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L'Illusion d'une Ombre
L'Illusion d'une Ombre
L'Illusion d'une Ombre
Livre électronique407 pages6 heures

L'Illusion d'une Ombre

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À propos de ce livre électronique

Le lieutenant Farot est réputé être l'homme des enquêtes compliquées, des affaires dont personne d'autre ne veut ou que l'on ne veut confier à personne d'autre. Il ne s'étonne de pas grand-chose mais il est quand même étrange qu'on lui demande d'enquêter sur un suicide. Il est loin de s'imaginer que cette affaire va l'emmener aux frontières du surnaturel et de la magie, dans un monde d'illusions où les choses sont rarement ce qu'elles paraissent. La magie existe-t-elle ou tout n’est-il qu’illusion ?
LangueFrançais
Date de sortie2 sept. 2014
ISBN9782312028200
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    Aperçu du livre

    L'Illusion d'une Ombre - Christophe Morin

    cover.jpg

    L’Illusion d’une Ombre

    Christophe Morin

    L’Illusion d’une Ombre

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02820-0

    Sommaire

    Sommaire

    Chapitre 1

    Hibou

    Chapitre 2

    Sur les traces d’Opale

    Chapitre 3

    Sorcière et fantômes

    Chapitre 4

    L’école des illusions

    Chapitre 5

    Le pouvoir de la Nature

    Chapitre 6

    Artefacts

    Chapitre 7

    Détectives

    Chapitre 8

    Fins de quêtes

    Chapitre 9

    Une île

    Chapitre 10

    Le Voleur et le Plaisantin

    Cinq ans plus tard…

    Chapitre 11

    Gabrielle

    Chapitre 12

    De vieilles connaissances

    Chapitre 13

    Le dernier

    Chapitre 14

    Pertes et trahison

    Chapitre 15

    La confrontation

    Chapitre 16

    Destins

    Épilogue

    Chapitre 1

    HIBOU

    Le lieutenant Farot arriva aux environs de huit heures du matin. Il faisait relativement froid pour une fin de mois d’avril. Le temps était gris et une légère bruine tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours.

    Farot était assorti au ciel ; imperméable gris sur un costume gris et une chemise blanche, le tout un peu défraîchi. Il avait abandonné la cravate depuis longtemps.

    Le corps avait été retrouvé dans une étroite ruelle. L’homme était tombé du toit de l’un des immeubles. Vu la largeur de la ruelle, Farot se demanda combien de fois il avait rebondi sur la façade d’en face avant de s’écraser au sol.

    A première vue, le cas n’avait rien d’exceptionnel, justifiant qu’on ait fait appel à lui.

    Selon le légiste, l’homme était mort aux environs de cinq heures du matin. Un passant avait vu le corps et prévenu la police deux heures plus tard.

    L’affaire avait été confiée au lieutenant Grignard, un jeune officier d’à peine trente ans, plutôt beau garçon et, d’après ce qu’on en disait, beaucoup plus intéressé par la gente féminine que par les criminels.

    Grignard était en pleine discussion avec quelques agents à proximité du corps. Il s’assurait que tout avait été noté et photographié avant qu’on enlève le cadavre.

    Il portait un long manteau marron et un beau costume, probablement italien. Sa cravate rouge se mariait parfaitement avec les traces sur le sol.

    Il fallait de l’argent pour se payer ce type de fringues et, d’après ce que Farot savait, il en avait…

    L’homme s’était donc suicidé, à première vue du moins. Mais à peine Farot avait-il vu le visage du mort qu’il comprit la raison pour laquelle le capitaine l’avait tiré du lit un dimanche matin. Il s’agissait de cette expression arborée par le mort. Un cadavre n’exprimait pas grand-chose d’habitude mais celui-ci avait ce petit quelque chose… avant de mourir, il avait eu… peur. La plus grande frayeur – et la dernière – de sa vie, a priori. Et puis… il flottait dans l’air ce parfum de… pas normal.

    Farot était réputé être l’homme des enquêtes compliquées, qui risquaient de s’avérer longues et fastidieuses, avec très peu de chances d’aboutir à quelque chose de concret. Bref, on lui confiait les affaires dont personne d’autre ne voulait ou celles que le capitaine ne voulait confier à personne d’autre.

    Quoi qu’il en soit, un suicide ne correspondait pas vraiment à ce type d’enquêtes.

    Sauf que celui-ci ressemblait un peu trop à l’autre.

    « L’autre » était intervenu il y a quelques semaines.

    Un jeune flic s’était tranché la gorge avec un couteau. On avait retrouvé le couteau dans sa main, dans une pièce fermée de l’intérieur.

    Ce flic s’appelait Emmanuel Degransse, jeune lieutenant tout juste frais émoulu de l’école et qui venait de mener à bien sa première enquête. Il était mort chez lui, quelques heures après avoir assisté à un pot donné en son honneur, à l’occasion duquel le capitaine avait fait un discours bref mais élogieux à son sujet. Il laissait une femme avec laquelle il était marié depuis moins de deux ans et un bébé de quelques mois.

    Bref, ça ne collait pas.

    Tout le monde aimait Degransse au commissariat et personne ne croyait à son suicide, son attitude et son tempérament étaient en contradiction totale avec un geste de ce genre.

    Et puis, il y avait cette expression sur son visage… la même que celle de ce type rétamé sur le trottoir devant Farot.

    L’expression de quelqu’un qui a vu un fantôme avant de mourir ou quelque chose comme ça.

    Une expression suffisamment forte pour avoir rendu tout un commissariat superstitieux.

    Personne ne voulait classer l’affaire mais le commissaire ne pouvait justifier une véritable enquête pour meurtre, sans le moindre élément tangible.

    C’est donc tout naturellement que cette affaire avait échouée dans les mains du lieutenant Farot, qui avait pour habitude de mener des enquêtes dans les cas où cela ne servait manifestement à rien et qui enterrait soigneusement les affaires prometteuses.

    Les supérieurs de Farot auraient dû mettre à pied cet ancien alcoolique depuis longtemps. Mais ce flic sur le déclin en savait suffisamment long sur beaucoup de monde pour qu’on le laisse finir tranquillement sa carrière. Ce dernier point finirait toutefois par poser problème, il n’avait que quarante-deux ans.

    Farot fut interrompu dans ses réflexions par celui avec lequel il allait devoir faire équipe, le lieutenant Grignard.

    « Comment allez-vous, lieutenant Farot ? Ravi de vous voir, je vous avoue que je n’aime pas du tout ce cas.

    Moi non plus, Grignard, moi non plus… Que savez-vous ?

    – Peu de choses. L’homme s’appelait Joseph Valse, trente-cinq ans, célibataire. Il était chargé de travaux pratiques à la fac d’histoire de l’art. La presse a un peu parlé de lui dernièrement. Il a fait partie d’une mission qui a retrouvé un vieux temple, dans la jungle africaine. J’ai téléchargé l’article sur ma tablette. Je l’ai lu rapidement, le temple appartiendrait à une ancienne civilisation oubliée. Cette découverte donnait un nouveau tournant à sa carrière. Il devait participer à une conférence de presse mardi prochain.

    Vous croyez à ce suicide Grignard ?

    Pas plus que vous, Farot… pas plus que vous. Il habitait à deux pas d’ici, vous m’accompagnez ? Ah, au fait, on n’a retrouvé sur lui ni portefeuille, ni téléphone.

    La question est : les avait-il encore lorsqu’il a touché le sol ?

    J’ai demandé à quelques agents de faire la tournée des voisins. Peut-être quelqu’un aura-t-il vu quelque chose ? »

    La voiture de Grignard était une décapotable, ce qui collait parfaitement avec le personnage se dit le lieutenant Farot. Une chance qu’il fasse mauvais, il détestait se faire remarquer.

    Joseph Valse habitait un petit trois pièces, au 3e étage d’un petit immeuble, à quelques rues de l’endroit d’où il avait sauté.

    L’immeuble était de construction récente, années ‘90 probablement et disposait d’un hall d’accueil relativement petit mais lumineux. Un miroir ornait le mur de droite. Farot se vit dedans. Son teint paraissait encore plus pâle que d’habitude dans la lumière grise de cette matinée et il paraissait vieux pour ses quarante-deux ans. Bien entendu, l’alcool en était sans doute plus responsable que la lumière. Il était bruns et légèrement dégarnis sur le dessus du crâne et ses cheveux de part et d’autres étaient ébouriffés et partaient en épi vers le haut, ce qui lui valait le surnom de « hibou ». Il était exact que ses grands yeux, aujourd’hui cernés, et son nez légèrement crochu lui donnait vraiment l’air d’un de ces oiseaux nocturnes. Farot avait d’abord détesté ce surnom mais il s’y était fait et, avec le temps, s’y était même attaché.

    En arrivant au 3e étage, ils s’aperçurent que la porte n’était pas fermée à clef. Ils pénétrèrent donc dans un appartement impeccablement rangé, à l’exception de la table du salon qui avait été renversée, entraînant dans sa chute tout ce qui était posé dessus et renversant un thermos de café sur le tapis qui n’avait été que bicolore, jaune et rouge.

    L’appartement était décoré et meublé dans un style très moderne. Les tables et chaises du salon étaient en métal et bénéficiaient de coussins de couleurs vives, assortis au tapis et au canapé. La cuisine américaine donnait sur la pièce principale.

    Pas tout à fait le style de décoration qu’on pouvait attendre d’un professeur en histoire de l’art… mais qui collait toutefois plus avec le look de la jeune fille omniprésente sur les photos disposées çà et là.

    La chambre était décorée de manière similaire au salon et ne présentait pas plus d’intérêt. Il en allait de même pour la salle de bain. Les toilettes offrirent un moment privilégié à Farot mais sans l’aider plus que ça dans ses investigations.

    La troisième pièce était un bureau, qui n’avait rien à voir avec le reste de l’appartement. Valse avait dû se sentir vraiment chez lui dans cette pièce, du moins elle correspondait plus à l’idée que Farot se faisait du lieu de vie d’un jeune archéologue. Le bureau était un véritable capharnaüm, des objets jonchaient le sol partout, à tel point qu’il était difficile de circuler entre tous ces livres, ces cartes – même une mappemonde ! – et des meubles hétéroclites avec pour seul point commun le fait qu’ils étaient en bois.

    Grignard sauta sur l’ordinateur portable qui trônait au milieu du bureau d’acajou.

    « Je vais analyser le contenu de ce truc, Farot, je vous laisse le reste de l’appartement.

    Il ne croyait tout de même pas s’en tirer à si bon compte ?!

    Ok Grignard, je vous le laisse. Pour ma part, je vais me concentrer sur la fille. »

    Après une fouille rapide des 3 pièces, il finit par mettre la main sur un agenda électronique. L’avantage de ces instruments, c’est qu’on peut y mettre la photo en face du numéro. Il ne fallut donc pas longtemps au Hibou pour composer le numéro de la jeune fille, qui s’appelait « Choupi ». A la réflexion, Farot n’était pas certain que ce fut son véritable nom.

    Choupi ne répondit pas et Farot laissa un message avec son nom et son propre numéro de portable.

    Les investigations menées sur le corps et la fouille dans l’appartement ne donnèrent vraiment pas grand-chose. Grignard s’était fait faire une copie de tous les documents présents sur l’ordinateur, il en aurait pour un bon moment à tout lire.

    Farot avait pu récupérer l’adresse de la fille, ainsi que celle de son université. Elle n’avait pas encore 22 ans et était une des étudiantes de Joseph Valse. Ah… et son vrai nom était Anne Gylwenn (bretonne ? Probablement.).

    Elle n’était pas chez elle dimanche après-midi et sa voisine de palier ne l’avait plus vu depuis plusieurs jours. Elle devait être partie en vacances vu qu’elle portait un sac à dos, ce qui n’était pas dans ses habitudes, selon Marianne Delanne, la voisine.

    A court de pistes, le Hibou décida de rentrer chez lui et de profiter un peu de ce qui restait de son week end. Après tout, rien ne pressait puisqu’il enquêtait sur une affaire de suicide. L’avantage dans ces cas-là était que l’on ne devait que très rarement courir après le meurtrier.

    Farot était en bas de chez lui à 19h et décida de faire une petite halte dans son bar fétiche, qui se situait au coin de la rue. Il s’appelait le Blue Lagoon et passait du bon jazz et, bien entendu, du blues. Farot s’approcha du bar et commanda un double malt on the rocks pour commencer sa soirée. Il échangea deux mots sur le temps et le prochain concert que le bar abriterai le samedi suivant, avec Jeff, le barman (il était évidemment inconcevable qu’un barman conserve le nom de Jean-François) et allat ensuite s’asseoir sur l’une des banquettes en sky bleu foncé au fond du bar. Cette zone avait une ambiance feutrée que Farot appréciait particulièrement, ambiance due aux luminaires pour deux raisons : la première était que ces luminaires diffusaient une lumière violacée qui éclairait peu et la seconde, qu’il en manquait près d’un sur deux.

    Au bout de son troisième verre, il se mit à penser à Choupi ou plutôt à rêvasser. Elle était plutôt mignonne avec son visage rond entouré de cheveux bouclé d’un roux prononcé. Bien qu’il ne l’ai vue qu’en photos, son visage était resté gravé de façon très nette dans son esprit. Elle avait de très jolies lèvres, un petit nez et de grands yeux verts. Elle devait mesurer environ 1m65, elle était un peu forte, avec des formes plantureuses et une poitrine imposante.

    A ce moment de ses réflexions, Farot leva les yeux de la table et s’aperçut que les ombres du fond de la salle s’étaient mises à danser. Il leva un peu plus les yeux. Les lumières violettes s’étaient un peu plus rapprochées de lui et emplissait l’ensemble de son champ de vision d’un halo surnaturel…

    Lorsqu’il se réveilla, il était allongé dans la ruelle pluvieuse à côté de Joseph. Celui-ci avait un bracelet en argent au poignet qu’il n’avait pas remarqué la première fois. Le bracelet était large d’un bon centimètre et des représentations de runes et de feuilles de trèfles étaient gravées dessus. Une sorte de petite clef pendait à ce bracelet. Farot tendit le bras pour l’attraper. Il constatat avec horreur qu’il ne s’agissait pas d’une clef mais d’un petit serpent noir qui lui mordit l’extrémité du doigt.

    Cette morsure eut pour effet de le réveiller une seconde fois. Il était revenu dans le bar et son doigt allait bien. C’est alors qu’il prit la décision de payer l’addition et de rentrer chez lui.

    Il était 21 heures passées lorsqu’il mit la pizza dans le four et alluma la radio. Des images du corps nu de Choupi ne quittaient pas son esprit. Il se dirigea donc vers les toilettes afin de pousser ses réflexions sur ce point.

    Une heure, une séance de relaxation et une pizza plus tard, il était allongé dans son bon vieux fauteuil club à fumer un cigare en écoutant le dernier tube de Chopin à la radio, la Symphonie Rhénane Op. 97.

    Il se laissa emporter par le rythme entraînant et son quatrième verre de whisky et sombra dans un sommeil dont il ne sortirait plus avant le lendemain matin.

    Le lendemain matin s’avéra être un lundi aussi gris et humide que la veille. La première chose que fit Farot, après avoir pris une bonne douche, deux cafés et trois aspirines, fut de se rendre à l’université d’histoire de l’art.

    Il fit la connaissance d’une charmante secrétaire à l’accueil d’une soixantaine d’année environ, qui lui apprit qu’Anne Gylwenn n’était plus venue en cours depuis plusieurs semaines et que personne ne savait où la trouver.

    Toutefois, elle avait une cousine qui suivait également des cours dans cette université. Elle n’avait pas cours actuellement mais était peut être à la bibliothèque.

    Farot suivi les explications de la secrétaire et, après avoir errer pendant un bon quart d’heure dans les couloirs et être revenu sur ses pas par trois fois, il finit par atteindre cet antre du savoir. L’endroit était peu fréquenté à cette heure, seuls une dizaine d’étudiants étaient plongés dans leurs livres ou dans le décolleté de leur voisine d’en face. Il demanda au premier blondinet assis dans les premières places à droite de la porte d’entrée.

    « Excusez-moi, je recherche une jeune femme nommée Gabrielle Gylwenn. La connaitriez-vous par hasard ?

    Le jeune homme leva à peine les yeux avant de répondre d’une voix blanche :

    Euh… Nan !

    Elle a une cousine qui s’appelle Anne Gylwenn, ça vous dit peut-être quelque chose ?

    Euh… Nan plus.

    Merci beaucoup de votre aide, répondit Farot en essayant d’imiter le ton du garçon. »

    Après trois autres échecs, il s’approche d’une jeune femme rousse. En réalité, elle était d’un roux très clair, presque blond vénitien. Elle avait les cheveux coupés au carré et légèrement bouclés. A son approche, elle leva la tête de son ouvrage. Elle avait les traits fins, des pommettes saillantes, un nez un peu trop long au goût de notre lieutenant et des lèvres pleines. Mais ce qui le frappa, c’était ses grands yeux verts, quasiment les mêmes que ceux d’Anne.

    « Vous cherchez Gabrielle Gylwenn d’après ce que j’ai entendu ?

    En effet, vous la connaissez ?

    hum,… Peut-être. Que lui voulez-vous ?

    En réalité, je recherche sa cousine qui semble avoir disparu. Vous la connaissez peut-être aussi ?

    Peut-être aussi ! Répondit-elle avec un grand sourire. Vous êtes de la police ?

    En effet, aussi ! Il sourit à son tour. Le petit ami d’Anne s’est, semble-t-il, suicidé.

    Oh mon dieu ! La pauvre, elle doit être mal ! Malheureusement, je crains de ne pouvoir vous aider, inspecteur. Je n’ai plus de nouvelles d’elle depuis bientôt trois semaines. Elle est partie, comme ça, sans raisons apparentes et sans donner la moindre explication. Dites-moi, depuis quand la police enquête-t-elle sur les suicides ? Et pourquoi avez-vous dit qu’il s’était semble-t-il, suicidé ?

    Voilà qui faisait beaucoup de questions. Elle semblait étrangement préoccupée. Habituellement, les gens étaient choqués ou tristes. En tout cas, ils posaient plutôt des questions sur la manière dont cela s’était produit, sur le mort en lui-même, sur… Bref, elle semblait savoir quelque chose ou du moins, Farot avait il l’intuition qu’elle… Que quelque chose clochait dans sa réaction.

    Il se contenta de répondre :

    – On ne dit plus inspecteur mais lieutenant. Je peux vous offrir un verre mademoiselle Gylwenn ? »

    Cette fille était plutôt jolie mais elle ne faisait pas du tout le même effet à Farot que sa cousine. Sans doute était-elle trop maigre pour lui. Il avait toujours préféré les filles bien en chair et Gabrielle était vraiment très mince. Du coup, elle avait un air très élancé avec son mètre soixante-dix. Il se dégageait d’elle une impression d’énergie, elle devait être sportive et le peu qu’elle avait sur les os ne devait pas être constitué de beaucoup de graisse. Le fait que cette gamine devait sans doute être capable de le battre à beaucoup de sports ne contribuait pas à la rendre plus sexy à ses yeux. Il était exact que Farot avait abandonné le sport au profit du whisky depuis pas mal de temps et que le temps des prouesses dont il était capable alors qu’il sortait tout juste de l’école de police était loin derrière lui. On pouvait le deviner à son ventre qui commençait à poindre sous sa chemise ou à ses épaules qui tombaient, ce qui augmentait d’habitude grandement ses chances auprès des filles. Il était donc tout de même un peu fier de se retrouver à traverser les couloirs de la fac en compagnie de cette jeune fille, qui attirait les regards dans son jean bleu moulant et sa chemise décolletée, couloirs fréquentés par quelques jeunes coqs prétentieux, même en ce lundi matin.

    Ils s’installèrent dans un bar à proximité de la fac. Il était rempli d’étudiants qui séchaient probablement les cours (quelle autre raison aurait pu les pousser à se retrouver dans un café un lundi matin à dix heures ?). Ils prirent une table dans un coin et commandèrent un café serré pour lui et un jus de pommes pour elle. Elle ne semblait pas perturbée outre mesure de se retrouver dans un café dont elle devait connaitre la moitié des occupants, en compagnie d’un vieux type pas particulièrement beau ni bien habillé et qui portait une étiquette marquée police sur son front. Ça lui ferait sans doute un bon sujet de discussion autour d’un deuxième jus de pomme plus tard dans la journée, entourée de ses trois ou quatre prétendants habituels !… Non, Farot n’avait décidément pas une bonne opinion d’elle.

    Le lieutenant expliqua à Gabrielle tout ce qui s’était passé dans les dernières vingt-quatre heures, ce qui fut assez rapide. Gabrielle, en retour, lui raconta ce qu’elle savait de la relation de Anne avec Joseph. Ils s’étaient rencontrés il y a environ sept mois, à l’occasion d’une croisière sur le Rhin. Les parents de Anne lui avaient offert cette croisière pour ses 21 ans. Le courant était passé instantanément entre les aventuriers en herbe. Ils partageaient la même passion pour l’histoire et toutes les formes d’art. Joseph entrait dans sa huitième année d’histoire de l’art et jouait au professeur avec la jeune étudiante de troisième année. Ils ne découvriraient tous les deux que deux semaines plus tard que Joseph serait effectivement le chargé de travaux dirigés d’Anne et de sa cousine (Gabrielle, bien que d’un an la cadette de sa cousine suivait les mêmes cours, Anne ayant redoublé sa première année). Joseph travaillait depuis plus de deux ans sur sa thèse de doctorat. Il étudiait une civilisation très ancienne, probablement millénaire mais dont on ne savait que très peu de choses à l’heure actuelle. Elle avait une particularité remarquable, des traces de cette civilisation ayant été retrouvées à la fois en Amérique du Sud et en Afrique ! Du jamais vu ! Les deux amoureux vivaient le parfait bonheur, la seule difficulté étant de ne pas se faire remarquer à la fac, afin d’éviter à Joseph d’avoir des problèmes. Cette période dura un peu plus de trois mois.

    En janvier, juste après avoir passé les fêtes dans la famille de Anne et avoir donc été présenté officiellement, Joseph parti en Afrique, avec une expédition montée par l’un de ses amis archéologues. Son ami, le professeur Reginald Westwood, sujet de sa Majesté la Reine d’Angleterre et l’un des plus célèbres archéologues de son temps, accordait une grande importance aux travaux de Joseph et avait décidé de lui apporter toute l’aide possible. L’expédition avait duré plus d’un mois. Les aventuriers étaient revenus exténués mais triomphants, ils avaient ramené plusieurs objets provenant de cette civilisation et datés au carbone 14 de plus de deux mille ans. Joseph est devenu une star, donnant plusieurs interviews à la presse et de nombreuses conférences dans différentes universités, en France et en Angleterre. Mais il avait changé. Il ne s’intéressait plus à rien d’autre que ses recherches et se montrait de plus en plus souvent de mauvaise humeur, voire agressif. Au début, Anne considérait qu’il avait pris la grosse tête et ne se privait pas de le lui reprocher. Ce à quoi il répondait qu’elle ne comprenait pas l’importance de son travail. Il était persuadé que ses recherches pourraient changer l’avenir de l’humanité. Fin mars, elle avait fini par rompre avec lui, ce qui ne lui avait fait ni chaud, ni froid. Anne était venue habiter avec sa cousine le temps de retrouver un appartement. Elle est restée pendant une dizaine de jours et puis, un matin, elle a annoncé à Gabrielle qu’elle avait fait une découverte. Elle partait donc quelques jours pour vérifier sa théorie. Elle n’avait pas voulu donner sa destination et n’était toujours pas revenue, cela faisait maintenant presque trois semaines.

    Gabrielle en était à son troisième jus de pomme et dut s’absenter pour aller se repoudrer. Farot avait toujours été émerveillé par l’effet des boissons sur le maquillage de ces dames.

    Lorsqu’elle revint, ils décidèrent de manger un morceau, vu qu’il était bientôt midi.

    Le Hibou voulait apprendre à mieux connaitre Anne. Gabrielle accepta de lui raconter leur histoire, Anne et elle ayant été élevées ensemble, comme des sœurs.

    Leurs grands-parents maternels étaient irlandais. Ceux-ci étaient venus s’installer en Bretagne après leurs études, afin d’échapper à certaines relations du grand-père qui appartenaient à l’IRA. Leurs deux filles avaient 5 ans et un an au moment où ils étaient arrivés en France et avaient donc été élevées dans la double culture. La mère de Anne, Shannon, était l’aînée. Elle avait rencontré son mari, Yves, à la fac de droit. Fils de notaire, il avait ensuite repris l’office de son père et avait engagé sa future femme en tant que clerc. Ils avaient eu deux enfants, Michaël et Anne trois ans plus tard. La sœur de Shannon, Megan, avait fait des études de médecine et était partie s’installer à la capitale où elle s’était mariée avec un jeune policier du nom de Paul Rives. Celui-ci avait malheureusement de mauvaises fréquentations et notamment son équipier, un type nommé Guy de Frênes. Ils étaient tous les deux tombés du côté obscur de la force. Ils avaient commencé par passer quelques accords avec les truands locaux, qui leur versaient une pension en échange d’une certaine tranquillité. Un jour, ils se retrouvèrent mêlés à une affaire un peu plus sérieuse que d’habitude, au cours de laquelle une prostituée s’est fait abattre. Paul la connaissait bien et avait refusé de fermer les yeux cette fois. L’un des types responsable de la mort de la jeune femme fut arrêté et condamné. Mais la sanction ne se fit pas attendre et Paul et sa femme furent victimes d’un accident de voiture quatre mois plus tard. Ils laissèrent derrière eux une petite fille d’un an et demi. Les services sociaux la confièrent à son oncle et sa tante. Afin de lui éviter tout risque, elle prit le nom de famille de son oncle, Gylwenn.

    N’ayant qu’un an d’écart, Anne et Gabrielle devinrent vite inséparables. Gabrielle était beaucoup plus sportive que Anne qui préférait de loin regarder les garçons faire du sport. Gabrielle avait donc toujours eu un corps plus fin et musclé que celui de sa cousine mais celle-ci avait un charme naturel qui lui valait un énorme succès auprès des garçons. Gabrielle était également très indépendante et solitaire, alors que Anne adorait être entourée et qu’on s’occupe d’elle.

    Gabrielle pouvait parler de sa cousine pendant des heures, sans se fatiguer le moins du monde, et Farot s’aperçut que, de son côté, il aimait entendre parler d’Anne. Il était tout bonnement en train de tomber amoureux d’une fille qu’il n’avait jamais rencontrée et dont tout ce qu’il savait se résumait en quelques photos et ce que sa cousine lui en disait.

    Il s’aperçut qu’il avait perdu le fil de la conversation et tenta de se raccrocher à ce que Gabrielle était en train de dire :

    –… vous voyez, Anne est le genre de personne qui vit au jour le jour, sans rien organiser à l’avance et sans trop se poser de questions. Elle se lève le matin, décide de faire un truc et… elle le fait, tout simplement ! Tenez, elle n’avait pas du tout réfléchi à ce qu’elle voulait faire après le bac et à deux semaines de la clôture des inscriptions en fac, elle ne le savait toujours pas. Et puis un jour, un dimanche après-midi, nous sommes tombés par hasard sur une émission de télé qui racontait la découverte du tombeau d’un pharaon égyptien. Elle a adoré cette émission. Le soir-même, elle a décrété qu’elle voulait être archéologue et le lendemain, elle s’inscrivait à cette université. Tout le contraire de moi, je planifie toujours tout à l’avance. J’avais décidé depuis longtemps de faire de la psycho, je m’étais renseignée auprès de plusieurs de mes profs, j’avais fait des recherches sur internet,… Je m’étais bien entendu déjà inscrite lorsque Anne m’a demandé de m’inscrire en histoire de l’art avec elle. Elle a tellement insisté en m’expliquant combien la psychologie était ennuyeuse et bien moins passionnante que la découverte de trésors enterrés depuis des centaines d’années, que j’ai fini par craquer. Je ne m’explique toujours pas aujourd’hui ce qui s’est passé dans ma tête ! Elle a toujours eu ce don de convaincre les gens.

    A ce moment, Farot décrocha à nouveau. Après tout, il n’était qu’un homme et avait ses limites. Aucun être humain ne devait être capable d’écouter cette fille, ni aucune autre, parler comme ça pendant des heures !

    Le monologue dura encore une bonne heure et ce n’est que vers trois heures de l’après-midi qu’ils se séparèrent. Après l’avoir remercié pour tous ces récits, lui serra la main et lui remis sa carte, au cas où un détail lui reviendrait. En prononçant cette phrase, Farot se sentit ridicule. Après tout, elle venait de lui en donner des milliers de détails !

    En rejoignant sa vieille Ford Fiesta, il s’aperçut qu’on avait laissé un message sur le répondeur de son portable. C’était Grignard - il l’avait presque oublié celui-là ! - qui lui annonçait être sur une nouvelle piste et voulait le rencontrer le soir même, dans un bar-restaurant que le Hibou avait déjà fréquenté il y avait un sacré bail.

    Épuisé par le blabla incessant de Gabrielle, Farot passa le reste de l’après-midi sur un banc, dans un parc, à faire le point sur tout ce qu’il avait appris jusque-là. L’avantage des journées grises et fraiches, c’était qu’on était relativement tranquille dans les parcs.

    Alors qu’il en était arrivé à un état avancé de ses réflexions et qu’il était sur le point de s’endormir pour de bon, Farot fut réveillé en sursaut par la sonnerie de son téléphone, ce qui manqua de peu de le faire tomber de son banc.

    « Mais qui peut bien avoir l’idée saugrenue de m’appeler au beau milieu de l’après-midi ? Maugréa-t-il en sortant le responsable de sa poche. Allo !

    Farot ? Ici le capitaine Blanc, je vous dérange ?

    Pas du tout, capitaine, vous savez que vous ne me dérangez jamais ! Répondit-il de la voix la plus suave qu’il avait en répertoire.

    Vous foutez quand même pas trop de moi, lieutenant, je suis pas spécialement d’humeur.

    Que se passe-t-il de si important pour que vous preniez la peine de décrocher votre téléphone ?

    Grignard a disparu ! Du moins, il n’a pas donné de nouvelles depuis que vous vous êtes quittés hier matin. Il n’est pas rentré chez lui hier soir -j’ai eu sa femme-, ne s’est pas présenté au rapport ce matin ni à une réunion à laquelle je lui avais demandé d’assister et n’a pas non plus daigné déjeuner avec moi et certaines personnes d’une certaine importance qui voulaient lui parler. J’étais fou de rage contre lui et son répondeur m’a entendu, croyez-moi, mais je commence à croire qu’il lui est arrivé quelque chose. Même pour lui, manquer autant de rendez-vous important, ça fait beaucoup !

    Au risque de vous décevoir, je n’ai pas eu de nouvelles de lui non plus. Mais vous pouvez compter sur moi, dès que j’ai quelque chose, je vous en fais pars.

    Ok. Faites attention à vous, Farot, cette affaire ma plait de moins en moins.

    Vous en faites pas, j’en ai vu d’autres, capitaine ! Au revoir ! »

    C’était facile de faire le malin avec le capitaine au téléphone. En réalité, il ne se sentait pas très à l’aise. Grignard n’était pas un bleu qu’on pouvait avoir comme ça, loin s’en fallait.

    Farot aimait bien Grignard dans le fond. Ce qui lui plaisait, c’était que ce type était plein aux as et n’avait pas besoin de risquer sa vie pour la gagner. Il faisait plus ça pour le fun et Farot trouvait ça cool. L’argent venait de son père qui possédait une boite de promotion immobilière qui marchait du feu de dieu. Du moins, c’était la version officielle… Certains disaient que cette boite servait surtout à blanchir l’argent des véritables activités de papa, qui donnait plus dans l’import-export de substances illicites et même d’armes de temps en temps. Le capitaine et toute la hiérarchie considéraient ces ragots comme outranciers à la fois pour l’honnête citoyen qu’était le père et le serviteur de la loi qu’était le fils. Et les détracteurs de répondre que le discours officiel ne pouvait être différent, vu que l’honnête papa avait participé généreusement au financement des campagnes électorales de plusieurs élus locaux. Au commissariat, chacun y allait de son opinion. Pour Farot, la situation était un peu différente, attendu qu’il avait un vieux copain de lycée qui avait, disons, plutôt mal tourné et qui servait d’interface entre les hommes de papa est certains dealers du coin. Accessoirement, il servait aussi d’indic à Farot de temps en temps. Bref, tout ça pour dire que Grignard junior connaissait bien le milieu et que le milieu le connaissait. Donc, s’il avait des problèmes, soit c’était du fait d’un étranger à cette ville, soit c’était vraiment sérieux. Farot résolut de poursuivre ces réflexions plus tard et de finir sa sieste.

    Le soir venu, en se rendant au rendez-vous fixé par le lieutenant Grignard, Farot se demanda pourquoi il n’avait rien dit au capitaine à propos de

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