Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Rosa Romano
Rosa Romano
Rosa Romano
Livre électronique398 pages5 heures

Rosa Romano

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

"Rosa Romano", de Ernest Rasetti. Publié par Good Press. Good Press publie un large éventail d'ouvrages, où sont inclus tous les genres littéraires. Les choix éditoriaux des éditions Good Press ne se limitent pas aux grands classiques, à la fiction et à la non-fiction littéraire. Ils englobent également les trésors, oubliés ou à découvrir, de la littérature mondiale. Nous publions les livres qu'il faut avoir lu. Chaque ouvrage publié par Good Press a été édité et mis en forme avec soin, afin d'optimiser le confort de lecture, sur liseuse ou tablette. Notre mission est d'élaborer des e-books faciles à utiliser, accessibles au plus grand nombre, dans un format numérique de qualité supérieure.
LangueFrançais
ÉditeurGood Press
Date de sortie20 mai 2021
ISBN4064066316259
Rosa Romano

Lié à Rosa Romano

Livres électroniques liés

Classiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Rosa Romano

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Rosa Romano - Ernest Rasetti

    Ernest Rasetti

    Rosa Romano

    Publié par Good Press, 2022

    goodpress@okpublishing.info

    EAN 4064066316259

    Table des matières

    PREMIÈRE PARTIE

    I

    II

    III

    IV

    V

    VI

    VII

    VIII

    IX

    X

    XI

    XII

    XIII

    XIV

    XV

    XVI

    XVII

    XVIII

    DEUXIÈME PARTIE

    I

    II

    III

    IV

    V

    VI

    VII

    VIII

    IX

    X

    XI

    XII

    XIII

    XIV

    XV

    PREMIÈRE PARTIE

    Table des matières

    I

    Table des matières

    Il y a dans le beau milieu du Berry, près de Mehun-sur-Yevre, un petit village appelé Charmay.

    C’est bien le plus ravissant endroit qu’on puisse imaginer. Une grande colline to. verdoyante et peuplée de chênes, de bouleaux et de coudriers abrite les deux cents maisonnettes et autant de cabanes à toits de chaume qui composent le village.

    Au bas de la colline court, en serpentant sous des touffes de roseaux et de saules blancs à écorce grise, une petite rivière, fraîche comme une source. Sur sa gauche, une plaine monotone et douce s’étend jusqu’à un gros bouquet d’aulnes qui marque le passage de l’Yevre, et coupe l’horizon bleuâtre qu’on aperçoit à travers les balancements continuels des branches chargées de feuilles.

    A droite, une route empierrée et bordée de bourdaines et d’ormeaux, longe la colline et conduit au village, aprè plusieurs courbes, brisées çà et là par des petits sentiers couverts de genêts sauvages et de viornes.

    Tout cela compose un paysage calme et frais qui charme l’œil et émeut doucement l’âme.

    Le village se compose de deux rues principales, l’une traversant l’autre perpendiculairement. Au point de croisement, qui forme une sorte de place carrée, se trouve, adossée à l’un des angles, l’église, vieux monument de construction déjà séculaire et dont les assises en pierre fruste sont. revêtues de mousse, et supportent de loin en loin un pied de vigne noir et tordu. Le feuillage s’élance de ces troncs difformes en gerbes vigoureuses, et, se faufilant à travers les lézardes, grimpe jusqu’aux premiers arceaux. A partir de là les murs s’élèvent nus, secs et droits, selon les règles de l’architecture romane, pour aboutir à un fronton médiocre, surmonté d’un toit en tuiles rougeâtres. Au milieu du toit se dresse un clocher de petite dimension et de construction récente. Le temps qui ne respecte rien avait démoli le clocher primitif, mais la piété des habitants, sous la forme d’un maçon, malheureusement plus soucieux de la solidité que de l’art, avait réparé, depuis, l’injure subie par la vieille église.

    A l’angle opposé de la place une petite maison blanche à volets verts, et décorée de deux panonceaux de cuivre tout flambants, montre sa façade réjouissante et coquette. C’est l’étude de M. Rabut, notaire de Charmay et du canton, homme très prudent et très écouté, et qui passe à bon droit pour le flambeau de la contrée. Un peu plus loin, mais toujours faisant face au carrefour, s’élève avec une certaine prétention une maison en briques rouges et blanches, à toit d’ardoises, au-dessus duquel flotte un petit drapeau tricolore, dont le vent et la pluie ont quelque peu détérioré les couleurs. C’est la maison du maire, M. Pinglot, l’un des plus riches meuniers des environs, et le plus agréable malin qui se puisse voir pour manier une bluterie.

    Tout auprès de l’église et contigu avec elle, se trouve le presbytère. Il est composé d’une petite maison, bâtie moitié en moëllons tendres, moitié en briques jaunâtres, et d’une chétive construction en torchis, couverte de chaume faisant office de bûcher, d’écurie et de hangar. Ce bâtiment est entouré d’un jardinet qui longe la grande rue, tourne derrière l’église, et s’arrête à une ruelle dont l’issue aboutit en remontant à la même grande rue.

    Un mur, également en torchis, de six à sept pieds de haut du côté de la rue, et d’un mètre à peine du côté de l’église et de la ruelle, sert de clôture au jardin, dont un gros pommier et deux petits tilleuls forment tout l’ombrage. Un banc rustique, autrefois peint en vert, est adossé au pommier qui, par une végétation fantasque, se penche sur l’une des façades de la maison, comme pour s’y reposer. Au fond, derrière le hangar, se trouve un puits dont la margelle très peu saillante disparaît sous des touffes de pervenches et de troënes. Un vieux sureau redresse au-dessus de cette masse verdoyante sa tête chevelue ornée de grappes parfumées, et dissimule sous ses ramures la poulie et le seau suspendus à deux poutrelles qui sortent de terre.

    Tout autour de la maison s’étendent d’étroites platebandes encadrées de buis et plantées de grands rosiers grimpants, dont les branches flexibles et chargées de fleurs courent le long des murs, et s’enchevêtrent dans les ferrures des persiennes et dans les pierres en saillie des fenêtres.

    Devant le pommier qui protège la porte d’entrée, une petite pelouse s’étale, comme un tapis vert brodé de pâquerettes et de boutons d’or. Elle est flanquée à chaque bout d’une corbeille remplie de rosiers d’espèces variées, depuis le rosier du Bengale et le rosier chevelu qui n’osent s’élever et laissent traîner leurs rameaux chatoyants, jusqu’aux rosiers de la Caroline et du Roi qui élèvent orgueilleusement, au-dessus de leurs compagnons agenouillés, leurs fleurs nuancées de pourpre, de carmin et de violet.

    Une allée toute garnie de ce beau sable fin et doré qu’on surprend au lit du Cher, fait le tour du jardin et aboutit à trois portes: une principale, en bois blanc et à clairevoie, qui donne sur la grande rue, et les deux autres qui s’ouvrent derrière l’église et sur la ruelle.

    Cette dernière est faite de petites planches mal jointes, au travers desquelles une glycine et une clématite passent leurs tiges nerveuses, pour former au-dessus d’elle, et de chaque côté du mur garni de lierre, un dôme de feuilles et de fleurs: fouillis gracieux et odorant qui semble un bouquet offert à ceux qui franchissent le seuil de cette modeste demeure.

    Rien de plus séduisant, de plus calme et de plus recueilli que ce petit coin de terre, avec ses herbes touffues, ses rosiers grimpants, ses lierres capricieux et son air de quiétude bénie. On dirait un jardin où le bon Dieu vient se reposer le jour de sa fête.

    Par une belle matinée du mois de mai1853, un homme se promenait dans le petit jardin du presbytère. Il portait une longue soutane noire qui l’enveloppait tout entier, et il traînait sur le sable, qui criait sous ses pas, des sabots en bois ciré. D’une main il tenait un petit râteau et de l’autre un sécateur avec lequel il émondait, chaque fois qu’il s’arrêtait dans sa promenade, les branches mortes ou les fleurs fanées qu’il rencontrait sur son passage.

    C’était un homme de trente à trente-cinq ans, de taille élevée, et robuste d’apparence, au teint mat, à la figure austère mais douce, au front large, légèrement plissé et quelque peu dénudé vers les tempes. Ses grands yeux noirs étaient tristes, mais remplis d’une mansuétude infinie. Il regardait ses fleurs d’un air attendri, et quand parfois il apercevait un insecte attardé dans les plis d’une d’elles, il le contemplait longuement et lui envoyait un sourire caressant, presqu’une bénédiction.

    Parfois il se baissait pour extirper, avec le bout de son râteau ou la pointe de son sécateur, une mauvaise herbe qui avait envahi l’allée et qui poussait dru au milieu du sable. Mais c’était comme à regret, et seulement après l’avoir bien examinée, qu’il chassait la plante parasite. Il semblait pardonner à l’ivraie et ne lui arracher la vie qu’en tremblant.

    Après avoir fait plusieurs tours dans le jardin, épluché un à un tous ses arbustes et rajusté le long de la maison, parmi les rosiers grimpants, quelques branches rebelles qui avaient profité de la nuit pour descendre sournoisement vers des capucines à corolles oranges et rouges, il alla s’asseoir sur le banc abrité par le pommier. Là, il mit à côté de lui son râteau et son sécateur, puis il tira un livre de sa poche, et l’ouvrant à la place marquée par un signet, il se mit à lire gravement. C’était un bréviaire.

    Tout était silencieux. Il était à peine sept heures du matin, et aucun bruit n’arrivait encore du dehors. Seuls, quelques moineaux effrontés venaient voleter autour du pommier ou s’abattaient sur la pelouse en poussant de petits cris joyeux.

    Autour des tilleuls qui commençaient à fleurir, une nuée d’abeilles butinait le pistil safrané de leurs baies blanches et jaunes, avec une chanson mélodieuse et monotone, pendant que le soleil, qui se levait dans la plaine, lançait ses premières flèches d’or à travers le feuillage.

    L’homme continuait à lire, s’interrompant seulement pour suivre de l’œil, avec le même sourire bienveillant, les ébats des moineaux qui se disputaient quelque graine rencontrée par hasard.

    Il restait ainsi quelques minutes immobile; puis il semblait tomber dans une méditation profonde. Il en sortait bientôt, cependant, par un mouvement brusque et en passant sa main sur son front, comme pour en chasser les distractions passagères qui venaient s’y heurter; il reprenait alors sa lecture.

    Après être demeuré ainsi une heure, tantôt à lire et tantôt à méditer, il se leva, déposa son livre sur le banc, et se dirigea vers le puits; il détacha la corde retenue sous le sureau, fit manœuvrer la poulie, et retira, quelques secondes après, un seau rempli d’eau claire. Il y plongea ses mains qu’il frotta soigneusement l’une contre l’autre, après quoi il alla verser le contenu du seau au pied des arbustes qui l’environnaient.

    Après s’être essuyé les doigts avec un mouchoir blanc et fin qu’il sortit de sa poche, il alla vers la petite porte du jardin donnant sur la ruelle; il l’ouvrit en écartant les branches de glycine et de clématite, et, s’encadrant dans la masse de verdure et de fleurs qui faisaient arcade au-dessus de sa tête, il s’appuya contre le mur tapissé de lierre et plongea son regard dans la ruelle.

    Elle était déserte.

    Le vont glissait joyeusement le long des haies de charmille qui bordaient la ruelle, et apportait avec lui, de la plaine, ces senteurs chaudes et pénétrantes qui se dégagent le matin des sillons de la terre. Sous son souffle répété, les cheveux noirs de l’homme voltigeaient en boucles désordonnées autour de sa tête, et sa longue soutane ondulait sur ses sabots avec un bruit cadencé.

    Il ne bougeait pas, et continuait à examiner au loin, Tout à coup il pencha la tête. Quelqu’un venait de s’engager dans là ruelle, et se dirigeait vers la grande rue,

    C’était une jeune fille; elle portait au bras un panier, et marchait d’un pas leste et dégagé.

    Mignonne, de taille bien prise, et les hanches légèrement accusées sous les plis de sa robe d’indienne à petits pois noirs sur un fond violet, elle paraissait avoir vingt ans. En réalité elle n’en avait que dix-sept.

    Elle était chaussée de petits souliers bruns qui laissaient voir ses pieds, des pieds d’enfant comparés à ceux qu’on pouvait attendre chez une paysanne. Elle portait un petit bonnet rond et blanc, fixé par une grosse épingle de cuivre dans de magnifiques touffes de cheveux noirs. De loin elle était ravissante. De près elle commandait l’admiration.

    Son visage aux lignes correctes et de l’ovale le plus pur offrait un teint mat et pâle, mais d’une pâleur vigoureuse et chaude, comme celui des Andalouses et des Sévillannes. Sa bouche était merveilleusement dessinée et surmontée d’une lèvre rouge comme la chair d’une cerise, ardenteet légèrement dédaigneuse. Son nez fin et droit montait hardiment vers le front, et venait rejoindre deux sourcils admirablement arqués. Abrités par ces sourcils deux yeux noirs, profonds et brûlants, projetaient une lueur étrange qui charmait et troublait à la fois. C’était comme un velours noir au travers duquel passaient des éclairs.

    La jeune fille s’arrêta à quelques pas de la petite porte du presbytère et changea son panier de bras, sans doute parce qu’il était trop lourd à porter, puis elle se remit en marche.

    En apercevant la soutane dont les plis soulevés par le vent faisaient saillie, elle leva les yeux et s’arrêta de nouveau; son visage parut radieux et elle courut plutôt qu’elle ne marcha, pour se rapprocher de la petite porte où l’homme se tenait immobile, la regardant d’un air paternel.

    –Bonjour, monsieur le curé, dit-elle, en arrêtant sur lui ses yeux étincelants.

    –Bonjour Rosa, répondit le prêtre d’une voix douce et affectueuse, je vous ai vue de loin.

    –Vous m’attendiez, monsieur le curé?

    –Oui. Vous allez ce matin au bourg, n’est-ce pas?

    –Chez madame Marville, oui monsieur le curé, pour lui rapporter ce linge qu’elle m’a donné à raccommoder; mais c’est bien lourd tout de même!

    Et Rosa posa à terre son panier, en s’essuyant le front avec la main, comme si la sueur y perlait.

    –Pourquoi ne pas faire deux voyages?

    –Pour ne pas perdre deux-grandes heures.

    –N’importe! dit le curé en soulevant le panier et le reposant à la même place, vous ne pouvez porter cela.

    –Oh! mais je suis forte, monsieur le curé, répartit Rosa avec un sourire et en montrant deux avant-bras potelés et vigoureux.

    –Non, non, insista le curé, il faut laisser ici la moitié de votre paquet, Louisa vous la remettra lorsque vous repasserez.

    –Mais madame Louisa va se moquer de moi, monsieur le curé!

    –Je voudrais bien voir ça! dit le prêtre en avançant la main vers le panier.

    A ce moment un robuste gars d’une vingtaine d’années, en veste de futaine grise, en pantalon de toile écrue et chaussé de gros souliers ferrés tournait le coin de la grande rue et s’avançait dans la ruelle.

    En apercevant la jeune fille et le prêtre, il fit deux ou trois enjambées et vint se planter devant eux. Sa figure était animée et rouge de plaisir.

    –Bonjour, monsieur le curé, dit-il en ôtant un grand chapeau de feutre gris qui ombrageait sa grosse tête carrée, hérissée d’une forêt de cheveux bruns, bonjour Rosa.

    –Ah! c’est toi, Étienne, dit le curé en levant la tête.

    –C’est moi, oui, monsieur le curé. Vous avez besoin que quelqu’un porte ce panier? Attendez, je m’en charge.

    –Ce n’est pas moi, c’est Rosa qui va au bourg.

    –Avec ça! jamais!

    –C’est ce que je me tue de lui dire. Mais elle s’entête, elle ne veut pas faire deux voyages.

    –Eh bien! elle n’en fera qu’un, je vais l’accompagner.

    –Non, je ne veux pas, dit Rosa.

    –Tiens! Pourquoi?–vous avez peur de me déranger. N’ayez de crainte, je vais au moulin du père Pinglot. C’est sur mon chemin.

    –Merci! un détour d’une lieue!

    –Bah! la belle affaire, dit le gars en se penchant vers le panier, et il ajouta avec un léger tremblement dans la voix:

    –Voyons! Rosa, ne me refusez pas. Ça me ferait tant de plaisir de faire quelque chose pour vous. Le curé ne put réprimer un froncement de sourcils.

    Rosa ne dit mot. Étienne enleva le panier et le plaça d’un seul coup sur son épaule.

    –Maintenant en route, dit-il en assujettissant son fardeau.

    –En route, répéta Rosa.

    –Rosa, reprit le curé, voici la lettre dont je voulais vous charger. Vous direz en outre à madame Marville que j’ai reçu des nouvelles de ma cousine; que celle-ci va bien, et qu’elle lui envoie toutes ses amitiés.

    –Je n’y manquerai pas, monsieur le curé.

    –Ah! dit Étienne, en se retournant et en montrant un des rosiers grimpants qui couraient le long du petit mur, monsieur le curé! laissez-moi vous prendre une rose.

    –Je te le défends! s’écria le curé.

    –Oh! rien qu’une! reprit Étienne, en avançant la main vers une belle rose blanche toute humide de rosée.

    –Méchant garnement! veux-tu bien laisser mon rosier!

    Et le prenant à bras le corps, le curé repoussa Étienne. Mais le mouvement, si adouci qu’il fût, obligea le gars à reculer d’un pas et fit osciller le panier, qui, n’ayant plus d’équilibre faillit tomber tout droit sur le sol.

    –Là! vous faites de la belle besogne! dit Rosa avec un éclat de rire.

    –Attends! Étienne, dit le curé, je vais te donner un coup de main.

    –Sans vous commander, monsieur le curé, ça n’est pas de refus, répondit-il, car ça ballotte joliment.

    –Là! ça y est, dit le curé après avoir replacé le panier sur les épaules du gars.–Maintenant, pourquoi voulais-tu me prendre une rose?

    –Mais pour Rosa donc! dit Étienne. Elle m’a donné son paquet à porter, moi, je lui donnais le mien! nous étions quittes!

    Le curé cueillit la rose convoitée, et la mit dans la main d’Étienne.

    –Tiens! dit-il simplement. Maintenant fais-moi le plaisir de t’en aller, n’est-ce pas?

    –Merci, monsieur le curé, répondit Étienne. Oh! vous en avez de plus belles que ça. Mais ce sera plus tard que je vous dévaliserai.

    –Plus tard! et quand ça?

    –Quand Rosa se mariera donc! ajouta le gars et il tendit la fleur à la jeune fille qui était devenue subitement rouge.

    –Merci, Étienne, dit-elle, on lui serrant la main, et elle se mit en marche.

    Au contact des doigts de Rosa, le gars trembla et s’appuya d’une main contre le petit mur. Le curé fit un pas vers lui.

    –Tu vas encore laisser tomber le panier!

    –Oh non! monsieur le curé, dit-il tout bas. Ça, voyez-vous, c’est du bonheur!

    –Tu l’aimes donc bien! dit le prêtre d’une voix profonde.

    –A en mourir! monsieur le curé, murmura le gars.

    Et une grosse larme glissa le long de son mâle visage, halé par le soleil. Puis il s’éloigna brusquement.

    –A en mourir! répéta le prêtre en baissant la tête et en regagnant la petite porte du jardin.

    –Ohé, Étienne! Ohé, la Charmeuse! cria une grosse voix joyeuse tout à côté de lui. Le curé tressaillit et releva la tête.

    La voix était celle d’un gros garçon rougeaud, a la face épanouie, qui depuis quelque temps remontait la ruelle vers la grande rue, et était arrivé sur le lieu de la scène sans être aperçu.

    Il portait comme Étienne une veste de futaine grise et un pantalon de toile, seulement il était chaussé de sabots, et sa tête était enfoncée dans un immense bonnet de coton à raies multicolores. Des mèches d’un jaune paille s’en échappaient et tombaient en boucles pressées sur son cou rouge brique. Il tenait à la main une énorme trique, emmanchée à son poignet par une lanière de cuir.

    –Ah! ouiche! dit-il en s’arrêtant devant la petite porte au moment où le curé allait la franchir; ils ne veulent pas m’entendre.

    –Alors pourquoi les appelles-tu? dit le curé en se retournant.

    –Pardié! pour les faire enrager.

    –Et pourquoi veux-tu les faire enrager?

    –Oh! ben là! monsieur le curé! c’est farce tout de même ce que vous dites-là! faut ben rire un brin! c’est des amoureux!

    –Qui t’a dit cela?

    –Ah! pardié! ça se voit comme les oreilles d’un lapin! C’est pas que j’y trouve à redire. La Charmeuse est belle fille tout de même, quoique un peu pâlotte! A ça près, je la marierions bien, foi de Jean Pelu. Parce qu’elle vous a une paire d’yeux qu’on croirait manger du miel quand elle vous regarde.

    –Pourquoi ne te présentes-tu pas?

    –Faut se faire une raison, monsieur le curé, faut se faire une raison! Et puis cette Charmeuse elle est coiffée d’tienne, le fils à Pelletier. Il n’y a pas d’avance! Quoique le père Pelletier, vous savez…

    –Eh bien?

    –Eh ben! il ne topera jamais.

    –Qu’en sais-tu?

    –Oh! il n’y a pas de risque! la fille est sage, mais quoi! elle n’a pas de père! Il n’y a pas d’offense, vous me direz. Mais tout de même ça chiffonne; et puis elle n’a pas de magot, pas même une vache! avec ça pas ménagère du tout! ça ne vous remuerait pas douze livres de pâte dans le pétrin! Aussi, voyez-vous, ça, c’est une femme pour les jours de fête!

    –Bien sûr qu’elle n’est pas faite pour scier du bois, ou traîner une charrette! dit le prêtre avec une nuance d’impatience.

    –Ah! vous voyez donc que ce n’est pas une vraie femme! reprit triomphalement le paysan.

    Et il ajoutaen clignant de l’œil avec une moue significative:

    –Le fils à Pelletier, il en est assoiffé; mais s’il ne la marie pas, dam! c’est un malin! et la Charmeuse pourra bien faire comme sa mère.

    –Tais-toi, dit le prêtre vivement.

    –Eh ben quoi!monsieur le curé, c’est pas la méchanceté qui me délie la langue. Ce que je vous dis là, tout le pays le pense comme moi! Questionnez un peu voir, et vous entendrez ce qui se glose. Tous les gars jalousent Étienne. Et dam! les quolibets vont leur train. L’un dit qu’il l’épousera, l’autre dit que non, celui-là prétend…

    Le curé interrompit le paysan en lui posant la main sur l’épaule.

    –Tu as fini, n’est-ce-pas? lui dit-il tranquilement.– Eh bien, écoute Jean Pelu, et retiens bien ceci: Étienne épousera Rosa, c’est moi qui te l’affirme.

    –Vous, monsieur le curé!

    –Moi! et tu es libre de le répéter.

    –Mais… le père Pelletier?…

    –Je m’en charge.

    –Ah! vous!… alors, dam! ça change! balbutia Jean Pelu.

    –Tu n’as plus rien à me dire, ajouta le curé en retirant sa main. Non? n’est-ce pas? Eh bien, je ne te retiens plus. Bonjour.

    Et s’éloignant, il entra dans le jardin et ferma la porte derrière lui, pendant que le paysan retirait son bonnet, et faisait une grande révérence devant le mur.

    –Monsieur le curé tout votre serviteur, dit Jean Pelu… Bah! ajouta-t-il entre ses dents, tout en remettant son bonnet… faudra voir.

    Et il s’éloigna en sifflant un air et en traînant ses lourds sabots.

    Le curé traversa lentement le jardin et se dirigea vers la maison.

    Sur le seuil une femme d’une cinquantaine d’années, un peu forte en couleurs, , et coiffée d’une cornette blanche, l’attendait tenant à la main une tasse de lait fumant.

    C’était Louisa, la domestique du curé.

    –Ah! ça! monsieur le curé, vous n’avez donc pas faim ce matin, dit la bonne femme.

    –Si, ma bonne Louisa, répondit le prêtre, j’ai grand’faim au contraire, car je suis content. Je viens de trouver le moyen de faire peut-être des heureux.

    –Alors, reprit Louisa, en secouant doucement la tête; Dieu sait si nous nous chaufferons cet hiver!

    Le curé, sans lui répondre, lui prit la tasse des mains, la vida d’un seul trait et, après l’avoir remerciée d’un geste affectueux, entra dans la maison.

    II

    Table des matières

    M. l’abbé de Ménars, curé de Charmay, était le fils d’un obscur gentilhomme breton.

    Celui-ci, fervent catholique et royaliste enragé, avait passé toute sa vie confiné dans sa province, maudissant les erreurs du siècle et attendant le retour de son Roi.

    Orphelin de bonne heure et n’ayant pour tout bien qu’une méchante maison flanquée d’une maigre pièce de terre, aussi rebelle aux progrès agronomiques que son maître lui-même aux idées nouvelles, il avait passé sa jeunesse dans la pauvreté et vécu en véritable paysan. Mais fier, économe et industrieux, il avait su, sans jamais rien demander à personne, se suffire à lui-même et tirer tout le parti possible de son sol ingrat.

    Incapable d’aucune transaction avec sa conscience ou son orgueil, le gentilhomme breton, loin de rechercher dans un mariage avantageux le moyen d’augmenter sa fortune, avait épousé un beau jour une cousine aussi pauvre que lui, mais pénétrée des mêmes sentiments: imbue des mêmes idées. Ils associèrent ainsi, tous deux, leurs privations, leur courage et leur foi; et, chose qui étonnera peut-être les amateurs forcenés du trois pour cent, ils trouvèrent le bonheur dans cette union désintéressée, pleine de dignité et de calme.

    Malheureusement ce bonheur ne devait pas durer longtemps; dix ans après madame de Ménars mourut, comme elle venait d’hériter incspérément d’une somme de cent mille francs, léguée par une parente éloignée.

    Du mariage était né un fils, Charles, depuis curé de Charmay.

    Resté seul, M. de Ménars redoubla d’activité et d’économie, et fit un placement sûr des cent mille francs recueillis par sa femme. Cette somme revenait de droit à son fils, et il voulait non seulement la conserver intacte pour la remettre à ce dernier, à l’heure de sa majorité, mais encore l’augmenter de tous les intérêts capitalisés pendant le laps de temps qui devait s’écouler jusqu’à cette époque.

    Il avait accepté pour lui toutes les privations; il s’obligea à les subir de nouveau pour assurer à son fils une situation plus heureuse que celle dont la Providence l’avait lui-même gratifié; et, avec un stoïcisme admirable, il ajouta chaque année au capital laissé par la défunte, les revenus que son placement produisait. Pendant ce temps il mangeait les choux et les pommes de terre qu’il plantait, et même qu’il arrosait, car la damnée terre restait toujours aussi sèche et aussi stérile. Avec cela il soignait l’éducation de son fils Charles.

    Ce dernier avait les plus heureuses dispositions; il était studieux, sensible et tendre. Contemplatif par nature, il ne se mêlait point aux jeux des enfants de son âge. Il allait à l’école gravement, et en revenait de même, après avoir écouté avec la plus grande attention la leçon du maître. Il chérissait son père et le respectait encore plus; non pas que le vieux gentilhomme fût rébarbatif ou inspirât la crainte par la sévérité de son langage ou de ses manières; mais rien n’était plus imposant et plus propre à commander la vénération, que la dignité parfaite qu’il mettait en toutes choses. Il avait dans sa maison, et au milieu de son indigence, une attitude noble et résignée qui n’échappait à personne, et dont son fils, plus que tout autre, devait être touché.

    Le soir, lorsqu’assis dans sa masure, à l’heure où l’unique servante apportait, sur la table de bois blanc, le plat de légumes et le pichet de cidre qui devaient composer le souper, le vieux Breton se levait de son grand fauteuil de paille et, la tête découverte, disait le bénédicité d’une voix grave. Il avait une majesté réelle qui frappait l’enfant; celui-ci répétait la prière à mesure que son père la disait; après quoi, il s’inclinait profondément devant lui et s’asseyait. Dans un coin, la servante faisait le signe de la croix.

    Après le repas, le gentilhomme faisait étudier à son fils les premiers éléments de l’histoire; puis il l’entretenait de religion; parfois il lui parlait de sa mère, de sa mère qu’il avait profondément aimée, et dont il rappelait la douceur, la charité et l’abnégation. Dans ses longs entretiens, il découvrait ainsi à l’enfant tout un monde de pensées fortes, saines et simples, tous les trésors de son âme droite et fière.

    L’enfant grandit et fut bientôt en âge de commencer des études plus sérieuses. Le père songea à le mettre dans un séminaire. Cette nécessité était cruelle pour lui, car il allait rester seul, privé de ce fils dans lequel se résumaient toutes ses affections passées, toutes ses espérances d’avenir. Mais, incapable d’un sentiment égoïste, le vieux Breton prit son courage à deux mains, et conduisit lui-même Charles dans un établissement de jésuites situé à quelques lieues, près du chef-lieu du département.

    Là, il remit à son fils quelques louis d’or, amassés un par un, dans un petit coffret d’ébène qui avait appartenu à sa femme et où celle-ci rangeait son fil et ses aiguilles, l’embrassa longuement, et, le tenant serré contre son cœur, lui dit ces paroles d’adieu:

    –Charles, je compte sur toi. Travaille et deviens homme, et n’oublie pas ce que je t’ai enseigné: Aimer Dieu, et servir le Roi.

    Puis il s’éloigna sans retourner la tête, posant nerveusement sa grande canne sur le sol poudreux qui résonnait à chacun de ses pas.

    Deux larmes silencieuses roulaient dans sa moustache grise.

    L’enfant, lui, tomba en sanglottant dans les bras du supérieur qui lui prit doucement la tête dans les mains, et lui dit:

    –Pleurez, mon fils, l’eau et le sel sont le baptême de l’âme; les larmes sont le baptême du cœur.

    Rentré chez lui, le vieux Breton se mit à retourner sa terre, et à la défricher avec fureur. Cela calmait son chagrin et occupait sa pensée. La terre, elle, peu sensible à ce redoublement de soins, n’y répondit, à quelque temps de là, que par une végétation, plus abondante que de coutume, en chardons et en herbages du même acabit.

    Après avoir bien labouré, le père de Charles se mit à arroser, à sarcler, à biner, puis, tous les procédés agronomiques épuisés, à contempler son domaine. Il ne restait pas le plus petit ouvrage à faire; force lui était donc de se croiser les bras.

    Alors l’ennui le prit, et le chagrin reparut.

    Le bonhomme se mit à courir la campagne, a collectionner les simples, et à aller voir de temps en temps une sœur qui demeurait au Croisic, la seule parente qu’il eût encore, et qui était la veuve d’un lieutenant de vaisseau mort à la station du Sénégal.

    La veuve vivait de la pension accordée par l’État, car elle était sans aucune fortune, et élevait sa fille, la petite Yvonne, une charmante et gracieuse enfant de dix ans.

    Lorsque M. de Ménars arrivait dans la maisonnette où demeurait sa sœur, la petite Yvonne lui sautait au cou et lui faisait une telle fête qu’il oubliait, pour un instant, la séparation cruelle qu’il s’était imposée.

    Mais aussitôt qu’il regagnait son humble demeure, le pauvre homme se sentait si isolé et si triste qu’il tombait dans un accablement profond, et que peu ne s’en fallait qu’en dépit de sa foi robuste et de sa résignation évangélique, il ne cédât au découragement.

    Une seule pensée

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1