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Un Hiver pour aimer: Romance historique
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Livre électronique278 pages3 heures

Un Hiver pour aimer: Romance historique

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À propos de ce livre électronique

Un hiver rigoureux, sous l'occupation allemande...

Nous sommes au milieu de l'hiver 42-43. Veuve d'un marinier, Camille Chastain a confié son fils petit-lou à sa mère Antonia, professeur à l'institution Sainte-Marie-des-Anges, en Dauphiné. Camille découvre que ses élèves hébergent en secret un résistant, Emmanuel. Mais il est en danger et Camille à son tour le cache chez elle. c'est le début d'un grand amour. Emmanuel, qui a été blessé, est soigné par Victor, un ami de Camille, médecin. À peine rétabli, il doit rejoindre le maquis. Elle lui promet de l'attendre. Un jour, Victor apprend à Camille la mort du jeune résistant. Anéantie, elle accepte alors sa demande en mariage. ils vivront à la maladière, la propriété du médecin. Camille n'est pas très enthousiaste, car à la Maladière vivent aussi Réjane, la belle-soeur de Victor et son fils Guy, qui lui sont hostiles. Et puis, Camille n'accepte pas la disparition d'Emmanuel. Camille, gardée comme une prisonnière à la maladière, sombre dans la dépression, tandis que dans la vallée, Tonia, sa mère, lutte pour survivre avec Petit-Lou. Mais, un jour d'hiver, après la guerre, un homme se présente à la Maladière et demande à parler à Camille.

Une romance riche en rebondissements qui prend la Seconde Guerre mondiale comme toile de fond.

EXTRAIT

L’année 1942 s’était achevée dans le froid. Après le jour de l’An, il avait neigé. Un bref redoux avait suivi, mais, dès la première semaine de février, le gel avait
étreint dans ses serres glacées le nord du Dauphiné qui ne se trouvait plus en zone libre depuis quelques mois, et une température polaire régnait dans les appartements mal chauffés.
Aussi, Camille Chastain s’éveilla transie, en dépit du gros édredon de plumes qui recouvrait son lit. Un de ses affreux cauchemars l’avait encore hantée. La jeune
femme passa une main tremblante sur son front et elle s’assit, s’adossant aux oreillers. Il faisait sombre, encore, et elle distinguait à peine les contours de la chambre, la forme de l’armoire et de la commode.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Signant également sous le nom de Cécile Berthier, Suzanne de Arriba est l’auteur d’une quarantaine de romans. Elle situe la plupart de ses intrigues en milieu rural, dans une nature enchanteresse, qui apaise les tourments de l’esprit et soigne les blessures du coeur. Ses personnages, fort attachants et passionnés, nouent des rapports complexes entre eux. Le courage, la volonté, la détermination et l’amour leur font passer les caps les plus difficiles et les plus délicats.
Originaire de la vallée du Rhône, elle vit aujourd’hui en Isère, à la Côte-Saint-André.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie6 avr. 2018
ISBN9782848866895
Un Hiver pour aimer: Romance historique

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    Aperçu du livre

    Un Hiver pour aimer - Suzanne de Arriba

    L’année 1942 s’était achevée dans le froid. Après le jour de l’An, il avait neigé. Un bref redoux avait suivi, mais, dès la première semaine de février, le gel avait étreint dans ses serres glacées le nord du Dauphiné qui ne se trouvait plus en zone libre depuis quelques mois, et une température polaire régnait dans les appartements mal chauffés.

    Aussi, Camille Chastain s’éveilla transie, en dépit du gros édredon de plumes qui recouvrait son lit. Un de ses affreux cauchemars l’avait encore hantée. La jeune femme passa une main tremblante sur son front et elle s’assit, s’adossant aux oreillers. Il faisait sombre, encore, et elle distinguait à peine les contours de la chambre, la forme de l’armoire et de la commode.

    Elle se leva, enfila vite ses bas et des chaussettes pardessus, glissa les pieds dans ses mules. Elle passa une épaisse robe de chambre, guère seyante mais chaude, et se rendit à la cuisine pour y prendre son petit-déjeuner. L’évier était installé dans un des deux grands cagibis dont l’appartement était doté. Elle avait aménagé l’autre, contigu à la cuisine, en cabinet de toilette, avec l’aide de son propriétaire et voisin, le docteur Victor Devillequiers.

    Elle appréciait ce confort, pourtant tout relatif, car les toilettes se trouvaient sur le palier, mais la jeune femme n’avait pas oublié qu’au début de son mariage avec Roland Chastain, elle ne bénéficiait pas même de l’eau courante.

    Tout en faisant sa toilette et en s’habillant, Camille pensait à sa mère, Antonia Girod. Quand la guerre avait été déclarée, elle était retournée vivre à Luiri, un village rhodanien, dans la ferme de son frère aîné, Claudius Montand. Camille lui avait alors confié son fils Louis — surnommé Petit-Lou — qui avait aujourd’hui cinq ans.

    Elle souffrait d’être séparée de son petit garçon, mais elle ne pouvait pas faire autrement depuis qu’elle était professeur à Sainte-Marie-des-Anges, à deux kilomètres de La Côte-Saint-André, où elle habitait. De toute façon, en ces temps troublés, Petit-Lou était beaucoup plus en sécurité à Luiri, sur le coteau, à l’écart de la vallée et surtout de Givors, cible de choix de l’ennemi avec ses usines métallurgiques, ses ponts, ses gares et ses triages.

    Lorsque les nazis avaient envahi la zone libre, en novembre 1942, de nombreux convois défilaient sur la route nationale 7, se dirigeant vers le sud qui passait sous leur domination. En décembre, une unité d’artillerie s’était arrêtée à Luiri durant trois semaines. Chevaux et hommes avaient été casés de force chez les villageois. Mais, au hameau des Cottes, relativement éloigné du centre du bourg, les habitants n’avaient pas été inquiétés.

    À la ferme Montand, il fallait tirer l’eau d’un puits, et Camille imaginait sa mère, en cet hiver impitoyable, traînant les seaux jusqu’à la vieille cuisine enfumée de la demeure ancestrale. Mais au moins, sur les hauteurs du village, Antonia et Petit-Lou jouissaient du bon air et d’un voisinage tranquille. Avantage non négligeable : le potager, le verger et la basse-cour leur permettaient de se nourrir convenablement et même de varier leurs menus.

    Tout de même, comme ses êtres chers lui semblaient loin ! Depuis le début de cet hiver qui la séparait des siens autant que la guerre, Camille se sentait écrasée par le poids du souci qu’elle se faisait pour ceux qu’elle aimait. Sa mère, si forte en apparence, souffrait d’un mal inguérissable, dû à la disparition de Jean-Marie, l’homme qu’elle avait épousé et passionnément aimé.

    Pourtant, Antonia avait fait face. Elle avait pleuré le mari, comme la fille avait pleuré le père. Et peu à peu, en apparence du moins, le vide que Jean-Marie avait creusé dans leur existence en les quittant s’était comblé. Pour Camille, la sève de la vie avait cicatrisé cette première blessure. Elle, si jeune encore, avait fait confiance « à l’infini pouvoir de guérison qui réside en chacun de nous », disait sa mère, et qui concerne l’âme comme le corps. « Les deux ne sont-ils pas étroitement liés ? » insistait Antonia.

    Camille lui donnait raison. Mais elle ne savait pas qu’une nouvelle épreuve l’attendait.

    La jeune femme écarta les lourds rideaux imposés par la défense passive et repoussa les volets. Le jour se levait à peine. L’immeuble donnait sur la place de la Halle. Elle se pencha un peu et vit que le cabinet du docteur, au rez-de-chaussée, était encore fermé.

    Elle referma la fenêtre et prépara tout ce qui lui serait nécessaire pour allumer le feu à son retour, ce soir. Ensuite, elle enfila son manteau, sur lequel elle jeta un châle, et cacha ses boucles rousses sous un bonnet de laine bleu roi que sa mère lui avait tricoté.

    Elle prit son sac, vérifia qu’elle n’avait pas oublié ses tickets d’alimentation car après le dernier cours, en sortant du collège, elle ferait la queue pour acheter un peu de viande. Avant de sortir, elle regarda, avec un sourire plein de douceur et de nostalgie, le dessin que Petit-Lou avait glissé dans la dernière lettre d’Antonia. Il représentait un arbre rose, un pêcher sans doute, comme il en poussait sur les îles du fleuve et dans les vergers du coteau. Et la mère de Camille avait écrit dessous, de son écriture un peu tremblée : « Le printemps finira bien par revenir, ma chérie ! »

    Camille ferma la porte et descendit l’escalier raide. Elle s’arrêta devant la grande boite aux lettres où son nom s’inscrivait sous celui du docteur Devillequiers, qui, la plupart du temps, lui remettait son courrier. Elle le croisa dans la rue. Il venait de garer sa Traction avant près de la Halle. Il l’avait fait peindre en gris métallisé pour qu’on ne la confonde pas avec celles des miliciens qui se déplaçaient dans des voitures noires.

    On chuchotait que, sans pour autant faire partie de la Résistance, qui, timide encore, s’était organisée dès 1941, le docteur était souvent appelé au chevet des blessés, et qu’il ne s’était jamais dérobé. On avait confiance en lui, on savait qu’il ne trahirait pas.

    — Bonjour, Camille !

    Elle lui rendit son salut. Le docteur était un homme d’une cinquantaine d’année, grand et massif, aux épaules larges, au visage un peu sévère couronné d’une épaisse chevelure grise. Son regard, d’un gris assez froid, s’adoucit quand il se posa sur la jeune femme.

    — Hé bien ! Vous êtes en avance pour prendre le car ?

    — Je crois que c’est vous qui êtes en retard, docteur, répondit Camille malicieusement.

    — C’est possible.

    Peut-être avait-il été appelé cette nuit encore pour soigner un de ces hommes que les Allemands et les miliciens appelaient des « terroristes ». Il ne laissait rien paraître en tout cas de sa fatigue.

    Camille, qui avait adoré son père, décédé l’année précédant son mariage avec Roland, retrouvait en Victor Devillequiers, si attentif, si chaleureux envers elle, un parent de remplacement. Elle était à cent lieux d’imaginer que le quinquagénaire brûlait pour elle en secret…

    Camille aurait trente-deux ans au mois d’avril 1943. Elle était née à Givors, au bord du Rhône. Antonia, sa mère, était native de Luiri, un village voisin de quatre kilomètres, dont les maisons semblaient grimper sur le coteau, à la queue leu leu.

    Antonia et Jean-Marie Girod, ses parents, formaient un couple exemplaire. Ils s’adoraient. Blessé grièvement pendant la première guerre mondiale, Jean-Marie travaillait cependant, occupant un poste à la SNCF. Mais il avait dû s’arrêter l’année de ses cinquante ans. L’éclat d’obus qu’il avait reçu dans l’abdomen et qui n’avait pu être extrait, avait abîmé irrémédiablement son foie. Rongé par un cancer, Jean-Marie s’était un jour alité pour ne plus se relever, et il était décédé sans avoir eu la joie de conduire sa fille à l’autel. Camille était effondrée. Elle avait pris sur elle pour réconforter sa mère, désespérée, mais digne.

    Son mariage célébré en 1936 — l’année de ses vingt-cinq ans — avait donc débuté sous le signe de la tristesse et s’était achevé dramatiquement. Pourtant, pendant quelques mois intenses, elle avait été heureuse, assez pour faire moisson de souvenirs qui l’aidaient à supporter son deuil. Elle connaissait Roland depuis longtemps. Il était ébéniste. Son atelier, hérité de son père, ouvrait sur une ruelle qui conduisait sur les quais. C’était un beau garçon joyeux et généreux. Jouteur, il était connu pour les championnats qu’il avait remportés. Mais, comme tous ceux qui se disaient fils du fleuve, Roland faisait aussi partie des Sauveteurs.

    En 1937, un peu avant le retour du printemps, grossi par les pluies abondantes et la fonte des neiges, le Rhône avait enflé, grondé, roulé en aval des eaux troubles, charriant des troncs, des débris de toutes sortes. Il n’avait pas tardé à s’infiltrer dans les caves. C’était le signal, les gens s’attendaient comme d’habitude à la crue, plus ou moins forte. La rue principale de Givors avait été transformée en large canal et des services de barques s’y succédaient pour transporter les écoliers, les ménagères qui avaient été faire leurs courses, les hommes qui s’étaient rendus à leur travail.

    Il avait plu encore, pendant des jours, et le géant s’était répandu beaucoup plus loin que ses berges. Par un matin blafard, alors que Roland traversait une fois de plus le Rhône pour porter secours à une famille réfugiée au premier étage de sa maison inondée, sa barque avait chaviré. Un tronc qui filait dans le courant l’avait heurté de plein fouet. Assommé, Roland, pourtant excellent nageur, n’avait pas réagi. Un tourbillon l’avait happé sous les yeux de ses camarades qui repêchèrent un plus tard son corps sans vie.

    Camille était alors enceinte de cinq mois. Elle avait cru devenir folle de douleur, mais l’enfant qu’elle attendait la reliant à la vie, l’avait obligée à prendre soin d’elle. Et Louis était né, un petit gars qui allait grandir sans connaître son père.

    Camille avait terminé sa dernière année d’études, courageusement, et cherché du travail. D’abord, elle avait enseigné à Grigny, remplaçant un professeur de français qui voulait s’arrêter quelques mois pour mettre au monde son bébé. Pour elle, il n’était pas question de pouponner, il lui fallait gagner sa vie. Et puis, Antonia s’occupait de son adorable petit garçon pendant la journée. À la rentrée suivante, par l’intermédiaire du rectorat, on avait offert à Camille un poste de professeur principal au collège privé Notre-Dame-des-Anges, situé sur les hauteurs de La Côte-Saint-André. C’était bien loin de Luiri, mais elle avait accepté, suivant les conseils d’Antonia. Elle avait loué cet appartement dans le bourg, en pensant reprendre très vite son fils, confié à sa mère. Mais la guerre avait éclaté.

    Victor Devillequiers connaissait les grandes lignes de l’existence de sa locataire, et il trouvait Camille aussi courageuse que belle.

    — J’ai bien encore quelques instants avant de commencer mes consultations, ma petite Camille. Permettez-vous que je vous accompagne jusqu’à l’arrêt du car, sur la place ?

    Elle fut étonnée, mais ne le montra pas. Ce jour-là, Victor Devillequiers n’avait manifestement pas envie de la quitter.

    — Comment vont le petit Louis, et madame votre mère ?

    — Aussi bien que possible dans les conditions actuelles. Dans sa dernière lettre, Petit-Lou m’a envoyé un joli dessin.

    — Il vous manque, votre bambin ?

    — Oh oui ! Beaucoup ! Et maman aussi me manque.

    — Vous étiez très proches l’une de l’autre, si j’ai bien compris !

    — En effet. Je suis sa seule enfant, mais ce n’est pas uniquement pour cette raison. Il y a toujours eu une belle complicité entre nous. Je l’ai soutenue de mon mieux quand papa était malade et quand il nous a quittées. À son tour, elle a su m’entourer quand j’ai perdu Roland, d’une manière si dramatique. Elle était à mes côtés quand j’ai mis mon fils au monde. C’est elle qui l’a reçu dans ses mains, qui l’a baigné, me l’a déposé dans les bras… Oui, tant de choses nous lient, en plus des liens du sang…

    — Vous devriez l’inviter à passer quelques jours à La Côte-Saint-André, avec votre petit garçon.

    — J’y pense ! Et, de mon côté, j’irai bien les voir plus souvent, mais le trajet est si long, si pénible d’autant plus qu’il faut changer de car à Vienne.

    — Si vous le voulez, un dimanche, je pourrais vous y conduire. Il suffirait de partir de bonne heure.

    Camille essaya de cacher son étonnement.

    — C’est vraiment gentil à vous, mais il est si difficile de se procurer du carburant, il vaut mieux le garder pour vos visites !

    — Oh ! Je m’arrangerai, ne vous en faites pas ! Cela me ferait plaisir. Je serai si heureux de vous aider, Camille !

    Elle ne répondit pas, tentée tout de même. Cependant, une lueur dans le regard de Victor la fit réfléchir pour la première fois. Elle devina confusément que, sous l’intérêt paternel de cet homme se dissimulait autre chose, et elle en fut troublée, mais aussi contrariée. Elle l’aimait beaucoup et ne souhaitait pas perdre son amitié.

    Aussi, la jeune femme s’empressa-t-elle d’orienter la conversation différemment.

    — Et vous, docteur, avez-vous des nouvelles de votre famille ?

    — Ma famille ! s’exclama-t-il avec une grimace. Si l’on peut dire…

    — Vous avez un neveu, je crois ?

    — Oui, Guy Devillequiers. Et j’ai aussi une nièce, Olympe.

    — Olympe Devillequiers ? À Notre-Dame-des-Anges, il y a un professeur de mathématiques qui se nomme ainsi.

    — Il s’agit bien de ma nièce. Une peste ! Elle tient de sa mère, ma belle-sœur Réjane, une véritable harpie, je vous l’assure ! Mon pauvre frère a été héroïque de la supporter jusqu’au bout ! Je me demande comment Olympe se comporte avec ses élèves…

    — Elle est plutôt du genre sévère, un peu rigide, concéda Camille, qui ne voulait pas s’étendre sur le sujet.

    Elle ajouta toutefois :

    — Je ne savais pas que vous étiez apparentés, en dépit du nom de famille identique.

    — Apparentés… hélas ! Quand je pense que cette fille est de mon sang, je ne pavoise pas ! Mais comme je vous l’ai dit, elle tient surtout du côté de sa mère. Je vais vous expliquer, ma chère Camille, reprit le médecin. Il y a une quinzaine d’années, j’ai acquis avec ma part d’héritage une importante propriété sur la commune de Saint-Hilaire : la Maladière. Cette propriété comporte une maison de maître et une ferme, habitée par un couple de métayers, les Béroud. Tout autour, s’étendent des hectares de prés et de bois.

    — C’est un excellent placement ! approuva Camille. Mais pourquoi n’habitez-vous pas la Maladière ? Saint-Hilaire n’est pas si loin.

    — Mon cabinet, comme vous le savez, se trouve dans cet immeuble dont j’ai également hérité, de mon parrain cette fois. J’exerce ma profession ici, à La Côte-Saint-André. Aussi, ai-je installé là-haut à la Maladière mon frère Henri, sa femme Réjane et leurs enfants. Mon frère, je dois l’avouer, a eu moins de chance que moi. Mais il était joueur, il avait fait de mauvaises affaires et avait tout perdu de ce qui lui revenait de l’héritage de nos parents. Il a donc été bien content de pouvoir gérer en mon nom la Maladière. Il ne s’en est pas trop mal tiré et a initié son fils Guy, qui n’était pas doué pour les études comme sa sœur.

    Assez surprise de cette avalanche soudaine de confidences de la part d’un homme beaucoup plus âgé qu’elle et qui s’était montré si réservé jusque-là, Camille ne fit aucun commentaire. Son silence, pourtant, sembla encourager le docteur, qui poursuivit :

    — À la mort d’Henri, il y a trois ans, j’ai laissé ma belle-sœur Réjane dans les lieux, et j’ai chargé Guy de s’occuper de la Maladière comme le faisait son père, par pure charité, je dois dire, car je n’estime guère ce garçon, malgré ses compétences. Si, un jour, il me prenait envie de me marier, je crois que Réjane et Guy feraient grise mine à mon épouse, et dans ce cas, je n’aurai plus aucune pitié, je leur montrerai la porte !

    Victor s’était emporté en prononçant ces derniers mots, tout en couvant la jeune femme d’un regard enflammé. Camille, gênée, avait hâte de voir arriver l’autocar qui devait la déposer avec quelques élèves externes, deux kilomètres plus loin, au pied de l’éminence où se dressait Notre-Dame-des-Anges.

    Ils arrivèrent au bas de la rue pavée et tournèrent le coin du Café des Voyageurs. En face, sur la place, la statue d’Hector Berlioz, natif de La Côte-Saint-André, semblait grelotter dans la brume. Tout près du monument érigé à la gloire du célèbre musicien, attendait une calèche attelée à un cheval placide. Avant la guerre, André, le cabaretier, promenait les touristes dans son attelage. Désormais, il servait de taxi pour les petits trajets, on savait toujours où le trouver pendant la journée, et quand il s’absentait sa femme le relayait auprès des consommateurs.

    Au bord de la place, sous les platanes, là où s’arrêtaient les cars — quand il y en avait — le docteur Devillequiers saisit dans un geste inattendu les mains de la jeune femme et les serra chaleureusement entre les siennes.

    — À bientôt, ma chère Camille. Ah ! Je voulais vous dire… Réfléchissez à ma proposition, pour aller voir votre famille. Et n’hésitez pas à faire appel à moi en n’importe quelles circonstances. Je serai toujours heureux de vous rendre service !

    Installée dans l’autocar qui filait sur la route de la plaine, et bientôt obliquait vers le coteau, Camille se rappela brusquement son cauchemar. Il n’avait rien à voir avec la guerre. Comme toujours il s’agissait de Roland, son mari. Il se débattait dans les eaux noires du fleuve et l’appelait. Il tendait la main vers elle, debout sur la rive. Elle se penchait et essayait d’attraper cette main. Au moment où elle allait y parvenir, Roland coulait…

    — Arrêt pour le quartier du Chuzeau, annonça le chauffeur de car.

    Puis, deux minutes plus tard, il s’arrêta pour déposer Camille et les élèves face au chemin qui montait vers le pensionnat, entre les talus poudrés de givre, où de vieux noyers, ça et là dressaient leur silhouette noire.

    * * *

    Camille remit une bûche dans le poêle et remua les braises avec le pique-feu. Puis elle tapota le tuyau et vérifia si la clé qui réglait le débit d’air se trouvait sur la bonne position. Tout était normal, et pourtant le poêle se refusait à remplir honnêtement ses fonctions. C’était souvent le cas avec ce vieil appareil en fonte, que l’on disait bon pour la ferraille, il n’y a pas si longtemps.

    Arthur, le jardinier, époux de la cuisinière et homme à tout faire de Sainte-Marie-des-Anges, l’avait installé depuis qu’il était devenu impossible de se servir du chauffage central pour l’ensemble du collège. Seule, la chaudière destinée aux dortoirs des pensionnaires fonctionnait encore, mais très chichement. Car des pensionnaires, il n’y en avait plus, à part trois adolescentes séparées de leur famille par les événements. Aussi, la directrice les

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