai pas plus longtemps dans ma ferme, mais je ne veux pas te priver de salaire et de nourriture pour la période convenue. Je te paierai ton dû. Va faire ton baluchon. Tu quitteras ma